Un cas d’école : La réponse sécuritaire en France et en Grande-Bretagne :
Article paru dans le Rébellion 101 ( Décembre 2024)
Le 29 juillet 2024, Axel Muganwa Rudakubana passe la porte d’un petit immeuble de la banlieue de Southport en Angleterre. Il entre dans un atelier de danse pour enfants. Rudakubana poignarde 10 personnes, tuant 3 petites filles blanches. L’attaque suscite un émoi considérable. Dès le lendemain, à la tombée du soleil, Southport s’illumine rouge incendie : une mosquée du voisinage est fracturée à coup de pierres, une voiture de police prend feu, des barricades se dressent. Des commerces ethniques et des hôtels accueillant des migrants sont dégradés. Le mouvement se répand à d’autres villes. La foule prends la rue de façon autonome. Les manifestations ont un fort caractère racial, familial et prolétaire. Les poussettes bon marché côtoient les hooligans surexcités. C’est une crise sociale inédite pour la Grande-Bretagne.
Les émeutes ont suscité une condamnation unanime de la classe politique et médiatique britannique. Malgré les discours sévères, la police peine à contenir la colère d’autant qu’au mouvement initial s’est construit une opposition faite de gauchistes et d’étrangers, agressant des manifestants isolés, patrouillant autour des lieux de rassemblements, bloquant l’avancée des cortèges. Cette situation va perdurer pendant deux semaines. Quelle a été la réponse sécuritaire ? Qu’est-ce que ça nous dit de l’appareil répressif français par contraste ?
La réponse britannique : un héritage de traditions
Les vidéos outre-manche montrent des cordons de sécurité très minces, les policiers en sous-nombre n’ayant bien souvent que la stature de l’uniforme pour maintenir les camps à distance. Un commissaire s’exprimant en vidéo sur les réseaux sociaux, ouvrant ses propos par une salutations arabes qui résonne lourd, encadré par des hommes en robes longues typiques, probablement pakistanais ou bangladais. Aussi critique que l’on puisse être, nous sommes loin des pratiques de la police et de la gendarmerie française.
Cette incongruité part des spécificités historiques de la police britannique. Fondée sur les principes posés par Robert Peel au milieu du XIXème siècle, elle se positionne en tant que « public servant », chaque action de sécurité publique devant reposer sur le respect et l’approbation de la population. L’usage de la force est déconseillé. L’implication du public dans le processus sécuritaire est encouragée. Cette philosophe pèse fortement sur les méthodes employées par les forces de l’ordre anglaises. La Grande-Bretagne est l’un des rares pays occidentaux où la majorité des agents de police ne porte pas d’arme à feu en service régulier, leur possession relevant d’unités spécialisées, avec un objectif de limitation de la violence et de désescalade.
Ce système opère donc sur un principe de décentralisation et de délégation aux populations locales. De ce fait, la dispersion des moyens rend particulièrement lent la coordination et la mobilisation d’effectifs qualifiés en nombre suffisants d’autant que les polices britanniques n’ont pas du tout mis l’accent sur les équipements lourds et l’anti-émeute dans leurs plans d’achats. A ce jour, les corps de police britanniques ne disposent pas de véhicules adaptés à l’anti-émeutes encore moins de véhicules spécialisés comme des canons à eaux. Ils déploient en dernier recours des Jankel « Guardians », de simples 4X4 modifiés destinés à protéger les colonnes anti-terroristes.
Les moyens limités des forces de police se confrontent à l’urgence imposée par la posture politique du gouvernement. Les bobbies concentrent donc leur pression sur les émeutiers blancs dont la colère est d’emblée condamné. A défaut de pouvoir les prendre sur le fait, la police convoque les technologies de surveillance pour rattraper les contestataires. Les agents sont ainsi aperçus passant de porte en porte pour interpeller pères et ados grâce à la vidéo surveillance et aux drones. Les tribunaux achèvent ces personnes par de lourdes peines inspirées par la répression de l’hooliganisme, autre grande rébellion blanche.
Cette situation répressive inégale laisse une grande marge de manœuvre aux contre-manifestants, reçus eux comme des interlocuteurs légitimes par les forces de l’ordre et comme des victimes absolues. Les malheureux blancs isolés des cortèges sont laissés pour mort sur les trottoirs par une foule aux accents hideux, couteaux et bâtons dans les vestes noires. Les policiers sont là pour éviter de trop grands débordements et pour leur assurer leur soutien sans faille. L’Etat anglais organise le management racial autour des poussées violentes, régulières mais courtes, entre peuplades s’entassant autour des centres économiques. Il se met en co-gestion voire en retrait au profit des instances communautaires, le peuple autochtone étant vu comme une cohorte statistique égale en valeur à n’importe quelle autre, ses droits niés.
