La Hongrie de Viktor Orbán est-elle un exemple d’alternative pour l’Europe Centrale ?
La Hongrie de Viktor Orbán est-elle un exemple d’alternative pour l’Europe Centrale ? La question mérite d’être posée.
Pays à identité forte, fier de l’héritage culturel le plus brillant d’Europe Centrale, la Hongrie est surement celui des pays de la région où la dimension tragique de l’histoire est la plus présente dans l’esprit de son peuple.
Sur un fond de nationalisme hongrois né du traumatisme de la perte des 3/4 de son territoire suite à la chute de l’Autriche-Hongrie (aux termes du traité de Trianon de 1919), Viktor Orbán réalise une synthèse entre un conservatisme authentique et les aspirations à la souveraineté populaire qu’on observe actuellement un peu partout en Europe. Après la désastreuse expérience de la thérapie de choc réalisée au début des années 2000 par les « sociaux-démocrates » issus pour partie des cercles dissidents de l’ancienne élite communiste, Orbán représente une sorte de populisme socio-patriotique : il a rendu à l’État le contrôle de la protection sociale (renationalisation les assurances sociales) et au capital hongrois la maîtrise d’une partie du système bancaire, défendu l’agriculture locale en interdisant les ventes de terres agraires aux étrangers (en Roumanie, plus de 60% des meilleures terres agraires sont dans des mains étrangères), et protège le capital local contre le capital transnational. D’où, évidemment, la violence des critiques de Bruxelles…
Profitant de sa fermeté lors de la crise des migrants, ses adversaires comptent sur l’aide étrangère pour déjouer son programme national-conservateur. Leurs manifestations, organisées, promues et financées par les ONG de la galaxie Soros, constituent régulièrement de petites tentatives de Maïdan, qui jusqu’à présent ont toutes échouées. Bénéficiant d’un réel soutien populaire et mettant en place une alliance des pays d’Europe Centrale contre les ingérences de l’Union Européenne, le gouvernement de Viktor Orbán est aujourd’hui à la croisée des chemins.
Nous avions demandé; dans le numéro 82 de Rébellion ( avril 2018) , à Modeste Schwartz, traducteur et écrivain français vivant entre Budapest et Cluj, son point de vue sur l’histoire et la situation hongroise actuelle.
R/ comment définir l’identité spécifique du peuple hongrois ?
Depuis que la forte personnalité politique de V. Orbán a projeté la Hongrie au premier plan de l’actualité européenne, on assiste à la formation d’une « magyariade » (sur le modèle de « l’espagnolade » du XIXe siècle), c’est-à-dire à la fabrication et diffusion de légendes, qui permettent par exemple de poursuivre certains des débats faussés qui empoisonnent la société française, mais en faisant semblant de parler d’un autre pays, lointain et exotique. Ainsi, l’antiracisme bêlant et manipulé semble, en France, s’être mis d’accord avec ce qu’il y a de plus bête dans le culte de l’identité pour considérer que la Hongrie est une Sparte ethniciste, racialement homogène et ouvertement raciste. Il n’en est rien. Située en plein milieu de l’Europe, elle présente une diversité génétique énorme, une grande diversité culturelle et des mécanismes d’assimilation citoyenne bien rôdés. Quand on parle des effets du Traité de Trianon, on fait parfois semblant de croire que, dans les régions qu’elle a conservées, la Hongrie était ethniquement homogène. Il suffit d’ouvrir un annuaire téléphonique de Budapest pour se convaincre de son erreur : allemands, slaves, juifs, italiens… les patronymes spécifiquement hongrois (interprétables dans la langue même, comme le français « Meunier » fait penser à « moulin ») y sont en minorité ! Comme en France, une grande partie des hongrois d’aujourd’hui n’ont pas quatre grand-parents dont le hongrois aurait été la langue maternelle. Comparée, notamment, à tous ses voisins, la Hongrie est donc plutôt une république, caractérisée par un patriotisme citoyen, qui a su intégrer de nombreuses minorités et continue à le faire. Les hongrois sont aussi ceux des centre-européens qui émigrent le moins pour des raisons économiques, essentiellement parce les infrastructures (notamment éducationnelles, hospitalières, etc.) fonctionnent mieux chez eux qu’en Roumanie, Slovaquie etc. (et peut-être même mieux, aujourd’hui, que dans certains pays d’Europe du Sud ruinés par la prédation financière). C’est donc – si l’on fait abstraction de la langue, d’un type relativement inhabituel dans le contexte européen – simplement un pays du monde relativement fonctionnel et relativement normal, et donc conscient de son intérêt collectif, désireux d’avoir un avenir et de le choisir lui-même. Vu depuis la France « Charlie », un tel état de fait peut sembler « réactionnaire », mais, objectivement, cela devrait plutôt nous inciter à nous poser des questions sur le déclin français que sur la « spécificité hongroise ».
