Une brève histoire de l’écologie politique
L’écologie est partout : entre luttes importantes menées au travers le monde (opposition au barrage de Sivens en France, à celui du fleuve Chico aux Philippines,…), inquiétudes légitimes (extinctions de nombreuses espèces animales, pollution de l’air,…), l’écologie se place parmi les défis colossaux de notre époque. A tel point que ceux responsable de cette situation plus que critique tentent de se racheter une bonne conscience et détourner l’attention en abreuvant le peuple de campagnes écologistes : la télévision, la radio, nous incitent à changer nos habitudes dans le but de sauvegarder la Terre (campagne pour la réduction des déchets,..), et chaque parti politique réserve dans son programme une place aux projets écologistes. L’écologie, transcendant son statut de science pour devenir idéologie, devient écologie politique.
Aujourd’hui l’écologie politique est diversifiée en de nombreux discours, mêlant la défense de l’environnement avec projets féministes, libertaires,… Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Idéologie ambigüe, la vraie écologie politique transgresse les clivages politiques traditionnels, et évolue au fil des époques.
L’écologie politique et ses origines
Si l’écologie (du grec oikos : maison, habitat, et de logos : science) est la « science qui étudie les relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu » [1], elle n’a pas pour vocation de transformer la société. C’est l’écologie politique, terme apparu dans les années 1970, qui se charge des enjeux écologiques dans l’action politique : elle est la prise de conscience, le passage d’études de faits à la défense de la survie de l’humanité ; elle traite de l’individu, de la société et de son inscription dans le monde qui l’entoure, qu’il soit naturel ou artificiel (villes, objets,…). Elle est le mouvement contestataire, qui, s’appuyant sur les études de la science écologie, refuse les actions néfastes de l’Homme sur la nature.
Si les questions écologiques ne sont pas récentes (Aristote écrivit sur le mode et le milieu de vie des animaux, Virgile, dans Les Géorgiques, traite de la nature et des différents types d’arbres présents dans divers pays,…) l’écologie politique, elle, n’apparait que plus tard. On trouve dans certains courants chrétiens les prémices d’une pensée écologiste, voyant la nature comme œuvre de Dieu, confiée à l’homme et devant être gardée. Saint François d’Assise, fondateur de l’Ordre des frères mineurs (plus communément appelé l’ordre des Franciscains) en 1210, proclame, dans son Cantique des Créatures : « Loué sois-tu Seigneur par notre mère la Terre, qui nous soutient et nous dirige, et qui porte fruits variés, fleurs chatoyantes et diverses herbes ! » Sa vision théologique, liant intrinsèquement les éléments naturels à Dieu et à l’Homme, son amour des animaux, (il les élevait au rang de « frères des hommes »), furent si évocateurs qu’ils continuent d’inspirer notre époque : le pape Jean-Paul II proclama Saint François d’Assise Patron de ceux se souciant de l’écologie, et, en 1931, une convention d’écologistes réunie à Florence instaura la Journée Mondiale des animaux le jour de sa fête, le 4 Octobre, en son honneur.
Mais, malgré Descartes et son humanisme, plaçant l’homme au milieu du monde-machine, l’écologie politique s’affirma surtout à l’orée du XIXème, lorsque la société, s’industrialisant, fit peu de cas de la nature…
Rupture avec le monde moderne
La révolution industrielle occidentale, l’urbanisation, la transformation galopante de la société par l’Homme… Ce XIXème siècle, où la condition de l’environnement ira en se dégradant, verra l’émergence d’une écologie politique profondément anticapitaliste : parmi ces premiers mouvements rejetant le monde moderne et industrialisé, les Naturiens, apparus en 1894 chez les Anarchistes parisiens, prôneront le retour à la nature (et la nature sans culture, considérant l’agriculture comme le début de l’érosion), le végétarisme, le rejet de la ville et de la modernisation : « L’air est empesté par les émanations chimiques, les fumées d’usine… L’eau est empoisonnée par les détritus des villes et la coulée des champs charrie l’infection. » écrivait le dessinateur Emile Gravelle, fondateur du courant naturianiste [2].
