Manipulation, infiltration, provocation… Ce qu’un révolutionnaire doit savoir de la répression
Le récent mouvement des Gilets Jaunes aura révélé aux plus naïfs l’existence de méthodes policières aussi anciennes que son rôle de maintien de l’ordre du Capital. Des policiers déguisés en casseurs, des casseurs utilisés par des policiers pour semer le désordre dans un mouvement social, le fichage des plus actifs et l’infiltration des manifs… Rien de nouveau, cela étant déjà exposé et décrit dans un petit livre rédigé dans les années 1920. « Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression » fait partie de ces lectures importantes pour tous ceux qui veulent sérieusement s’impliquer dans l’action révolutionnaire. Article paru dans le Rébellion 45 ( Janvier 2011).
Des méthodes qui ont fait leurs preuves
Victor Serge, son auteur, a voulu donner à l’ensemble des militants communistes européens une leçon sur les méthodes policières après la victoire de la Révolution d’Octobre 1917 en Russie. Les Bolcheviks pouvaient s’appuyer pour cela sur les archives colossales laissées par l’Okhrana, la police politique du Tsar. Elles détaillaient le fonctionnement interne de ce service de renseignement, l’enseignement et la mise en pratique des méthodes qui ont fait sa réputation dès la fin du 19ème siècle. On remarque d’ailleurs qu’elles sont toujours d’actualité, même si les nouvelles technologies les ont perfectionnées.
Toute surveillance policière débute d’abord par la mise en place d’un suivi et du repérage des éléments potentiellement subversifs. Il s’agit de filer l’homme, de connaitre ses faits et gestes, ses connexions et ensuite de découvrir son rôle et ses objectifs. Victor Serge indique qu’il est important de garder les yeux ouverts dans ses déplacements quotidiens et durant des actions politiques.
La base de tout travail policier est le renseignement et le fichage des activistes. Dès la seconde moitié du 19ème siècle, les institutions pratiquent la mise sur fiches de renseignements collectés sur les militants révolutionnaires. Toutes les innovations scientifiques modernes trouvent rapidement des applications policières (de la photographie au fichage génétique) et la connaissance des organisations révolutionnaires est un savoir enseigné dans les Ecoles de Police. Comme pour les bandes de délinquants, certains policiers sont ainsi formés à reconnaître les codes et les symboles des divers groupes politiques. A l’époque Tsariste, l’enseignement des structures internes des futurs bolcheviks était au programme. Aujourd’hui, un fonctionnaire du renseignement se spécialisera lors de stages sur les « nouveaux dangers » de l’extrême droite radicale, de la mouvance salafiste ou de l’ultra-gauche. Le principe de base est simple : laisser se développer le mouvement, le connaître pour mieux le liquider ensuite !
L’infiltration et la provocation, aveu de faiblesse du système
Victor Serge évoque dans son livre un des éléments qui fit le plus de mal au mouvement révolutionnaire russe : l’infiltration d’agents de l’Etat dans ses organisations. A la chute du tsarisme, les bolcheviks surent ainsi que leur direction avait elle-même était infiltrée par des agents provocateurs à la solde du régime. Ils purent se rendre compte, en dépouillant les archives des services secrets, de la trace de 35000 « infiltrés » au sein du mouvement révolutionnaire.
L’Okhrana avait établi une démarche précise dans le recrutement de ses agents. Elle révèle une bonne connaissance des zones d’ombres de l’âme humaine et les moyens de les utiliser pour des basses œuvres. Les éléments prédisposés à prendre du service sont « les révolutionnaires d’un caractère faible, déçus ou blessés par le parti, vivant dans la misère, évadés de lieux de déportation ou désignés pour la déportation». Il est recommandé d’étudier «avec soin» leurs faiblesses et de s’en servir, de leur faire croire que l’on possède des chefs d’inculpation assez graves pour de lourdes condamnations. Afin de les convaincre, il faut aussi tirer parti des querelles internes au groupe militant dont ils sont membres, de la misère affective et des blessures d’amour-propre.