R/ La Hongrie est un pays marqué par l’histoire et particulièrement par les tragédies du XXe siècle. Comment l’identité hongroise a-t-elle intégré les drames du dernier siècle ?
Là encore, on s’exagère « l’étrangeté » hongroise. Comparés au Polonais ou au Roumains (pour ne rien dire des peuples du Caucase, ou des Russes…), les Hongrois ne sont pas particulièrement obsédés par le passé. Ils se situent dans la moyenne anthropologique européenne (de l’Atlantique à l’Oural), encore dominée numériquement par des peuples qui honorent leurs morts et savent que la mémoire est une garantie d’avenir. C’est plutôt la France qui fait figure d’exception, avec son « devoir de mémoire » greffé sur une habitude d’oubli et transformé en psychodrame d’auto-culpabilisation semeuse de zizanie. Le cliché des « hongrois traumatisés » est né pendant la guerre froide et, encore plus, dans les années 1990, pendant la « grande braderie à l’Est », à une époque où les pays post-communistes glissaient en roue libre sur la pente de la désindustrialisation/dénatalité/dépopulation, où tout le monde cherchait à se barrer à l’Ouest (ou au moins à décrocher telle ou telle bourse occidentale d’un an ou deux), et où un bon moyen (ou supposé tel) d’y arriver était d’adopter un discours de victime qui vient d’entrevoir un sauveur. Les occidentaux étant (en dehors de certains professionnels) un peu naïfs, ces jérémiades conventionnelles ont souvent été prises pour argent comptant.
R/ L’épisode de l’insurrection du Budapest en 1956 contre l’occupation soviétique est-il un événement marquant dans la mémoire contemporaine hongroise ?
Oui. Autant il est d’usage de s’exagérer l’importance du « trauma de Trianon » (qu’aucun hongrois encore en vie n’a personnellement vécu), autant on sous-estime parfois celle de 56, seul épisode réellement chaud de la guerre froide sur le sol européen, tuerie effroyable dont beaucoup de témoins sont encore parmi nous. Ceux qui, à l’Ouest, évoquent ce drame le font généralement avec des arrières pensées russophobes, et ont par conséquent tendance à oublier dans leur récit quelques détails (dont les hongrois, en revanche, ont bien conscience), et notamment que :
- La crise de 56 a d’abord été une guerre civile, l’URSS n’intervenant qu’au bout d’un certain temps pour reprendre la situation en main ; elle a débuté par un mouvement réformiste au sein même du PC hongrois, et beaucoup de ceux qui sont arrivés au pouvoir après le massacre (souvent au prix d’une participation honteuse aux opérations de répression, pour montrer patte blanche) étaient à l’origine… des réformateurs.
- L’intervention soviétique (et donc le massacre) aurait pu être évitée si des agents d’influence occidentaux n’avaient pas encouragé les hongrois à une attitude jusqu’au-boutiste en leur laissant espérer une intervention militaire de l’OTAN volant à leur secours (laquelle était cependant exclue d’entrée de jeu, aux termes de l’accord de Yalta). Les hongrois ont été envoyés au casse-pipe pour ternir l’image internationale de l’URSS (et beaucoup s’en sont rendu compte par la suite).
- Les relations entre troupes (« d’occupation ») soviétiques stationnées en Hongrie (plus pour défendre la frontière occidentale du Pacte de Varsovie que pour contrôler le pays) et population locale étaient si bonnes (caractérisées, notamment, par de nombreux mariages mixtes) que lorsque Moscou s’est résigné à l’idée d’une répression « musclée », la première précaution a été de rappeler lesdites troupes en URSS, pour envoyer « à leur place » (mais plus avec la même mission…) des troupes sibériennes.
