Ten German Bombers in the Air
Malgré le titre, je ne vais pas parler de football, ni même de l’aviation allemande pendant la seconde guerre mondiale. Je vais au contraire parler de Théories américaines du bombardement stratégique de Serge Gadal. Au cours de cet ouvrage, Serge Gadal aborde l’ensemble des auteurs et des structures les plus influents qui ont permis par leurs écrits, leurs conférences ou leurs formations l’émergence des théories américaines du bombardement stratégique.
Avant d’aborder les différentes théories et leurs concepteurs, Serge Gadal commence par définir les termes et les concepts sur lesquels vont s’appuyer ces théories. Sont définis en premier lieu, les termes de « doctrine militaire », la distinction entre « tactique » et « stratégie » à savoir selon Clausewitz « l’emploi des forces dans les combats » pour la tactique, et pour la stratégie « l’emploi des combats au but de la guerre »; la guerre étant elle-même définit par Clausewitz au début de Vom Kriege comme « un acte de la force ayant pour but de contraindre un adversaire à accomplir notre volonté ». Cette définition de la guerre a en partie influencé la doctrine aérienne américaine, voyant dans la guerre un instrument de la politique nationale.
Autre concept clef emprunté à Clausewitz, bien que la traduction américaine donne lieu à des interprétations divergentes, le concept de centre de gravité est un concept important pour les théories de bombardement stratégique américaines. En effet pour l’U.S. Air Force les centres de gravités « peuvent se définir comme les caractéristiques, capacités ou lieux géographiques dont une force militaire, un pays ou une alliance tire sa liberté d’action, sa force matérielle ou sa volonté de combattre ». Ce sont précisement ces centres de gravité qui seront, jusqu’à nos jours, à la base des activités aériennes militaires et de leur planification : identification et ciblage des centres de gravité, et supériorité aérienne pour atteindre ces cibles.
Après avoir défini ces termes et ces concepts, Serge Gadal aborde par ordre chronologique les auteurs ou institutions et leurs théories qui reposent toutes sur une philosophie clausewitzienne de la guerre.
Le
premier auteur présenté dans Théories américaines du
bombardement stratégique n’est ni américain, ni aviateur, il
s’agit du général Giulio Douhet, ingénieur de formation et
propagandiste virulent de la puissance aérienne, dont les idées se
sont formées peu avant la première guerre mondiale. Bien que
considérée comme outrancière ou excessive, la doctrine développée
par Douhet a le mérite d’être cohérente.
La doctrine
douhétienne prend racine dans le choc qu’a constitué l’horreur
de la guerre de tranchées et les grandes pertes humaines pour les
nations belligérantes lors de la première guerre mondiale. Douhet
constate que les progrès techniques dans l’armement terrestre
favorisent la défensive qui mène à une guerre d’usure. Au
contraire Douhet voit dans l’aviation une arme offensive par
excellence, dans la mesure où l’avion s’affranchit de toutes
contraintes géographiques et dispose ainsi d’une liberté complète
d’action et de direction, donnant l’avantage à la guerre aux
belligérants qui en feront le meilleur usage. Et le meilleur usage
pour Douhet consiste à obtenir la maitrise de l’air pour ensuite
mettre en œuvre la totalité des ressources disponibles pour
attaquer les centres vitaux de l’ennemi. Il encourage même à
délaisser la défense qui selon lui est couteuse et peu efficace
pour se concentrer exclusivement sur l’offensive afin d’infliger
à l’ennemi des pertes d’une telle ampleur qu’elles
écraseraient sa résistance morale et physique.
Cette volonté
d’écraser la résistance morale et physique se concrétise dans la
guerre totale, où le citoyen participe à la guerre sur le front ou
à l’arrière et où le conflit entre deux armées à laisser place
à un conflit entre deux peuples, deux nations ; le vainqueur
étant celui qui arrive à asphyxier économiquement et
industriellement le vaincu.
