Entretien avec Marc Laudelout : Mister Céline. Docteur Destouches
Comme son nom l’indique, Le Bulletin célinien (fondé en 1981) est entièrement consacré à l’oeuvre de Louis-Ferdinand Céline. Chaque mois, il rend compte de tout ce qui constitue l’actualité célinienne. Cette revue indispensable est dirigée, avec la plus grande rigueur, par Marc Laudelout. Entretien publié dans Rébellion 29 – Mars/Avril 2008
Comment devient on célinien ? Qu’est ce qui vous touche le plus, personnellement, dans les écrits de l’auteur de Mort à crédit ?
Tout a commencé par la découverte du Voyage au bout de la nuit dans la bibliothèque paternelle alors que j’avais une quinzaine d’années. Ce fut un grand choc. La lecture des autres romans suivit, dont précisément Mort à crédit qui constitue, selon moi, son chef-d’oeuvre absolu. Ce qui me touche le plus, c’est l’harmonie entre l’univers célinien et le style à la fois si original et si prenant. J’apprécie beaucoup aussi ce mélange de comique et de tragique qui est, comme l’avait noté Céline lui-même à propos de Shakespeare (auquel il n’avait garde de se comparer !), la marque des grands écrivains. J’admire chez lui ses dons multiples qui en font à la fois un grand écrivain expressionniste et un polémiste étincelant qui, même lorsqu’il se fourvoie, ne perd pas son talent. J’ajoute que Céline n’est pas que le vociférateur qu’on dépeint souvent : c’est aussi un chantre lyrique de la danse, de certains paysages maritimes, de la beauté féminine,… Ajoutez à cela un grand talent d’épistolier (que La Pléiade célèbrera cette année), et vous aurez une vision presque complète de sa valeur en tant qu’écrivain.
Comment expliquer le regain d intérêt pour l’oeuvre de Céline depuis quelques années ? En rentrant dans les «classiques» de la littérature a-t-elle perdu de son aspect subversif ?
Je pense que, par son langage et sa façon de voir l’humanité, Céline est en phase avec son époque. Le fait qu’il soit devenu un classique n’a en rien entamé l’aspect subversif de son oeuvre, d’autant qu’une partie de celle-ci demeure sous le boisseau. Or, ses écrits de combat constituent aussi de grands moments de littérature, comme je l’ai indiqué. L’oeuvre célinienne est avant tout subversive dans la mesure où sa vision de l’homme est décapante et débarrassée des idéologies sclérosées. Ce qui est subversif chez lui, c’est une grande lucidité alliée à une sorte de mysticisme athée. C’est ce mélange qui est détonant.
Le pessimisme célinien ne laisse que peu de place à l’espoir. Dans cette vision extrêmement noire de la vie, n’y a t il donc rien au bout de la nuit ?
Céline a, en effet, une vision assez noire de l’humanité mais il y a des éclaircies dans son oeuvre personnalisées par des figures inoubliables, tel le sergent Alcide, dans Voyage au bout de la nuit, qui rachètent toutes les autres. Paradoxalement, c’est dans Les Beaux draps, publié en 1941, que Céline est le moins pessimiste puisqu’il y propose un véritable programme de régénération nationale qui passe notamment par une réforme radicale de l’enseignement ainsi que par l’organisation de la société française sur des bases communautaires.
Quel rôle joue l’humour si particulier qui émane tant de l’oeuvre que du personnage lui-même ? Serait-ce une catharsis de la misère humaine, une échappatoire ou bien l’ironie du désespoir ?
Un peu tout cela à la fois… C’est surtout, chez Céline, une arme redoutable. Lorsqu’il est en exil au Danemark, il menace ses épurateurs d’un pamphlet vengeur, sachant très bien combien sa vis comica est puissante et dévastatrice. À l’instar de Proust, Céline est un très grand auteur comique, ce qui n’exclut ni profondeur ni gravité.
Dans l’écriture de Céline on trouve un mélange de colère et de fureur. Quelle place tient la révolte dans ses écrits et dans sa vie ?
Céline est, en effet, un homme en colère, fustigeant la société matérialiste de son temps et ses contemporains qu’il trouve lourds, préoccupés par des frivolités et subissant des influences délétères. Cette colère est aussi liée à l’histoire : ancien combattant de la guerre 14-18, blessé dans sa chair suite à son attitude héroïque, il refuse avec force un nouveau conflit franco-allemand qu’il estime fratricide. Ce pacifisme extrême l’amènera, comme on sait, à préconiser une alliance avec l’Allemagne nationale-socialiste.
