Réflexions sur la vie en communauté et les Zones Autonomes Durables
« Le monde, depuis un siècle, évolue à pas de géant. Tout se précipite : le vent du progrès nous coupe la face. Amer symptôme : l’accélération continue est le propre des chutes plutôt que des ascensions. » Gustave Thibon
Lors d’un précédent numéro de Rébellion ( texte paru dans le Rébellion 69 ) , nous avions évoqué la nécessité, pour tout mouvement révolutionnaire décidé à aller jusqu’au bout de sa logique, de joindre la sortie intellectuelle du monde moderne à sa sortie matérielle. Nous avions alors esquissé quelques pistes à destination de ceux qui souhaitaient s’installer hors des villes, devenues l’épicentre de la servitude moderne.
La ZAD est partout !
Dans cet article, nous continuerons dans cette voie en nous intéressant à ce qui permettrait, selon nous, de faire d’une communauté autonome une création pérenne et efficace. Les ZAD, ou Zones Autonomes Durables, souvent appelées également Zones A Défendre, ou Zones autonomes Permanentes, ont été un des moyens de structuration et d’action politique des réseaux de militants écologistes radicaux, très liés aux milieux d’extrême-gauche. Le terme Zones Autonomes Permanentes est un dérivé de la notion de Zones Autonomes Temporaires (ZAT ou TAZ en anglais) principe développé par Hakim Bey dans son essai du même nom. Hakim Bey, anarchiste et soufi, évoluera d’un traditionalisme guénonien à un anarchisme situationniste dans les années 1980. Il vivrait aujourd’hui séparé du monde moderne dans une « Zone d’Autonomie Pastorale », se revendiquant des luddites, des Amish, ou de Thoreau (sur cet auteur nous renvoyons les lecteurs à l’article sur les sources de l’écologie de Marie Chancel publié dans le numéro 67 de Rébellion).
Il nous semble intéressant, au vu de la réussite tactique des ZAD, d’en faire une critique constructive afin de permettre aux révolutionnaires d’en tirer le meilleur tout en laissant de côté leurs limites et leurs erreurs. Comme dans tous les cas où la théorie laisse la place à la pratique, les limites constatées dans les ZAD contemporaines nous semblent liées à des erreurs théoriques.
Il faut toutefois préciser dès maintenant que, comme dans de nombreux cas, le traitement médiatique cache les nombreuses différences et dissensions existant au cœur de la ZAD, et que considérer les zadistes dans leur ensemble comme partisans d’une théorie unique est une erreur, voire un mensonge
Nous mettrons de côté dans cet article les divers parasites des ZAD (punks de lycée, teufeurs qui sont là pour la fête, récupérateurs de la gauche classique mais surtout des milieux d’extrême-gauche qui s’attribuent le combat de la ZAD alors qu’eux-mêmes ne sauraient pas construire un abri ou faire pousser des tomates) et nous nous concentrerons sur ce qui fait l’unité des composantes de la ZAD et les erreurs théoriques des activistes de premier cercle (le noyau militant).
Refuser le règne de la quantité
Première erreur théorique, leur conception libérale de l’Homme. En effet, fidèles en cela aux théories modernes humanistes et égalitaristes, l’être humain est pour le zadiste uniquement le fruit de son environnement social, excluant de fait tout caractère inné et toute inégalité de capacité. Ils mettent toutes les différences de l’existence sur le dos de la famille, de l’Etat, de la morale totalitaire, etc… Cette vision utopique, un révolutionnaire authentique ne peut l’accepter.
Conséquences multiples de ce principe : pour les zadistes, un homme en vaut un autre, n’importe qui peut être paysan, artisan ou professeur pourvu qu’il en ait envie. Or, dans les faits, le seul domaine où un homme puisse réellement en valoir un autre est le domaine numérique (base de la conception de la démocratie moderne et du vote, où une voix vaut une voix), caractéristique précise du règne de la quantité (nous renvoyons à ce propos les lecteurs à l’ouvrage du même nom de René Guénon),
Or il est évident que certaines personnes sont plus douées que d’autres dans certains domaines. Il apparaît alors nécessaire que les révolutionnaires, dans leur conception de la communauté de lutte comme dans celle de l’avenir, faissent la conception traditionnelle de vocation. Ce terme aujourd’hui voué aux gémonies par une humanité refusant ses propres limites, conditionne la fonction d’un individu, c’est-à-dire le rôle que celui-ci est appelé à jouer dans sa communauté et son devenir.
La nécessaire vocation
En effet, on ne s’improvise pas paysan ou artisan, et il est des domaines où la bonne volonté, bien que toujours et partout nécessaire, a ses limites. Dans notre société où la transmission des savoirs et des techniques traditionnelles a quasiment disparu, il est nécessaire que les révolutionnaires, pour retrouver ce savoir, se forment et apprennent. Cela en adéquation avec leur convictions intimes et le rôle qu’ils se savent (ou pensent savoir) être appelés à jouer.
Si cela est toujours possible sur le court terme avec des enjeux peu importants, on ne peut pas organiser une communauté durable en apprenant uniquement « sur le tas », du moins pas tant que celle-ci ne sera pas en capacité d’assurer elle-même ces formations. De nombreux livres, associations, sites internet, etc., permettent d’accéder à un certain savoir, bien que souvent, l’érudition ne se suffise pas en elle-même et qu’il soit toujours nécessaire de mettre les pieds dans un champ, un atelier, une caserne ou une forge.