Parmi les personnalités à conscience écologiste de ce XIXème siècle, Henry David Thoreau (1817-1862), poète et essayiste américain, fut tellement prolixe qu’il continue d’influencer les militants écologistes d’aujourd’hui. Son concept de « désobéissance civile » fut repris par les paysans du Larzac. Sa résistance individuelle face à un gouvernement jugé injuste, sa critique de la société moderne, font qu’il est considéré comme anarchiste ; un anarchisme teinté de romantisme, comme en témoignent ses écrits, où il décrit une nature entre réalisme et idéalisme. Dans son plus célèbre ouvrage, Walden ou la vie dans les bois, (critique de la société moderne, souhait de retour à l’Amérique avant l’arrivée des Blancs), publié en 1854, il écrivit : « Si nous voulons rétablir l’humanité suivant les moyens vraiment indiens, botaniques, magnétiques ou naturels, commençons par être aussi simple et aussi bien portant que la nature. » [3] Il prônait une vie simple, loin du consumérisme et de l’industrialisation. La société pour la protection des paysages (créée en 1901), rejette également la société de consommation, et s’insurge « contre les abus de affiches réclames » : « Une pâte, un biberon, un corset, un caraco sont-ils à ce point augustes et sacrés pour s’imposer, se rabâcher aux regards d’un peuple, parce que leur riche impresario a les moyens de se payer, à n’importe quel prix, la mutilation d’un point de vue et l’outrage d’un site ? » demande-t-elle dans le Bulletin de 1912.
Le monde moderne ne se contente pas de détruire les paysages et l’environnement ; par lien de cause à effets, il détruit également l’homme, fait de lui un consommateur hébété, coupé de la nature dont il est issu. Karl Marx (1818-1883) dira : « l’homme est une partie de la nature ». Et si la question écologiste ne tient pas une place centrale dans l’œuvre du penseur (ni de façon concrète les menaces qui pèsent sur l’environnement), il critiquera les ravages du grand capital sur la nature et l’individu, reprochant à « la production capitaliste » de « [détruire] non seulement la santé physique des ouvriers urbains et la vie spirituelle des travailleurs ruraux, mais trouble encore la circulation matérielle entre l’homme et la terre, et la condition naturelle éternelle de la fertilité durable du sol, en rendant de plus en plus difficile la restitution au sol des ingrédients qui lui sont enlevés et usés sous forme d’aliments, de vêtements, etc. […] La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en sapant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. » [4]
Le fameux progrès du XIXème siècle engloutit tout sur son passage, nature comme individu (fordisme), dans sa course effréné du profit. Et aujourd’hui plus que jamais. Combien de grands groupes agroalimentaires, non content de payer leurs employés une misère, utilisent par exemple de l’huile de palme « sale » (provenant de circuit non contrôlé, non respectueux de l’environnement), dont l’exploitation est l’une des principales causes de la déforestation en Indonésie ?
La condition de l’homme moderne, dans cette société en évolution, inspirera des personnalités aussi diverses que Karl Marx ou Ernst Bergmann. A l’instar des anarchistes, les origines de l’écologie politique contemporaine trouvent également leurs sources au sein de la Révolution conservatrice allemande, et plus particulièrement dans le courant völkisch. « L’idéologie völkisch, telle qu’elle émergea déjà définie à la toute fin du XIXème siècle, était étroitement liée à la popularisation de l’une de ses idées centrales : le concept particulier et unique en son genre de la nature et l’idée connexe d’enracinement. » [5] Le Volk fait partie intégrante de la nature, une nature sublime et authentique, terre où l’allemand puise ses racines, terre où il vit, qu’il cultive. Dès lors, le monde moderne, construit par l’homme, ne peut qu’être factice et mauvais. On trouvait, dans les journaux des années 1920, des affiches publicitaires du mouvement völkisch représentant un jeune garçon souriant, avec la légende : « Le soleil brunira ta peau et purifiera ton sang. », prônant ainsi la vie au grand air. La vie à la campagne représentait un tel idéal de vie que les paysans, travaillant la terre, furent considérés par les völkischer comme une nouvelle aristocratie ; afin d’encourager et de raviver cette culture paysanne si indispensable à l’Allemagne, Bruno Tanzmann ouvrit en 1921 une école pour l’éducation des paysans adultes. Les réflexions du mouvement Völkisch se retrouveront dans le programme du IIIème Reich, notamment quand ce dernier favorisera l’agriculture biologique.
