Uchronie : les USA envahissent l’Ukraine pour la dénazifier

L’invasion russe de l’Ukraine l’a fait oublier à beaucoup : avant 2022, c’étaient les USA et ses alliés qui envahissaient et bombardaient les autres pays avec les prétextes les plus variés. Des faux massacres de bébés au Koweït par l’armée irakienne à l’aide aux rebelles syriens démocrates en passant par l’intervention humanitaire en Serbie en support aux Kosovares et à l’exportation de la démocratie en Afghanistan, l’Occident s’est toujours montré maître dans l’art de justifier son impérialisme avec des mots d’ordre bien choisis, qui font réagir l’opinion publique comme les clochettes faisaient baver les chiens de Pavlov. La Russie intervient pour « dénazifier » l’Ukraine et protéger les Russes du Donbass. Et si c’étaient les USA qui intervenaient en Ukraine afin de la « dénazifier » et protéger la région séparatiste de Galicie ? Là, on rentre dans le domaine de l’uchronie, en une histoire alternative qui n’est pas si déconcertante que cela pourrait le paraître… 

Le ciel de Washington était chargé de nuages gris et bas lorsqu’un trébuchant Joe Robinette Biden gravit les quelques marches en bois qui le conduisaient à l’estrade du Congrès. Sa vice-présidente Kamala Harris, le Secrétaire d’État Anthony Blinken, le Secrétaire à la Défense Lloyd Austin, le Secrétaire à la Sécurité Intérieure Alejandro Mayorkas et la Présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi l’entouraient pour l’occasion. Son épouse Jill Jacobs l’accompagnait aussi, lui tenant le coude pour éviter qu’il ne tombât.

Le moment était grave, les députés retenaient leur souffle. Finalement, le 46ème président des Etats-Unis d’Amérique prit place et, après avoir bafouillé des mots inintelligibles, annonça l’opération militaire états-unienne contre l’Ukraine :

« Le temps est venu d’éradiquer les structures néonazies qui contrôlent l’appareil d’Etat en Ukraine et de défendre les vaillants résistants de la République démocratique de Galicie, » annonça-t-il. « Comme cela était prévisible, la Russie et la Chine ont voté contre notre résolution, lors du Conseil de Sécurité de l’ONU. Nous remercions la France et le Royaume-Uni, nos fidèles alliés, de nous avoir soutenus et avoir ainsi soutenu nos efforts pour la paix dans le monde. Nous avons une mission, que Dieu nous a confié : combattre le terrorisme néonazi partout où il se trouve, et emmener la paix, la prospérité et la démocratie dans ces pays où la botte fasciste patriarcale opprime les peuples. Nous avons les preuves que des laboratoires d’armes chimiques étaient actifs en Ukraine. Que le tyran Volodymyr Zelensky, protagoniste de plusieurs opérations terroristes dans l’auto-proclamée République démocratique de Galicie, a fermé les yeux sur la prolifération de groupes néonazis, ces mêmes groupes qui font la loi dans le pays, qui attaquent les militants LGBTQI et qui prétendent réhabiliter le Troisième Reich. Nous avons les preuves de liens entre le gouvernement néonazi installé à Kiev et les oligarques qui dominent à Moscou. Personnes n’a voulu nous écouter. La Russie nous a isolés sur la scène internationale, a tenté de diviser l’OTAN et de ramener l’Ukraine dans sa sphère d’influence. Pour toutes ces raisons, il est désormais indispensable que nous intervenions en Ukraine pour la dénazifier. Avec ou sans l’aval de l’ONU. Il n’y a plus de temps à perdre. Quiconque s’opposera à cette opération de paix sera anéanti. Le temps des discussions est terminé. »

Les téléspectateurs qui entendirent cette proclamation furent sidérés. Personne, y compris dans les cercles les plus dissidents et prompts à toute sorte d’élucubrations, n’avait vraiment songé à cela. Au fond, tout le monde pensait que la diplomatie aurait résolu cette énième crise. Que l’UE aurait, grâce à ses ONG en Ukraine, renversé le tyran Zelensky. 

La réaction de la Russie fut immédiate. Maria Zakharova, porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères, rappela que « la Fédération de Russie avait, à plusieurs reprises, alerté sur les intentions de Washington. Nous avions divulgué les plans d’attaque, la date, tout ! Personne n’a voulu écouter, et maintenant les USA mènent une guerre en plein cœur de l’Europe avec des prétextes fallacieux. L’Ukraine devait rejoindre l’Union Economique Eurasiatique et notre alliance militaire, l’OTSC, afin de se protéger de l’impérialisme états-unien. C’était là le désir le plus profond du peuple ukrainien, qui depuis huit ans se bat contre les séparatistes de Galicie, dans l’ouest du pays. Les accords de Varsovie II n’ont pas été respectés par ces terroristes manipulés par les USA. Maintenant nous voyons le résultat. »

La Russie n’avait jamais digéré le fait que le la Moldavie, qui avait adhéré à l’UE et à l’OTAN en 2019 grâce à un mécanisme spéciale d’adhésion dit « Mécanisme d’implémentation urgent et inclusif contre le retour du nazisme », eût reprit le contrôle de la Transnistrie, région séparatiste russophone.

