Paroles de Gilets Jaunes
Cela fait maintenant plusieurs semaines, que le mouvement dit des « Gilets Jaunes » agite la France. Il secouent si violemment la République qu’un changement de régime est même sur le point d’être envisagé. Pour beaucoup, c’est la nécessité de pouvoir vivre décemment qui incite à aller défiler dans les rues des grands centres urbains chaque samedi. Pour d’autres, c’est, en plus, une expression existentielle de leur “moi” profond
L’indifférence sèche des “élites” devant la souffrance, le désespoir de centaine de milliers de de leurs compatriotes devant le caractère inhumain de l’appareil étatique, cette jeunesse française des coeurs et des esprits a décidé de s’insurger contre ce monde auto-proclamée moderne. Leur propre charité contre la violence institutionnelle.
Car si des milliers de visages passés devant les caméras, si des centaines qui se sont exprimés par écrit par des slogans ou des textes sur le net, ou si quelques dizaines qui tente d’utiliser l’outil vidéo pour faire passer quelques idées, trop peu expriment leur sentiment profond. Et ceux dont c’est le coeur qui s’exprime, on les compte sur le bout des doigts.
Nous avons voulus collecté l’esprit de ce mouvement auprès de ceux qui le font vivre au coeur des événements. Certains nous ont indiqué leur noms, d’autres pas.
A Rébellion, aussi modeste que nous sommes, nous avons voulu leur donner un espace où leur esprit pouvait pendant un court moment faire reposer leur épées. Préférer, pendant un instant, au les cliquetis des armes, celui plus incisifs de leurs idées.
Propos receuillis par Erwan Kohl
En quoi ce mouvement est-il différent des autres mouvements auxquels vous avez pu appartenir ?
“C’est un mouvement nouveau, dont la forme et le fond sont inédits. Il ne ressemble qu’à des formes anciennes de protestation, c’est pour cela qu’on estime à juste titre qu’il ressemble à la Révolution ou à la Commune de Paris, ou à Mai 68, même si le fond est beaucoup plus pragmatique car les Gilets Jaunes ne demandent pas la lune. On peut apercevoir que l’ensemble des participants, s’il se juge bien évidemment concerné par la politique en général, provient de milieux non-militants ou apolitiques. Ce sont pour la plupart des gens qui ont très bien conscience de la situation actuelle mais qui ne se reconnaissait plus dans les structures politiques traditionnelles. C’est à mon sens l’erreur stratégique de Macron : en dissolvant la vie politique il a coagulé tout ce qui était contre lui. Le PS et LR sont devenus inaudibles, FI et le RN essaient tant bien que mal de récupérer ce qu’il y a à récupérer, mais la politisation du mouvement me semble inenvisageable. Médias et opportunistes essaient bien de lancer l’idée d’un «Parti des gilets jaunes», essaient également de distinguer entre plusieurs espèces de Gilets Jaunes « Les Libres », « les Modérés» etc. mais on voit bien que ces tentatives échouent.” Chris
“Les Gilets Jaunes, lui, est un mouvement. Il est donc une force naturelle qui vient heurter la solide prothèse de la domestication moderne. Le choc est d’autant plus violent que cette force n’est ni encadrée ni institutionnalisée.”
“On a affaire à des gens complètement lambdas, pour qui le discours réformiste est quasi-inexistant, et celui du légalisme est fortement contesté.”
“Ce mouvement permet, non seulement, de dépasser ce trop habituel et désormais désuet clivage “droite/gauche”, les Gilets Jaunes permettent enfin de fédérer des individus de tous les horizons sociaux, habituellement absents de toute mobilisation. Si les semaines passent et tendent de plus en plus de réveiller les réflexes anti-autoritaires longtemps endormis du peuple le plus révolutionnaire d’Europe, l’autogestion s’affirme de plus en plus et prouve toute l’inanité des discours moralisants et moralisateurs.”
