Une révolution silencieuse ?

La révolution, être un révolutionnaire, combien d’images stéréotypés portent ces deux termes. Qu’est-ce donc qu’être révolutionnaire au XXI° siècle ? Les mythomanes d’extrême-droite et d’extrême-gauche projettent sur cette image tous leurs fantasmes et leurs névroses. Pour moi un révolutionnaire est quelqu’un qui trouve que le monde ne va pas comme il est et qui décide de FAIRE AUTREMENT. Pas de bla-bla, pas de rêverie romantique, pas de commentaires sur internet, juste FAIRE AUTREMENT. ( Article paru dans le numéro 76 d’aout 2016 au début de “l’affaire Sivens”) 

Je tiens tout de suite à vous rassurer je ne vais pas vous sortir l’éternelle litanie des impuissants : «Il faut qu’on …, il n’y a qu’à…» , je vais juste vous livrer le témoignage de choses que je connais personnellement et qui se passe dans un rayon de 50 km autour de chez moi, c’est-à-dire un petit village du Sud-Ouest. Chaque lieu, pays, régions, villes, villages offrent des particularités et des terrains d’action qui leurs sont propre. Je ne livre donc pas des modèles qui seraient applicables tels quels n’importe où. Je veux juste montrer qu’ici et maintenant des gens font et organisent sans programme, sans slogan ce qui pourrait bien être une révolution, une révolution de la common decency, une révolution silencieuse.

Il y a encore quelques décennies il y avait dans les villages de nombreux bars qui étaient des lieux d’échanges et de rencontres. Depuis quelques années des bars associatifs qui fonctionnent sur un modèle collectif s’ouvrent pour retrouver ces valeurs communautaires. Certains ne sont ouverts que le week-end mais d’autres font aussi office d’épicerie ou de restaurant et animent la vie locale tous les jours. Pour prendre un cas concret le bar a d’abord commencé chez un particulier qui, un soir par semaine, a laissé une partie inoccupée de sa maison à une association locale. Ils ont ainsi constitué un petit «trésor de guerre» pour acheter un terrain. Ce financement a pu se faire aussi par l’organisation de repas dans la salle des fêtes du village. Tout étant, de la cuisine au ménage en passant par le service et l’animation musicale, l’oeuvre de bénévoles réunis autour de ce projet commun. Tout cela doit paraître bien ridicule et anecdotique à tous les révolutionnaires du virtuel, pourtant nous sommes là au coeur d’une véritable démarche anticapitaliste et communautaire. Le but premier n’étant bien sûr pas de faire de l’argent mais de se retrouver ensemble, d’unir les générations et les classes sociales autour d’un projet commun fédérateur. Une fois le terrain acheté des artisans locaux se sont proposés pour gratuitement faire tels ou tels travaux, d’autres personnes ont fourni les matériaux et ceux qui n’ont rien ont proposé leurs bras pour participer aux chantiers collectifs. Les chantiers collectifs sont aussi une chose que l’on trouve dans de nombreux villages. Il s’agit là aussi de participer à des travaux, le plus souvent chez un particulier, mais aussi de se retrouver ensemble, d’échanger des savoirs, sans se préoccuper de salaires, ni de temps de travail, ni de temps de pause, juste sortir le travail de l’ornière capitaliste où il est vécu comme un pis-aller, une punition, pour lui rendre une dimension humaine.

Dans un autre village s’est ouvert une friperie associative qui avec le temps a ouvert d’autres friperies dans d’autres villages. Le but, comme pour le bar, est l’entraide et la communauté (sans que cela ne soit jamais explicitement formulé comme cela). Des bénévoles récoltent des vêtements, les trient et les mettent en vente à des prix modiques dans ces boutiques car il ne s’agit pas de faire de l’argent, d’être rentable mais d’aider ceux qui ont peu de moyens et de se rassembler autour d’un même projet concret. On n’est pas chez les Marchands du Temple d’internet, e-bay ou autres, on est dans le concret, la vraie vie, la relation d’être humain à être humain. Dans un des villages la friperie a au début rencontre assez peu de succès mais les bénévoles locaux étaient si enthousiastes et si investis autour de ce projet que l’association l’a laissée ouverte. Car tout cela est un travail d’enracinement à long terme et pas une entreprise commerciale saisonnière. La vente de vêtements à petit prix n’est pas la seule activité de cette association. Au mois d’octobre elle loue un pressoir à pommes qu’elle installe au centre d’un village. Pendant 3 jours (vendredi,samedi,dimanche) on amène ses pommes, on donne un coup de main pour le pressage manuel et on repart avec sa bouteille de jus. La seule participation financière demandée étant l’achat de la bouteille en verre vide que l’association vend. Les bénévoles de l’association et tous ceux de bonne volonté ramassent quelques semaines avant des pommes dans les vergers des environs, ainsi l’association vend son propre jus de pomme tout au long de l’année. Un autre moyen de financement est aussi la vente de sandwichs dans un petit festival local. Les gains ainsi réalisés financent l’entretien des locaux (EDF, chauffage et autres) et a permis à l’association de créer un emploi à temps partiel.