Le premier instant de surprise passé, l’opinion publique occidentale démarra sa tradition de débat démocratique sur les réseaux sociaux et sur les plateaux télévision. Le camp nationaliste éclata en une journée entre pro-ukrainiens, prorusses, soutiens aux séparatistes galiciens, eurasistes, néonazis femboys, atlantistes de la Troisième Voie, poutinistes et ésotéristes de la Troisième Rome. 

Plus structurée et renseignée, l’intelligentsia française fit connaître ses points de vue à travers les plateaux télés et Twitter.

Lorsque les USA commencèrent à bombarder les faubourgs de Kiev, un Bernard-Henri Lévy survolté s’écria, des trémolos dans la voix : « Ces femmes et ces hommes qui se battent pour libérer l’Ukraine de l’oppression nazie, il faut les honorer ! La guerre n’est jamais souhaitable, mais parfois elle devient nécessaire lorsque les Droits de l’Homme sont piétinés de cette sorte ! Nous l’avions déjà dit après 1945 : plus jamais ça ! Ainsi l’Occident renoue avec sa tradition humaniste, lave la honte d’Auschwitz, de Treblinka, du Vel d’Hiv, et va chercher, jusque dans les chiottes, les héritiers de l’antisémite Stepan Bandera, et le fait depuis Lviv, cette belle et chaleureuse ville à la tradition cosmopolite ! Lviv ! Lviv ! Nous sommes tous Lviv ! L’Europe renaît à Lviv ! L’Europe revit en Galicie ! »

Les mauvaises langues évoquaient des raisons plus profondes à l’intervention états-unienne en Ukraine. Certains parlaient de géopolitique, du fait que les USA ne voulaient guère que l’Ukraine tombât dans le camp russe. Ces voix se turent lorsque la nouvelle tomba : des troupes états-uniennes et des volontaires de la Légion des Volontaires pour la Paix et l’Inclusivité, découvrirent des laboratoires d’armes chimiques près d’Odessa. 

« Nous avons les preuves que iels, les néonazis ukrainiens, allaient utiliser des armes chimiques contre la Roumanie, la Pologne et la Slovaquie, » annonça via Twitter la porte-parole de l’ambassade des Etats-Unis à Paris. « Leur objectif étaient les minorités sexuelles et ethniques de ces pays. Iels devront payer pour ce projet de génocide. »

Les sanctions occidentales contre l’Ukraine, qui bombardait les rebelles de Galicie depuis huit ans, n’avaient visiblement servi à rien. Puisque les liens entre le gouvernement néonazi de Kiev et les oligarques de Moscou étaient désormais établis et acceptés par les lanceurs d’alerte et par l’opinion publique, des lois spéciales furent votées et des sanctions contre la Russie et ses alliés décidées. 

En partenariat avec les géants du numérique, les algorithmes traquaient tout discours divergent, qui allait dans le sens des Russes et des néonazis ukrainiens. Le simple fait de ne pas afficher le drapeau de la République démocratique de Galicie valait une alerte et attirait des suspicions. Cette République, récemment reconnue indépendante et en passe d’adhérer à l’UE selon une procédure spéciale, fut renforcée par l’envoi d’armes et des volontaires se joignirent à son effort de guerre.

La ville portuaire d’Odessa fut occupée en seulement trois jours. Les drones états-uniens pilonnèrent sans relâche les positions ukrainiennes, tandis qu’une armée de mercenaires venus du Moyen-Orient et de volontaires progressistes avancèrent et occupèrent le terrain. Lorsque la Russie annonça qu’elle avait promis d’envoyer des aides militaires et humanitaires, Joe Biden mit en état d’alerte les sites de missiles nucléaires du pays. Plusieurs milliers d’ogives furent pointées sur la Russie et ses alliés. En outre, les USA consentirent à ce que la Turquie se préparât pour intervenir davantage en Arménie, petit pays caucasien allié de la Russie, et en Syrie, où une coalition irano-russe avait maintenu au pouvoir le dictateur Bachar al-Assad. 

