D’une pensée stérile à une pensée fertile: l’Agroforesterie
« C’est en tant qu’habitant de la Terre et membre de la tribu des vivants que je tente ce cri d’alerte, parmi tant d’autres plus savants et plus approfondis ». Tel peut se résumer la préface de l’œuvre d’Aurélien Barrau, Le plus grand défi de l’humanité. Le scientifique aux multiples facettes se fait lanceur d’alerte en annonçant plusieurs chiffres : Chaque année, la
surface des villes progresse d’environ 400 millions de mètres carrés, 80 000 kilomètres carrés de forêts disparaissent, ce qui explique qu’à l’échelle mondiale, seul un quart des terres échappe aux effets substantiels des activités humaines. Chiffres en augmentation constante, il n’en restera plus que 10% dans 30 ans. Au rythme actuel, les forêts seront invisibles dans les dix prochaines années du Paraguay ou de la Guinée équatoriale. A en croire Aurélien Barrau, « La phénologie des végétaux est en plein bouleversement et contribue à l’effondrement de la diversité de la flore. Cette chute augmente en retour le réchauffement climatique : lorsque le nombre d’espèces diminue, la teneur en azote des sols augmente, ainsi que leur température moyenne. Les effets en cascade se multiplient. ». Comment interpréter ces faits ?
Actuellement, l’écologie sert de fil conducteur à un questionnement critique de notre monde contemporain mais, peut-on y voir une véritable reconnaissance du végétal (voire de l’animal) comme entité vivante ou n’est-ce pas plutôt une démarche visant le bien exclusivement humain ? Plus particulièrement d’où nous vient cette réduction utilitariste que nous opérons vis-à-vis des formes de vie non-humaines ? Quelle autre potentielle approche pouvons-nous adopter ?
Une vision stérile
Commençons donc par décrire ce dont dépend nos rapports à la nature. Pour reprendre Aurélien Barrau, « Notre culture s’est structurée autour du fantasme de l’Ordre. Nous avons passionnément aimé classifier le réel, perçu au travers du prisme d’une Unité supérieure ou cachée. ». L’élaboration fictive de cette césure entre les genres vivants est devenue mythe et était destinée à l’être. Le milieu végétal est toujours décor, paysage, contexte mais jamais l’objet de ce que serait la vie. Le Monde est scindé selon des oppositions binaires, des ordres transcendants qui réduisent « l’hors » à un « autour », réduisant ainsi l’altérité à ce qui ne vit pas, ou bien ne vit que pour l’homme. Il y a une forme de zoocentrisme à travers la façon dont l’on se représente le vivant c’est à dire que l’on centre le concept de vie (et ses concepts relatifs) sur des formes humaines ou animales. Oubliant ou invisibilisant les formes de vie non-humaines à commencer par les végétaux, désigne « un simple milieu », mais jamais une forme de vie à part entière. Lynn White, historien américain, tente d’analyser les racines historiques de notre crise écologique. Pour lui, le rapport dual et hiérarchique introduit entre l’homme et la nature a été constitué par le judéo-christianisme.
Rappelons à ce titre un passage de la Genèse : « Et Dieu les bénit, et il leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et soumettez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre. ». Pour l’auteur cette religion n’a pas seulement introduit un dualisme (homme-nature), elle a aussi établi un rapport de domination entre les deux entités de ce dualisme, dont la réciprocité n’est bien sur pas établie. Lynn White va alors plus loin en affirmant que les conceptions judéo-chrétiennes perdurent grâce à la science moderne, telle qu’apparue au XVIIe et XVIIIe avec entre autres les révolutions industrielles. Dans cette logique du contraste, les dégâts environnementaux sont
d’ordre fatal car ne concernent que ce qui nous entoure (comme l’indique d’ailleurs l’étymologie du mot environnement), mais ne concernent jamais l’homme directement.