Prés d’un autre village un collectif a racheté une ferme en ruine ainsi que les terrains autour. Pour rembourser les sommes empruntées ils font les marchés et ont crée un terrain de camping où l’été ils assurent l’accueil des vacanciers et où ils mettent en vente leurs produits (essentiellement fromages, légumes et fruits). Le but n’est pas de faire de l’argent avec les touristes mais de rencontrer des gens qui comprennent leur démarche. Ils ont pu réussir là où tant d’autres ont échoué car ils se sont tout de suite mêlés à la vie villageoise locale et ont fait participé les gens du coin à leurs projets.Car une des erreurs fondamentales que font les idéologues de salon avec leurs projets néo-ruraux c’est d’arriver avec leur projet théorique «clé en main», sans tenir compte des spécificités locales. Le milieu rural n’est pas un monde vide attendant les lumières d’esprits éclairés. Je connais une commune de 300 habitants où aux dernières élections municipales il y avait 3 listes de 10 personnes chacune: 10% des habitants étaient candidats ! Je vous laisse imaginer le climat «festif et convivial» que cela génère. C’est un monde complexe avec ses divisions internes mais aussi ces luttes entre néo-ruraux et habitants traditionnels mais aussi entre néo-ruraux, entre ceux qui travaillent comme paysans, ouvriers ou artisans et ceux qui vivent de l’aide sociale. Lutte entre chasseurs et non-chasseurs mais aussi entre les chasseurs locaux et ceux que viennent des villes pour acheter des terres et les transformer en chasse privée. Lutte entre ceux qui habitent les villages à l’année et ceux qui n’y ont qu’une résidence secondaire, ce qui est loin d’être anecdotique car ces urbains ayant de l’argent achètent chers des maisons, les prix augmentent, ce qui empêche leur acquisition par des gens modestes voulant s’y installer.

Bien sûr tout n’est pas rose et merveilleux. Le monde rural est loin d’être un monde mort ou endormi; il est lui aussi traversé par beaucoup de conflits et d’oppositions. Ces associations, ces collectifs sont elles aussi touchés par des crises, des disputes, des coups de gueule. Mais pourtant ils continuent leur travail d’enracinement qui est un travail lent, il est toujours bon de le rappeler dans notre monde où règne l’illusion de l’immédiateté. Il est sans doute bien excessif de ma part de parler de ces très modestes actions sous le titre de révolution silencieuse. Mais nous sommes au moins avec ces «petits» projets au coeur de l’action anticapitaliste, loin de tous les théoriciens et de leurs utopies. Et ce qui existe ici, existe partout, dans de nombreux villages, dans les villes, dans les quartiers populaires et dans tous les pays. Et pour tous ceux, surtout parmi les militants d’extrême-gauche, qui trouveraient que tout cela n’est qu’une forme d’évasion de petits-bourgeois loin des réalités sociales, je rappellerai que ces mêmes associations, ces mêmes gens, participent aux luttes locales (contre le gaz de schiste ou les éoliennes industrielles) et qu’ils fournissent une large partie de la logistique (repas, couvertures et vêtements, lieux d’accueil) aux militants autonomes engagés dans des luttes, comme à Notre-Dame-Des-Landes ou contre le barrage en forêt de Sivens dans le Tarn. C’est ce qu’on appelle la vraie vie, loin des rêves d’avant-garde révolutionnaire éclairée, de moines soldats. C’est peut- être là qu’est la vraie révolution.

Stéphane C.

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