Entretien avec Isabelle Suiste : Genres troubles dans une époque trouble
Jeune journaliste et membre de la rédaction de Rébellion, Isabelle Suiste interviendra le samedi 19 Mai à Bordeaux, avec David l’Epée, pour donner son analyse novatrice de la question du Genre.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser en particulier aux mouvements féministes ?
Etant un produit de mon époque, j’ai grandi avec l’idée qu’il était normal pour une femme d’être féministe, et que les femmes doivent se battre pour acquérir plus de droits et l’égalité. Néanmoins j’ai compris très tôt que Femmes et Hommes n’étaient pas égaux, mais différents et complémentaires.
Lors de mes études d’Histoire, je me suis particulièrement intéressée à l’Histoire des femmes, et j’ai suivi un cours sur l’histoire du féminisme, très (trop ?) partisan qui a suscité en moi à la fois un rejet des idées et une fascination pour ces femmes militantes. Le féminisme m’est alors apparu comme un cruel contre-sens : face au recul de liberté que les femmes ont subi au XIXème siècle, plutôt que de demander à vivre librement leurs privilèges de femmes (rester à la maison, s’occuper des enfants, ne pas aller à la guerre…) elles se sont battues pour adopter les contraintes masculines.
À côté de cela j’observais, notamment sur Tumblr, l’émergence d’un nouveau féminisme intersectionnel, bien loin des préoccupations purement féminines, mêlant antiracisme, déconstruction, luttes contre l’homophobie, la grossophobie, le validisme et j’en passe. Ma curiosité m’a poussée à m’intéresser de près à ces personnes qui me semblaient perdues, déconnectées du réel, en crise profonde avec leur identité et le monde qui les entoure. J’ai voulu comprendre pourquoi et comment un jeune peut entrer en conflit avec ce que la Nature lui a donné, et se construire une identité inédite, fictive, proche du jeu de rôle. Cette curiosité m’a menée à découvrir un féminisme aux multiples visages, et, si je ne me considère pas comme féministe au sens militant, je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain : je me sens concernée par la cause féminine, et je pense qu’il y a du progrès à faire dans l’acceptation de la féminité dans toutes ses incarnations. Il y a quelques idées qui vont dans ce sens, notamment dans le féminisme radical, plus essentialiste et différentialiste, qui méritent à mon sens d’être reprises.
Ces dernières années ont été marquées successivement par trois grands sujets d’actualité : le mariage pour tous, la théorie du genre et la lutte contre le harcèlement. Quel regard portez-vous là-dessus ?
Je pense que ces sujets doivent être débattus dans l’espace public, car ils touchent un nombre grandissant de personnes dans la société, que ce soit légitime ou pas du point de vue de l’Ordre Naturel. Concernant le Mariage pour tous, nous avons assisté à une confrontation entre deux revendications identitaires et bourgeoises, qui n’ont fait que contribuer encore plus à la destruction du tissu social. Ce qui me semble intéressant, c’est de voir comment la communauté LGBT, cherchant à légitimer son existence, a réclamé le droit à la conformité : d’une communauté fière de transgresser les règles imposées par la société, émancipée des attentes traditionnelles, elle a fini par réclamer le rêve bourgeois par excellence : un bon mariage, un pavillon, un chien et des enfants. Je vois mal un Oscar Wilde soutenir ce genre d’initiatives.
Du côté des conservateurs, cette affaire à créé une sorte de psychose collective qui a complètement décrédibilisé la lutte légitime et souhaitable contre le mariage homosexuel, et surtout les dérives qu’il peut engendrer comme la GPA, en s’appuyant sur des arguments non vérifiés, relevant le plus souvent de présupposés voire de préjugés. J’en parlerais plus amplement lors de mon intervention, mais la théorie du genre telle qu’elle est présentée dans les milieux dits réactionnaires est une construction issue de divers contre-sens notamment sur la définition du mot « genre », qui ne désigne que l’ensemble des comportements sociaux liés à l’un ou l’autre sexe biologique, et qui contribuent aux stéréotypes (les filles aiment le rose et les poupées, les garçons doivent être moins sensibles, etc). Si je pense qu’il est nécessaire de lutter contre la perte des repères traditionnels concernant la famille et la sexualité, je pense aussi qu’il faut lutter avec bon sens, en dénonçant des faits généraux et non pas des cas particuliers et des fantasmes.
A propos de la lutte contre le harcèlement je suis mitigée. Je pense qu’il était nécessaire de crever l’abcès, mais la forme qu’a pris cette « révélation » est regrettable : mettre au même plan jeux de pouvoirs (Affaire Weinstein), agressions, viols, zone grise, mauvais coups regrettés le lendemain, mains ou mots déplacés, c’était à la fois montrer la multiplicité des attaques à caractère sexuel envers les femmes, mais aussi transformer un réel problème en un gloubi-boulga victimaire inaudible. S’en est suivi une redéfinition du viol toujours plus floue, basée sur les sentiments de la victime. Comment légiférer sur un sentiment ? Ne parlons pas de la proposition ridicule de notre gouvernement de verbaliser les harceleurs de rue pris sur le fait. Attention, je ne cherche pas à amoindrir les souffrances que peuvent causer ces agressions, mais je pense que cette lutte relève encore trop de l’émotionnel, et pas du rationnel. Or il n’y a pas de place pour l’émotionnel en politique.
Trouvez-vous que nous vivons une époque de libération et d’hypersexualisation ou au contraire de répression sexuelle et de misère érotique ?
C’est une question très intéressante, car en fait nous expérimentons au quotidien ces deux facettes induites par la « libération » sexuelle. Le sexe est banalisé, les images hypersexualisées sont légion dans notre paysage ce qui entraine chez certains un rejet puritain et donc une certaine forme de répression sexuelle, et chez d’autres un sentiment d’injustice face à une sexualité qui leur serait refusée. Si je pense qu’on ne baise ni plus ni moins qu’avant, le fait de considérer la sexualité comme un droit non opposable engendre une nouvelle forme de misogynie contre la femme qui choisit ses partenaires et se refuse à d’autres selon des critères perçus comme arbitraires, une augmentation du célibat et plus globalement de la misère sexuelle. Je pense aussi que l’industrie du porno a fait des ravages en vendant l’image d’une sexualité débridée, violente et performante qui serait accessible à tout un chacun. Le culte de la beauté lisse, aseptisée, sans gras ni poils joue aussi un rôle dans la misère sexuelle mettant au ban celles et ceux qui ne rentrent pas dans ces critères tout en entretenant des attentes irréalistes, la femme devant être à la fois vierge et putain, l’homme dévirilisé et dominant.
A côté de cela, l’imaginaire érotique est pauvre, le sexe ressemble de plus en plus à un protocole à suivre selon la mode du moment (applis de consentement, bdsm à la fifty shades of grey…), et cette nouvelle codification des rapports sexuels donne naissance à une forme de puritanisme. Nous vivons en fait une époque d’appauvrissement des relations entre les individus, et donc d’appauvrissement de la vie sexuelle, malgré la multiplication des partenaires.
Salut.
Je m’y rends écouter la grande Isabelle et l’excellent David !
Nul doute que les Tuc et la 1664 seront de la partie ; les Français savent vivre !
Salut.
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