Le soulèvement de la Commune de Paris
Devenue un mythe pour le mouvement ouvrier, la Commune de Paris a fait l’objet d’une multitude d’attaques et de récupérations. Aujourd’hui avec l’oubli progressif des enseignements de l’Histoire, son souvenir est menacé de disparaître derrière les vitrines poussiéreuses de musées ou d’être dénaturé par ses fossoyeurs. Il nous paraît important de revenir sur cet événement fondateur de notre courant de pensée, de réfléchir à ce qu’il fut réellement et d’en tirer de vigoureuses leçons pour notre combat actuel. La Commune fut une révolution mue par le patriotisme, porteuse d’une conception du socialisme hostile à la centralisation étatique et animée par l’amour de la justice et de la liberté. Elle n’a pas jailli ex-nihilo le 18 mars 1871.C’est le fruit d’une longue maturation, de la conjonction d’un crise sociale profonde, d’une catastrophe et de l’engagement d’hommes et de femmes portés par une foi inébranlable dans la Révolution.
Le Paris populaire se lève
La crise sociale est le fruit de cette colère populaire devant une bourgeoisie qui s’enrichissait seule, soutenue par le Second Empire puis par Thiers. Et face à cette classe arrogante de plus en plus riche, nous avons une population ouvrière dont la condition ne cesse de se dégrader. De 1852 à 1870, l’indice moyen des salaires parisiens a augmenté de 30 % alors que le coût de la vie a progressé de 42 %. La catastrophe, c’est la défaite de Sedan devant les Prussiens, le 2 septembre 1870. Le régime de Napoléon III s ‘effondre lamentablement à la suite d’une guerre mal préparée. Deux jours plus tard le peuple parisien chasse les derniers fonctionnaires de l’Empire. Mais les politiciens beaux parleurs s’empressent de reprendre les choses en main. Comme en 1789 et en 1848, le pouvoir est confisqué par la bourgeoisie. Dès lors, elle ne pense qu’à capituler, car, les hommes du nouveau gouvernement « haïssent moins les Prussiens que les ouvriers ». La peur les gagne quand ils voient que les éléments les plus résolus du Peuple – ouvriers et artisans ainsi que les petits commerçants des faubourgs parisiens- veulent poursuivre la guerre et libérer le pays de l’envahisseur. Regroupés au sein de la Garde Nationale, ils réclament des armes pour résister. Jules Ferry, membre du gouvernement, dira avec mépris : « on ne met pas des armes dans les mains de tant de mauvais sujets ». Dans la capitale, on ne compte plus les associations de quartiers, patriotiques et révolutionnaires, qui s’organisent pour faire face à la menace prussienne. Les milieux ouvriers des grandes villes travaillés par les activistes révolutionnaires (principalement blanquistes) sont les plus ardents pour refuser un armistice qui mutilerait le pays et pour réclamer, comme en 1792, une levée en masse afin de défendre la patrie en danger. Après que le siège fût mis devant Paris, ils mèneront un combat héroïque de cinq mois. Malgré la famine et le froid de l’hiver, les Parisiens tiennent bon. Mais pendant ce temps, le gouvernement négociera en sous main avec Bismarck et refusera de venir à l’aide de la capitale. C’est l’immonde Thiers, l’homme des grands patrons et des banques, qui se voit confier la direction des négociations. Thiers c’est encore ce politicien sans scrupule, élu par républicains et conservateurs réunis, celui qui en 1850, voulut supprimer le suffrage universel en faisant retirer le droit de vote à trois millions d’indigents qu’il traitait de « vile multitude ». Son but est clair : « Faire la paix et soumettre Paris ». La capitulation est signée le 28 janvier 1871. Les souffrances et les pénuries accumulées, la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine et le versement d’une indemnité de guerre de cinq milliards de francs, rendent la défaite odieuse et inacceptable à beaucoup. Le patriotisme révolutionnaire de la Commune se nourrira d’un terrible symbole : l’entrée des troupes allemandes victorieuses dans Paris sous la protection apparente des troupes restées fidèles au gouvernement. L’élection douteuse d’une assemblée acquise à cette politique défaitiste donne les pleins pouvoirs à Thiers pour rétablir l’ordre. Sa première mesure est de supprimer la Garde Nationale et de tenter de la désarmer. En même temps, il réclame le paiement immédiat des loyers, suspendu durant le siège et des dettes des artisans et petits commerçants. Face à cette provocation intolérable, le Peuple s’unit. Les événements s’enchaînent dès lors rapidement. Dans la nuit du 18 Mars, l’armée régulière tente de s’emparer des canons de la Garde Nationale sur la Butte Montmartre. Mais l’opération échoue dans la confusion, en particulier grâce aux femmes des quartiers populaires, des travailleuses parisiennes accourues pour bloquer la confiscation des canons. Les soldats fraternisent avec la foule et rejoignent les gardes nationaux. Le gouvernement, Thiers en tête, détalle dès l’annonce de la nouvelle et se réfugie à Versailles sous la protection de l’Armée. Le Peuple s’insurge et proclame la Commune, le pouvoir aux travailleurs.
