Bookchin : pour une nouvelle dimension humaine

Murray Bookchin est trop peu connu en France et c’est bien dommage. Figure emblématique de la gauche radicale américaine dans les années 40, il opère un mouvement sans retour vers l’écologie politique dès le début des années 50 ce qui fait de lui assurément un précurseur en la matière. Fondateur du concept d’écologie sociale, il élabore un projet politique qu’il nomme le municipalisme libertaire et qui le fera taxer d’utopiste bienheureux.

C’est donc tout à l’honneur des éditions L’Amourier d’avoir osé traduire la biographie très documentée de Janet Biehl qui fut la compagne de Bookchin durant plus de vingt ans. Parue initialement en 2015 aux États Unis, ce livre passa complètement inaperçu en France lors de son lancement. Il faut dire que Bookchin est loin d’être consensuel. L’Amourier n’en est pas à son coup d’essai puisqu’ils nous avaient gratifié en 2015 d’une réédition de la biographie d’Auguste Blanqui par le journaliste Gustave Geffroy sortie pour la première fois en 1897. Un bijou d’érudition et d’écriture.

Surprenante à plus d’un titre, cette vie de Murray Bookchin est l’exemple même d’un parcours sinueux bourré de questionnements. D’abord syndicaliste, Bookchin, né en 1921, rejoint très vite les milieux anarchistes tout en se définissant comme éco-décentraliste. Sur la base de lectures de Lewis Mumford, le jeune américain analyse dès le début des années 1950 le gigantisme et la centralisation à l’œuvre sous ses yeux. Il propose de lutter contre ce phénomène en décomposant les grandes métropoles en « petites communautés libres hautement interdépendantes ». Cette quête du «mieux vivre » aboutit en 1962 à la parution de Our Synthetic Environment dans lequel il revient sur les grands bouleversements naturels liés à l’action de l’homme.

Bookchin ne va dès lors plus sortir du cadre écologiste. Son apport personnel s’inscrit dans sa croyance profonde que les déséquilibres naturels sont la cause d’un déséquilibre dans les relations humaines. La désagrégation des relations sociales entraîne les chocs terribles contre les écosystèmes que nous connaissons. L’urgence est donc d’agir sur l’homme, de le ré-humaniser afin que son « être au monde » renoue avec l’équilibre et le respect de son environnement.

La solution préconisée par Bookchin réside dans l’ancrage local par la démocratie directe. L’homme enfin maître de sa destiné, retrouve l’implication nécessaire et l’envie de décider en commun. Libéré, désenchaîné de la méga-technique, il redevient capable de trouver sa place dans un cosmos non anthropo-centré. « La cellule véritable de la vie politique est, en effet, la commune, soit dans son ensemble si elle est à échelle humaine, soit à travers ses différentes subdivisions, notamment, les quartiers » écrit-il en 1995.

Très critiqué par le milieu anarchiste, Bookchin fait figure à la fin des années 1960 de renégat pour son abandon du syndicalisme militant et de la pensée révolutionnaire classique. On le considère au mieux comme un humaniste, au pire comme un utopiste. Dès les années 1980, il est victime d’une omerta non déclarée et ses publications sont passées sous silence.

Auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages, Murray Bookchin mérite bien mieux que le silence qui entoure son œuvre. Agréable à lire et bien documentée, la biographie de Janet Biehl est une bonne introduction au travail de Bookchin parfois jugé hermétique et d’un abord complexe. L’étude est fouillée et les concepts bien analysés laissant la part belle aux souvenirs et anecdotes plaisantes.

Gardez La vie de Murray Bookchin pour vos longues soirées d’hiver au coin du feu. Une lecture crayon en main, patiente et méthodique. Le bonhomme en vaut bigrement la chandelle.

Guillaume Le Carbonel.

Janet Biehl, Écologie ou catastrophe, la vie de Murray Bookchin, Collection “ Bio ”, L’Amourier éditions, 2018, 29€

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