La “super ligue” achèvement du libéralisme dans le football
Depuis quelques jours, les médias et les amateurs de football s’agitent. La cause de cet émoi est le fait que douze clubs parmi les plus riches du monde ont décidé de s’allier pour créer une ligue de football privée inspirée du sport américain.
On peut décrier ce projet d’un point de vue d’un romantique du football, mais d’autres le feront sans doute mieux et seront plus légitimes à en parler. Il est plus intéressant de constater que cette super ligue est un nouvel exemple de la sécession des élites. Comme dans le reste de la société, les plus riches se coupent des couches populaires. Soyons clair, nous assistons à l’aboutissement d’années de libéralisme dans le football.
Depuis des années déjà le football n’a eu cesse d’être dérégulé, libéralisé. On arrive aujourd’hui à la finalité de ce système. Les organismes censés contrôler le football n’ont eu cesse d’aller vers plus de libéralisme, ils en paient le prix fort. À l’instar des politiques, les dirigeants des clubs indignés sont bien mal placés pour l’être.
Bossuet nous enseignait une phrase terriblement en phase avec cette actualité : “Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes.”
Retour en arrière
L’arrêt Bosman, décrété dans les années 90, offrait la possibilité pour les clubs de recruter autant de joueurs européens qu’ils le souhaitaient. C’était là, la fin d’un football national et la course pour recruter les meilleurs joueurs. L’argent allait offrir aux clubs les talents qu’ils n’étaient pas en mesure de former eux-mêmes. Cette abolition des frontières se poursuit désormais avec la création d’une ligue fermée avec des clubs de plusieurs pays (Angleterre, Italie, Espagne à ce stade).
La création de cette compétition représente également l’inversion de la pyramide de décision. Jusqu’alors, le football était régi selon cet ordre (du moins au plus important)
Supporteurs
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Joueurs
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Clubs
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Fédérations et ligue de football nationales (dont sélections nationales)
↓
Fédérations continentales (UEFA, CAF…)
↓
Fédération internationale (FIFA)
Ce championnat privé bouleverse cet ordre établi et les clubs se positionnent en marge des fédérations pour mieux vivre sans elles. L’objectif est clair, avoué, avoir plus de financements pour les gros clubs de football. Pour dégager plus d’argent il faut donc en priver certains acteurs, c’est donc la fin de l’aide aux “petits” clubs. C’est une pure et simple prédation des richesses au bénéfice des seuls “gros” clubs.
Le temps du football par et pour la classe ouvrière n’est même plus un souvenir, c’est désormais un fait historique. D’autres choses ont énormément évolué dans l’économie du football.
Le mécénat, modèle dépassé
Chez les géants du football le mécénat a disparu.
On assiste à des opérations de marketing et de “soft power” (manière douce de convaincre) c’et le cas du Qatar qui investit dans le PSG ou des Émirats Arabes Unis qui investissent dans Manchester City.
L’autre possibilité pour un club est d’être détenu par un ou des fonds d’investissements. C’est le cas de plus en plus de clubs. À commencer, par Manchester United, acheté grâce à des emprunts, les actionnaires remboursent cet emprunt par l’argent généré par le club.
Puis par la suite, ils attendent des dividendes comme dans tout business, on estime qu’entre 2005 et 2015, 1,5 milliard d’euros ont été récupérés par l’actionnaire. Sur le plan sportif, le club a parfois fait des choix hasardeux et certains observateurs expliquent sans sourciller que le club privilégie la rentabilité financière aux titres sportifs.
Les petits clubs garderont des mécènes, de plus en plus rares et seront soutenus par les collectivités afin de protéger l’économie locale… Une économie dérégulée en haut, et sous perfusion publique pour maintenir les plus petits…
L’organisateur de la “Super Ligue” est une banque d’affaire connue et reconnue, JP Morgan. Son rôle dans la crise des subprimes en 2008 est bien connu. La banque a également été condamnée pour avoir hébergé les comptes de Madoff… La banque se lance forcément dans cette aventure avec l’ambition d’en tirer des bénéfices.
Le diffuseur de la compétition n’est pas encore connu, mais on sait qu’il s’agira d’un nouvel opérateur dans le domaine du sport, la création d’un Netflix sportif pourrait être la rampe de lancement idéal pour une telle compétition. Les médias traditionnels, grands argentiers du football, risquent de se faire doubler dans cette course à l’échalote économique…
Un seul acteur peut faire stopper cette compétition, le consommateur. S’il ne s’abonne pas, tout s’arrête…
Jean Ernice