Les médias dans le collimateur
Les médias furent massivement pour Emmanuel Macron. Et alors ? Les médias véhiculent les idées dominantes et sont aux ordres d’intérêts politiques et économiques. Faiseurs d’une opinion publique virtuelle, ils jouent le jeu du système. Cela dit, quelle attitude doit-on adopter à leur encontre ?
Quand l’ennemi veut nous imposer son terrain de bataille, il faut le refuser. Choisir de développer un discours alternatif en dehors des médias est un choix difficile, mais c’est le seul qui garantisse que nos révoltes ne seront pas dénaturées. Multiplier les rapports et les échanges directs avec le Peuple en dehors des médiations officielles voilà un objectif franchement révolutionnaire. Cela peut simplement commencer par écouter son voisin… Article paru dans le numéro 19 de Rébellion (Juillet-Août 2006).
Presse & dissidence : un divorce interminable ?
D’un bord à l’autre des opposants au régime, on s’épuise volontiers à dénoncer les médias, leur influence néfaste, leur mauvaise foi, voire leur collaboration soutenue avec l’ennemi. Chaque idéologue projette sur eux ses phobies personnelles, qui alimentent les pires théories du complot. Ces fantasmes absurdes et contradictoires ne sont pas seulement contre-productifs vis-à-vis de tout projet révolutionnaire crédible aux yeux de nos contemporains. Ils enferment également ceux qui les propagent dans une paralysie chronique de l’action et de la réflexion.
Prenons par exemple les néoréacs et les post-marxistes, qui rivalisent d’indignation face à la presse. Pour les uns, elle est vendue à la correction politique de la gauche ; pour les autres, elle n’est que l’auxiliaire de l’hégémonie libérale de la droite. Pourtant, la majorité des uns et des autres entretiennent toujours des relations ambiguës et opportunistes avec les désinformateurs, malgré leurs poses radicales et leurs discours méprisants. Leur volonté de propager leur discours parmi la population se mêle à leur propre soif de reconnaissance médiatique.
Quoiqu’ils en disent, leurs discours et leurs analyses considèrent encore la presse non pas comme un ennemi à abattre, mais comme une maîtresse infidèle qu’ils aimeront à nouveau si elle leur promet de ne plus les tromper. Tous, consciemment ou non, visent à conquérir la ligne éditoriale des quotidiens comme ils cherchent à investir les parlements. Dans les deux cas, il ne s’agit pas pour eux d’obstacles absolus à l’aboutissement de la révolution, mais d’outils mal utilisés qui pourraient les aider à atteindre leurs objectifs. Conséquence logique : ils en viennent malgré eux à jouer selon les règles des médias, car ils comptent toujours sur eux pour se faire connaître de Monsieur Moyen. Ces règles sont strictes, non négociables et mènent systématiquement la dissidence radicale dans deux impasses, selon les cas.
La première est l’inexistence médiatique par le biais de la censure pure et simple ; les structures militantes s’épuisent en communiqués et en actions qui ne reçoivent pas l’écho officiel auxquelles elles ont la faiblesse de s’attendre. La seconde impasse, plus grave encore, est la récupération politique, qui force à endosser le rôle de tel ou tel épouvantail social. « Black Bloc », « staliniens », « néo-nazis », « casseurs », « anti-guerre »… ce ne sont pas les déguisements réducteurs qui manquent. Au-delà de leurs différences apparentes, leur fonction est toujours la même : la ghettoïsation du mouvement visé, présenté comme une secte doctrinaire qui ne se bat que pour imposer par la force ses vues à la société apolitique. Tout lecteur ou téléspectateur qui n’est pas déjà partisan ou sympathisant ne peut que s’en sentir éloigné, car les groupes qu’on lui présente apparaissent comme des clubs fermés, régis par des codes rigides et où règne un abominable conformisme.
Une fois enfermé dans un de ces rôles, l’avenir médiatique d’un mouvement est tout tracé. Il aura beau multiplier les preuves de bonnes volontés et réfuter les stéréotypes, le juge ultime de sa crédibilité restera le monde journalistique, qui n’a aucun intérêt à modifier ses grilles d’analyse. Le rapport entre organisations radicales et médias reste donc toujours asymétrique : une fois qu’ils se sont emparés de leur image, elle ne leur appartient plus et peut être modifiée à volonté par les désinformateurs. Les conditions posées à la médiatisation sont l’abandon de toute revendication autre que superficielle – celui qui veut se faire sa place au soleil des tabloïds doit donc impérativement lisser son image, son discours et son programme.