L’écueil du dualisme est présent dès que l’on raisonne en termes de continuité et discontinuité de matière et d’esprit, quelle que soit la relation qu’on établit entre ces deux termes. Il semble que continuer à considérer seulement deux cases authentiques (de surcroît en opposition) soit la racine du problème. Cette séparation entre deux formes (homme-nature)
est présentée comme unique réalité et non comme fiction idéologique. L’homme, en exploitant la nature, justifie l’existence de ce dernier. Effectivement, il l’apparente à une forme de vie humaine, et en quelque sorte l’humanise. Autrement dit, la nature doit son existence aux bénéfices qu’elle fournit à l’homme. La glorieuse entreprise humaine arrache la vie végétale à l’absurde, à la contingence existentielle en réalisant une justification métaphysique de cette dernière. Ce que le philosophe Patrice Rouget nomme justification métaphysique implique l’utilisation de cette nature. La glorieuse entreprise humaine arrache la vie végétale à l’absurde, à la contingence existentielle en réalisant une justification métaphysique de cette dernière. Dans cette logique d’infériorité, voici ce qui cause problème : ce qui n’est pas utile n’est pas et peut être détruit.
L’humanisme métaphysique a besoin de nier une égalité et d’affirmer sa supériorité pour ne pas abolir le privilège conféré à l’humain. En établissant une distinction dualiste, nous n’abaissons pas notre humanité à du non-humain, de l’antihumain. La domination intégrale du monde est impératif supérieur, moyen pour l’homme de toucher et d’acquérir le sens heidegerrien de son être-au-monde.
La tendancieuse probité du combat écologique
Malheureusement, certaines attitudes écologiques modernes s’inscrivent de fait dans ce même dualisme pour penser le changement de nos pratiques. La responsabilité de l’homme est comprise comme devant faire machine arrière mais selon une même méthodologie : agir sur la nature par et pour l’homme. Selon le pape François « Nous sommes gardiens de la création, du dessein de Dieu inscrit dans la nature, gardiens de l’autre, de l’environnement. ». Formule très protagoricienne, se calquant sur une logique paternaliste prenant la personne humaine comme mesure. La Terre doit se constituer à hauteur d’hommes et d’hommes seulement.
On reste alors dans une ontologie naturaliste, de forme dualiste car si l’environnement doit être respecté, c’est précisément parce qu’il est entité hétéronome, et donc dépendant de nous. C’est pourquoi nous aurions des responsabilités envers lui. On reste donc finalement dans une approche hiérarchisante, verticalement déterminée, au lieu de penser ces relations de façon plus horizontale. Cette problématique, sous-jacente aux pensées écologiques modernes est dénoncée par Luc Ferry. L’écologie profonde (radicale) présenterait une sorte de dilemme qui, s’il n’est pas résolu, empêcherait d’engager une attitude humaine responsable. Ce dilemme implique de choisir entre l’humanisme et l’écologisme. De la sorte, l’écologisme est présenté comme une alternative antihumaniste puisque l’humanisme moderne est anthropocentriste.
Issue du cartésianisme et de la philosophie des Lumières, l’anthropologie de l’humanisme moderne fait de l’homme un être anti-nature, antinaturel. Si nous avons une vision instrumentaliste de ce qui n’entre pas dans la catégorie humain, ce serait en raison de notre Histoire humaine, détachée de la nature. Cette exclusion de la nature serait seule condition d’enracinement d’une culture pour l’humanisme. Ainsi, selon Luc Ferry, le dessein de l’écologie profonde s’accompagne d’une « logique de déconstruction de la modernité ». Logique qui implique une critique de la civilisation occidentale mais cette haine de la modernité ne serait pas une solution pour l’auteur. Si l’écologie profonde se voit critiquée par Luc Ferry c’est parce qu’en présentant ce dilemme, elle découle d’un modèle dualiste (culture- nature). Le modèle de l’humanisme doit être conservée car c’est bien cet humanisme qui doit être impressionné par la valeur que possède la nature en elle-même et ainsi lui conférer une puissance : « toute valorisation, y compris celle de la nature, est le fait des hommes et que, par conséquent, tout éthique normative est en quelque façon humaniste et anthropocentriste. ». Il laisse entendre la possibilité d’une troisième voie et fait par-là éclater le faux dilemme existant entre l’humanisme et l’écologisme. Il nomme cette perspective l’écologie démocratique. Sous une telle idéologie, les rapports entretenus entre la culture et la nature sont régies par la liberté, la beauté et la finalité. Il semble donc qu’il ne soit pas nécessaire de détruire le concept
de civilisation pour repenser nos rapports à la nature. Une lecture critique de son œuvre permet néanmoins un doute quant à cette troisième voie qu’il propose. Il parait en effet difficile de sortir de l’humanisme métaphysique, et donc de notre relation utilitaire à la nature.