On peut donc tirer de l’événement des leçons erronées (celles de la russophobie et de l’antisoviétisme d’inspiration trotskyste/néo-con), mais aussi des leçons justes, que les technocrates de Bruxelles feraient bien de ruminer un peu : même en situation d’infériorité numérique extrême, les hongrois ne se laissent pas violer sans résistance. L’armée rouge, bien qu’équipée de tanks contre des manifestants qui n’avaient que les armes confisquées à la police hongroise, a laissé pas mal de soldat sur le terrain. Avis aux amateurs !
R/ L’effondrement du bloc soviétique a-t-il été aussi chaotique que dans le reste de l’Europe de l’Est ? Qui furent les gagnants de cette période ?
En gros, oui. A l’Est de Vienne, personne n’a réellement échappé à la catastrophe des années Eltsine, même si la Hongrie s’en est relativement mieux sortie alors que la Russie ou la Roumanie. Et comme partout ailleurs, les gagnants de la grande braderie ont été d’anciens nomenclaturistes opportunément convertis (en l’espace de 24h) aux dogmes de « l’économie de marché » (mais aussi à ses pratiques, y compris les plus discutables moralement). C’est ce genre de « golden boy post-communiste » qui a, pour l’essentiel, régné sur la Hongrie de 1990 à 2010 – au début, à travers des hommes de paille qui professaient encore (dans le vide) de vagues convictions socialistes, puis, de plus en plus, directement : processus qui culmina avec la nomination au poste de premier ministre de F. Gyurcsány, jeune oligarque libéral-libertaire qui a, dans les années 2000, réussi une OPA amicale sur le Parti Socialiste Hongrois (greffe qui, cependant, n’a pas vraiment pris, à en juger par son éviction ultérieure). Un Macron avant la lettre, en somme. C’est cette gestion oligarchique que les peuples d’Europe centrale tentent à l’heure actuelle de supprimer par un retour à la souveraineté politique qui peut prendre des formes culturellement « de droite » (notamment en Hongrie, où les oligarques pro-occidentaux sont restés déclarativement « de gauche » – alors même que le Parti des Travailleurs, véritable héritier du PC hongrois, soutient discrètement Orbán…) ou des formes de « centre gauche » (comme en Serbie et Roumanie, où la fronde anti-Bruxelles, anti-privatisation et anti-dissolution des nations semble plutôt venir de partis « sociaux-démocrates » ayant hérité leurs structures des anciens partis uniques). Les observateurs occidentaux superficiels ont tendance à se focaliser sur ces différences de pure forme (parce qu’elles leur rappellent leurs débats internes – les seuls qui les intéressent vraiment), et donc à rater (de façon programmatique, sinon toujours prémédité) l’essentiel.
R/ L’évolution de Viktor Orbán est-elle la conséquence de cette époque trouble ? Comment est-il passé du libéralisme à un conservatisme populaire ?
En étudiant de plus près son parcours, comme je l’ai fait récemment (après des années d’antipathie mal informée, puis de sympathie tout aussi mal documentée), on se rend compte qu’en réalité il n’a jamais été réellement libéral. Tout au plus « paléo-libéral », c’est-à-dire favorable à la démocratie bourgeoise et à la propriété privée d’au moins une partie des biens de production (et a fortiori des biens de consommation), mais sans adhésion aux dogmes antinationaux de la religion mondialiste, sans éloge de l’individualisme post-moderne nihiliste (V. Orbán dit lui-même devoir sa formation morale à un jeu d’équipe : le football) et sans darwinisme social. A moins de supposer cela, on s’explique mal pourquoi il a, au début des années 1990, refusé la fusion de son parti FIDESZ (à l’époque une organisation de jeunesse hâtivement transformée en parti lors des premières élections pluralistes) avec le SZDSZ (parti libéral aujourd’hui presque éteint, mais qui était à l’époque une force majeure, et semblait alors devoir arriver au pouvoir rapidement et pour longtemps), en dépit de pressions énormes de ses pairs et lieutenants (qui voulaient bien entendu arriver « aux affaires » le plus vite possible). Jusqu’à la fin des années 2000, certes, les aspects patriotes et sociaux de sa ligne politique restent en sourdine, pour des raisons, à mon avis, pragmatiques : l’électorat des couches populaires (qui lui est aujourd’hui acquis) était alors encore fidèle au PS hongrois en cours de dégénérescence libérale-libertaire, et le mythe occidental (de « l’intégration euro-atlantique » qui ne peut qu’apporter bonheur et prospérité à tous) était encore trop ancré dans les mentalités centre-européennes pour qu’une option souverainiste (même modérée) puisse, par des moyens démocratiques, espérer avoir gain de cause.