La réponse française : un modèle centralisé
En France, la philosophie de sécurité publique repose sur un modèle régalien centralisé. La population n’est pas normalement impliquée dans les grands processus d’organisation et de gestion de l’ordre républicain. La réponse sécuritaire est unifiée et placée sous une seule autorité, celle de l’Etat jacobin. Cette posture de contrôle sans partage se transmet dans les doctrines de maintien de l’ordre fondée sur la domination et la manœuvre de la foule, avec une trajectoire toujours plus militarisée, l’interdit de la mortalité étant compensé par la diversification des moyens de répression sub-létaux avec l’introduction du flashball et l’usage expansif des gazs lacrymogènes et grenades incapacitantes.
La doctrine du maintien de l’ordre a été totalement repensé dans le sillage des gilets jaunes avec notamment la publication d’un Schéma national de Maintien de l’Ordre opérant le bilan de la séquence et déclenchant de nombreuses adaptations dans les forces :
« Sur la période 2017-2022, les effectifs des Compagnies Républicaines de Sécurité seront renforcés de 215 ETP, ceux des Escadrons de gendarmerie mobile de 300 ETP et ceux des compagnies d’intervention de la préfecture de police de 88 ETP. Cela permettra d’augmenter la capacité d’engagement de ces unités sur des missions de maintien de l’ordre. L’évolution des mouvements de contestation et leur dispersion géographique nécessitent également un engagement fréquent des compagnies d’intervention de la police nationale, et plus récemment, des unités généralistes de la sécurité publique ou de la gendarmerie départementale. Dans de nombreux cas, seules ces forces territoriales sont engagées. C’est pourquoi, dès mars 2019, la police et la gendarmerie ont lancé des programmes de formation spécifiques, qui seront développés afin de préparer au mieux les forces territoriales à ces missions. Ces unités seront également équipées en conséquence. Ainsi, l’ensemble des forces de sécurité intérieure peut concourir, notamment sous le signe de l’urgence, à un service de maintien de l’ordre. »
En binôme sur leurs motos, bâton en main, les Brigades de répression de l’action violente motorisées ou BRAV-M naissent ainsi dans le sillage des Gilets jaunes pour donner une capacité mobile offensive au profit des forces de maintien de l’ordre. Avec un équipement réduit à l’essentiel, ces voltigeurs utilisent leurs bécanes pour contourner bouchons et barricades et aller au cœur de la mêlée. Les CRS organisent également des unités nouvelles conçues pour venir appuyer les compagnies locales avec des compétences spécialisées ou un échelon d’urgence déployable sous court préavis.
Ces créations d’unités s’accompagnent d’une densification du système logistique et technique avec par exemple l’ouverture d’un nouveau centre dédié au maintien de l’ordre au Fort de Villeneuve Saint Georges pour la DOPC de la Préfecture de police de Paris mais aussi d’importants achats : « C’est le plus gros achat de grenades de maintien de l’ordre depuis plus de dix ans. (…) Estimé par le ministère de l’Intérieur à 38 millions d’euros, l’appel d’offres lancé le 10 novembre 2022 vient d’être validé pour finalement plus de 78 millions, pour les quatre prochaines années. À titre de comparaison, le dernier achat du genre avait coûté environ 17 millions en 2018 pour 660 000 grenades et 740 000 moyens de propulsions. Ici, la commande est quatre fois et demie plus importante. ». Les matériels lourds sont aussi impactés avec l’acquisition de canons à eau et de blindés auprès de l’industriel Soframe.Outil de communication, le VIPG Centaure est ainsi un véhicule initialement destiné aux marchés militaires. La gendarmerie a acquis 90 unités pour la bagatelle de 70 millions d’euros grâce aux plans de relance après-covid. Les caractéristiques de cet engin laissent songeurs pour son rôle dans le maintien de l’ordre : il offre une protection jusqu’au calibre 7,62 mm ainsi qu’aux IED, mines et menaces NRBC, permettant à son équipage de 12 personnes de déployer son tourelleau télé-opéré équipé d’une mitrailleuse MAG 58 et son lance grenades automatique 30 coups.