D’ailleurs d’après certains discours « écolos », la Terre n’aurait d’autre fonction que celle d’être un foyer, censé accueillir l’homme. L’écologie prend pour point de départ l’angoisse d’un monde invivable. C’est ainsi qu’elle semble être au service de l’homme. Les styles discursifs écologiques actuels nous laissent donc concevoir une régulation des ressources pour les
générations à venir. L’écologie prend alors un ton anthropologique : une action fondée en vertu de la personne humaine. La seule responsabilité engagée ne l’est pas à l’égard de la nature mais à l’égard des générations futures, afin de ne pas transmettre cette première appauvrie. La rhétorique du développement durable accompagne cette idée. Les écologistes
attendent l’accréditation de gestionnaires des ressources et tentent de planifier et spatialiser l’exploitation de celles-ci.
L’ambigüité du terme durable vient du fait que ce dernier transmet l’idée d’un ajustement des objectifs à la simple capacité des ressources. Comment ne pas y voir une protection non pas de la nature mais bien plutôt de l’homme, du milieu humain.
L’écologie serait alors affaire de comptables, tout y serait question de bilans, de quotas dans cette logique utilitariste où il n’existe pas un monde mais une ressource-monde. L’expression, nous venant directement de Patrice Rouget, fait du but écologique la transformation de la nature en réservoir inépuisable : « Jamais ils ne font preuve de la moindre considération pour la nature comme pour-soi, regardée pour elle-même. ». Nous pouvons alors tout exploiter, pourvu que l’on respecte les quotas. Sauver la nature n’est, dans certains cas, pas une finalité écologique. Il s’agit de remplacer la nature par un artefact susceptible d’être utilisé, reproduit, recyclé à l’infini, selon des processus conçus et contrôlés par l’homme.
Alors, l’on voit naître des personnalités telle que Sandrine Manusset, une ethno-écologiste, s’interrogant sur les impacts psycho-sociaux de la végétalisation des villes. Il y aurait d’après ses études, de nombreux bénéfices à introduire de la vie végétale dans nos espaces urbains. Tout d’abord, au niveau de la santé mentale, la végétalisation serait capable de réduire le niveau de stress et d’anxiété et de diminuer le nombre de dépressions et suicides. Le rapport cognitif que l’homme entretient avec le végétal induirait en fait une baisse du niveau de fatigue. Economiquement, la végétalisation augmenterait la valeur des biens fonciers. Enfin, la présence d’espaces verts permettrait aux habitants d’éviter la contraction de maladies
circulatoires. L’ethnologue Anne Monjaret, elle, étudie le rôle des végétaux dans les hôpitaux parisiens sous un aspect thérapeutique et il en résulte que la végétalisation des hôpitaux est salvatrice. L’ensemble de ces effets répondent à une logique humaine de recherche de bien- être ou encore de recherche d’attractivité mais répondent rarement à une logique écologique de recherche de la nature. Ces faits ne sont rapportés ici qu’en termes d’exemples mais il n’empêche que les rapprochements de l’homme et du végétal se font le plus souvent en vue du bien humain.
Un autre cheminement de pensée
Il est erroné de penser le problème écologique en terme de carence à suppléer. Il faut sortir de cette logique de fructification permanente, tel est l’enjeu d’aujourd’hui. Il s’agit plutôt de repenser nos rapports à la nature et de travailler sur une nouvvelle relation. Prendre pour point de départ la remise en cause de l’échelle ontologique des êtres ne permet pas forcément de sortir d’un modèle hiérarchique. Au contraire, adopter une vision holistique peut être source de distinctions ontologiques, laissant intactes les particularités de chacune des catégories, sans affirmer une différence de valeurs entre celles-ci. Une telle vision, en proposant un Tout, permet l’adoption d’une cohérence dans les rapports qu’entretiennent les composants de ce Tout. Cohérents car communs, chacun ayant besoin de l’autre. Pour repenser ainsi le monde,
les formes de vie végétales et animales sont d’une importance cruciale.