R/ Comment définir sa ligne politique ?
Je pense qu’on peut le définir comme un démocrate-chrétien à l’ancienne, ce qui constitue bien entendu un scandale inédit dans une UE désormais dominée par la forme dogmatico-totalitaire du libéralisme libertaire dur. Là encore, c’est plutôt l’évolution mutante des gauches occidentales, devenues les plus sûres alliées du grand capital transnational, qu’il faudrait interroger ; c’est cette évolution qui explique qu’on voie une Le Pen faire campagne en France sur un programme objectivement gaullien et social-démocrate, et que V. Orbàn, qui se serait fondu dans le paysage politique ouest-européen des années 1960, soit aujourd’hui présenté par la presse à gages comme un dangereux extrémiste…
Rappelons qu’il est issu d’un milieu rural et prolétarien sans liens familiaux avec le « légitimisme » hongrois d’avant-guerre, et d’une couche sociale qui a dû au communisme l’accès à l’éducation et à des conditions de vie modernes. C’est son grand avantage sur les grands bourgeois qui monopolisent la « gauche » hongroise : lui sait comment pense et réagit le hongrois moyen. Et c’est aussi probablement la source principale du bon sens avec lequel il évite à la fois le piège libéral et l’impasse d’un ethnicisme rabique (à l’ukrainienne) – l’un et l’autre plutôt faits pour séduire intellectuels, artistes et oisifs que pour rassurer le père de famille qui bosse. Rappelons au passage que V. Orbàn, à la différence de la grande majorité des leaders de l’UE, est un père de famille nombreuse et un chrétien (calviniste) pratiquant.
Cependant, comme tout grand homme d’Etat, V. Orbán est avant tout un réaliste, d’un pragmatisme allant souvent (de l’aveu même de son très enthousiaste biographe polonais I. Janke) jusqu’au cynisme. Il veut le bien de son pays à tout prix, et croit sincèrement (et pour l’instant, à mon humble avis, à raison) qu’il est le plus à même de veiller sur sa destinée. Ainsi, face à la crise migratoire, il n’a pas hésité à « dépasser sur sa droite » son principal concurrent politique, le Jobbik de G. Vona (pourtant plus proche historiquement de thèses ethnicistes que le FIDESZ de V. Orbán), entre autres parce qu’il savait que les réactions hystériquement magyarophobes de toutes les pseudo-gauches immigrationnistes de l’UE ne feraient que renforcer autour de sa personne la cohésion politique du peuple hongrois. Pourtant, il aurait aussi pu s’économiser ce bras de fer dangereux, en créant comme la Serbie un corridor permettant à l’Allemagne de recevoir à travers la Hongrie tous ces « réfugiés » qu’elle appelle de ses vœux par la bouche d’A. Merkel (et qui seraient moins de 1% à vouloir s’attarder dans des pays post-communistes à aides sociales anémiques comme la Hongrie). Je pense qu’il a choisi l’affrontement parce qu’il savait que de toute façon les dictateurs en herbe qui gouvernent actuellement l’UE ne comptent pas tolérer à long terme son souverainisme (pourtant modéré), donc il préfère les affronter le plus vite possible et sur un terrain qui l’avantage (étant donné que le refus de l’immigration de masse unit toute l’Europe post-communiste autour du projet Visegrad, plus efficacement que ne l’aurait fait, par exemple, une campagne sur l’inégalité salariale Est-Ouest au sein de l’UE). V. Orbán, c’est aussi ça : un modéré, un prudent, qui sait se garder de toute impulsivité (il préfère passer ses nerfs sur le terrain de foot de son village natal), mais qui, une fois le combat reconnu nécessaire et/ou inévitable, ne montrera pas son dos à l’ennemi. Encore une fois : avis aux amateurs !
R/ La popularité de Viktor Orbán est une réalité dans les classes populaires. Quelles sont les mesures qui lui apporte ce soutien ?
