Ouvrons le débat sur l’indigénisme : Les œillères brillent lorsqu’il fait sombre
Le dossier du dernier numéro de la revue Eléments voulait rentrer « Dans la tête des indigénistes ». Les deux contributions d’Alain De Benoist ouvrent un débat sur la nature de ce courant. Il faut dépasser les fantasme présents dans la tête de nombreux « libéraux-conservateurs » ( qui sont aussi présents malheureusement dans la présentation du dossier) sur l’indigénisme pour comprendre son apparition et proposer une alternative à son extrémisme. Nikos Amilduki, qui étudie le phénomène depuis une dizaine d’années, donne une réponse aux limites de la critique « libéral-conservatrice » de l’indigénisme et propose des pistes pour quitter les oeillères idéologiques qui nous empêchent de voir un monde bien plus complexe qu’il n’y paraît .
L’ère de confusion qu’est la nôtre n’a pas cessé de nous réserver des surprises. Les prises de position sont légion, au détriment de ces relations qui fondent les possibilités de réhumaniser notre Histoire. En effet, au regard des mystères de ce qui nous dépasse et nous surplombe, partons du principe que l’humanité n’a pas encore dévoilé tout son potentiel, et qu’elle ne fait actuellement que manifester son incomplétude. Il devient toujours aussi grossier, lourd, et binaire, l’humain. Il se repait des restes encore fumants des espérances et des sacrifices pour chier du rien. C’est à travers les effluves de cette merde mêlées d’une brume insistante que se déploient avec fracas les misères des extrêmes. Nous insistons encore et toujours sur le caractère singulier de l’extrémisme dans le champ de la contre-révolution1. C’est à partir d’un point de vue révolutionnaire, c’est-à-dire à partir d’une lecture de rupture faite de marginales nuances, que nous vous proposons ce prolongement de réflexion veillant à ne surtout pas valider la binarité ambiante.
Ce qui précède
Rappelons pour commencer que l’auteur de ces lignes s’est résolu à se pencher sur l’indigénisme il y a de cela quelques années, pour tenter d’en révéler les impasses au regard d’un courant jugé à l’époque comme plus cohérent qu’est le panafricanisme, et de le mettre sur le banc de touche par le biais d’une possibilité de convergence entre la lutte d’émancipation africaine et le socialisme révolutionnaire européen2. L’indigénisme, connu et fréquenté de façon plus ou moins appuyée par l’intéressé, a été exposé comme l’un des symptômes d’une schizophrénie culturelle qui nous est propre et quotidienne, racisés ou métissés voyant dans le terrain militant une solution d’affranchissement à ce qui constitue, quoiqu’en pensent les lectures les plus ethno-nombrilistes, une véritable souffrance. Cette posture politique affiliée à ce qui était qualifiée d’ « allogénat », suffisamment riche en névroses voire en psychoses, nous oblige à penser le militantisme de façon générale comme indissociable de son approche psychologique, c’est-à-dire que le militer est une affaire de thérapie pour un sujet ici exposé à un certain nombre de pathologies qu’un Frantz Fanon, dès les années cinquante, avait commencé à traiter tout au long de son œuvre sous l’angle de la violence politique libératrice et réparatrice. Cependant, le fanonisme n’a pas encore été la source de perspectives politiques communes et apaisées, notamment du côté de l’indigénisme qui a fait du psychiatre martiniquais une de ses figures de référence.