Une nouvelle terminologie pour une vision commune
Aurélien Barrau nous dit que « Le monde existe indépendamment de son rôle pour notre confort. ». Ainsi, selon lui, le mot « écologie » est lui-même trop étroit. C’est plutôt de biophilie (amour de la vie) qu’il faudrait parler. De même, le mot « environnement » est trop anthropocentré : C’est bien de la Nature dont il s’agit, pas seulement de ce qui nous entoure.
Nous pouvons aller plus loin en estimant que la notion de « Nature » est un mythe. Elle désigne le monde comme totalité ordonnée, du moins équilibrée. Le terme « Nature » se veut descriptif mais représente en fait ce qui doit être. La réalité n’est pas l’expression d’une nature des choses mais correspond plutôt à une infinité de causes multiples. A cet humanismesocialisé, il faut opposer une nouvelle idée : celle d’un monde qui, étant un Tout, ne défait pas
notre condition d’hommes pour autant. Pour Aurélien Barrau, « Nous avons l’occasion – poussés par une nécessité vitale – d’inventer un Nouveau Monde. Il faut tout redéfinir, nous n’avons plus le choix. Peut-être serait-il temps, enfin, de n’avoir plus peur du multiple et du chaos. ». Puisque l’on sait que nos critères et valeurs ne sont pas immuables, ceux-ci sont
réfutables, du moins maléables. De ce fait, il est tout à fait envisageable de repenser la morphologie du monde, de « révolutionner notre être-à-la-Terre ». Ce nouveau rapport au réel doit prendre pour point de départ le commun, et substituer au biocentrisme, une zoéthique (éthique de la vie elle-même).
L’avenir dépend d’une conception systémique, permettant une reconnexion à la Terre.
D’après Lynn White, nous ne résoudrons pas la crise écologique avec plus de science et plus de technologie. Il faut travailler sur notre relation à la nature. La prise de conscience de l’impact corrélatif de l’homme sur la nature et vice-versa doit permettre ce que nous pouvons appeler une anthroporelationnalité, capable de dépasser l’anthropocentrisme et le
biocentrisme.
Sortir d’une pensée dualiste permet l’apparition d’une ontologie processuelle. Contraire à la pensée atomistique, celle-ci se veut holistique, systémique. L’ensemble des vivants de cette Terre peut être appréhendé comme une interdépendance associée à une interactivité. Dans un tel cheminement de pensée, l’assemblage du tout (Terre) doit demeurer intact et les
composants de ce tout ne détiennent leurs propriétés qu’en fonction de leur relation avec les autres. Il y a là l’idée d’une compénétration et non plus seulement d’éléments individuels ricochant entre eux. Les entités individuelles ne devraient jamais être pensées seules lorsque l’on évoque le rapport de l’homme à la nature. Il faut être conscients d’un « être-plusieurs ». Nous pouvons retirer dans le règne vivant naturel un réseau de relations et de parentés. Dans cette logique collective, agir dans son intérêt c’est agir dans l’intérêt du collectif.
L’avènement corrélatif de nouvelles pratiques : l’Agroforesterie, un bel exemple
Aujourd’hui, l’agriculture intensive joue un rôle central dans la chute de la biodiversité. L’élevage industriel serait responsable de 21% des gaz à effet de serre et cela implique l’activité alimentaire comme l’un des domaines les plus polluants. Ainsi peut-on voir une nécessité de sortir d’un modèle industriel (qui engage une supériorité ontologique humaine) et en réaction à cet élevage, commencer à considérer que les entités viennent à l’existence par la
relation.