Après avoir montré en quoi la
doctrine de Douhet repose sur une conception clausewitzienne de la
guerre, Serge Gadal termine la partie concernant Douhet en abordant
l’influence de ses théories sur ces successeurs dans le domaine, à
savoir William Mitchell et l’Air Corps Tactical School.Ne
voulant pas ôter le plaisir aux futurs lecteurs de l’ouvrage de
Serge Gadal, je me bornerai à passer rapidement en revue les autres
parties de Théories américaines du bombardement stratégique.
Gadal s’intéresse ensuite à William Mitchell dont l’ouvrage
phare est Winged Defense et dont certaines idées auraient été
influencées par la doctrine développée par Douhet (peut-être à
travers le rôle que joua Edgar Gorrell au sein de la mission Bolling
en Italie en 1917). Ce qui est certain, c’est que Mitchell exerça
une influence sur les aviateurs qu’il forma (Thomas Milling,
William Sherman, Kenneth Walker, etc) et qui a leur tour construiront
une doctrine de la puissance aérienne au sein de l’Air Corps
Tactical School.
Serge Gadal aborde ensuite William Carrington
Sherman, chef d’état-major de l’Air Service de la première
Armée américaine dont l’ouvrage Air Warfare est « plus
rigoureux dans son approche et plus équilibré dans son
argumentation » que Winged Defense de William
Mitchell.
Par la suite, Serge Gadal parle de l’Air Corps
Tactical School, créée le 25 Février 1920, dont le directeur était
Thomas Milling et son adjoint William Sherman, auteur d’Air
Warfare. Cette institution, en plus de former les cadres de
l’aviation américaine, eut un rôle prééminent (bien que
non-exclusif) dans la création doctrinale dans le domaine du
bombardement stratégique.
C’est cette théorie du bombardement
stratégique développée au sein de l’Air Corps Tactical
School qui donnera naissance au plan de guerre Air War Plan Division
– I (A. W.P.D.-I), rédigé en Août 1941 par 4 officiers issus de
l’Air Corps Tactical School : le colonel Harold L. George, le
lieutenant-colonel Kenneth N. Walker, le major Laurence S. Kuter et
le major Haywood S. Hansell. L’A. W.P.D.-I se fixait pour but
d’appliquer la puissance aérienne pour briser la structure
industrielle et économique de l’Allemagne. Il s’agissait alors
de définir et analyser les cibles industrielles nécessaires à
l’Allemagne pour continuer la guerre (électricité, transport,
etc). Une fois ces cibles définies et analysées, le plan détaillait
les besoins matériels de l’aviation pour atteindre ces
objectifs.
Enfin le dernier auteur dont traite l’ouvrage de
Serge Gadal est Alexandre de Seversky, né Alexandre Nicolaïévitch
Prokofief à Tblissi en 1894 et qui fut pilote de chasse dans
l’aéronavale russe. C’est après la révolution bolchevik qu’il
rejoignit les Etats-Unis et prit le nom d’Alexandre de Seversky. De
Seversky travailla pour le gouvernement américain en tant
qu’ingénieur et il fut nommé consultant auprès du ministère de
la guerre par William Mitchell. Il réussit à faire connaître au
grand public américain les idées relatives à la puissance aérienne
à travers notamment « des articles de presse, des conférences et
des interventions radiodiffusées ».
Serge
Gadal s’est efforcé tout au long de son ouvrage de donner au
lecteur les éléments pour comprendre la génèse des théories de
bombardement stratégique aux Etats-Unis et leurs développements au
cours du XXème siècle. Il est à noter que l’ensemble de l’œuvre
est extrêmement bien documentée à travers de nombreuses sources,
ce qui est intéressant pour les lecteurs désireux de poursuivre
leur recherche sur le bombardement stratégique.
Le livre est
facilement accessible, même pour les novices dans le domaine
aérien (dont je fais partie). Je conseille vivement de lire Théories
américaines du bombardement stratégique aux personnes
soucieuses de comprendre les concepts et les doctrines qui ont pu
aboutir, entre autres, aux bombardements du Kosovo en 1999 et la mise
à genou de la Serbie.
Florian Lejault.
Serge Gadal, Théories américaines du bombardement stratégique, Editions Astrée, 24,50 €, L’ouvrage peut être commandé sur les grands sites de librairie en ligne ou sur le site des éditions Astrée : www.editions-astree.fr/