En renationalisant une partie des infrastructures, le FIDESZ a mis le prolétariat hongrois à l’abri des pratiques vampiriques de beaucoup de grands groupes occidentaux (de l’énergie, de la banque, des tickets-repas…), qui se servent sans vergogne sur le portefeuille étriqué des européens de l’Est, et chantent les vertus de l’économie de marché tout en exploitant des marchés captifs, en situation de monopole. Si vous voulez comprendre pourquoi Sarkozy le déteste tellement, posez la question à Sodexho.
En outre, l’appui du FIDESZ aux familles est une réalité : aides directes, prêts étudiants effacés à demi à compter du deuxième enfant, puis totalement à compter du troisième (V. Orbán, à titre personnel, en a cinq), garanties d’Etat pour faciliter l’obtention d’un crédit immobilier. Enfin, le FIDESZ a eu une politique d’infrastructure ambitieuse dont les bénéficiaires les plus reconnaissants sont naturellement aussi les petits employés qui, ne disposant pas de l’hélicoptère personnel des sponsors de la « gauche » hongroise, sont, à défaut de « multiculturalité » et de « droits LGBT », assez content d’avoir des autoroutes, des trains et des trams pour arriver à bon port. Même remarque s’agissant de l’interdiction des OGM, fort appréciée du consommateur à petit budget, qui n’a pas forcément de quoi « acheter bio » (avec les fameux labels UE et leur impact habituel sur le prix), mais sait qu’en achetant les produits labelisés « produit hongrois », il court moins de risque de laisser Big Ag (les multinationales de l’agro-alimentaire) l’empoisonner en douce. C’est ce type d’écologie sociale qu’un agent d’influence atlantiste comme D. Cohn-Bendit a été spécialement chargé d’éliminer en France, en s’assurant que les Verts deviennent, comme en Allemagne, une secte de féministes hystériques et un collectif de défense des sans-papiers où l’on parle de tout, sauf d’écologie.
R/ Souvent oubliée, la question des minorités hongroises hors des frontières du pays est-elle encore un sujet sensible ? Comment le gouvernement Orbán gère cet héritage historique ?
Précisons d’abord que c’est une question qui n’a été « oubliée » (plus exactement : occultée) qu’en Occident (Occident qui sait bien qu’il a lui-même créé ce sac de nœuds en trahissant ses propres principes wilsoniens au nom d’une Realpolitik qui ne se souciait alors que de punir la Hongrie, et de récompenser ses alliés locaux dans l’expédition punitive chargée de mettre fin au projet soviétique, qui s’était entre temps avéré être mauvais payeur…). A l’Est de Vienne, il plus difficile « d’oublier » que les hongrois de Transylvanie (région occidentale de la Roumanie), notamment, constituent la plus grande minorité ethnique de l’UE (plus d’un million de magyarophones sur le territoire roumain).
Cela dit, il faut aussi dédramatiser : la minorité la plus importante numériquement et territorialement est, comme je viens de le dire, celle de Roumanie, laquelle, historiquement, a aussi toujours été la mieux traitée (même pendant la phase la plus chauvine du national-communisme roumain, les hongrois de Roumanie conservaient pour la plupart la possibilité d’être éduqués en hongrois de la maternelle à l’université – ce dont nous savons bien qu’aucune minorité ethnique n’a jamais pu rêver en France, « pays des droits de l’homme »). La situation la plus grave, symétriquement, est celle des hongrois d’Ukraine, lesquels, comme toutes les autres communautés ethniques non-ukrainiennes du pays, viennent d’être privés de tous leurs droits culturels par la junte néo-bandériste (au pouvoir à Kiev avec… l’appui de ce même Occident qui pleure de si chaudes larmes sur les féministes barcelonaises malmenées par la Guardia Civil). Mais, du point de vue numérique, cette minorité hongroise est aussi l’une des plus petites.