Selon certains paysans engagés tels qu’Alfredo Cuhnal, un agriculteur portugais, la nature n’est pas exclusivement là pour nous servir. Ce paysan, par son savoir-faire agricole et gastronomique, réinvente le mode de consommation. Selon lui, la Terre nous rend ce qu’on lui donne. Se faisant, l’alimentation carnée nécessite des paysans plutôt que des industries. Selon
ses dires, la méthode industrielle ne sait que dominer la nature, tandis que la méthode paysanne la comprend. Pour son propre élevage, Alfredo utilise pour seule méthode un processus dit « autonome » : le cercle naturel de fertilité des sols, aussi appelée l’agroforesterie.
Ce système d’agriculture permet la préservation voire le développement de la matière organique des sols. Celle-ci se présente en général sous plusieurs formes : les organismes vivants et les substances qu’ils excrètent (exsudats racinaires et autres rhizodépôts, excrétions des vers de terre ou lombrimix) ; la matière morte issue des plantes (branches, racines…) et
celle issue des animaux (fumier, compost …). Le rôle de la matière organique est essentiel au bon fonctionnement des sols et au bon fonctionnement des écosystèmes (qu’ils soient naturels ou cultivés). La matière organique, en stockant le carbone (essentiel à l’alimentation des organismes vivants du sol), construit la stabilité de la structure des sols. Elle est essentielle à toutes les propriétés physiques du sol, et de ce dont il est capable (drainage, aération, hydratation, vitalité des plantes). Le sol doit être un souci constant pour l’aménagement des territoires et la culture des terres. Il est la principale ressource de l’environnement, étant un système complexe comprenant du vivant et de l’inerte en constante évolution.
L’agriculture intensive expose ses sols à des produits chimiques et au passage de machines, ce qui provoque
l’érosion de ces premiers. L’agroforesterie s’oppose vivement à la déforestation, au surpâturage car ces pratiques font disparaitre la matière organique, la faune et la flore, et causent l’érosion des sols. 70% des terres agricoles françaises sont déficitaires en matière organique. Le danger est dans la suppression des couvertures végétales du sol. De manière
invisible, en perdant cette couverture, on perd la pellicule vivante sur laquelle repose notre société et l’on perd ainsi toute fertilité.
Pourtant, l’agriculture est seule capable de reconquérir la fertilité des sols, cette richesse invisible. Nous n’avons pas besoin d’éradiquer toute culture de la nature. La culture des sols permet aux organismes dits décomposeurs de participer à la
croissance des plantes en permettant l’avènement de gaz et de leur régulation. Des éléments biogènes sont alors libérés et nous sommes face à une réelle production de vie. A lui seul, le sol est une mini-planète, un assemblage de particules qui forment un ensemble fonctionnel, une totalité. Les partisans de l’agroforesterie, modèle agricole positif, font le pari d’un solvivant. Cette logique du vivant concerne tous les composants de l’écosystème, et bien sûr, leurs interactions.
Dans une telle vision, l’homme ne peut que reconnaitre le génie végétal. Les plantes font leur preuve en tant qu’énergie de la Terre. Premièrement, les végétaux sont la base alimentaire des êtres vivants hétérotrophes tels que les vers de terre. Ceux-ci sont étroitement liés au bon fonctionnement des sols : ils travaillent un labour naturel. Ce sont de réels artisans de fertilité qui libèrent et recyclent des éléments nutritifs nécessaires aux plantes, qui les nourrissent ensuite. Un Kg de vers de terre remue environ 270kg de terre par an. Secondement, les produits de la photosynthèse redirigent vers le sol et assurent la croissance racinaire, la nutrition des microbes ainsi que la protection des racines. Les échanges entre les plantes et le
sol sont constants, allant de l’eau à des substances dissoutes. Dernièrement, la couverture végétale permet une meilleure gestation de l’écoulement de l’eau des pluies. Travail de régulation des eaux, le végétal pallie à la sécheresse et permet au sol d’abonder en eau propre, en piégeant les nitrates. Tout cela se fait grâce au phénomène d’ascenseur hydraulique : l’arbre absorbe l’eau disponible le jour et la redistribue aux culture la nuit. Concrètement, en couvrant leur sol de plantes, les agriculteurs ont compris que la seule mesure qu’il faut appliquer à la nature est la sienne.