L’infiltration doit fournir une information directe sur la vie et les évolutions du mouvement révolutionnaire, mais elle peut très vite glisser vers la provocation. Elle vise à décrédibiliser un mouvement ou de donner un motif à son écrasement. Elle est un aveu de faiblesse d’un système qui ne trouve plus aucun autre moyen pour enrayer la progression des idées révolutionnaires. Elle utilise la peur qu’elle inspire pour couper le soutien populaire, mais elle peut aussi échapper au système. L’exécution du ministre Stolypine qui avait tenté de sauver le conservatisme tsariste, par un anarchiste qui appartenait à la Police politique du Tsar en est un exemple.
Rien ne peut arrêter une Révolution
« La police tsariste devait tout voir, tout entendre, tout savoir, tout pouvoir… Et, pourtant, elle n’a rien su empêcher» écrivait Victor Serge. «On aurait tort de se laisser impressionner par le schéma du mécanisme apparemment si perfectionné de la société impériale. Il y avait bien au sommet quelques hommes intelligents, quelques techniciens d’une haute valeur professionnelle : mais toute la machine reposait sur le travail d’une nuée de fonctionnaires ignares. Dans les rapports les mieux confectionnés, on trouvera les énormités les plus réjouissantes. L’argent huilait tous les engrenages de la vaste machine, le gain est un stimulant sérieux, mais insuffisant. Rien de grand ne se fait sans désintéressement. Et l’autocratie n’avait pas de défenseurs désintéressés».
En 1917, le tsarisme s’est effondré sans que l’appareil répressif puisse arrêter le cours de l’Histoire. Car la Révolution était le fruit de causes économiques, psychologiques, politiques et morales, situées au-dessus d’eux et en dehors de leur atteinte.
En vérité, la police était débordée par la popularité grandissante d’une idée qui avait la sympathie instinctive de l’immense majorité des russes. La révolution avait ainsi « pour eux la puissance morale, celle des idées et des sentiments. L’autocratie n’était plus un principe vivant. Nul ne croyait à sa nécessité. Elle n’avait plus d’idéologie. La religion même, par la voix de ses penseurs les plus sincère, condamnait le régime». Or une société qui ne repose plus sur des idées vivantes, dont les principes fondamentaux sont morts, peut tout au plus se maintenir quelques temps par la force de l’inertie.
Un parti révolutionnaire aura comme objectif d’être le plus imperméable à l’appareil répressif de l’Etat. La principale leçon de Victor Serge est qu’un mouvement qui n’a pas de base solide n’a pas besoin de la Police pour se dissoudre de lui-même. Certains groupuscules par leur faiblesse même (aussi bien au niveau théorique que par leur recrutement fa it à la sortie d’hôpitaux psychiatriques) sont d’utiles éléments pour toutes les provocations policières ou médiatiques.
Victor Serge donne des règles simples à suivre pour que les militants deviennent des « révolutionnaires professionnels» : «Se garder de la manie de la conspiration, des airs initiés, des airs mystérieux, de la dramatisation des choses simples, des attitudes conspiratives. La plus grande vertu du révolutionnaire, c’est la simplicité, le dédain de toute pose même révolutionnaire».
Bibliographie : Victor Serge
Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, Ed. La découverte, coll. ZONES, 2010, 177 pages.
Qui fut Victor Serge ?
Pseudonyme de Victor Kibalchiche, il est né en 1890 de parents russes réfugiés en Belgique. En 1910, il installe à Paris et milite dans les rangs anarchistes. A ce titre, il côtoie la « bande à Bonnot » et a été condamné à 5 ans de prison pour activisme à l’explosif. A sa libération, il s’installe en Espagne. En 1917, il tente de rejoindre la Russie via la France mais il est arrêté. Ce n’est qu’en 1919, qu’il arrive à Moscou et rejoint immédiatement le Parti Communiste. Il est alors un proche collaborateur de Zinoviev à l’International Communiste. Lors du soulèvement des marins de Cronstadt, Serge se prononce contre les excès de la Tchekha. Opposant interne, c’est en 1928 qu’il est exclu du P.C. puis incarcéré en 1933. Une campagne internationale initiée par Trotsky et l’Opposition de Gauche arrache sa libération en 1936. Mais il rompt rapidement avec Trotsky, en désaccord sur nombre de questions – notamment son « sectarisme » vis-à-vis du P.O.U.M. espagnol.
En 1940, il quitte l’Europe pour Mexico où il meurt dans la pauvreté en 1947. Il laisse une importante œuvre littéraire sur l’histoire de la Révolution Russe et de l’Internationale Communiste.