« Depuis l’élection de triomphale de Macron, j’avais décidé de quitter les radars du militantisme, et de me concentrer sur mon chemin personnel, j’evitais le plus possible de suivre l’actualité, je ne connaissais même pas les noms des principaux ministres, je fuyais les détails concernant les traités internationaux qui se jouaient. Démoralisé, et persuadé, en bon lecteur de Lénine de mes 20 ans que toute action n’est possible que si elle est structurée, hiérarchisée et cohérente. Je n’ai pas vu venir cette force qui montait, je n’ai pas senti ce potentiel populaire. Je voulais des revendications sur la table et une armée prête à les défendre. Les syndicats et les partis étant vérolés, la classe ouvrière sans conscience de classe, je m’étais moi aussi rangé au rang du réformisme pour choper le minimum : je votais FN en attendant sincèrement quelque chose de ce parti. La souveraineté nationale, l’ouvrièrisme et le patriotisme me séduisaient. Je me moquais des anarchistes qui pensaient que l’action spontanée, directe et sans intermedaire était la seule issue. J’avais tort. Je ne me suis pas rendu à la première émeute du 17 novembre, ne croyant pas à la spontanéité anarchique du samedi. Je pensais sérieusement que la seule solution était de bloquer les infrastructures par la grève générale, comme en 1995. Lorsque j’ai appris qu’ils se sont retrouvés à 200m de l’Élysée, j’ai effectué mon chemin de Damas en 30 secondes et je suis parti m’acheter un gilet jaune à la quincaillerie du coin de ma rue. Puis, nous avons édifié des barricades à l’acte II, et puis à l’acte III, sans se poser de questions. Spontanément, nous prenions du mobilier urbain pour dresser des défenses, et nous jetions des projectile sur nos assaillants. Tout était Marseillaise, tout était tricolore, tout était travail, labeur, justice et France. Le mouvement gilet jaune est un rêve éveillé : le peuple des travailleurs qui se lèvent et qui prennent conscience qu’ils sont une force indestructible. A l’heure où nous pensions que tout était destructuré, la famille, les classes sociales, les identités, nous avons eu une réaction violente et déterminée qui nous a prouvé le contraire, et à moi le premier. Le mouvement gilet jaune est une divine surprise. » Guillaume E.
Les Gilets Jaunes ? De la vrai grosse radicalité et du bon sens, comme quoi les choses fonctionnent mieux quand les habituels curés idéologiques se taisent.
“Ce mouvement est profondément sain dans la mesure où il a pris naissance dans le peuple lui-même, et s’est inscrit en dehors de tout cadre établi, de toute structure traditionnelle. L’essence des gilets jaunes c’est justement d’être un mouvement contre-système, non syndicalisé, apartisant ; il dépasse tous les clivages rendus obsolètes dont le système s’est abondamment servi pour nous diviser (gauche-droite; homme-femme; citadin-campagnard). Les gilets jaunes rassemblent et fédèrent n’importe qui ayant la conscience d’une condition commune partagée et d’un ennemi en commun : et c’est beau ! Ils expriment ainsi une désillusion et une perte de confiance totale dans les forces déjà existantes qui s’étaient portées garantes d’une amélioration de leur condition (je pense aux partis de gauche notamment, et aux syndicats). Le mouvement exprime cet éveil des consciences : aucune instance ne portera nos revendications. On ne peut plus rien demander à nos maîtres : on se chargera de l’acquérir. On renoue ainsi avec la réelle lutte sociale au vrai potentiel révolutionnaire.” Camille
En quoi vos valeurs rejoignent-elles celles du mouvement ?
