Les petites marguerites de Vera Chytilova. : Féminité sauvage, hédonisme et régénération du temps

APPARU DANS UN CONTEXTE HISTORIQUE PARTICULIER, «SEDMIKRASKY» OU «LES PETITES MARGUERITES», DEUXIÈME LONG-MÉTRAGE DE LA RÉALISATRICE TCHECOSLOVAQUE VERACHYTILOVA, EST UNE VÉRITABLE BOMBE À RETARDEMENT POLITIQUE ET DE LOIN UN DES OVNI CINÉMATOGRAPHIQUES D’AVANT-GARDE DES PLUS SINGULIERS. SUR UNE SÉRIE DE PAS LOIN D’UNE QUINZAINE DE FILMS ET AU MOINS AUTANT DE COURTS-MÉTRAGES PAR LA MÊME RÉALISATRICE, IL DEMEURE POURTANT CELUI QUI FERA LE PLUS PARLER DE LUI À TRAVERS LE MONDE ENTIER. DÉFINI COMME UNE ŒUVRE FURIEUSEMENT FÉMINISTE, RÉVOLUTIONNAIRE, LIBERTAIRE ET «PUNK» À TRAVERS LA PRESSE SUBVENTIONNÉE FRANÇAISE CES DERNIÈRES ANNÉES, ON VA ESSAYER DE FAIRE REMONTER EN SURFACE D’AUTRES DIMENSIONS PLUS PROFONDES ENCORE.

Si la nouvelle vague tchécoslovaque s’est construite autour de figure de proue comme Milos Forman («Hair» 1979), Ivan Passer et Jiri Menzel qui rencontrerons plus tard une diffusion internationale conséquente, le cinéma de Chytilova quant à lui résidera à l’ombre du «grand public». Pour causes, le caractère plus difficile d’accès de son œuvre et une interdiction de diffusion de «Sedmikrasky» dans son pays d’origine pendant de nombreuses années pour des scènes de gaspil- lage de nourriture. Mais ici c’est l’accessibilité de ce dernier qui va nous intéresser, car, loin de suivre un certain classicisme ou de s’aligner sur les modèles cinématographiques conventionnels de l’époque, ce nautilus cosmique bouscule les codes et c’est bien là toute sa force. Structurellement le film est déjà assez singulier, il se décompose en une multitude de sketchs qui suivent le quotidien de deux jeunes filles inséparables, entres découpages sauvages, musiques virevoltantes et colorimétries changeantes en des teintes psychédéliques, une véritable performance artistiques. La direction photographique est telle que l’on croirait assister à une performance artistique dadaïste ! Nommées «Marie 1 & Marie 2» les deux protagonistes se complaisent dans une sorte d’hédonisme infantilisant et une défiance envers les hommes, ainsi que tout obstacle sur leur chemin.

Une défiance, oui, mais une défiance ludique, jubilatoire et bien heureuse ! Car si il est question de se jouer des hommes et d’affirmer un certain type de féminité, on se trouve ici aux antipodes d’un féminisme orgueilleux, victimaire et concurrentiel, comme ce que pourrais produire l’époque en matière de cinéma. Il y a une véritable approche naturaliste, pas pour autant de type «traditionnelle», mais ceci dit traversée par une féminité de type aphrodisienne en opposition formelle au type démetrien illustrée par ces nombreuses scènes de festin orgiaques, de nudité et de beuveries explosives. Il n’y a d’ailleurs
qu’elles dans cet univers, elles sont au centre de tout pour renforcer leur présence sidérale et archétypale ! En plus de la couronne à fleurs constamment vissée sur le crâne de l’une d’entres-elles, l’atmosphère générée par ce parfum aussi léger que détonnant rappellerai les échos des cultes bachiques, avec des dialogues allégoriques qui questionnent les principes vitaux avec un sens du sarcasme très développé et répété par leur leitmotiv «de toute façon tout est gâché» à plusieurs re- prises dans le film. Ces deux filles, très attachantes, passent leur temps à rire et saboter les piliers de toute l’époque avec une férocité emprunte d’un ethos «punk», si bien qu’une citation vient à confirmer se retour violent à l’antiquité : «Tu viens d’un autre siècle», en direction d’une des protagoniste.

Les contrastes entre scènes froides – rappelant l’univers cinématographique de Tarkovsky – les segments aux teintes pétillantes et l’intrusion fulgurante de ces deux sauvageonnes appartenant à un autre siècle apportent une dimension contestatrice et libertaire, qui elles, trouve- raient leur écho dans l’oeuvre de Ayn Rand mais surtout de Wyndham Lewis pour son cynisme corrosif. Si un nihilisme de type «actif» est présent dans ce film, il est davantage le fruit d’une volonté d’exister «autrement», se reconnecter avec ses propres sens, se réensauvager et regagner le terrain de l’expression non- muselée, vers une époque immémoriale dont l’utopie hippie de la fin des années 1960 en Occident est le reflet. Entres réflexions philosophiques, performances surréalistes et alchimie de joie irrésistible, «Les Petites Marguerites» se positionne comme le poison d’une fleur aux couleurs vives dans le paysage terne d’une époque de déliquescence civilisationnelle.⧫

Carl Hugo Pinto-Sendra

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