Une affaire de Corps et de Regard
Deux notions font particulièrement défaut dans cette tentative par Eléments d’entrer « dans la tête des indigénistes », comme son titre l’indique, à savoir le Corps et le Regard. La genèse des courants décoloniaux et postcoloniaux énumérés dans la première partie du dossier ne peuvent faire l’économie de la veine phénoménologique de la philosophie contemporaine. La phénoménologie est la production moderne d’une philosophie classique qui jusque-là s’attachait à objectiver le plus possible, en des formes totales et achevées, ses concepts afin d’en faire des catégories scientifiques et valables en un Temps et un Espace universels, univoques, totalitaires. Sur ce point-là, la ligne de la Nouvelle Droite que représente la revue Eléments, dans son ethno-différentialisme paneuropéiste et néo-païen (c’est-à-dire une nette distinction du modèle judéo-chrétien universaliste et centralisateur que pointe également le penseur/militant décolonial), donne raison à l’indigénisme en l’intégrant à ce qu’Alain De Benoist qualifie de critique positive :
« L’aspect le plus positif de la pensée décoloniale réside dans sa remise en cause de l’occidentalocentrisme. L’universalisme – la conviction des Occidentaux que leurs principes sont valables, non seulement pour eux, mais pour tous les hommes de la Terre – a aussi été une arme de l’Occident pour dominer le reste du monde. La raison occidentale abstraite s’est présentée comme « universelle » alors qu’elle n’est qu’une forme de subjectivité propre à la seule culture occidentale, dont il faut dès lors questionner l’histoire pour la déconstruire (et la « reprovincialiser »). »
A ce titre, il faut souligner que le Parti des Indigènes de la République (le PIR), que les courants militants de droite/d’extrême droite anti-américains associent systématiquement à une ingérence de réseaux d’influences progressistes états-uniens, est typiquement française, dirons-nous même franco-française, dans la mesure où elle y pointe spécifiquement le projet républicain d’un œil dévastateur. Il serait, en revanche, plus juste de pointer la dimension états-unienne de ce qui découle des enfants de l’indigénisme et ce qui s’y est médiatiquement satellisé à partir des années 2010 à travers des personnalités comme la journaliste Rokhaya Diallo, l’historien Pascal Blanchard, et quelques années plus tard le Collectif Justice pour Adama. Cette constellation de courants ayant comme principe unificateur le combat décolonial/postcolonial ont donné lieu à l’émergence de l’ « antiracisme politique » et plus récemment, dans le cadre d’un colloque intitulée « Bandung du Nord »3, à la constitution d’une Internationale Décoloniale. Par souci de rigueur et de justice, il faut pointer chez la majorité des pourfendeurs de l’indigénisme une faiblesse analytique tenant plus du pavlovisme idéologique qu’autre chose, faiblesse consistant à ne pas reconnaître, par le biais d’un mécanisme psychologique tenant lieu du dédouanement collectif, la part de responsabilité éminemment locale que cette catégorie de penseurs/idéologues/militants français tiennent vis-à-vis de leur créature inavouable et de sa descendance qu’elle perçoit comme une menace non négligeable. En bref, il est plus simple d’imputer tout cela aux States plutôt qu’à la France éternelle !
L’indigénisme (de première génération en tout cas) est typiquement français pour deux raisons principales. D’une part, il s’est niché et développé dans les universités françaises de sciences dites molles (la philosophie postmoderne du type French Theory, la sociologie, la psychologie et notamment sa veine ethno-psychiatrique portée par des figures telles que Georges Devereux) conjointement aux bastions trotskistes et antifascistes très influentes sur ce type de campus. D’autre part, cet indigénisme est typiquement français par son anti-jacobinisme assimilationniste qui est à certains égards régionaliste. Et cet aspect de la ligne politique du PIR est très peu mis en perspective par ses détracteurs qui préfèrent se focaliser sur ses excentricités et son exotisme revanchard d’où planerait le spectre redoutable de l’islamisme (ce qui reste encore à prouver de façon concrète)4. Houria Bouteldja, la célèbre porte-parole du mouvement, est d’origine algérienne et ne se cache pas de son héritage islamique culturel. Mais cela ne prouve pas grand chose. D’ailleurs, ce qui ne manque pas de maintenir une représentation caricaturale du PIR est ce choix par la rédaction d’amputer l’entretien croisé datant de 2009 entre Laurent James et Houria Bouteldja de ce morceau que voici :
« (Laurent James) Plus généralement, je pense que la pertinence de votre combat s’affirmera notablement si la gauche d’une part, et la France d’autre part, quittent la place trop souvent centrale qu’elles occupent dans vos discours. La gauche est une structure mentale résolument obsolète et typiquement française, qui verra toujours d’un très mauvais œil la Foi religieuse – qu’elle parvint à éradiquer de France après deux siècles de combat acharné – se réintroduire sous d’autres formes dans ce pays, portée par une nouvelle frange de la population qui ne compte apparemment pas se faire extirper son amour envers Dieu de manière aussi rapide et aisée que les autochtones. La véritable Révolution ne s’opérera-t-elle pas dans ce pays, au moment précis où les Arabes et les Noirs de France comprendront enfin que la gauche est leur véritable ennemie ? Ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils devraient rejoindre les rangs de la droite. Enfin, chère Houria Bouteldja, vous dont la franche beauté n’est jamais aussi rayonnante que lorsque vous terrassez un plateau entier de télévision par des éclats de colère subite, vous qui n’hésitez pas à citer le livre Beneath the Underdog de Charles Mingus pour défendre la validité du terme « souchien », quel rôle assignez-vous à l’Islâm dans votre pensée et votre corps ? De quelle ardente mystique votre chair lumineuse est-elle porteuse ?
