La pornographie : L’autre discours dominant
Avec les nouvelles technologies la pornographie s’est répandue dans le monde entier et dans toutes les catégories sociales. Finis les magazines volés, les images cachées et les difficultés d’accès. Une connexion internet permet à n’importe qui de trouver des vidéos pornographiques.
A chacun ses goûts ! Divisée en catégories variées et internationales la pornographie 2.0 classe et segmente les pratiques sexuelles pour faciliter l’accès de clients qu’on espère payants. Or, derrière cette facilité et cette passivité des autorités (qui ne traquent que la pédophilie) se cache un discours dominant extrêmement clair et à rebours des beaux discours officiels.
Aux origines d’une secte élitiste
La pornographie moderne est née du refus de quelques marginaux de suivre la morale de l’Eglise. Au XVIII°s, certains intellectuels éclairés comme Mirabeau ou Voltaire écrivent et publient (souvent anonymement) des textes pornographiques : le but est de scandaliser, ridiculiser tel ou tel puissant mais surtout affirmer une liberté de mœurs et de création contre la rigueur morale entretenue par l’Eglise depuis des siècles. Qui ne connaît pas les exploits de Casanova ? Devant l’impossibilité de savoir ce qui se passait vraiment chez les gens ordinaires, le discours pornographique est avant tout celui de certaines élites. Le jeune Louis XIV puis Louis XV pratiquèrent sans retenue le sexe sans complexe. Une façon d’affirmer le pouvoir d’un monarque absolu ? Sans doute.
Même constat pour l’Antiquité romaine : certaines « élites » se présentaient volontiers comme pratiquant qui l’orgie, qui la prostitution, qui des plaisirs « grecs », etc. Une façon de plus pour les puissants de se distinguer de la masse qui éteignait la bougie au moindre signe d’impudeur… A cette époque déjà la pornographie est LE discours de la domination sociale, la définition d’un possible uniquement réservé aux seuls bien nés…
Mais les élites sont, en la matière, schizophrènes : les pouvoirs hésitent souvent entre répression et tolérance vis-à-vis de la publicité des actes sexuels. Ainsi l’empereur Auguste tenta de rétablir des mœurs exemplaires en chassant le poète Ovide.
Il en va de même dans les années 60-70, quand la France gaullienne est parasitée par une production discrète et souterraine d’images puis de films pornographiques. Comme au XVIII°s la pornographie est une sorte de contre-discours qui se veut libertaire. Il est animé par des réseaux petits-bourgeois qui souhaitent échapper autant à la morale gaulliste qu’à « l’éthique prolétarienne » du PCF. Une partie de l’extrême gauche critique aussi la pornographie amalgamée à l’époque à l’homosexualité (LO actuellement par exemple). Difficile de dire comment le « public » perçoit ces « œuvres ». Il s’agit surtout de prostitution filmée et rarement de manifeste politique…
L’explosion libérale
Avec la vague libérale des années 1980 la pornographie n’est plus une niche marginale vaguement contestataire mais une catégorie médiatique de plus. Une nouvelle distraction à destination des adultes. La chaîne à péage Canal + fait son miel du foot et du X dès son lancement en 1984. Là aussi le discours est strictement capitaliste : ceux qui paient accèdent aux images, les autres, non.
Fin du discours libertaire, affirmation du discours dominant : ceux qui ont les moyens peuvent consommer… du sport, des films avant les autres, de la pornographie ! Après les idées libertaires, le discours libéral ! Il en sera de même du Rock et du Rap : souvent la Femme est réduite à son seul physique stéréotypé. Une figure moderne de l’esclave antique soumise et passive. Succès massif dans les pays en développement !
Le X repose sur des recettes qui sont toujours les mêmes. Débarrassé de son contenu provocateur, il devient un nouvel académisme dont le discours est nettement « bourgeois » : c’est le « porno chic » dont les codes se retrouvent aujourd’hui jusque dans les publicités ou les films grand public. Voilà pour le X des élites.
Pour les masses le « X amateur » sert de relais au même message : oser, s’exhiber c’est exister à l’heure où la télé réalité recycle les codes « porn ». Des starlettes sans talent se sont lancées comme ça, via des sex tape autrement dit de l’auto-prostitution. Les volontaires louent leur corps et sont indirectement rémunérés via des vidéos payantes. Le modèle économique est clairement précaire : sans déclaration, sans protection sociale, sans droit à l’image, sans frontière, etc. The girl next door devient accessible à toutes et à tous. La machine à fantasmes fonctionne à plein des deux côtés de l’écran. Cette industrie a même été l’une des premières à se délocaliser en Europe de l’est…
Le société de consommation se métamorphose en société de consolation : aux nouveaux exclus de la propriété et de l’emploi est proposée une prostitution multi-scalaire : bienvenue aux auto-entrepreneurs ! La pornographie étant aux jeunes blancs ce que le salafisme est aux jeunes immigrés : un discours d’avant-garde aussi radical qu’illusoire.
Conséquence(s)
Ce marché ultra-libéral sans frontières ni limite ni impôts fonctionne comme les autres marchés du même type : il décuple les inégalités. D’un côté ceux (généralement cachés) qui profitent des flux. C’est le cas des sites internet ou des intermédiaires divers. De l’autre côté les forçats du tertiaire, généralement à la carrière courte et qui sombrent dans une prostitution plus discrète mais pas moins fatale. Les plus chanceux deviennent des proxénètes comme les catins habiles du XIX°s. Pour la piétaille du X les fins de carrière sont sordides : la pornographie reste une activité « pas comme les autres » qui exclut de la famille, de l’entourage, du travail, de la société. Faire du X c’est toujours transgresser publiquement des normes qui structurent la vie sociale. A chacun sa liberté d’avoir les pratiques sexuelles qu’il veut… mais en privé ! L’exhibition publique et la tarification de l’activité pornographique stigmatisent et lient encore plus fortement esclaves et maîtres. La prostitution reste le grand modèle.
Conclusion affligeante En 2008 un hiérarque du ministère de l’Intérieur, ex libertin qui avait filmé ses exploits de jeunesse, a dû quitter sa place quand les images sont réapparues. Dépité, il s’est lancé à nouveau dans le X non sans remarquer que « c’est très mal payé » ! CQFD. (source, blog du Monde : Bib Browser).
Terouga
Article paru dans le Rébellion numéro 64 ( Mai/juin 2014).
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