Le Pouvoir au Peuple !
Durant 72 jours, le peuple de Paris va entreprendre une expérience sans précédent dans l’Histoire. Un témoin, Arthur Arnoul, rapporte ainsi cet élan libérateur : « A l’Hôtel de Ville, il y a des hommes dont personne ne connaissait les noms, parce que ces hommes n’avaient qu’un nom : Le Peuple. La tradition était rompue. Quelque chose d’inattendu venait de se produire dans le monde. Pas un membre des classes gouvernantes n’était là. Une révolution éclatait qui n’était représentée ni par un avocat, ni par un député, ni par un journaliste, ni par un général. À la place, un mineur du Creusot, un ouvrier relieur, un cuisinier, etc. Un pareil fait se produisant à Paris révélait, je le répète, une situation sans précédent dans le livre de l’Histoire, on avait tourné un page, on entamait un nouveau chapitre ». Pour sa part, Jules Vallès dans le Cri du peuple, le journal qu’il dirige et qui sera le plus populaire durant toute la révolte, s’exclame : « La commune est proclamée dans une journée de fête révolutionnaire et patriotique, pacifique et joyeuse, d’ivresse et de solennité, de grandeur et d’allégresse, digne de celles qui ont vu les hommes de 93 et qui console de vingt ans d’empire, de six mois de défaites et de trahisons. Le Peuple de Paris, debout en armes, a proclamé la Commune, qui lui a épargné la honte de la capitulation, l’outrage de la victoire prussienne et qui le rendra libre comme elle l’eut rendu vainqueur ».Face à la République bourgeoise et versaillaise, la Commune oppose une République Sociale et fédérative. Pour elle, il faut d’abord garantir la justice sociale et l’équilibre entre le pouvoir central et les libertés locales. Un des clubs révolutionnaires, dans une déclaration solennelle, traduit cette volonté : « Il est temps d’en finir avec le vieux monde pourri et corrompu qui vit à nos dépens. Il faut que le travail soit maître ! vainquons et proclamons universellement que celui qui ne produit pas ne doit pas consommer et notre œuvre splendide et grandiose sera reçue comme la délivrance « . Comment décrire la diversité idéologique et sociale des communards ? On peut discerner plusieurs tendances. On retrouve ainsi dans les rangs des insurgés des républicains sincères, encore animés par le souvenir de la « grande révolution » de 1789. Anticlérical viscéral et conscient des questions sociales, leur engagement était porté par l’idéalisme. Plus structurés étaient les blanquistes, activistes révolutionnaires éprouvés, leurs expériences des coups de force n’étaient plus à prouver. Mais l’absence de Blanqui et de leurs principaux chefs, arrêtés par les versaillais, les avaient désorganisés au début de l’insurrection. Ils s’investiront, sous la direction de Rigault et d’Eudes, dans l’organisation de la défense de la ville et seront partisans d’un Comité de salut public devant prendre en main la direction des opérations. L’Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale regroupant les socialistes européens fondés en 1864) avait, elle aussi, souffert de la répression impériale. Les hommes de l’Internationale restent dans l’expectative. En son sein Marx et les marxistes se trouvaient encore en minorité face aux socialistes français inspirés par Proudhon et aux anarchistes regroupés autour de Bakounine. L’attitude méprisante de Karl Marx envers les ouvriers parisiens a vraisemblablement pour origine la vive querelle qu’il entretint avec les représentants français de l’AIT. Durant la guerre, il les abreuva d’insultes et se réjouit de la victoire du militarisme allemand, espérant par là même que l’axe de la révolution s’incline du côté du mouvement ouvrier allemand. L’écrasement de la Commune ne semble pas l’avoir ému outre mesure, bien que par la suite il se solidarisa effectivement avec l’émigration des proscrits parisiens à Londres. Son attitude changera seulement quand il verra l’importance que l’événement avait pris dans l’imaginaire collectif des travailleurs de toute l’Europe. Dans la Guerre Civile en France, il tirera les leçons de cette expérience fondatrice. Parmi les figures les plus marquantes de l’AIT, Eugène Varlin fut célèbre parmi les ouvriers pour sa bonté et sa générosité. Il était aussi reconnu pour son intelligence et sa scrupuleuse honnêteté. Il sera en première ligne jusqu ’aux derniers jours de l’insurrection. À ses côtés, Louise Michel, une institutrice de 41 ans, libertaire convaincue et alors proche des blanquistes, qui fera preuve