Saul Alinsky : pratique et théorie de la subversion
Saul Alinsky est un des inspirateurs de tous les mouvements citoyens qui mettent en avant des particularismes culturels et de mœurs. C’est un penseur de l’activisme de la gauche américaine. Dans la bataille pour l’hégémonie politique, il propose une méthode pratique pour des groupes minoritaires mais fortement implantés au niveau local. Cette méthode pourrait être une source d’inspiration pour les luttes de la France Périphérique.
« Il nous faudrait une bonne guerre » , disent les vieux cons , et ils n’ont pas nécessairement tort. En attendant der große Krieg, il y en a une qui se déroule en permanence sur les télévisions, les murs et les écrans des smartphones : la guerre pour le contrôle des esprits. À l’ère de la démocratie, les décisions politiques sanctionnent ce à quoi la masse a déjà consenti après un long dressage par les médias. Autour de nous se battent les signifiants et les signifiés de groupes d’intérêt, de bandes et de cabales. Si tout est spectacle et que la vérité est dans le tout, alors la vérité est dans le spectacle (syllogisme du pseudo-Debord).
C’est ainsi que Saul Alinsky aurait pu écrire, s’il avait été un théoricien abscons à la française ou à l’allemande. Mais il n’avait pas le temps et il a peu écrit. C’était un pragmatique, un homme qui voulait changer le monde autour de lui. Juif de Chicago, il s’est illustré dans une profession qui ne pouvait naître qu’aux États-Unis : community organizer. Plutôt que de rejoindre un parti politique, cet assoiffé de justice sociale a dédié sa vie à aider les communautés dysfonctionnelles et atomisées – notamment les ghettos noirs – à faire corps et à défendre leurs intérêts, d’abord dans sa ville et ensuite partout où on l’appelait. Un peu avant de mourir en 1972, il a consigné dans le livre Rules For Radicals une méthode de guerre d’influence au sein d’une société à destination des jeunes idéalistes.
La philosophie politique d’Alinsky pourrait s’appeler le révolutionnarisme réformiste. Il articule la société en trois castes : les qui-ont (the haves), les qui-ont-pas (the have-nots) et les qui-ont-un-peu-veulent-plus (the have-a-little-want-mores). Les premiers dominent les autres en persuadant les troisièmes que les deuxièmes sont le problème. Ce métarécit peut sembler naïf, mais la pensée d’Alinsky ne s’attarde guère sur les causes et passe beaucoup plus de temps sur les solutions. Sans trop de messianisme – même s’il dédie son livre à Lucifer, premier des radicaux « qui au moins a gagné son royaume » pour lui – Alinsky propose de changer la donne en commençant au niveau local.
L’aspect organisationnel se base souvent sur des congrégations religieuses, structures de lien social qui recouvrent l’ensemble du territoire américain. La communauté formée, elle, doit se trouver des objectifs communs et définir son ennemi, sa cible, une administration ou un groupe plutôt qu’une idéologie ou une personne. L’objectif : forcer les puissants à réduire les injustices et les inégalités à l’égard des dépossédés en les rendant visibles dans l’espace public et en captivant la sympathie de la classe moyenne.
Les méthodes employées sont parfois de mauvais goût, ce que l’auteur revendique et assume : pour convaincre les gens, il faut parler de ce qu’ils connaissent. Afin d’obtenir des restructurations urbaines pour une communauté noire de l’État de New York, il a un jour menacé de former un cercle autour de la salle de concert de la ville, après que tout le monde ait ingéré beaucoup de haricots blancs pour interrompre la musique avec une symphonie pétaradante. Plutôt que de s’exposer au ridicule d’interrompre cette manifestation de gens plus culottés, l’administration a vite repris les négociations.
S’il n’est pas fin, un coup pareil n’en repose pas moins sur une mécanique réfléchie et condensée dans la partie la plus célèbre du livre : les 13 règles, dont la traduction suit. Peu connu en France, Alinsky a essaimé dans son pays en créant un institut de formation qui a fait des émules. Avant d’être à son échelle détricoteur de société, Barrack Obama a fait ses armes comme organisateur communautaire à Chicago. Plus récemment, la polarisation idéologique entre l’Amérique de Trump et l’autre, a ramené Alinsky dans les débats par l’intermédiaire des avant-gardes, des social justice warriors, des antifas et de l’alt-right qui se réclament de son héritage. Sa lecture donne des clefs de compréhension de la forme toujours plus parodique et outrancière que prend le débat public, là-bas et dans notre province de l’Empire, et sur les mécanismes de création d’une communauté d’intérêt.
Charles Vincent
Les treize stratagèmes
Le pouvoir n’est pas seulement ce que tu as, mais ce que l’ennemi pense que tu as.
Ne sors jamais de l’expérience des tiens.
Partout où c’est possible, sors de l’expérience de l’ennemi.
Force l’ennemi à respecter ses propres règles.
Le ridicule est l’arme la plus puissante de l’homme.
Une bonne tactique est une tactique que les tiens aiment faire.
Une tactique qui dure trop longtemps devient ennuyeuse.
Ne relâche pas la pression.
La menace est généralement plus effrayante que la chose même.
La prémisse majeure de toute tactique doit être le développement d’opérations qui maintiennent une pression constante sur l’opposition.
Si on pousse un handicap suffisamment loin on finit par en faire un atout.
Le prix d’une attaque réussie est une alternative constructive.
Choisis la cible, immobilise-la, personnalise-la et polarise-la.