Nous tenterons, à la fin de ce texte, d’établir une liste (non exhaustive) de sources concernant le domaine agricole uniquement, le seul en lequel nous sommes qualifiés. Nous mettons en garde contre la saine tentation de vouloir « tout savoir » et d’être formés dans tous les domaines : s’il est effectivement conseillé de savoir s’occuper d’un peu de tout, il n’est possible de ne réellement suivre qu’une voie, et l’on ne peut devenir réellement bon dans un domaine qu’en s’y consacrant pleinement. S’il est nécessaire pour un paysan de se confectionner des outils et d’entretenir ses bâtiments, il semble plus difficile de s’occuper de champs tout en étant un ébéniste de qualité et un forgeron chevronné.
La nécessaire transcendance
La deuxième erreur théorique que l’on retrouve de façon quasi-permanente dans toutes les orientations idéologiques et pratiques des mouvements alternatifs contemporains est la « sacralisation » de la volonté humaine, comme moyen de concevoir et mettre en place une autre société. Si effectivement la volonté est un préalable nécessaire à toute création, le simple fait de vouloir changer quelque chose n’a en réalité qu’un effet au mieux temporaire, et dans la plupart des cas aucun effet du tout, sur la structure sociale et ses évolutions.
De fait, la volonté, comme toute valeur spécifique du monde matériel humain, est quelque chose d’inconsistant, de changeant, et les expériences révolutionnaires qui ont avorté, tout en étant pourtant basées sur une volonté de fer, sont légion. Il est nécessaire, pour tout mouvement désirant construire quelque chose de stable et de durable, d’avoir des membres liés non pas seulement par un désir commun, mais aussi par une communauté de l’esprit et de la transcendance, liés donc par ce que tout groupe social peut avoir de plus élevé. Cela signifie donc également qu’un groupe révolutionnaire efficace doit choisir ses membres non pas sur la base de leur bonne volonté, mais sur celle de leur qualité et de leur capacité à reconnaître et accepter ce qui est au-dessus de leur volonté propre. Les convictions des lecteurs les inclineront à y reconnaître Dieu, le Destin ou la Nécessité, mais tous ont en commun d’accepter, avec humilité, quelque chose qui leur préside et est supérieur tant à leur ego propre qu’à la somme des ego d’un groupe. C’est ce concept de transcendance qui manque à toutes les tentatives d’alternatives qui ont échouées.
Une longue marche
D’autre part, accepter les limites de l’ego permet également se prémunir d’un autre mal assez courant qui est celui de vouloir vivre et jouir des changements que l’on cherche à provoquer.
S’il est évident aux yeux de tous que la situation écologique est catastrophique et qu’ une réaction immédiate nécessaire, il est contre-productif de partir sur l’idée que nous vivrons le retour à l’Age d’Or.
Les changements que nous voulons sont d’une telle importance qu’il n’est au final pas raisonnable de les penser (et donc de les construire) sur le court terme. Or une idée omniprésente dans la théorie de l’extrême-gauche en particulier, et des mouvements écologistes, est le « nous voulons tout, tout de suite et ici » caractéristique des mouvements spontanéistes ; on voit ainsi des zadistes s’imaginer pouvoir créer aussi simplement qu’ils en ont envie une société anticapitaliste à côté de la société capitaliste, un îlot de socialisme au sein du libéralisme. Si bien évidemment nous appelons à quitter le monde moderne, ce n’est pas dans l’idée que le paradis perdu nous attend dans les vallées oubliées des Pyrénées ou les forêts du Massif central.
Pour conclure, voici ce que nous conseillons à ceux qui, par leur envie légitime de sortir de l’avachissement capitaliste, veulent redonner un sens à leur vie à travers celui de la communauté rurale : ne jamais présumer de ses capacités mais se former tous les jours ; ne jamais se contenter de ce que l’on arrive à créer mais reconnaître sa valeur profonde, comme précurseur de changements plus grands dans un avenir plus ou moins proche ; enfin, toujours garder à l’esprit que notre ego humain n’est rien au regard de ce qui est au-dessus de nous, et qui est la véritable cause de nos succès.
NOTE :
Sources et documents de formation dans le domaine agricole :
-Les éditions La France Agricole proposent plusieurs collections d’ouvrages très accessibles mais bien souvent excessivement chers. Les éditions Educagri, issues de l’enseignement agricole, proposent également des ouvrages très accessibles, notamment des ouvrages destinés aux étudiants de tous niveaux. D’autres maisons d’édition, en particulier issues des instituts de recherche, proposent des ouvrages tout publics et d’autres réservés aux spécialistes et également hors de prix : les éditions Quae, les éditions Arvalis… Les éditions Sciences et techniques agricoles de Dominique Soltner proposent des ouvrages très intéressants et relativement accessibles. Les éditons Rustica, elles, proposent surtout des ouvrages destinés aux non-professionnels, sur la pratique agricole en amateur.
-De nombreux sites internet, comme aryanalibris.com, proposent gratuitement des ouvrages numériques concernant l’agriculture en amateur, très souvent avec des systèmes de cultures alternatifs et intéressants, ainsi que des ouvrages concernant de nombreux autres domaines comme la maçonnerie, le travail du bois. Il faut toutefois, au vu de la qualité relative de certaines publications, faire un tri drastique.
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