La montée en puissance du modèle sécuritaire français
Ces dépenses somptuaires du ministère de l’Intérieur ne se justifieraient pas simplement par la peur des gilets jaunes. Il s’agit d’une réponse dans la durée à une forte dégradation sécuritaire sur le territoire national. Depuis le début des années 1990, l’Etat est confronté à une succession de révoltes dans les périphéries urbaines et dans les confettis d’empire, avec un rythme de plus en plus frénétique, accompagnée par l’agitation de nombreux pans de la société.
En juin 1995, Jacques Chirac annonce la reprise des essais nucléaires en Polynésie française. Le président de ce territoire autonome fuit sous la pression de la foule, les gendarmes sont dispersés par sa violence. L’aéroport et le centre-ville du chef-lieu sont livrés aux flammes. C’est l’intervention de la Légion étrangère qui stabilise la situation.
Octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré décèdent par électrocution en tentant de fuir la police en région parisienne. Les affrontements s’étendent à de nombreuses cités HLM. 6 056 émeutiers interpellés, 1 328 écroués, 233 bâtiments publics détruits ou endommagés et 10 346 véhicules incendiés. En 2010, la BAC élimine le braqueur Karim Boudouda à la suite d’une course poursuite dans les rues de Grenoble. L’espace de trois nuits, des dizaines de personnes détruisent le mobilier urbain, les transports et des services sociaux.
Au-delà des gilets jaunes dont la dynamique est cassée avec l’épidémie de Covid autour de 2020, les Antilles s’enflamment durant l’hiver 2021-2022 suivi au printemps d’une poussée corse avec la mort d’Yvan Colonna en prison. L’ été 2023 est marqué par les grandes vagues de pillages et de destructions dues au décès de Nahel Marzouk. Depuis mai 2024, les forces sont engagées dans l’insurrection de la Nouvelle-Calédonie sur fond de déstabilisation géopolitique. Les nuits martiniquaises sont à nouveau agitées. Mayotte est une poudrière insondable entre submersion migratoire, enfer sécuritaire, pénuries d’eau, épidémies moyenâgeuses, explosion démographique.
Au fur et à mesure que s’aggrave les crises, nous pouvons observer l’assimilation de toute contestation musclée à un acte de terrorisme à réprimer par tous les moyens, justifiant d’autant plus l’emploi d’unités anti-commando comme le RAID ou le GIGN à des fins de maintien de l’ordre, les grandes libertés d’actions offertes aux forces de l’ordre dans la répression des manifestations. Cette politique donne lieu à un nombre très élevés de blessés dans les rangs des policiers et surtout des manifestants avec une part significative de dégâts permanents. 23 personnes ont ainsi été éborgnés au plus fort du mouvement des gilets jaunes, pour une seule condamnation policière.
Face à la désagrégation de la cohésion nationale, l’Elysée est toujours plus dépendant de l’appareil policier, ce qui conduit à une relation ambivalente et tendue entre les deux instances. Les forces de l’ordre ont bénéficié d’avantages divers en termes d’investissements et de primes mais en miroir, la pression est importante sur les personnels en première ligne dont le temps d’engagement croît rapidement, face à des insurgés calédoniens ou des clandestins mahorais, des zadistes, des étrangers entassés dans leurs banlieues poubelles d’autant que la militarisation de l’appareil répressif français n’est pas du tout synonyme d’efficacité. L’Opération Wuambushu à Mayotte n’a eu aucun impact décisif sur la situation du territoire malgré le déploiement de 1800 policiers dont le GIGN et des blindés. Les forces de l’ordre ne sont pas parvenues à contenir la violence des banlieues sur les centres-villes et les zones commerciales lors des émeutes Nahel.
Les empires coloniaux, en s’effondrant, se sont manifestement contractés sur-même, recréant à l’échelle de la métropole des milliers de petits potentats africains. La greffe forcée d’éléments externes sur la vieille racine européenne aboutit à de violentes frictions, encore aggravées par le contexte socio-économique et géopolitique délétère en France et en Grande-Bretagne.
De Londres à Paris, de Birmingham à Lyon, nous pouvons observer les mêmes phénomènes sécuritaires mais des réponses différentes du fait d’histoires socio-administratives spécifiques. La Grande-Bretagne fait le choix de négocier avec ces peuplades, reconnaissant l’existence de leur communauté constituée sur son sol national. La France fait le choix d’une répression généralisée, ne reconnaissant aucun groupe autonome de l’ordre républicain. Le point commun reste le rapport relativiste face à ce qui est désormais considéré comme une masse humaine indifférencié où autochtones et nouveaux arrivants n’ont aucune différence de valeur, où contestataires et véritables terroristes sont traités selon les mêmes mécanismes judiciaires et policiers.
A.B.