Dans l’Agriculture, l’homme doit prendre sa part et laisser la part productrice de fertilité au sol. L’homme doit apporter des engrais minéraux ou engrais organiques mais corréler son travail à celui de l’arbre par exemple, qui détient un grand rôle dans cette entreprise fertile. Le bois stocke en effet le dioxyde de carbone de l’air et le convertit en matière fertile. Ses
branches et racines mortes aident la formation d’humus des sols (l’ensemble des matière organiques décomposées). L’association de la culture humaine et des arbres provoque ainsi un retour accru du carbone au sol. Le travail est commun. Seuls les facteurs de productions naturelles sont utilisés. On attend ainsi un respect de la vie végétale en soi. La notion actuelle de « rendement agricole », erronée, a été remplacée. La visée est désormais dans le rendement en termes de matière organique, biomasse produites. L’agroforesterie redonne sa place à la forêt en combinant des objectifs pastoraux et forestiers. Le couvert végétal peut ainsi fabriquer sa fertilité. Cette forme d’agriculture reste intensive mais l’intensité réside dans la capacité à valoriser l’ensemble des ressources naturelles d’un écosystème sans perturber son renouvellement.
L’agriculteur écoute la dynamique des entités naturelles avec lesquels il travaille et se faisant, permet leur auto fertilité. Le but de cet agriculteur n’est pas d’épuiser la ressource mais de l’écouter afin d’en connaitre la disponibilité et de laisser sa part à la nature. L’expression de la nature est encouragée. Les intérêts, tout en détenant une forme singulière pour chacun,
peuvent être mis en commun sans être altérés. Chacun agit en vue de son intérêt et de celui du collectif. Le système est autonome mais n’atomise aucun de ses composant. Tout est en relation. Dynamisme dans lequel règne un parfait équilibre, l’agroforesterie est la déclinaison d’une véritable écologie. Une écologie humaine visant autant le bien de son sol que le sien.
L’action formée est liée au bien naturel et donc humain puisque ce n’est qu’une seule et même artère. Dans une telle ontologie processuelle, le partage devance le réel, il n’y a pas de quotas déterminés à l’avance dans cette auto gouvernementalité de l’ensemble des formes de vie. L’intervention de l’homme se fait intelligemment. Un exemple tel que l’agroforesterie permet de repenser le grand dualisme Nature Culture car elle s’intéresse au comportement de l’arbre
au sein d’une culture.
Pour conclure…
Le questionnement élargi, le rapport utilitariste au végétal ne semble pas aller de soi. Il est le résultat d’attitudes, de choix. Le questionnement se doit donc d’être permanent car il engage la compréhension de notre monde actuel au regard de schèmes de pensée de tout temps, de nos choix théoriques et de leurs implications pratiques dans l’Histoire. Une fois ce
questionnement fertile ouvert, la potentielle modification du monde peut être envisagée et engagée. Une conception plus cohérente rejette le modèle discontinuiste et reconnait la beauté du monde. L’avenir dépend de cette conscience systématique.
Camille Richard
Bibliographie/Sitographie indicative
BARRAU Aurélien, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Michel Lafon, 2020
T. WHITE Lynn, les racines historiques de notre crise écologique, PUF, 2019
Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme, Paris, Bernard Grasset,
1992
ROUGET Patrice, La violence de l’Humanisme, Pourquoi nous faut-il persécuter les
animaux ?, Editions calmann-lévy, 2014
MANUSSET Sandrine, Impacts psycho-sociaux des espaces verts dans les espaces urbains,
Développement durable et territoire, Vol.3, n° 3 | Décembre 2012, mis en ligne le 23 juillet
OpenEdition Journals, [En ligne]
Disponible sur : file:///C:/Users/camil/Downloads/developpementdurable-9389%20(2).pdf
SCHEERCOUSSE Pierre, avec les contribution d’Arbre & paysage 32, Des arbres et des sols,
Eléments-clefs de fertilité, [En ligne]
Disponible sur : https://ap32.fr/wp-content/uploads/2019/12/livretAP32_arbres_sols.pdf
BRINGER Benoit, Faut-il arrêter de manger des animaux ?, 2018, 65 min