Ce n’est pas qu’une question de maquillage, qui permettrait malgré tout de rester autonome « sous la surface ». Le Régime exige des garanties plus solides que des promesses d’obéissance. Il n’a même pas besoin d’encadrer ses nouvelles recrues par une police politique : leur simple vanité et les avantages matériels qu’ils retirent de la soumission (accès à la hiérarchie, amélioration du confort personnel, délices de la notoriété) suffisent à en faire des soldats disciplinés. Coopter un dissident inflexible ne lui pose aucun problème, on l’a vu avec la génération qui a fait Mai 68. Pour se faire admettre dans les rangs de la Nouvelle Classe, pas besoin de laisser son flingue au vestiaire, il n’y a qu’à laisser ses couilles en dépôt. Les idéaux et la fierté en souffrent un peu mais pas l’image publique : c’est tout ce qui importe dans un monde où seules les apparences comptent.
Faire connaître à Monsieur Moyen l’existence d’une alternative sociale et politique radicale passe par le développement de notre propre presse, de nos propres réseaux de formation et d’information. Mais il nous faut aussi compter avec le rôle parasitaire des médias officiels, qui ne se laisseront pas mettre sur la touche sans tenter de brouiller notre message. Les pistes d’action pour éviter de se faire censurer ou instrumentaliser par la social-démocratie dépendent des objectifs et de la marge de manœuvre propre à chaque cellule. Demeurent toutefois des règles valables toujours et partout :
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Ne rien attendre de la presse, surtout pas au niveau des bonnes surprises. Quand un concept, une thématique ou une personnalité s’y fait sa place, c’est généralement un signe que son potentiel de rupture a été mis sous contrôle. Le mouvement altermondialiste a bénéficié d’un large soutien journalistique, qui ne l’a pas empêché de s’essouffler jusqu’à devenir un théâtre de rue affligeant. A l’autre bout de l’échiquier officiel, les réacs ont été incapables de contrer l’OPA menée par les libéraux sur leur discours en matière de sécurité et de migration choisie : ceux qui ne se sont pas reconvertis en républicains centristes ont fini marginalisés et impuissants. La presse ne se fait jamais l’écho d’un discours ou d’une idée : elle en dépossède toujours son créateur.
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Ne pas avoir un discours caricatural, un uniforme repérable, bref ne pas chercher à correspondre à la Figure de l’Ennemi que donne la presse, surtout si ce n’est que dans un but de la choquer et de s’en distancier. Nous ne nous adressons pas à elle, mais à ses lecteurs. Or Monsieur Moyen ne veut pas avoir d’ennuis et il préférera toujours un interlocuteur ennuyeux mais sans danger à un militant habile et trop « voyant ». On peut rester fréquentable par n’importe qui en ayant un discours radical et un comportement civilisé – l’inverse mène rapidement à la mort sociale.
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Ne pas s’abstenir pour autant d’une lecture critique du discours dominant mais garder en vue son impact limité. La plupart du temps, elle ne sert qu’à sensibiliser Monsieur Moyen à la fabrication de l’opinion publique. Se plaindre de la sélection partiale des informations ne sert à rien: ça fait partie du cahier des charges journalistique. Et puis Monsieur Moyen le sait bien, il se méfie de la presse, il ne la lit plus que par habitude, par lassitude, pour se vider l’esprit. Le succès remarquable des journaux gratuits dans les transports en commun ou dans les environs de la machine à café le démontre assez clairement.
Il faut donc comprendre que les médias sont une partie intégrante du système, plus puissante même que l’Etat. Ce sont eux qui distribuent les cartes, disent qui est convenable ou pas, de même que l’Etat fixe la limite entre ce qui est légal et illégal, légitime et illégitime. Si nous rejetons comme nulle et non avenue la « citoyenneté » que l’Etat confère, avec ses faux droits et ses devoirs abusifs, alors nous ne pouvons pas continuer à quémander la reconnaissance de la presse. Toute révolution se passera forcément sans eux, contre eux ou malgré eux.
Saint-Martin