L’écologie sur la scène politique
Les années 1970/1980 verront l’apparition de l’écologie sur la scène politique. Si, après la Seconde Guerre Mondiale, des philosophes traitèrent le sujet (Bernard Charbonneau, professeur à la Faculté de Bordeaux, initiera le jeune Noël Mamère à l’écologie), leurs écrits ne furent découvert que sur le tard, quand l’écologie deviendra une doctrine politique à part entière.
Les premiers mouvements écologistes français naîtront en réaction à la marée noire du Torrey Canyon en Bretagne, en 1967. Le premier groupe important naîtra en 1971, en même temps que le ministère de l’environnement, sous le nom des Amis de la Terre, filiale française d’un groupe à la base américain. Mais ce qui fit surtout basculer l’écologie dans la politique, et surtout dans la politique de « gauche », ce fut le nucléaire : « Le grand sujet du moment est la lutte contre le nucléaire, alors que la France entame son programme de construction de centrale. C’est le combat marqué de hauts faits et de grands moments […], qui radicalise, conscientise et gagne des milliers de personnes, souvent jeunes, à l’écologie politique. Plus tard, nombre de militants venant de l’extrême-gauche se retrouveront chez les Verts, marqués par les contestations de cette époque. » [6] Le parti Socialiste Unifié (PSU) soutiendra les écologistes dans ses rassemblements anti-nucléaire. L’autre lutte importante sera celle contre l’extension du camp militaire de La Cavalerie au Larzac ; elle verra le rassemblement hétérogène de divers groupes militants : groupes de protection de la nature, groupes antimilitaristes et prônant la non-violence (Mouvement pour une Alternative Non-violente), des paysans (qui deviendront plus tard la Confédération Paysanne), et des mouvements féministes (Mouvement de Libération de la Femme, Mlac).
Quand, en 1973 et 1974, les groupes écologistes participèrent aux élections législatives et présidentielles, leur discours fut le reflet des diverses opinions des groupes présents au Larzac. Le discours du candidat à la présidentielle René DUMONT mélangeait destruction de la nature, changement climatique, pillage du Tiers-Monde, oppression des femmes, des immigrés et des minorités.
Pourtant, malgré ces discours libertaires, les écologistes furent un temps opposé à l’idée de se situer sur l’échiquier politique : en 1986, Antoine Waechter et Andrée Buchmann remportèrent la direction des Verts – Parti Ecologiste (créé en 1982, ex-Mouvement d’Ecologie Politique), avec pour mot d’ordre « L’écologie n’est pas à marier » et leur rejet de choisir un camp. C’est le temps du « ni-ni », « ni droite – ni gauche ». Une opposition qui ne dura qu’un temps : en Novembre 1993, Dominique Voynet devient la nouvelle dirigeante du parti. Les Verts commenceront à tisser des liens avec certains socialistes. Avec le fameux « mariage de Bègles » en 2004, où Sergio Coronado, dirigeant des Verts, et Noël Mamère, maire de Bègles, unissent un couple homosexuel, le parti écologiste continua sur sa ligne progressiste… Ligne progressiste qui se vérifie encore aujourd’hui : dans son programme, Europe Ecologie – Les Verts prône, entre autre, « [la transformation de la société] pour permettre le respect par une approche féministe », « le développement de l’éducation à la sexualité dans les programmes scolaires, y compris le plaisir et le respect, en intégrant des structures extérieures et compétentes », « l’accès égalitaire pour toutes et tous à l’adoption et aux techniques d’assistance à la procréation », « le renforcement des droits des personnes trans à choisir les modalités de leur parcours de réassignation de genre », « la suppression des emplois fermés qui interdisent encore des millions d’emplois dans les secteurs publics et privés aux étrangers », « la reconnaissance, pour les gens du voyage, de leur pleine appartenance à la société française en leur octroyant de vraies cartes d’identité (avec abandon total des carnets de circulation) assorties du droit de vote automatique dans les communes dans lesquelles ils sont enregistrés »,…[7]
Une autre écologie contemporaine