Très intelligemment, le FIDESZ, dès son arrivée au pouvoir en 2010, a frappé un grand coup sur la table régionale en créant une procédure d’octroi accéléré de la citoyenneté hongroise aux citoyens de culture hongroise des états voisins (profitant de l’occasion : en Roumanie – pays de l’UE dont on pouvait craindre une opposition massive, le président Băsescu était justement lui-même, aux ordres de l’OTAN, en train de distribuer des passeports roumains aux roumains ethniques de République Moldave). Cette décision historique (et sa conséquence prévisible, qui est qu’aujourd’hui la plupart des hongrois des pays voisins ont la double citoyenneté) ont certes un coût potentiel (un risque) élevé : en cas de tensions ethniques dans un pays voisin, la Hongrie ne serait plus seulement moralement, mais aussi juridiquement obligée de prêter assistance à ses ressortissants domiciliés au-delà de ses frontières, ce qui permettrait notamment aux réseaux CIA d’organiser un nouveau Donbass (par exemple en Transylvanie orientale). En outre, les critiques hostiles au FIDESZ mettront bien entendu l’accent sur les motivations électorales dont il est, en effet, difficile d’imaginer qu’elles n’ont pas joué un rôle dans la prise de cette décision (auquel cas l’opération a d’ailleurs réussi : la grande majorité de ces « nouveaux citoyens » domiciliés hors de Hongrie votent pour le FIDESZ encore plus massivement que les hongrois de Hongrie). Mais une autre conséquence, potentiellement plus positive, est en train d’affleurer à la surface de l’histoire : en se posant définitivement comme le défenseur de l’unité ethnique du peuple hongrois (à la différence de la « gauche » hongroise qui s’ingéniait depuis des décennies à monter les hongrois de Hongrie contre leurs cousins transfrontaliers « arriérés »), V. Orbán s’est assuré, dans de futures négociations bilatérales ou régionales, une position de négociation telle qu’aucun leader démocratique hongrois n’en a jamais eue dans l’histoire : le moment venu – en l’échange, bien entendu de concessions réelles (notamment de l’autonomie administrative du Pays Sicule, enclave hongroise au centre de la Roumanie actuelle) – il pourra, au nom de la Hongrie, procéder à des concessions tout aussi réelles (consistant pour l’essentiel à enterrer définitivement la hache de guerre irrédentiste), et ce sans passer pour un traître aux yeux du nationalisme hongrois. Reste bien sûr, pour ce faire, à convaincre aussi les majorités ethniques des pays voisins (et notamment le peuple roumain). Mais là aussi, V. Orbán a un atout dans sa manche : l’intégration régionale ; pendant que Macron et Merkel parlent de plus en plus souvent d’une Europe à deux vitesses (et que la Hollande, par exemple, bloque l’accès de la Roumanie à Schengen, pour protéger la compétitivité de ses ports lointains et chers face à celui de Constanța, halte naturelle sur la Route de la Soie), V. Orbán propose aux peuples d’Europe centrale de négocier d’une seule voix au sein des institutions communautaires. Des contacts récents – « transpartisans » – avec le Parti Social-Démocrate au pouvoir à Bucarest semblent suggérer que l’idée fait son chemin.
On assiste donc potentiellement à un véritable changement de paradigme : intégration régionale au lieu de rivalités frontalières, et solidarité des « estiens » contre mise en concurrence orchestrée par les métropoles coloniales de facto que sont les pays de l’Ouest de l’UE (et notamment l’Allemagne).
R/ Pouvez-vous revenir sur les rapports entre l’Union Européenne et la Hongrie. D’où viennent les tensions entre Bruxelles et Budapest ?
Quand on comprend réellement l’essence du projet bruxellois (telle qu’elle transparaît clairement dans les analyses de F. Asselineau ou de mon ami P.-Y. Rougeyron, par exemple), d’une part, et le profil idéologique de V. Orbán d’autre part (c’est-à-dire, pour aller vite, une sorte de De Gaulle à la hongroise), on aurait plutôt tendance à se demander comment le malentendu permettant une relative harmonie entre eux a pu durer si longtemps. Sous le vernis d’une « culture du dialogue » factice, l’UE est un projet dictatorial et totalitaire, pour lequel la rébellion (pourtant modérée) de la Hongrie a constitué un trauma majeur, qui a d’ailleurs conduit à une réorientation stratégique importante dans sa « politique du personnel » : tournant le dos à la doctrine des « révolutions oranges » du début des années 2000 (marquées par des personnalités politiques fortes dans le camp pro-occidental, comme V. Orbán lui-même, ou le roumain T. Băsescu et le géorgien M. Saakachvili – dont le destin ultérieur a certes été moins brillant), l’Occident ne mise désormais plus en Europe centrale et orientale que sur des hommes de paille, « intellectuels » sans réelle carrure politique élevés dans les serres universitaires de G. Soros, ou petites gloires provinciales comme l’actuel président roumain. L’Empire préfère désormais être servi par des nullités transparentes, plutôt que de courir le risque d’un « nouvel Orbán ».
