Ni coach ! Ni maitre !
LA PLUS GRANDE IMPOSTURE DE NOTRE ÉPOQUE EST PROBABLEMENT L’AFFIRMATION QUE LA QUÊTE ULTIME EST LE DÉVELOPPEMENT ET L’ÉPANOUISSEMENT DE LA PERSONNALITÉ DE L’INDIVIDU AUTOCENTRÉ. LES RAVAGES DE CETTE VI-SION ILLUSOIRE ET CULPABILISATRICE ASSURENT UN « BUSINESS PLAN » JUTEUX À UNE FOULE DE PSEUDOS SPÉCIALISTES DU MANAGEMENT, DU COACHING OU DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL. L’IMPACT DE CES FAUX « MAITRES » EST PLUS QUE NÉFASTE SUR UNE ÉPOQUE SANS REPÈRES
Le « moi » superstar
L’appel au dépassement de soi et à la transcendance qui était le coeur de la pensée européenne depuis L’antiquité se sont vus remplacés au coeur de notre esprit par le culte du « moi ». La psychologie remplace les morales traditionnelles, pour ne laisser comme seule norme l’individualisme. Il est le seul responsable de l’échec ou de la réussite de sa vie. Livré à lui-même et pressé de devenir quelque chose de rentable, sa personnalité n’a aucun repère ou orientation dans un monde qui change rapide-ment. Son anxiété grandissante devant la concurrence perpétuelle qu’implique son époque le pousse à s’adresser à ceux qui savent, les experts du soutien personnalisé, de l’aide à la performance individuelle ou autres recettes bonheuristes en tout genre. Le centre de gravité de l’individu étant désormais en lui-même, il n’a plus de pertinence au-delà de la sphère subjective et privée. Chacun est désormais seul juge du sens de son existence et tends à limiter son implication dans le collectif pour privilégier le personnel. C’est un vrai changement anthropologique entrainant de nouveaux rapports entre les personnes, les choses et le temps. Flexibilité des rapports humains et immédiateté, tout est fait pour échapper aux liens de l’attachement, à autre chose que soi-même. Les réseaux sociaux favorisent un environne-ment relationnel dense, où les interactions sont nombreuses. Mais ces connections multiples n’encouragent pas tant l’attention à l’Autre que le souci du « moi » par rapport aux autres. Il s’agit de se faire reconnaître par autrui à coups de photos retouchées ou de citations de livres que l’on n’a pas lus. Né d’un profond malaise dû à la détérioration des relations personnelles, ce mouvement narcissique conseille aux gens de ne pas trop s’engager en amour ou en amitié, d’éviter de devenir dépendant des autres et de vivre dans l’instant, alors que ce sont précisément ces comportement qui sont à l’origine du malaise.
Coupé du temps et des autres, l’individu en ressent d’au-tant mieux sa fragilité et l’évanescence de son être. Même si on tente de donner l’apparence de sa force extérieure à travers une image valorisante par la mise en scène de son corps ou de sa réussite sociale, on n’échappe pas à son vide intérieur. Le renforcement de l’image est inversement proportionnel à la dévitalisation du « moi ». De nouveaux troubles de la personnalité apparaissent avec comme point commun un désarroi diffus. Libéré du devoir et de la norme, l’individu cultive sa dépression par l’incertitude et l’auto-culpabilisation. Les impératifs normatifs ont changé et les contraintes sont internes à l’individu. La peur de ne pas réussir sa vie, de ne pas se trouver ou de n’être pas au niveau est la source des nouvelles pathologies post-moderne. Le dépressif le devient car il ne supporte plus l’illusion que tout lui est possible . Cette insécurité identitaire et cette impuissance à agir est un terreau fertile pour les professionnels de la dépression.
Un réconfort imaginaire
Cette vulnérabilité peut conduire à une forme de dépendance, d’addiction à un objet extérieur qui va venir combler le déficit intérieur. L’addiction remplit le vide, en comble illusoirement l’absence de densité. Cela pourra passer par un dealer ou un médecin fournissant les drogues plus ou moins légales qui calmeront les montée d’angoisse, par les amis virtuels de son téléphone portable consulté frénétiquement ou par un cabinet de consulting chargé de doper la rentabilité de son entreprise. Mais une espèce parasitaire nouvelle prospère depuis 20 ans pour réconforter artificiellement : les coach !
Vous avez une formation douteuse, une parcours de vie trouble et une personnalité égocentrique ? Le coaching est fait pour vous ! Le marché est énorme ( de la nutrition ou sport, de la formation professionnels à la vie conjugale) et rapporte gros. Pas la peine de vous embêter avec des diplômes, le but n’est pas de proposer de la qualité certifiée mais de soigner les « blessures de l’âme » de vos clients.
Le développement personnel, qui représente un en-semble hétéroclite de courants de pensée, comme hier le New Age, donne une caution idéologique à l’ensemble. Il constitue les meilleurs ventes en librairie et sur Amazon, avec des titres pleins de conseils amicaux et de bienveillance égalitaire. Cette empathie étouffante est porteuse de promesses, de réponses pratiques aux problèmes individuels. Ces ouvrages font croire au lecteur que tout ne dépend plus que de lui et que sa vie tient entre ses mains. Tout repose donc sur un programme d’auto-contrôle et de planification comportementale. Ce qui est enthousiasmant pour un individu contemporain, mais qui se révèle dévastateur quand la séduction de ses recettes s’écrase sur le mur de la froide réalité.
Farci d’injonctions contradictoires, le développement personnel promet une efficacité rapide sans temps de maturation, d’améliorer ses rapports aux autres en se centrant uniquement sur soi… C’est surtout une mystique sans sacré ou spiritualité, qui ne tourne qu’avec des bons sentiments. Car au final, le développement personnel n’est qu’un placebo pour des post-modernes en désespoir de sens. Il codifie le naturel et impose ses règles sans chercher la racine du mal.
Retrouver l’autonomie véritable n’est justement pas se soumettre à ce genre de méthode. Le coach nous dit de prendre certains chemins balisés pour être nous-mêmes, le philosophe ou le sage invitent à une liberté de l’esprit. « Connais-toi toi-même » pour trouver ta place dans l’uni-vers. Ordonne ta vie pour qu’elle s’ajuste parfaitement à l’ordre global du cosmos. Être libre en reconnaissant ses limites et les dépendances positives car constructives que représentent l’amour et l’amitié. S’attacher au « temps long », aux cycles et étapes de la vie pour cultiver sereinement la fidélité, l’effort et le devoir.⧫
A LIRE :
JULIA DE FUNÈS, DÉVELOPPEMENT (IM)PERSONNEL, ÉDITIONS DE L’OBSERVATOIRE, 155 PAGES.
ANDRÉ SPICER, CARL CEDERSTRÖM, LE SYN-DROME DU BIEN-ÊTRE, ÉDITIONS DE L’ECHAP-PÉE, 177 PAGES