(Houria Bouteldja) Je pense que l’islam mais aussi son introduction dans l’espace politique français est salutaire en ce sens qu’il relativise le suprématisme intellectuel de l’athéisme. L’idée que la raison ne peut émaner que d’esprits athées ou agnostiques est complètement absurde. L’islam a aussi pour vertu de charrier d’autres points de vue, de remettre en cause une vision du monde occidentalo-centrée, l’humanisme abstrait… Mais ce qui est vrai de l’islam est vrai des cultures africaines, caribéennes…Il est important que toutes les composantes communautaires de la société prennent part à la redéfinition des structures mentales qui nous façonnent. Ce que nous voulons, plus que l’égalité de principe ou de fait c’est de participer à la norme et de la recomposer. Nous ne sommes pas seulement des consommateurs de France destinés à nous assimiler dans un tout pré-existant et figé mais nous la construisons et nous la façonnons. »
Du point de vue du Regard, la posture indigéniste nourrit alors tout un réseau de symboles, de fantasmes, d’interprétations de réalités et de cauchemars pour une intelligenstia française dominante souhaitant fuir, vernir ou tout au mieux retarder, l’effet-boomerang de ses productions antérieures : en premier lieu le colonialisme français en tant que réalité historique et anthropologique (que celles et ceux qui en nient systématiquement les effets réduisent souvent à l’aspect économique qui est actuellement, et effectivement, amoindri par la concurrence globale). Ce regard alimentera une perception des Corps, et plus particulièrement de deux Corps soigneusement délimités par la binarité ambiante : le Corps Blanc d’une part, et le Corps Non-Blanc de l’autre.
Morceaux à recoller ?
L’impasse de l’indigénisme et de son substrat décolonial/postcolonial (Alain De Benoist opposant le « décolonial » et le « postcolonial » en désignant ce dernier comme plus racialiste5) se traduit régulièrement par la manifestation et la production par l’exercice du militer de subjectivités extrêmes (c’est-à-dire essentialistes) et autonomes produisant des sujets en proie à la paranoïa (ce que les non-repentants qualifient systématiquement de « victimisation »). Le courant décolonial/postcolonial semble actuellement passer d’une « phénoménologie de la perception »6 déconstructionniste à une substance plus offensive risquant de prendre à la longue des accents pré-miliciens (les alliés VS les ennemis au sein d’un théâtre des opérations pour le moment principalement médiatique), et ce de façon à devenir la symétrie du combat identitaire blanc. Le paravent universitaire (de gauche) de l’indigénisme, tentant de recomposer la gauche sous le patronnage du « post-anarchisme » (réunir les éléments à la fois libéraux-libertaires et anarchistes afin de distancier tout marxisme orthodoxe) est en tous points comparable en terme de stratégies médiatiques à la soupape métapolitique (de droite) que représente l’actuel processus d’union des droites (à tendance majoritairement libéral-conservatrice) à laquelle semble actuellement participer la revue d’idées qu’est Eléments.
