Pourquoi mangeons-nous de la viande ? Pourquoi l’homme mange-t-il l’animal ?
La question de l’alimentation carnée est en grande partie révélatrice de l’histoire de nos rapports aux animaux A l’heure où 7,8 milliards d’habitants peuplent la Terre, de plus en plus d’animaux sont tués chaque année afin de satisfaire les envies alimentaires, les besoins, en conséquence de la consommation de viande. En France par exemple, ce sont près d’1,1
milliard d’animaux qui sont abattus chaque année. Cela représente 3,45 millions de tonnes de viande par an ! A échelle mondiale c’est environ 70 milliards d’animaux par an, soit 100.000 meurtres par minute. Nous tentons alors aujourd’hui, dans une rencontre entre saveurs et valeurs, de comprendre ce qui motive l’existence de tels chiffres.
La victoire de la raison pratique
D’après le philosophe et homme de lettres Patrice Rouget, le siècle contemporain dans lequel nous vivons est entré dans une ère qui ne prend plus en compte que la raison pratique, devenue la seule forme de raison moderne. Cette raison est gestionnaire, comptable et limite donc la rationalité car introduit une relation humaine au monde exclusivement utilitaire. Le monde est alors perçu comme une ressource, un stock disponible, mais jamais plus comme une fin en soi. La question de la finalité a été évacuée car vide de sens dans un consensus utilitaire. Il en và de même de notre conception de l’animal. La totalité du monde est réduit à des normes issues d’un processus industriel. Intégralement, indéfiniment, le monde se doit
désormais d’être reproductible. L’animal n’est donc jamais envisagé comme un être pour-soi et ainsi, il ne vit pas seulement pour jouir de cette vie dont il dispose mais il est là pour l’homme (pour nous nourrir).
Voilà donc un angle d’approche désignant le rapport contemporain de l’homme au monde, à l’animal. Mais, Comment et Pourquoi cette frontière meurtrière tracée par l’homme entre « l’animal » et lui a-t-elle vu le jour ? Cette relation utilitaire dont parle Patrice Rouget est- elle seulement contemporaine ou bien plutôt intemporelle ? D’où nous vient cette réduction
utilitariste que nous opérons vis-à-vis des formes de vies non-humaines, et particulièrement animales ? L’avènement dans la société humaine de la production industrielle entraine avec lui l’avènement d’un rapport meurtrier aux animaux, tout cela dans une perspective historiquement naturelle, allant intemporellement de soi
La façon dont les éleveurs s’occupent des animaux a beaucoup changé au fil du temps. Aujourd’hui en France, moins de 1 % des truies sont élevées en plein air ; 80% des poulets sont élevés dans des lieux clos. C’est surtout dans les années 1960 avec la « Révolution verte » (progrès de sélection végétale, des engrais et pesticides) que la mécanisation de l’élevage
s’est vue poussée à l’extrême. Ainsi, en 1970, se fera l’essor de l’élevage industriel. Ce phénomène moderne a permis de produire d’importantes quantités de viande à faible coût de production. D’ailleurs la recherche d’efficacité économique développe de manière toujours plus productive cet élevage industriel. Malheureusement, comme chacun le sait, les mauvaises conditions animales citées plus haut ne sont pas les seuls dégâts d’une telle industrialisation.
L’écueil du meurtre de masse, du génocide animal n’est pas évitable et semble, d’après l’expression de la philosophe Florence Burgat qui se veut ironique, constituer « un mal nécessaire ». Ainsi, pour que l’homme puisse par exemple consommer autant d’œuf qu’il le souhaite, le cauchemar industriel revêt la forme d’un hachoir dans les couvoirs. Effectivement, les poussins mâles, incapables de pondre, jugés improductifs, sont hachés vivants à un rythme vertigineux (c’est en moyenne 20.000 poussins mâles tués par jour au sein d’un abattoir). L’humain inflige une nouvelle temporalité à la vie animale, dont il en est le seul maître. Selon ce modèle, les poules sont conçues pour être tuées en 6 semaines, ce qui, dans une logique du contraste peut choquer car ces dernières peuvent naturellement vivre entre 5 et 10 ans.
