Zemmour et le Pen n’aiment pas le peuple
Jean-Marie le Pen était favorable à la retraite à 65 ans. Marine le Pen, une fois parvenue à la présidence du Front National, infléchit la ligne du parti et se déclara favorable à la retraite à 60 ans. C’est en 2022 qu’elle modifia sa position. Ne pourront cesser de travailler à 60 printemps que ceux qui auront à leur actif 40 annuités, et qui auront commencé à travailler avant l’âge de 20 ans. Pour les autres, ce sera entre 60 et 67 ans, pour 42 ou 43 annuités, selon le profil. La différence le gouvernement Borne est donc plus proche de l’ordre du détail que de la conviction profonde.
Quant à Éric Zemmour, il est tout simplement favorable à la « réforme des retraites » elle-même. Il est allé jusqu’à
dire « C’est ma réforme » : « Tous nos voisins y viennent, qui sont entre 65 et 67 ans (…) Déjà que la France est le pays développé qui travaille collectivement le moins, nous devons absolument travailler plus longtemps ». Pour lui , que LR se « gauchisent » en s’opposant à cette loi. Rien que ça. L’extrême-droite électorale se réduit donc à un choix entre fausse candidate du peuple et vrai candidat des patrons. Nous avions écrit ce papier en étant profondément convaincu que Reconquête et RN n’incarnaient certainement pas une alternative à Macron, et à ce qu’il est convenu d’appeler dans nos milieux « le Système ». Force est de constater que ces deux formations sont toujours incapables de nous démentir. Le combat véritable contre l’Ordre libéral ne pourra donc prospérer qu’ailleurs.
Article paru dans le Rébellion 96
Jean-Marie, dans les années 1980, se voulait « le Reagan français ». 20 ans plus tard, il avait changé d’avis. Ou plutôt, c’est l’époque qui a changé, comme il l’affirmera plus tard. Mais était-ce vraiment un changement ? Affirme-t-on quelque chose de différent parce que le monde change, ou plus prosaïquement, peut-on dire l’inverse de ce qu’on a avancé vingt ans plus tôt puisqu’hier comme aujourd’hui, on n’a pas plus de convictions que cela ?
Les seuls à avoir eu, dans toute l’histoire ancienne du FN, un intérêt profond, existentiel à la question sociale (au point de refuser de parler de social, terme jugé réactionnaire et paternaliste, au profit de celui de socialiste) furent les nationalistes-révolutionnaires. Rassemblés à cette époque dans les groupes nationalistes-révolutionnaires de base et inspirés par Ferdinand Lasalle, Charles Fourier et Gustave Tridon, les NR seront expulsés du mouvement un an après l’assassinat de leur leader François Duprat. C’était en 1979.
Trente ans plus tard, les choses ont-elles réellement changé ? Jean-Marie est parti, et l’énarque Philippot a fait son entrée en scène, en tant que principal conseiller d’une Marine le Pen qui souhaite « parler davantage de social ». Le fond idéologique du parti est revisité, sous la férule du clan Philippot, où se distingueront notamment le comédien Franck De Lapersonne, Sophie Montel et Damien Philippot, frère du nouveau grand manitou frontiste.
Il s’agissait surtout de développer, dans l’idée de la sortie de l’UE et surtout de l’euro, les avantages pour les entreprises promis par le retour au franc et de l’Etat dans la vie économique de la Nation (manifesté au besoin par des nationalisations). Cette orientation devait être une source de compétitivité et d’emploi boostant la consommation. Voilà l’essentiel. Mais après l’échec de 2017, Monsieur Frexit fut mis à la porte de façon assez peu aimable, emportant avec lui bien peu de cadres. Outre l’intérêt faible pour la ligne Philippot au sein du RN que prouve cette micro-scission, ce fut aussi la cause de la disparition de l’ébauche d’un programme social au RN.
Pour autant le vote frontiste progressera : notamment par l’abandon du thème de la sortie de l’euro, permettant de ne plus effaroucher les épargnants d’un pays qui vieillit, apeurés à l’idée de voir leur épargne perdre sa valeur avec le retour au franc. Mais aussi et surtout à cause de l’insécurité grandissante.