Cette action états-unienne, que certains jugeaient excessive, refroidit les ardeurs militaires de la Russie, laquelle revint à de timides tentatives diplomatiques pour résoudre le problème. Des magazines progressistes et no-borders appelèrent à envoyer davantage d’armées, installer de nouvelles bases états-uniennes afin de garantir la protection des minorités et à déporter les Russes et Ukrainiens vivant sur le sol européen, à déchoir de leur double nationalité « tout Russe et Ukrainien qui n’aurait pas affiché publiquement son soutien à la République démocratique de Galicie ». Les Verts appelèrent publiquement à « dépolluer l’Ukraine de ses relents néonazis et patriarcaux ». 

Les bombardements se poursuivaient, et avec eux le cortège d’horreurs. Des vidéos de femmes ukrainiennes violées par des meutes de mercenaires étaient partagés sur les réseaux sociaux. « Fake news » bredouilla Joe Robinette Biden. « Ce sont des vidéos montés par les Russes. Nous avons les preuves. » Des hôpitaux et des écoles subirent des bombardements occidentaux. « Ce sont des opérations de sabotage néonazi ; ils détruisent leurs propres infrastructures et hôpitaux pour accuser le camp adverse. Ils n’ont aucune morale. » 

Tout devint un fatras d’informations que personne n’était en état de confirmer ou démentir. 

En Europe, des études menées par des laboratoires avaient montré que les Ukrainiens étaient le peuple le moins vacciné du continent.  « Cela prouve d’une manière très claire, » déclara l’essayiste et eurodéputé Raphaël Glucksmann, « que les anti-vax sont des néonazis. Il faut ramener la paix et la démocratie dans le pays, sinon nous aurons de nouvelles vagues Covid, avec de nouveaux variants. » 

Le problème des réfugiés se posait aussi, mais pour les Russes et les Biélorusses, qui firent face à un exode massif de cinq millions de réfugiés. Pendant une émission de TPMP Rokhaya Diallo fit une grimace et souligna comment ces deux pays avaient toujours refusé d’accueillir des migrants africains. « Ce sont des racistes, maintenant qu’ils doivent prendre des Blancs chrétiens, ils les prennent. Quand il s’agissait de racisés, ils faisaient la sourde oreille. C’est indécent. »

« Oui, c’est indécent, » rebondit Cyril Hanouna en acquiesçant. « Il en pense quoi notre Baptiste Marchais ? »

« Je ne m’exprime pas, tout ça est trop complexe pour moi. »

La France était en pleine campagne électorale, et la guerre était bien évidemment devenue l’un des thèmes principaux de la campagne. Pratiquement tout le monde se rangeait du côté des USA. Marine Le Pen appela à la création d’un « Front Européen antifasciste », tandis qu’Éric Zemmour rappela que le général de Gaulle avait combattu contre les nazis et que donc il fallait s’appuyer sur l’aide des USA, « comme de Gaulle le fit en 1944 lors du débarquement en Normandie. »

Seul Jean-Luc Mélenchon tenta d’être plus réservé, accusant une « tentative d’instrumentalisation du débat présidentiel qui n’avantagera que Macron et sa clique. » Cette sortie lui valut le sobriquet de « Mélenazichon » ; désormais, tous ceux qui déclaraient vouloir voter pour son parti étaient automatiquement accusés de soutenir les néonazis ukrainiens. Il chuta dans les sondages, et son entourage le plus proche l’implora, genou à terre, de se retirer. Il fit la sourde oreille.

Les troupes occidentales avançaient, lentement mais sûrement. Pour tenir le front furent acheminées des troupes de combattants kurdes directement du Rojava. Des reportages les filmèrent en train de planter des drapeaux arc-en-ciel sur les bâtiments administratifs ukrainiens, arguant qu’ils étaient précédemment tenus par des milices néonazies transphobes. 

Constant l’échec de la diplomatie, la Russie annonça de nouvelles sanctions, déclarant également que la narration de la dénazification de l’Ukraine n’était qu’un prétexte, comme le fut celui des armes de destruction massive contre l’Irak en 2004. Après avoir interdit VK et le système antivirus Kaspertsky en Europe et réduit les échanges via Telegram, Moscou annonça qu’ils allaient l’exportation d’hydrocarbures et la dévier vers la Chine et l’Inde, où la demande était croissante. 

« Cette décision est comme un acte de guerre contre le Monde Libre, » déclara le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. « Leur économie va s’effondrer en une semaine, ils sont trop dépendants de leurs ressources naturelles. »

Des contre-sanction furent votées à l’unanimité : interdiction pour la Russie de participer à l’Eurovision, déconnexion de Pornhub, Facebook, Netflix et fermeture immédiate des restaurants de la chaîne McDonald’s.

« On les aura, on les aura ! » déclara le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron, citant ainsi l’ancien premier ministre Georges Clemenceau, dit « le Tigre ». 

Le monde sombrait dans les abimes de la guerre…

Alex Nrnak

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