La supériorité ontologique
Historiquement, une séparation métaphysique entre les animaux et nous était déja postulée à l’époque antique, par Platon et Aristote. Ces deux philosophes avaient introduit une cosmologie ternaire, distinguant trois catégories essentielles à savoir l’homme, l’animal et Dieu. L’entité animale renvoie à ce qui n’est pas pourvu des hautes capacités, caractère propre
à l’homme. Cette distinction perdurera et c’est ainsi que Patrice Rouget parle d’une posterité de cette cosmologie. Elle est devenue une idéologie à valeur sociale. L’élaboration fictive de cette césure entre les genres vivants est devenue myhte et était destiné à l’être. Pour l’auteur, nous sommes inconsciemment stoiciens (nous n’accordons pas de droit aux animaux, étant seuls possesseurs du logos) ; kantiens (nous avons droit de disposer des animaux puisqu’ils sont nos produits) ; augustiniens (l’animal ne peut être individu, cela est le propre de l’homme, l’animal n’existant qu’en tant qu’espèce) ; sartriens (la liberté est marque de l’homme). Cet héritage philosophique légitimerait alors l’actuelle relation que nous entretenons avec les animaux. Nous pouvons alors reprendre l’expression « humanisme métaphysique » de Patrice Rouget. Quelle est donc cette notion et que nous permet-elle de comprendre ? De quoi l’humanisme métaphysique est-il l’idéologie ? L’humanisme métaphysique désigne en fait l’humanité, circonscrite à ce qui est humain et sépare l’homme de la Nature, instaure une distance par rapport ce qui lui est propre. Cette humanité dispose d’une supériorité ontologique par rapport à toutes les autres formes de vie : la possession du logos, de la raison. Cette supériorité est sa signature métaphysique et d’après Patrice Rouget elle légitime alors des privilèges illimités puisque l’homme peut alors traiter l’animal comme un champ de
possibilités qui lui sont subordonnées.
L’animal ne possède aucune faculté si ce n’est celle d’être responsable
Au sein de cette logique, il apparaît naturel que l’animal soit asservi à un destin qui n’attend de lui guère plus qu’un rôle d’ingrédient (dans une alimentation humaine). Cette idéologie consensuelle est d’ailleurs utilisée dans le système publicitaire qui nous est contemporain. La consommation carnée d’aujourd’hui s’accompagne et est renforcée par cet imaginaire où l’animal consent à la manducation de sa chair. Ce mécanisme publicitaire est analysé par l’écrivain Roland Barthes qui s’interroge sur la mystification qui transforme des faits culturels en origines naturellement universelles. Nombreux exemples de publicités peuvent être ici cités mais nous n’en évoquerons que quelques-uns car ils participent tous de la même idéologie. C’est ainsi que l’on retrouve dans les journaux promotionnels édités par les grandes surfaces des slogans tels que « Cochonou, si on l’aime, c’est de sa faute ». Cet imaginaire instaure une responsabilité de l’animal, qui est seul à blâmer pour ce qui lui arrive, sa viande étant trop goûteuse. Nous pouvons aussi rappeler cette image de 1925 sur laquelle trône une salaison présentant ses produits carnés dans chacun de ses mains, tout en étant à califourchon
sur un cochon. De plus, qui n’a pas déjà aperçu un cochon vêtu d’une tenue de cuisiner sur la devanture d’une boucherie ? Depuis son trône métaphysique, l’homme assigne un rôle à l’animal, dont ce dernier peut difficilement se défaire. Ce rôle est constitutif de celui que doit jouer l’homme lui-même.
