A l’école du père Lénine

Certains esprits chagrins nous reprocheront d’aller nous égarer chez un tel auteur, que les règles qu’il a émises il y plus de cent ans sont dépassées. Pourtant, il nous a semblé opportun de grapiller dans le premier ouvrage de Lénine « Que faire ? », d’excellents principes d’organisation militante et révolutionnaire. Une lecture critique et actualisée de ce livre est nécessaire pour mieux comprendre ses fondements.

Le débat sur l’organisation a toujours constitué un des traits principaux de la réflexion théorique des mouvements révolutionnaires contemporains. Lénine a amené une réponse dans ce texte qui est son premier écrit majeur et l’acte de naissance d’un bolchevisme balbutiant. Quelques mois après sa fondation en décembre 1900, le journal « l’Iskra » en publie l’ébauche sous le titre « Par où commencer ? ». Lénine en étoffera le texte qui deviendra «  Que faire ? », paru en février 1902.

La base de la critique léniniste

Avant tout, « Que faire ? » n’est pas un livre de recette révolutionnaire. Pendant longtemps, des générations d’activistes y ont cherché les lois fondamentales de la subversion. Ils passaient souvent à coté d’idées fondamentales.

Dans la première partie de son livre, il y a les fondements de la critique léniniste du trade-unionisme et du terrorisme. Il voit dans ces deux extrêmes des impasses pour le mouvement ouvrier russe. Agissant encore au sein de la mouvance social-démocrate, Lénine définit la démarche révolutionnaire comme le souci permanent de relier théorie et pratique. Cette cohérence sera à l’origine de la future rupture entre les mencheviks, réformistes à la remorque de la bourgeoisie, et les bolcheviks.

Le syndicalisme trade-unioniste est incapable de dépasser l’horizon limité d’une revendication simplement économique sans conscience de classe révolutionnaire. Le terrorisme, représenté alors en Russie par les nihilistes et les anarchistes, est lui rejeté comme une démarche immédiatiste coupée des masses, purement spontanée. La solution bolchevik sera donc de construire en priorité une organisation révolutionnaire porteuse d’une vision politique socialiste à long terme et sachant articuler théorie et pratique de même que tactique/stratégie. L’idée du Parti révolutionnaire comme moteur de la lutte naît alors.

La création du groupe

Pour Lénine, « la première et la plus urgente de nos tâches politique est de créer une organisation de révolutionnaires capables d’assurer à la lutte politique l’énergie, la stabilité et la continuité ». La voie est étroite, périlleuse et les débuts modestes : «  Petit groupe compact, nous suivons une voie escarpée et difficile, nous tenant fortement par la main. De toutes parts nous sommes entourés d’ennemis, et il nous faut marcher presque constamment sous leur feu. Nous nous sommes unis en vertu d’une décision librement consentie, précisément afin de combattre l’ennemi et de ne pas donner dans le marais d’à côté, dont les hôtes, dès le début, nous ont blâmés d’avoir formé un groupe à part et préféré la voie de la lutte à la voie de la conciliation ».

A son époque, Lénine voulait préparer les éléments les plus avancés parmi les révolutionnaires à la construction d’un parti capable de mener son action en toute circonstance. La répression tsariste, le contraignit à prévoir un passage dans la clandestinité. Cela impliquait une sélection rigoureuse des demandes d’adhésion. Le choix d’éléments à toute épreuve étant primordiale pour la survie du groupe.

Pourquoi créer un tel groupe ? Car « l’organisation de révolutionnaires est indispensable pour « faire » la révolution politique ». Cette révolution, c’est aujourd’hui la lutte contre la violence que nous subissons de la part du capitalisme ».