Et cette phase de recomposition des idéologies respectives doit être impérativement précisée afin de comprendre ce qui fait défaut dans la critique dominante qu’on impose à l’indigénisme, et de ce que cette omission révèle de la posture du critique. Alain De Benoist nous fait creuser cette piste en citant Martin Heidegger pour évoquer chez les penseurs postcoloniaux leur essentialisation de l’Occident (l’Europe, dépassée par sa création, souhaitant revenir à ses fondations originelles) :
« L’occidentalocentrisme (ou eurocentrisme) est interprété seulement comme colonialisme, au risque de tomber à la fois dans le confusionnisme et l’essentialisme. Confusionnisme parce que les études postcoloniales traitent du « colonialisme » comme d’un mot-caoutchouc utilisable dans n’importe quel contexte, alors que la colonisation a revêtu sur les divers continents des formes elles aussi très différentes (contrairement par exemple à ce qui s’est passé en Amérique Latine, la colonisation de l’Afrique, par exemple, n’a jamais pris, sauf en Algérie, la forme d’une colonisation de peuplement). Essentialisme en ce que les auteurs postcoloniaux traitent de l’Occident et de la pensée occidentale comme des entités homogènes qu’ils n’ont jamais été. Ils réduisent la philosophie occidentale au seul courant universaliste, sans tenir compte des nombreuses critiques que celui-ci a subies de l’intérieur même de la philosophie européenne. A commencer chez Heidegger qui, en soulignant la pluralité des façons d’être-au-monde, démontre clairement qu’il n’y a pas lieu de considérer comme anachroniques ou résiduelles les formes de vie qui se révèlent incompatibles avec le mode de production capitaliste. »
Chaque phénoménologue, de Martin Heidegger (ayant été séduit par le national-socialisme allemand) en passant par Emmanuel Levinas (pensée ayant par la suite donné lieu à la fondation des centres d’études lévinassiennes par Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut et Benny Lévy) ou encore Maurice Merleau-Ponty (l’une des bases théoriques du Frantz Fanon de Peau noire, masques blancs), a développé un Regard et une indissociable perception du Corps qui leur sont propres. Et cette articulation a fini par produire à partir de chacun une Idéologie-type.
Dans sa substance même, dans son champ épistémologique non-catégorique détachée du concept au sens classique, la phénoménologie, en tant que manifestation de l’articulation du Corps et du Regard, produit inévitablement une vision parcellaire du monde qui trouvera en l’Essence (souvent forgée par une identité raciale) sa coloration la plus évidente. Le combat politique ne devient plus fondamental mais annexé à ce qui est ressenti comme une injustice, une fêlure ou un manquement. Le travail de l’Idéologie dans ce cas de figure consiste alors à fonder, à partir d’une expérience faussée ou réinterprétée de la réalité vécue, un système d’idées finissant par s’autonomiser du Réel en tant que tel. Le réseau de subjectivités ainsi constitué s’attache à créer une nouvelle objectivité non plus à partir de la pluralité des données que le Réel nous offre, mais en se contentant d’une matrice suffisamment génératrice de dénominateurs communs au sein des enclos idéologiques en question. D’un côté, les Blancs (européens dans le cadre du GRECE que représente Eléments, occidentaux chez les identitaires), de l’autre les Non-Blancs (africains du Maghreb et d’Afrique Noire en grande majorité au sein du PIR) voire les Noirs au sens strict du côté de la version néo-garveyiste du panafricanisme (le courant afrocentriste actuel qui pourrait s’apparenter pour les lecteurs d’Eléments les plus curieux à du paganisme négro-africain).