Manger de la viande, tuer l’animal ou comment être homme
La philosophe Florence Burgat évoque le fait carnivore comme une évidence devant laquelle peu d’entre nous s’étonnent. Selon ses termes, « l’universalité du fait chasse le doute ». Nous mangeons de la viande et cette pratique ordinaire se justifie grâce à l’argument nutritionnel des protéines qu’elle contient (apports en fer, en vitamine B12…). Toute
interrogation sur cette pratique semble donc incongrue. La viande serait diététiquement indispensable à la santé. Cependant, Florence Burgat se permet de douter de cette nécessité. En effet, scientifiquement considéré sous l’angle physiologique, l’homme est un mammifère omnivore. Ainsi, il n’est pas anodin qu’un régime contingent se soit mué en état de fait. Pour Florence Burgat, si ce régime perdure, c’est bien plutôt pour que l’homme assoie sa supériorité, solidifie sa position d’homme, et cela de façon collective. D’ailleurs, Roland Barthes s’intéresse à l’exemple précis du bifteck, ingrédient socialisé, voire nationalisé (au régime alimentaire français). La viande fonderait, selon ses termes, une morale collective. Le mal que sa production engendre est d’ordre fatal car les choses sont ainsi. On retrouve cette idée de mal nécessaire dénoncée par F. Burgat. Cette idée se retrouve encore une fois dans une publicité précise : Le Boeuf, Le goût d’être ensemble. Au sein de celle-ci, une altercation entre une voleuse et un policier se solde par l’intervention d’un ange et d’un démon, qui débarquent en grande pompe dans leur boeuf truck et réconcilient ceux que tout oppose. Le
travail d’image tourne autour de cette viande conviviale, réunificatrice. Rythmée par la musique Desire Me de Sam Cooke, cette publicité est commanditée par les professionnels de la filière viande bovine auprès de l’agence Toy, dont nous pouvons dire qu’elle a bien saisie les rouages de notre conception sociale de la viande. Il semble alors pertinent de s’intéresser à l’Hunting Hypothesis, l’hypothèse (devenue thèse finalement) selon laquelle la chasse a fait
l’homme. L’auteur de cette hypothèse, l’écrivain et paléoanthropologue américain Robert Ardrey fait du fait cynégétique, si ancien et pérenne, l’origine première de l’homme, son essence même ainsi que l’explication de l’évolution humaine. Depuis 2 millions d’années, l’homme est, et est exclusivement, chasseur. Ainsi, le meurtre alimentaire contemporain que perpétue l’homme relèverait de la nature humaine même. Les abattoirs, « dispositifs institutionnels d’asservissement de la nature » selon Patrice Rouget peuvent alors être envisagés comme simple continuité de l’activité qu’était la chasse. L’humanisme métaphysique comme idéologie tend toujours à se vérifier par ce processus industriel du meurtre alimentaire, véritable cercle vicieux car processus voué par principe à se reproduire indéfiniment. L’institution du fait carnivore devance le réel, qui ne fait que confirmer ce fait.
Les choses n’ont peut-être pas été prévues ainsi
Il est dorénavant urgent de rectifier certaines données empiriques. L’Homme-chasseur est-il pour autant destiné à manger sa proie ? Les hommes préhistoriques avaient-ils vraiment un rapport exclusivement meurtrier aux animaux ? D’ailleurs, se nourrissaient-ils exclusivement de produits carnés ? S’il est possible d’envisager selon les termes de Florence Burgat une
continuité empirique de la chasse à l’élevage, est-ce cependant le même regard posé sur les
animaux dans ces deux pratiques ?
Détour par l’Histoire De quoi se nourrissaient donc les premiers hominidés ? Selon l’idéologie carnivore, l’Homme s’est nourri de viande, et cela de tout temps. Cependant, ce sont les produits végétaux qui ont véritablement constitués la première forme d’alimentation. Une preuve en est ce que les préhistoriens et paléoanthropologues, en s’appuyant sur des données de palynologie, d’anthracologie et de phytosociologie, ont compris entres autres d’après des restes de dentition ou d’après l’analyse de restes osseux (les Pithécanthropes et les Sinanthropes ont une dentition qui indique un régime essentiellement végétarien). De plus, cette forme de nutrition apportait l’essentiel des nutriments et calories dont les hommes avaient besoin (consommation de graines ou de noix, ayant une grande valeur énergétique). L’ethnobotaniste François Couplan juge grandement sous-estimée la part des végétaux dans l’alimentation des hommes du paléolithique (période englobant l’apparition même de l’homme). Des recherches alimentaires permettent de déceler que, chez les Australopithèques, 8 aliments sur 10 furent des plantes, tubercules ou encore des racines. Enfin, il semble que les
premiers hommes se sont alimentés de poissons (un fort taux de zinc retrouvé atteste de cette alimentation riche en animaux marins). Certes, ces premiers hommes se nourrissaient également de viande, mais à 40% contre 60% d’après les statistiques des préhistoriens. Ainsi, en raison des difficultés d’investigation, l’on comprend que certains faits soient plus retenus que d’autres mais ces derniers ont été grossis, amplifiés, jusqu’à être les seuls que nous avons retenus. L’homme à cueilli avant de chasser.
