« L’homme tue et la femme rend fou » : Rien de nouveau sous le soleil de Satan

Connais-tu, lecteur, ce petit matin de janvier où la haine de toi se dispute à celle du monde ? Noël est passé et tu n’as vu personne pour la Saint Sylvestre. Tu dors à peine, pleures sans raison, fixes ton reflet dans le miroir avec des yeux mauvais, et certaines idéations traversent ton esprit au passage du tramway ou à la vision d’un objet tranchant . Oui, ce matin tu le connais ou le connaîtras. Cet au-delà du malheur dont le motif importe peu. La descente aux Enfers, que les sciences de l’esprit avec un e minuscule enclosent dans un mot comme « dépression », est une des trop rares expériences communes – c’est à dire qui nous rapprochent de notre prochain – de ce que Philippe de Vulpillières nomme la Société du Suicide dans son ouvrage L’homme tue et la femme rend fou.

On l’ouvre avec réticence, après la lecture d’une quatrième de couverture énumérant René Girard, Philippe Murray, Tiqqun et Michel Clouscard. La chose ressemble à un énième essai réac de la « mouvance », et le court premier chapitre, intitulé « Ceci n’est pas une blague », s’intéresse au thème vu et revu de la nullité de l’art contemporain. Et quoi après, le féminisme ? Mince, en effet. N’en jetez plus !

Pourtant, ceci n’est pas une blague. La thèse de l’auteur, résumée dans le titre et explorée jusque dans les recoins les moins confortables de nos vies, est d’une simplicité lapidaire : si la violence de l’homme est physique, celle de la femme est psychique ; seule la sagesse de l’un empêche le déchaînement de l’autre ; une société absolument féminisée est donc le lieu de tourments intérieurs inédits, succédant au paroxysme de la violence masculine que fut en Europe la première moitié du vingtième siècle. Se développe, à grand renfort de citations bibliques et d’extraits de presse, une vision totalement cohérente d’un monde dominé par le couple Mammon/Salomé, et dont rien ni personne ne sort indemne. La culture populaire contemporaine en prend pour son grade, et de 50 nuances de Grey au festival de metal Hellfest en passant par la série House of Cards (mais le rap et Game of Thrones auraient pu tout aussi bien servir l’analyse), tout brûle sous le soleil de Satan.

Intéressons-nous à titre d’exemple au traitement réservé à la saga soft porn tendance BDSM d’E.L. James. Après avoir dans les premiers chapitres du livre taillé un costard unisexe à la libération sexuelle et au féminisme qui ont transformé les femmes en gourgandines et les hommes en lâches incontinents, Philippe de Vulpillières s’interroge sur le succès foudroyant (1) d’une histoire tournant autour des sévices infligés par un mâle socialement et sexuellement dominant à une jeune vierge ingénue. « 50 nuances de Grey, c’est l’irruption de la haine de type masculin, celle qui supplicie physiquement, dans la sphère de la haine de type féminin, celle qui supplicie l’être psycho-affectif dans un n’importe quoi orgiaque où font rage les cruelles et iniques hiérarchies du mépris mondain. (…) Le livre d’E.L. James est calqué sur Twilight, c’est-à-dire sur une histoire d’amour avec un vampire. Tournant le dos à la valeur morale pour ne jurer que par la valeur mondaine, nos post-femmes ont, au bout du compte, le prince charmant qu’elles méritent. » Pour avoir abandonné la soumission symbolique au mari prescrite par la Bible et qui était leur devoir au sein de la famille traditionnelle, les femmes en viennent à fantasmer à grande échelle une dégradation physique dont 50 nuances de Grey est une représentation d’autant plus malsaine qu’elle est édulcorée.

Philippe de Vulpillières ne masque pas sa foi, mais semble écrire à destination du lecteur non-croyant, en déployant une théologie de l’abjection dans la lignée de Léon Bloy. Si la critique des mœurs dissolues de l’époque est en passe de devenir un lieu commun (intégré au Spectacle et inoffensif), elle passe généralement par un filtre unique, marxo-orwellien pour certains, religieux pour d’autres. L’auteur mêle les deux, et fait preuve d’une certaine élégance intellectuelle en ne pas se cachant par derrière la Tradition™. Il assume au contraire sans chichi le catholicisme comme viatique. Pour inciter à la sainteté, quel meilleur outil que l’exposition du vice poussé jusqu’à ses dernières extrémités ?

On sort de cet ouvrage abattu par sa cohérence, stupéfait par les échos de nos vies qui résonnent dans ses pages, et tenté par la foi de fin des temps de ce Tertullien du 21ème siècle : Je crois… parce que c’est horrible !

Charles Vincent 

Culture et Racines, 191 pages, 15 euros.

Disponible à la vente : ici

Note : 

(1) L’édition de poche du premier tome est l’ouvrage s’étant vendu le plus vite de tous les temps au Royaume-Uni.

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