Une fois que l’essentialisme gagne le cœur et l’esprit des obédiences militantes respectives, c’est alors la porte ouverte au confusionnisme généralisé, à savoir un état des lieux et de l’Etre où la partialité fondamentale du militantisme7 dévore les possibilités du Politique, où le narcissisme de caste (qu’elle soit dominante ou dominée) demeure le baromètre de l’incapacité à faire Commun. Nous en sommes actuellement réduits à un monde opaque où la problématique sociétale est à la fois prédominante et réduite à son statut le plus inférieur, que nous pourrions résumer à une chamaillerie de cour de récré opposant celui qui confond reconnaissance virile de ses erreurs/repentance humiliante à celui qui ne parvient pas à dépasser le statut victimaire que lui octroie une discrimination de fait. Nous sommes actuellement dans une atmosphère d’adulescence généralisée. Autrement, nous ne pourrions pas comprendre comment Eléments peut confondre intersectionnalité, indigénisme et panafricanisme en citant Danielle Obono photo à l’appui et en lui attribuant des combats qu’elle n’a jamais revendiqué (en premier lieu le panafricanisme8), peut réduire le combat d’Angela Davis à une coupe de cheveux « ayant perdu de sa superbe » (encore une fois, le Corps !) et à une vision racialiste binaire de la lutte (« c’est la faute des Blancs ! ») sans mentionner son héritage marcusien (c’est-à-dire toute la veine freudo-marxiste de l’extrême gauche des années soixante), ou ridiculiser le concept de « micro-agression » (encore faudrait-il que la rédaction puisse être dotée d’une exception capillaire qui lui vaut des touchers impolis ou des railleries le temps d’une soirée ?9 Au cas échéant, devenir ponctuellement les sujets d’une expérience à la Jean Rouch pourrait être intéressant !10). Nous assistons ici à des écarts de rigueur analytique, flirtant avec ces tics de langage pseudo-pamphlétaires trahissant cette fausse objectivité qu’est l’Idéologie. Nous nous heurtons très rapidement, conjugué à une analyse plutôt inaboutie au vu de l’école de pensée que représente Alain De Benoist (rentrer dans la tête d’un collectif n’est pas une mince affaire !), à des codes de communication typiques de notre époque : celle du buzz, de l’effet d’annonce publicitaire qui est, au mieux, une définition Larousse de l’ « allogène » pour l’ « indigène » de Gaule. En somme, une posture pas plus cohérente que celle d’occuper les plateaux de Taddeï pour jargonner en victime du racisme d’Etat tout en omettant de préciser que sa thèse a été financée par un contrat doctoral attribué par ce même Etat, d’être effrayé que la France soit un pays « trop blanc ! » (il a des chances de l’être toujours trop, au risque de rassurer les grands-remplacistes les plus obsessionnels !) ou d’insister à tout prix pour vivre au sein d’un pays qui serait comparable en terme de violence systémique au Mississipi des années 50 !
Quelles sorties ?
L’une des sorties envisageables de ce marasme ambiant serait de se concentrer de la façon la plus juste, c’est-à-dire la plus fidèle à la réalité jusque dans ses contradictions et ses parts inavouables qui risqueraient de fragiliser les fondations idéologiques les plus convenues, sur ces mécanismes psychosociaux et de les articuler aux actuelles manœuvres politico-médiatiques. La lutte de classe, dépouillée des envolées messianiques et hermétiques qu’elle connait actuellement à travers une frange de la « dissidence », doit être plus que jamais réactualisée et extirpée de la noyade. L’anticapitalisme actuellement beaucoup trop connoté comme étant une recomposition du Capital par le biais sociétal doit retrouver son sens étymologique, sa validité théorique et son exemple pratique. L’atomisation du politique par le biais d’une priorisation des expériences singulières dans l’espace commun doit être résolue, dans la mesure où de ce trop-plein d’inclusion des additions naît un théorème aboutissant trop souvent à l’exclusion par divisions et subdivisions (les limites des luttes intersectionnelles). Ce sens commun, dissocié des écarts absolutistes du communisme et des ethnicismes balkanisants du communautarisme, doit permettre une nouvelle approche de la notion de communauté. Cette communauté, pour qu’elle dépasse le concept et devienne organique (c’est-à-dire organisation de chair et d’esprit), doit se débarrasser des modes totalitaires du Spectacle et ainsi retrouver sa capacité à agir, souverain, populaire. Ce dernier, articulé autour de la notion du Corps et du Regard, s’est achevé dans son auto-engendrement de façon à s’autonomiser de toute perception du Réel. L’autonomie qui doit être réinvestie est celle de l’humain au sein d’un corps social et politique déterminé contraint à repenser la question du local et du global en terme de zone géopolitique, de l’unifié et du diversifié sur le point stratégique.
Et ainsi, dissiper les nuits infinies, où luit au clair de lune le cuir usé des œillères qui jonchent le sol souillé des écuries.