Regard porté sur l’animal : Deux temps
Premier temps
Présenter les représentations picturales des animaux dans la Préhistoire permet de comprendre le rapport que les hommes entretenaient avec ces premiers. Les plus anciennes gravures rupestres (-30 000) arborent la grotte Chauvet, en Ardèche. D’autres, moins anciennes (-17 000) sont localisées dans la grotte de Lascaux, en Dordogne. Ce qui est
intéressant c’est que la plupart des animaux représentés ne correspondent pas à ceux qui étaient alors mangés. Cette donnée empirique met à mal ce que l’on prête volontiers aux hommes préhistoriques (une relation exclusivement meurtrière aux animaux). Le conservateur de musée Henri Delporte nous rapporte que ces animaux représentés côtoyaient l’homme préhistorique et que ce dernier s’intéresse à la manière dont l’animal naît, se reproduit, meurt, etc… Le cas du cheval est pertinent : très présent dans les représentations picturales qui dénotent d’une admiration portée à son égard. Les hommes préhistoriques auraient admiré les chevaux en raisons de leur vitesse, de leur grâce, de leur beauté, en somme, de leur manière de vivre. Ils auraient selon Henri Delporte incarnés une sorte de modèle pour l’homme. Ainsi,
loin d’être de simples gibiers, la vie animale était considérée pour ce qu’elle est, c’est à dire dans le respect des diverses singularités (en témoignent les représentations très différentes selon qu’elles symbolisent un cheval ou un buffle). A une telle conception spécifique s’oppose l’actuelle « espèce animale industrielle » (concept générique dont nous nous apprêtons à rendre compte).
L’animal n’est plus, seule la viande est
Second temps
Il est intéressant de remarquer avec Patrice Rouget que la catégorie « animal », que ce mot, ne correspond à aucun objet réel. Ce terme se construit exclusivement par la négative, c’est à dire par ce qui est non-humain ; non-végétal. A ce titre, Derrida emploie l’expression « animot », désignant la vacuité référentielle de ce terme et rappelant que celui qui parle est
toujours pris comme modèle de pensée (phallogocentrisme) car en parlant, le locuteur évalue autrui d’après son propre discours. Se faisant, il s’instaure un biais métaphysique de considération, allant de pair avec un rapport de domination envers ce qui est désigné. La séparation de l’homme et de l’animal se fait dans l’intérêt de celui qui la revendique. Dans nos
discours, la diversité des formes de vies animales n’est pas valorisée. Cette réduction de l’animal à une simple catégorie va plus loin encore et le terme « animal » peut devenir synonyme, voire symbole de viande. Pour la sociologue Jocelyne Porcher, l’histoire et l’anthropologie de l’alimentation développent une pensée sur les animaux où ceux-ci sont déjà
substitués en nourriture. L’animal perd en substance mais gagne en fonction. Ce classement, qui n’a rien de naturel, renforce la conception cartésienne des animaux-machines et selon J. Porcher mais aussi P. Rouget, les dérives du signifiant sont accentuées par le processus industriel. Joséphine Porcher parle de productions animales plutôt que d’élevage industriel pour pointer le fait que les animaux sont tels des machines techniquement manipulables et cela en vue d’une productivité toujours plus optimisée. Patrice Rouget, lui, s’inquiète du devenir animal face à cet appauvrissement dont participe le processus industriel, outil à la hauteur de l’ambition ressource-monde. Pour lui, il n’y a pas de produit industriel, il n’y a qu’une production de reproduction. On vise exclusivement l’identique. L’individuation est bannie. Le protocole industriel n’emprunte rien à la singularité des choses puisque l’intégralité du monde est soumise à cette raison pratique dont nous parlions, aveugle à la particularité. La finalité d’un abattoir n’est autre qu’une reproduction infinie. Les deux auteurs s’accordent sur le fait que la terminologie et les protocoles d’aujourd’hui participent à une marchandisation du
vivant et piègent l’animal dans la catégorie alimentaire au travers d’un vocabulaire managérial, technique, économique. Le regard porté sur les animaux est exclusivement utilitaire et dans une telle conception des choses s’effectue une inversion ontologique. L’animal est, de façon a priori, viande.