Cette résistance de tous les instants ne souffre aucun dilettantisme. Critiquer le système et le vomir lors de brillantes discussions au fond de sombres bistrots enfumés ou au long d’interminables messages sur le net, c’est peut-être bien une preuve de lucidité. Mais c’est insuffisant pour celui qui veut aller plus avant. Celui qui a vraiment pris conscience de la situation actuelle n’attend pas le grand soir dans son fauteuil, il agit pour changer les choses. Il se forme intellectuellement et échange avec d’autres ses connaissances. Le but étant de rester libre et autonome et de se détacher des mœurs et des idées actuelles (même celles pseudo subversives, qui se révèlent n’être que des modes ou des diversions créées par le système). Son but n’est pas d’être un ermite reclus aux fonds des bois, il est de participer activement à la construction d’une alternative. Cette démarche positive passe, entre autres, par l’engagement militant.

Quels sont les membres de ce groupe ?

« Il faut des comités de révolutionnaires professionnels, composés de gens – ouvriers ou étudiants, peu importe ! – qui auront su faire leur éducation de révolutionnaire professionnels ». Lénine parle d’ « un petit noyau compact, composé des ouvriers les plus sûrs, les plus expérimentés et les mieux trempés, un noyau ayant des hommes de confiance dans les principaux quartiers ». Ces hommes et ces femmes, ouvriers ou non, constituent l’avant-garde révolutionnaire. Ils donnent l’impulsion, le mouvement, ils encadrent et ne laissent rien au hasard : «  la participation la plus active et la plus large de la masse à une manifestation, loin d’avoir à en souffrir, gagnera beaucoup si une dizaine de révolutionnaires éprouvés (…) en centralisent tous les aspects : éditions de tracts, élaboration d’un plan approximatif, nomination d’un état-major de dirigeants pour chaque quartier de la ville, chaque groupe d’usine, chaque établissement d’enseignement… ».

Cette idée d’avant-garde révolutionnaire fera couler beaucoup d’encre par la suite. L’idée que le Parti apporte de l’ « extérieur » à la classe ouvrière la conscience de son rôle historique sera débattue. Propre au contexte de la Russie tsariste, où la classe ouvrière était numériquement faible et la paysannerie peu organisée, elle répondait à un besoin de centralisation du mouvement révolutionnaire et représentait un cerveau collectif. Cette centralisation devant par la suite se transmettre au Parti Bolchevik et dégénérer en bureaucratisme d’état après sa prise de pouvoir.

Mais ce qui demeure de fondamental dans l’œuvre de Lénine c’est que cette avant-garde doit se former intellectuellement et physiquement : «  les masses n’apprendront jamais à mener la lutte politique, tant que nous n’aiderons pas à former des dirigeants pour cette lutte, aussi bien parmi les ouvriers cultivés que parmi les intellectuels ». Oui formons-nous : structurons-nous, lisons, faisons du sport. Ne perdons pas de temps inutile. Formons une communauté militante nouée par le projet politique et l’idéal partagés. Ayons une hygiène de vie saine. Ne nous dispersons pas mais unissons notre temps et notre volonté pour défendre notre dignité. Pourquoi disons-nous cela ? Parce qu’ «  on ne peut appeler les autres à agir que si l’on donne soi-même et immédiatement l’exemple ». Et cet exemple doit être un effort constant, loin de toute existence ou de tout esprit bourgeois. Il s’agit d’un «  siège régulier de la forteresse ennemi, autrement dit à réclamer la concentration de tous les efforts en vue de rassembler, d’organiser et de mobiliser une armée permanente ».

« Le Parti Révolutionnaire réunira des hommes éprouvés, professionnellement préparés et instruits par une longue pratique, parfaitement d’accord entre eux (…) Ces qualités étant réunies, nous avons quelque chose de plus que le démocratisme : une entière confiance fraternelle entre révolutionnaires ».

« Que faire ? » nous enseigne qu’il n’y a pas de demi victoire ni de demi échec. Il n’y a ni compromis ni coexistence. Il n’y a qu’un combat et il n’y aura qu’un vainqueur dans la lutte pour l’Avenir.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.