Requiem pour le peuple d’Artsakh
Ni larmes ni sanglots ! Les Arméniens de la République d’Artsakh n’en ont pas besoin ; ce peuple courageux a déjà assez pleuré ses morts et ses interminables tragédies.
Maintenant, face à la preuve suprême, celle de l’exil, il leur faut du courage et de la foi. Car ce ne sera qu’en cela qu’ils pourront trouver les ressources nécessaires pour perpétuer le sens profond de leur devise nationale, « Nous sommes nos montagnes ». Simple et poétique, elle résume l’aptitude de ce peuple de montagnards habitués à la guerre et aux tragédies de l’histoire : rester debout face à la furie, ne pas céder.
Ils étaient là depuis des siècles, ces Arméniens d’Artsakh. Faisant face à la furie des Mongols, des Perses, des Turcs, des Azerbaidjanais, qu’ils avaient défait entre 1991 et 1994 sans pour autant gagner la paix. Mais le monde a changé, l’époque a changé, et les montagnes, ces traditionnels bastions, n’ont pas pu les défendre face à des armées modernes. Pis encore, la furie ne venait pas exclusivement des ennemis turcs, mais également des « amis » : le gouvernement arménien, avec le premier ministre Nikol Pashinyan dans le rôle du Ponce Pilate ; le contingent de la paix russe, déployé en novembre 2020 pour éviter ce qui vient tout juste de se passer, sommé par les intrigants de Moscou d’assister à la catastrophe les armes aux pieds ; la communauté internationale, pour qui un nettoyage ethnique au Caucase vaut bien quelques contrats gaziers avec l’Azerbaïdjan.
De trahison en compromis, jusqu’à l’épilogue finale, terrible, celui du décret présidentiel du 28 septembre 2023, dans lequel le président de la République d’Artsakh Samvel Shahramanyan annonce la dissolution des institutions et des administrations, rendant effective la disparition de l’Artsakh à compter du 1er janvier 2024.
Ainsi meurt une nation pluriséculaire.
La nation artsakhiote se vide. La route reliant ce qui reste de la République est le théâtre d’immenses bouchons. Les garde-frontières azerbaïdjanais fouillent et arrêtent les quelques hommes politiques et militaires sur lesquels ils arrivent à mettre les mains. Ils sont envoyés à Bakou pour subir des procès farce pour « terrorisme ». Les traîtres ne tarderont pas à se faire reconnaître ; ce seront ceux qui serreront les mains des nouveaux maîtres pour monter des business lucratifs et ainsi donner l’impression que non, le gouvernement azerbaïdjanais n’est pas si mal que ça, et qu’au fond les trente années d’indépendance conquise avec des milliers de morts n’étaient pas vraiment nécessaires.
Mais la disparition de la République d’Artsakh n’est pas seulement une catastrophe humaine et historique. Elle signe également un cataclysme géopolitique. Car c’est bien l’axe panturque qui est renforcé. Les forcenés qui voient en la « punition » moscovite contre le gouvernement traître de Nikol Pashinyan une bonne nouvelle se leurrent pour deux motifs principaux.
D’abord, le panturquisme. Née dans les cercles intellectuels tatars de Crimée à la fin du XIXème siècle, cette idéologie avait été élaborée pour combattre l’Empire tsariste en unifiant en une immense confédération tous les peuples turcophones, des Balkans au Xinjiang chinois. L’Arménie se trouve juste au milieu, et avec sa République jumelle, celle d’Artsakh, elle empêche le risque de jonction. Son démantèlement et l’exode de sa population relancent les idées panturquiste. Celles-ci ne demeurent absolument pas à l’état de simples élucubrations, preuve en est que les Républiques turcophones d’Asie centrale, traditionnellement arrimées à la Russie, commencent à s’approcher de l’Occident via la Turquie. Rendons justice aux camarades nationaux-bolcheviks du parti L’Autre Russie : ce sont visiblement les seuls à l’avoir compris.
Secundo, la politique d’alliances de la Russie. Laquelle a lâché la communauté arménienne la plus russophile du Caucase pour se rapprocher de l’Azerbaïdjan pro-occidental et anti iranien, et punir le gouvernement d’Arménie – en réalité, en lui faisant un cadeau, Pashinyan n’attendant rien d’autre que de se débarrasser du « fardeau » d’Artsakh. Et si pour négocier ailleurs dans le futur la Russie décidait d’abandonner la Transnistrie à la Moldavie, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie à la Géorgie ? Ou de retirer les troupes des pays africains où elles ont été accueillies les bras ouverts par la population locale ? Lâcher le gouvernement syrien aussi en échange de garanties pour leurs bases navales en Lattaquie, pourquoi pas ?
Quoi qu’il en soit, ce sont les 120.000 Arméniens d’Artsakh qui pâtissent de ces jeux infâmes. Si vous souhaitez leur apporter une aide, faites-le selon vos moyens et possibilités. Si vous avez le temps et l’opportunité, rendez-vous sur place en vous engageant dans les nombreuses organisations et associations qui travaillent sur le terrain : Croix rouge, Santé Arménie, Solidarité Arménie, Croix bleue, SOS Chrétiens d’Orient. Toute sorte d’expertise y sera la bienvenue, de la bonne volonté à l’interprétariat, des compétences en matière sanitaire à celles humanitaires.
Si au contraire vous ne pouvez pas vous déplacer, envoyez-leur de l’argent, participez aux manifestations, soyez pragmatiques et écrivez des lettres au député de votre secteur, sollicitez votre mairie, votre paroisse, rassemblez-vous !
L’Artsakh s’effondre, à nous tous de faire en sorte que cela n’advienne pas dans le silence et l’indifférence !
Maxence Smaniotto pour Rébellion