La possibilité d’une autre lecture de la « fonction animale » dans le monde antique Une contestation de la pratique carnée, du meurtre alimentaire nous vient du philosophe Poprhyre de Tyr, un néoplatonicien. On retrouve donc l’héritage métaphysique de cette cosmologie ternaire dans ses écrits : l’homme est entouré de l’animal et de Dieu. Seulement,
cette fois, la faible considération dont jouit l’animal (dû à ses faibles capacités) lui permet au moins d’être épargné du meurtre alimentaire. Dans son Traité de l’Abstinence (de chair des animaux), Poprhyre voit dans le fait de ne pas manger de viande la possibilité pour l’âme de s’élever. En effet, suivant les enseignements de Platon lui-même, il rappelle que l’âme doit s’extraire de toute réalité sensible et surtout des plaisirs des sens. L’abstinence de viande permettrait de soulager le travail de l’estomac et rendrait par là même l’esprit plus libre. Poprhyre prône donc la suffisance des aliments inanimés et postule que l’abstinence des animaux dans l’alimentation est condition essentielle à la sainteté. A l’inverse, ceux qui cèdent
à l’abstinence et s’alimentent de viande prouvent qu’ils sont esclaves de leurs passions. L’usage de viande est contraire à la tempérance, à la frugalité et à la piété qui peuvent seules nous conduire à la vie contemplative. Selon le philosophe, ceux qui mangent de la viande justifieraient cette pratique en prétextant une nécessité mais cela donnerait lieu à bon nombre
d’exagérations. L’originalité des textes de Poprhyre est contextuelle : Il engage une réelle interrogation quant à l’utilité et la légitimité du meurtre alimentaire. Manger de la viande équivaut à être corrompu : la corruption n’étant autre qu’un mélange des contraires. On ne peut joindre ce qui est mort avec ce qui est vivant, ni se nourrir de ce qui a eu une vie sans
participer à une corruption. A ce titre, il cite Dicéarque de Messène, le péripatéticien et philosophe ayant fait l’abrégé le plus exact des mœurs grecques. Il est assuré que les anciens n’avaient pas pour pratique de tuer des entités animées. Cependant, vint ensuite la vie pastorale, pendant laquelle on fit plus d’acquisitions que l’on avait de besoins. Porphyre dit
regretter « l’heureuse vie des premiers temps à laquelle coïncidait l’abstinence de viandes ». Malgré tout, il reste que, dans ce Traité, si l’animal est épargné de la catégorie « comestible », c’est en vue d’un bien humain. C’est donc plus par défaut que pour soi-même que la vie animale était appelée à être préservée par Porphyre.
Pour finir …
Tout au long de cet article, l’attrait de notre question résidait dans ce qu’elle dénote de nos rapports aux animaux. « Pourquoi mange-t-on de la viande ? » n’est qu’une question parmi d’autres, qui, une fois posée, permet un questionnement de fond. Se nourrir est un acte qui renvoi à un enjeu éthique. Questionner les relations impliquées dans l’acte de nutrition permet de comprendre que la nutrition, loin d’être un simple fait vital, engage des valeurs et à ce titre, une réflexion existentielle, donnant du sens à la satisfaction de nos nécessités. Ce don de sens est lui aussi, une nécessité humaine. La faim est investie de représentations, de valorisations. L’aliment détient une épaisseur symbolique au regard d’institutions métaphysiques. Manger implique donc nécessairement la question de la place de l’homme, sur terre.
Camille Richard
Bibliographie indicative
ROUGET Patrice, La violence de l’Humanisme, Pourquoi nous faut-il persécuter les
animaux ?, Editions Calmann-Lévy, 2014
BURGAT Florence, L’Humanité carnivore, Éditions du Seuil, 2017
BARTHES Roland, Mythologies, Les Éditions du Seuil, 1957
DERRIDA Jacques, L’Animal que donc je suis, Galilée, 2006
PORCHER Jocelyne, Vivre avec les animaux, une utopie pour le XXIe siècle, La
Découverte, 2011
CANETTI Elias, Masse et Puissance, Gallimard, 1986
DELPORTE Henri, L’Image des animaux dans l’art préhistorique, Éditions