Néanmoins pour tenter de conserver un électorat qu’elle craignait sans doute un peu de voir rejoindre le Zemmouristan, le Pen tenta d’accentuer sa différence en parlant social : baisse de la TVA, pas d’impôt sur le revenu jusqu’à 30 ans, pas d’impôt sur les sociétés pendant 5 ans pour les nouveaux entrepreneurs…
Outre que ces deux dernières mesures vont surtout bénéficier aux classes moyennes supérieures et à la bourgeoise entrepreneuriale étant donné la cassure de l’ascenseur social (ce qui ne fait pas vraiment « programme social »), la baisse de la TVA, certes drastique (de 20% à 5,5%) vise davantage à soulager les Français après l’épisode Covid plutôt qu’à envisager une appropriation nationale, par et pour les travailleurs français de toutes classes sociales, de la richesse nationale. Autrement dit, on vous offre un morceau de pain pour supporter la vie sans trop regimber.
On a pu noter dans les dernières législatives un report important de voix LREM vers le RN, en cas de duel RN-NUPES. Le RN, qui n’a obtenu ses 89 députés que sur la base de 7% des inscrits sur les listes électorales, est en fait en voix de conformisation bourgeoise. Les appels discrets de divers ministres et élus macronistes aux voix du RN pour les prochains votes à l’Assemblée, l’absence de refus catégorique de la part de Macron, au moins verbalement, d’intégrer le RN dans un gouvernement (position inimaginable vingt ans plus tôt) et surtout la réponse de Le Pen à l’idée de participer à un gouvernement d’union nationale avec Macron : « ce n’est pas à l’ordre du jour », montrent la faible intensité de l’opposition avec le Président de la République et des intérêts qu’il défend.
C’est plus qu’étonnant venant d’un parti qui avait fait de la lutte contre Macron sa raison d’être et son thème principal de campagne. Mais est-ce si étonnant que cela ? En 1986, Jean-Marie le Pen ne souhaitait-il pas devenir ministre de la Défense de Jacques Chirac ? Le RN n’est plus le parti de l’opposition nationale, si tenté qu’il ne le fut jamais autrement qu’en mots, mais le parti des rentiers de la colère populaire, à l’image de la dame aux chats qui le gouverne.
Le vote massif de députés LREM en faveur de candidats RN pour les vice-présidences de l’Assemblée nationale est la preuve de l’acceptation tacite de ce parti, de sa reconnaissance, mieux de sa légitimité à représenter les Français de la part du bloc bourgeois. C’eut été inimaginable au temps de Jean-Marie.
Quelles leçons en tirer ?
Au fond Le RN comme Reconquête sont d’abord des partis d’ordre, des partis de l’Ordre. Rien de plus. La justice sociale les dépasse.
Certains pourraient affirmer que toutes ces mesures proposées par les deux candidats soulageront un peu les Français. On peut répondre à cela d’abord que ce n’est que dans une bien faible mesure, et surtout, et c’est en cela que réside leur perversité profonde, elles habituent les Français à se serrer la ceinture, à accepter la précarité et la charité d’Etat dans un pays où 15% des Français vivent sous le seuil de pauvreté…
La promesse zemmourienne de revaloriser les petites pensions de retraite jusqu’à 50 euros par mois : voilà l’exemple parfait d’aumône d’Etat, de mépris social et de classe visant non pas à permettre l’accession à la propriété populaire, à la dignité par le travail ou à permettre une vie décente à nos aînés : non, c’est de l’aumône publique, qui certes habitue à tout réclamer et tout attendre de l’Etat, mais qui surtout préserve toutes les iniquités déjà en cours, de la spéculation sur le travail d’autrui, l’enrichissement d’oisifs, jusqu’à la protection de la propriété bourgeoise de droit divin.
Un souvenir personnel pour conclure : dès lors qu’il s’agissait de parler pouvoir d’achat, de monnaie, de souveraineté, c’était silence complet dans les tribunes du congrès de Reims, où Le Pen tenait un de ses derniers grands meetings à la veille des présidentielles tout juste achevées. Les militants ne voulaient entendre parler que d’immigration. « On est chez nous » ne vaut que dans ce sens. Jamais dans l’idée de faire fructifier ou tout simplement de s’approprier réellement ce « chez nous ».
Vincent de Téma