d’un courage admirable sur les barricades. L’insurrection sut aussi gagner à sa cause quelques aventuriers et soldats perdus comme Louis Rossel, officier patriote qui refusa la capitulation et rejoint le « dernier lambeau de Patrie » que représentait la Commune. Pendant les sept semaines de sa résistance à la marche impitoyable des troupes versaillaises, la Commune fut un creuset d’aspirations généreuses qui se traduisit par toute une série de mesures sociales. Si certaines restèrent au niveau de la proclamation, elles donnèrent sa signification véritable à son combat : Constitution d’une véritable armée populaire autour de la Garde Nationale, abolition de la peine de mort, séparation de l’Eglise et de l’Etat, Justice et enseignement gratuits, réquisition des logements bourgeois vides et remise aux associations de travailleurs des usines, suppression de l’usure, lois améliorant les conditions de travail …
La semaine sanglante
Creuset révolutionnaire, la Commune va succomber sous les coups de ses adversaires et mais surtout à cause de son manque d’organisation. Dès les premiers jours de l’insurrection, l’absence d’une véritable direction se fait sentir. Les hésitations des débuts vont bientôt obliger les communards à se cantonner à la défensive. L’isolement va aussi être fatal à la Commune. Bien que les villes de Marseille, Lyon, Toulouse, Narbonne, le Creusot et Limoges s’insurgent de leur côté, l’intervention rapide de l’Armée impose le calme dans les villes de province. Dans les campagnes, la propagande réactionnaire fait naître la peur des « partageux », des « bandits rouges ». La Commune ne réussit pas à faire l’unité de la nation autour d’elle et à vaincre le conservatisme de la Province rurale. Le Général Galliffet va diriger la répression avec une implacable sévérité. Le 21 mai, après un bombardement en règle, les versaillais entrent dans Paris. Face à 130000 soldats professionnels, la Commune aligne entre 3 et 5 000 combattants gardes nationaux. Le peuple va faire preuve d’un courage fantastique, jusqu’aux femmes et aux enfants qui vont participer aux combats des barricades. Chaque barricade devient en effet un barrage à la marche de l’Armée, devant cette résistance acharnée les versaillais massacrent sans pitié les prisonniers. Les principales figures de la Commune se retrouvent en première ligne et c’est dans le plus complet désordre que les derniers combats sont livrés. Dans cette folie des erreurs ont pu être commises (l’incendie de monuments ou l’exécution d’otages), mais elles allaient être dépassées en horreur par la répression versaillaise. Les quartiers populaires de la Bastille, de Belleville ou du Temple seront le théâtre de la lutte désespérée d’une poignée de résistants. Retranchés dans le cimetière des Père-Lachaise, les derniers communards seront capturés et fusillés. Au final, on estime à 30 000 le nombre de fusillés, femmes et enfants compris. Pendant plusieurs jours, la Seine est rouge de sang et les jardins publics sont transformés en charnier. Les prisonniers qui ont échappé a l’exécution sommaire, manquent souvent d’être lynchés dans les beaux quartiers. La bourgeoisie versaillaise courageusement accourue, insulte et frappe, parfois à mort, les captifs. Mais la répression ne s’arrête pas là. L’Armée et la Police traquent sans pitié les fugitifs dont beaucoup prendront le chemin de l’exil. Près de 40000 personnes sont arrêtées. Les procès s’enchaînent devant les tribunaux militaires, 270 exécutions et 7500 déportations en Nouvelle-Calédonie s’ensuivent.Mais la bourgeoisie ne sera pas parvenue à briser l’espérance. L’espoir que la Commune a fait naître, sera transmis. Des enseignements seront tirés de cette défaite et les travailleurs partiront de nouveau à l’assaut. À notre tour, nous pouvons prendre exemple sur ces héros du peuple pour mener notre combat pour la libération de l’Europe et la justice sociale.
Louis Alexandre
[article dans Rébellion 19 – Juillet/ Août 2006]
À lire :
O.P Lissagaray – Histoire de la Commune – La Découverte/Maspero. Karl Marx – La Guerre Civile en France – Poche. Louise Michel – Histoire et souvenirs de la Commune – Stock. Revue Itinéraire – Eugène Varlin – Plusieurs portraits de Communard. Le journal officiel de la Commune de Paris ; Jules Vallès : l’Enfant, le Bachelier, l’Insurgé, les Blouses, Romans disponibles en Folio/poche.Le Cri du Peuple : Roman de Vautrin et album BD de Tardi.
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