“Ayant eu très tôt le sentiment que l’ultra-libéralisme économique détruisait nos villes mais surtout nos campagnes, ayant constaté que certaines couches de la population sont totalement ignorées par les pouvoirs locaux et nationaux, ayant jugé que les revendications que portaient les Gilets Jaunes étaient justes pour la plupart, il était évident que, tout en faisant abstraction de mes opinions politiques, je devais soutenir ce mouvement.” Chris
“Mes valeurs sont celle qui feront triompher l’humain sur l’argent: on a besoin de se reconstituer en tant que communauté fraternelle, de rebâtir notre lien social et notre rapport à la patrie pour faire face à la dictature de la finance mondialiste. Il me semble que c’est la raison d’être du mouvement : replacer l’humain et le souci du bien commun au centre de nos préoccupations. Le mouvement gilets jaunes est un formidable levier du vivre-ensemble : on se retrouve enfin après avoir été atomisés, on se tourne vers l’autre, et on s’y reconnecte.” Camille
On y retrouve cette même volonté de changer de société ainsi que cette décence commune
“Tout cela se traduit aussi dans les valeurs de souveraineté, d’autonomie, que porte le mouvement au travers de la remise en cause de la représentativité politique et de l’union européenne : il s’agit de remettre le peuple aux commandes du pays en évinçant nos élites vouées à satisfaire leurs propres intérêts.”
Qu’espérez-vous trouvez dans ce mouvement ?
“Trouver, je ne sais pas si le mot est bien choisi. Disons que j’attends surtout que le gouvernement actuel cesse de faire la sourde oreille aux propositions des Gilets Jaunes, des syndicats en général et entende ce peuple qui demande avant tout de la considération, du pouvoir d’achat – et s’ils en demandent c’est bien parce qu’il a baissé -,
le droit de participer aux grandes questions du pays et qu’on arrête de saboter son modèle social pour le petit plaisir de quelques-uns, cette partie de la population qui a bénéficié des réformes européistes et de la mondialisation à outrance.”
“Un grand coup porté au faux clivage droite/gauche. La décrédibilisation de la République devant une large part du peuple et une radicalisation de ce dernier à long terme. Le tombeau des syndicats et des organisations marxistes.” Martin
“Je n’espère rien. S’il dure tant mieux sinon ça n’a aucune importance, il permet juste ici et maintenant, au cœur de cette insignifiance totalisée qui nous sert de demeure, de trouver la lèpre humaine un tout petit peu moins répugnante.”
Plus de solidarité, plus de pouvoir au peuple !
“De la radicalité. Je ne veux plus que l’on s’abaisse aux petites batailles sociétales (anti-racisme, féminisme etc) qui nous ont détourné de notre combat de fond : abattre le capitalisme, seule finalité qui, par ailleurs, a ce seul mérite de nous rassembler, indépendamment des orientations politiques initiales. J’attends de ce mouvement qu’il cultive donc son fond radical de remise en cause du système tout entier.” Camille
Sur quelle issue doit déboucher ce mouvement selon vous ?
“Personne ne peut savoir sur quoi il va déboucher puisque personne ne savait qu’il allait s’hypostasier. Il est donc vain d’envisager un après avec des modalités ne pouvant être que les modalités qui nous servent d’alphabet. Le mouvement des Gilets Jaunes est un choc brutal contre le devenir entropique du monde, l’énergie primitive et froide dont il accouche pousse dans le sens de la réintégration des choses dans l’Axe.
Ce que nous pouvons seulement dire : il entraînera un autre mouvement qui sera soit ascendant, résurrection néguentropique, soit descendant, entropie finale. »
Grâce aux Gilets Jaunes, vous connaissez maintenant l’ennemi ontologique.”
“Je n’attends rien de particulier, j’ai tendance à me satisfaire déjà de ce que ce formidable élan apporte jour après jour. Mais ce serait peut-être à mon sens, faire tomber l’élite au pouvoir et la remplacer : écrire nous même notre constitution via des assemblées constituantes élues par tirage au sort, reprendre notre pouvoir décisionnel sur le pays par le fameux RIC… De là pourrait découler toute une nouvelle manière de diriger, qui servirait les intérêts du plus grand nombre tout en faisant rempart au libéralisme dégénéré (nationalisation des banques et grandes entreprises, revalorisation du service public, potentiellement une sortie de l’UE etc.).” Camille