Toutefois, Europe Ecologie – Les Verts, mêlant discours libertaire et soucis de l’environnement sur le devant de la scène, n’a pas le monopole de la préoccupation écologiste. Héritière de la pensée écologiste des anticapitalistes et de la Révolution Conservatrice Allemande, il existe une écologie politique contemporaine, antimoderne et intrinsèquement attachée à la survie des peuples face à la mondialisation. En effet, si Europe Ecologie – Les Verts tente de concilier problèmes écologistes et productivisme industriel (ne rejetant donc pas l’industrialisation ; c’est le fameux « développement durable »), d’autres abandonnent l’idée de progressisme. Le Mouvement Ecologiste Indépendant, fondé en 1994 par Antoine Waechter, considère l’écologisme comme apolitique, et comme un projet politique à part entière. Même théorie chez Serge Latouche, spécialiste de la décroissance, qui, dans son entretien du 7 Octobre 2014 accordé à Novopress, où il présente sa théorie de décroissance, qui « n’a pas à se situer sur l’échiquier politique. Elle défend des idées, fait éventuellement pression sur des groupes politiques. », il déclare : « l’idée est de faire comprendre aux gens la nécessité de sortir de la société de croissance, société dominée par la religion de la croissance. Il est urgent de devenir des athées de la croissance. Si nous voulions être rigoureux, il faudrait d’ailleurs parler d’a-croissance, au même titre que d’athéisme. Nous envisageons ce rejet de la société de croissance, non pas pour rejeter le bien être mais au contraire, cette société ayant trahie ses promesses, pour réaliser ce que mon collègue britannique Tim Jackson appelle la prospérité sans croissance et ce que je nomme l’abondance frugale. »
Le milieu « patriote » place également l’écologie parmi les combats à mener : Alain de Benoist consacrera un numéro de sa revue Krisis à l’écologie, et l’un des dossiers de la revue Eléments de 2006 aura pour titre : « Le salut par la décroissance : pour empêcher le capitalisme de pourrir la planète ». Le Manifeste du GRECE proclame : « une écologie intégrale doit aussi en appeler au dépassement de l’anthropocentrisme moderne et à la conscience d’une co-appartenance de l’homme et du cosmos. […] Les entreprises ou les collectivités polluantes doivent être taxées à hauteur de leurs externalités négatives. Une certaine désindustrialisation du secteur agro-alimentaire devrait favoriser la production
et la consommation locales, en même temps que la diversification des sources d’approvisionnement. » [8] Une écologie à mille lieues des éoliennes de Daniel Cohn-Bendit…
Quelle écologie pour demain ?
La situation de la Terre nous concerne tous : nous qui combattons le grand capital, dont le but est de nous transformer en magma flou, sans passé ni avenir autre que celui de la consommation effrénée, combattons aussi pour libérer la planète de ce monde moderne qui l’accable. Le gouvernement nous somme d’utiliser des ampoules « basse consommation », mais ne trouve rien à redire à ces usines qui tournent perpétuellement, pour la gloire du rendement capitaliste.
Le capital fonctionne selon des lois qui lui sont propres, transformant tout en marchandise, ne connaissant rien d’autre que les calculs de pertes et de profits, au détriment de tout, y compris de la nature ; or, le premier besoin des peuples est de vivre dans un environnement sain, ce qui ne peut se réaliser si l’environnement qui l’entoure est souillé. Les réunions et les décisions des membres du G20 ne changeront rien à la situation de la planète : c’est ce système tout entier qu’il faut changer ; notre futur en dépend…
MARIE CHANCEL
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[1] Dictionnaire encyclopédique 2003, Larousse.
[2] François BOCHET, « Naturiens, végétaliens, végétariens et crudivégétariens dans le mouvement anarchiste français (1895-1938) », Invariance, Juillet 1993.
[3] Henry David THOREAU, « Walden ou la vie dans les bois », éditions Gallimard, 2004.
[4] Karl MARX, « Le Capital », éditions Gallimard, 2008.
[5] George L. MOSSE, « Les racines intellectuelles du Troisième Reich : La crise de l’idéologie allemande », éditions Points, 2008.
[6] Pierre SERNE, « Des Verts à EELV, 30 ans d’histoire de l’écologie politique », éditions Les Petits Matins, 2013.
[7] Europe Ecologie – Les Verts, « Vivre mieux : vers une société écologique », éditions Les Petits Matins, 2012.
[8] « Manifeste pour une renaissance Européenne », éditions GRECE, 2000