Nikos Amilduki
Note :
1 Radicalité, Révolution, Extrémisme : le sens des mots et des actes, « Rébellion » n°89.
2 L’Europe et l’Afrique : même combat contre le mondialisme !, Editions des livres noirs, septembre 2017.
3 Cette initiative, ayant eu lieu à la Bourse du travail de Saint-Denis du vendredi 4 au dimanche 6 mai 2018, se base sur un héritage du non-alignement tiers-mondiste de la conférence de Bandung du 18 au 24 avril 1955. Elle a eu pour invités prestigieux Angela Davis, Fred Hampton Jr. (fils du militant du Black Panther Party créé à la fin des années soixante), le sociologue portoricain Ramon Grosfoguel et le militant syndicaliste guadeloupéen Eli Domota.
4 Pour citer un point de vue islamiste discordant sur l’indigénisme consistant à le confronter sur ses propres références, lire l’article Nés sous Malcolm X de Rayan Freschi paru dans le premier numéro de la revue littéraire indépendante Adieu, dont voici quelques extraits : « Le PIR a la mémoire très courte, comme la plupart des musulmans de France. Il ne se réfère qu’à l’ascendance coloniale alors que l’ascendance islamique est bien plus profonde. C’est la science décoloniale qui guide ses actes. Mais cette science est confuse… Faut-il s’identifier à Nasser ou Said Qutb ? Islamistes ou laïcs ? Le PIR est perdu ! Sa dimension politique est bâtarde. En tant que musulmans, nous n’avons pas d’autre choix que de suivre la voie édictée par le Coran et la Sunnah. Ce sont les références suprêmes qui guident notre comportement. L’Islam n’est pas une « culture » : il ne suffit pas de porter le voile ou de faire circoncire son enfant…C’est une religion à appliquer sérieusement. Seule la science religieuse, à terme, guide parfaitement nos actes. Je doute sérieusement que le couple Bouteldja-Boussoumah n’ait jamais ouvert un livre de Tawhid. C’est pourtant grave… »
5 Citation : « Ce sont plutôt les études postcoloniales qui affirmeront que ce sont les colonisateurs qui ont fait de la « race » un instrument de classification à seule fin de légitimer leur domination – et surtout, postulat plus contestable encore, que les anciennes nations colonisatrices n’ont jamais pu, par une sorte de fatalité quasi génétique, abandonner le regard « discriminant » qu’elles posaient naguère sur les indigènes des colonies. »
6 Citation indirecte du titre d’une des œuvres majeures du phénoménologue structuraliste français Maurice Merleau-Ponty, avec « Le Visible et l’Invisible » ou encore « La structure du comportement ».
7 Se référer à l’article « Les derniers des militants » publié dans le Rébellion n°90.
8 Courant politique et vision du monde datant d’au moins trois siècles, c’est un très récent entrisme indigéniste d’un côté et intersectionnel de l’autre (l’indigénisme n’étant pas forcément en phase totale avec l’intersectionnalité des luttes, notamment avec les déconstructions de genre et de sexe du mouvement LGBTQI qui se heurtent aux quelques vestiges exogènes traditionnels et islamiques des « cités ») qui pénètre actuellement le militantisme panafricain, et une branche très particulière de celui-ci qu’est la branche diasporique occidentale. Cette recomposition est d’ailleurs quasiment non-influente au sein du continent africain pour des raisons principalement anthropologiques (parmi elles l’organisation communautaire de la « famille élargie »).
9 Toute personne « racisée » ayant des cheveux crépus s’est toujours heurtée de façon plus ou moins déplacée à ce type d’expérience (« Je peux toucher ? », ou bien toucher sans l’aval de la curiosité en question). Une expérience qui peut, au sein d’un espace public où le Regard est juge, être ressentie comme humiliante. Pour s’en faire une idée plus claire et plus développée, regarder le film Vénus noire (2010) d’Abdellatif Kechiche, librement inspiré de l’affaire de la Vénus Hottentote.
10 Notamment de ce qu’on peut observer dans le récit-expérience de son film Petit à petit, 1970.