Beaucoup de ses amis relevaient la grande différence entre l’homme qu il était vraiment –fidèle en amitié, médecin généreux et ami des bêtes – et le personnage de clochard misanthrope qu’il jouait dans les dernières années de sa vie. N’est ce pas là le plus paradoxal dans sa personnalité?
Céline, né sous le signe des Gémeaux, était un être très ambivalent, tour à tour avare et généreux, sensible et dur, compatissant et misanthrope, altruiste et indifférent,… C’est, en effet, une personnalité très paradoxale. Cela étant, il faut distinguer le Céline des années 20-40 et l’altruiste profondément déçu revenant d’exil. Nul doute que quelque chose s’est brisé en lui durant les dix-huit mois de réclusion qu’il fit au Danemark. Ces épreuves n’ont fait qu’accentuer sa misanthropie foncière. S’il ne s’est jamais renié, il regrettait, à la fin de sa vie, de s’être occupé de politique, estimant, disait-il, que ces problèmes le dépassaient de beaucoup.
A quel niveau placer «l’engagement politique» de Céline ? Est il pour vous, comme Marc Crapez le décrit dans son livre La Gauche réactionnaire, le dernier représentant de l’esprit sans-culotte hébertiste ?
Il faut se méfier des étiquettes. On trouve, en effet, chez Céline des accents hébertistes mais on peut aussi le rattacher à d’autres courants proches de l’anarchisme de droite qui suppose un regard sans complaisance sur le peuple tel qu’il est et non tel qu’on l’exalte. Lui-même se disait communiste mais « communiste d’âme » et bien entendu antidémocrate, résolument hostile à la dictature de la majorité. « Les cons sont la majorité, disait-il, c’est donc bien forcé qu’ils gagnent ! ».
La filiation littéraire de Céline est glorieuse – François Villon, Rabelais, Jules Vallès, Proust – comment a-t-il intégré ses influences dans son travail ?
Céline a créé son propre langage en parfaite adéquation avec son univers baroque mais il est évident qu’il ne part pas de nulle part. Les influences qu’il a subies sont multiples. Il avait une grande admiration pour les classiques, dont Chateaubriand et La Fontaine mais aussi les écrivains que vous citez, y compris Proust, si éloigné de lui, auquel il reconnaissait un incontestable don de créateur. À la fin de sa vie, il disait son estime pour trois écrivains contemporains : Henri Barbusse, Charles-Ferdinand Ramuz et Paul Morand (première manière) dans la mesure où eux aussi étaient parvenus à introduire l’émotion du langage parlé dans leur écriture.
On a dit aussi que Céline avait lu et apprécié Nietzsche. Pourtant, Lui-même ne l’a jamais évoqué directement dans son oeuvre ?
Céline était très discret sur ses lectures. On sait que, durant sa période londonienne, il fut un grand lecteur de Nietzsche qu’il citera plus tard (parfois sous forme allusive) et dans son oeuvre et dans sa correspondance. À cet égard, je vous recommande la lecture du livre de Anne Henry, Céline écrivain (L’Harmattan, 1994) qui montre avec talent la proximité de la pensée de Céline avec celle de Nietzsche mais aussi de Schopenhauer.
Vous dirigez Le Bulletin célinien, pouvez nous vous présenter ses activités ?
Le Bulletin célinien, qui en est à sa 27ème année, a essentiellement pour vocation de rendre compte de l’actualité célinienne (publications, colloques, adaptations théâtrales, échos de presse, etc.) mais publie aussi des études, des témoignages et divers documents relatifs à l’homme et à l’oeuvre. Je me considère, sans fausse modestie, comme un publiciste célinien, pas davantage. Le seul titre de gloire de la revue que j’anime est d’être l’unique mensuel consacré à un écrivain. En marge de l’édition de ce périodique, j’édite aussi des disques consacrés à Céline (Robert Le Vigan, Arletty, Albert Paraz, etc.) et des livres. J’ai notamment publié des ouvrages d’Alain de Benoist, Pol Vandromme, André Parinaud et Henri Poulain traitant de l’écrivain. En septembre prochain sortira le 300ème numéro du Bulletin…
Le prix de l’abonnement est de 47 € (France et Belgique). Pour les pays extra-européens l’abonnement est de 51 €. L’abonnement comprend les onze numéros de l’année en cours.
Le Bulletin Célinien
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