Bien sûr, Orbán n’est pas arrivé seul au pouvoir, et le FIDESZ n’est pas monolithique ; il y existe une aile europhile/libérale assez puissante (qui était même dominante jusque vers le milieu des années 2000). On aurait donc pu imaginer qu’en revenant au pouvoir en 2010, le FIDESZ poursuive sa politique mi-figue, mi-raisin des années 1998-2002, s’attirant de ce fait moins les foudres de Bruxelles. A supposer que ce scénario soit crédible, on arrive à la conclusion que le divorce a été causé par les eurocrates eux-mêmes, qui ont eu la bêtise de continuer à soutenir mordicus une « gauche » hongroise néo-libérale complètement décrédibilisée, jusqu’aux élections de 2010 qu’elle a perdues dans les grandes largeurs, et même au-delà. Mais je pense qu’il existe aussi des causes structurelles qui rendaient de toute façon improbable le scénario d’une gouvernance FIDESZ euro-compatible : la crise de la dette hongroise, que ladite « gauche » avait créée tout en désindustrialisant le pays, ne pouvait être réglée à court terme que par la mise à sac du pays selon la méthode appliquée en Grèce, ou par un changement des règles du jeu, que V. Orbán n’a pu imposer (en partie) qu’au prix de la haine durable des eurocrates – qui ne sont jamais, ne l’oublions pas, que les exécuteurs judiciaires du grand capital financier prédateur.
R/ Comment les hongrois ont vécu la crise des migrants et les mesures de Bruxelles pour faire plier leur gouvernement ?
En l’occurrence, aucune spécificité nationale : face à la marée humaine créée par l’ouverture des frontières turques et libyennes, les déclarations irresponsables d’A. Merkel et l’activité fébrile des passeurs (notamment kosovars), la réaction – de rejet absolu – des hongrois a été celle de TOUS les Européens vivant à l’Est de l’ancien rideau de fer (y compris des allemands de l’ex-RDA !). Et là encore, il faut retourner la question : même à l’Ouest, cette réaction aurait été celle de tout peuple européen il y a encore trente ans tout au plus, « droite » et « gauche » confondues. Souvenons-nous des positions du camarade Marchais sur l’immigration (d’ailleurs en parfaite conformité avec le point de vue de Marx lui-même sur le phénomène). L’acceptation non-négociable de l’immigration de masse (au nom de dogmes droits-de-l’hommistes) fait partie du même dispositif de spoliation de souveraineté que les privatisations (tout aussi massives) et la « technocratie » neutralisant les mécanismes démocratiques. Rappelons aussi que les pays d’Europe centrale n’ont aucun passé colonial extra-européen et restent jusqu’à nos jours (au Nord des Balkans, tout du moins) religieusement homogènes (avec des peuples partagés entre plusieurs églises, mais toutes chrétiennes) ; ils n’ont donc pas plus de raisons d’accepter une colonisation massive de musulmans africains et sud-asiatiques (principales zones de départ des migrants) que l’Arabie Saoudite ou le Pakistan en auraient d’accepter un million de chrétiens scandinaves par an.
Ensuite, il faut bien reconnaître que, politiquement, V. Orbán a su exploiter cette crise en véritable génie tactique. C’est la très imprudente déclaration d’A. Merkel sur les « quotas de migrants obligatoires » qui a fait de lui – probablement pour longtemps – le porte-parole des peuples d’Europe centrale, adulé par les milieux souverainistes non seulement chez l’allié traditionnel polonais, mais même en Roumanie (en dépit des rivalités historiques des deux pays). Et toutes les gesticulations ultérieures des eurocrates, censées l’intimider, n’ont fait que renforcer sa popularité nationale et régionale. Quelle que soit l’issue de cette crise, on peut dire qu’à cette occasion, les masques sont tombés : à l’Est, désormais, même ceux des hongrois, roumains, polonais etc. qui restent fidèles à une europhilie modérée se rendent aujourd’hui bien compte que le traitement qu’on leur réserve dans l’UE ne peut qu’être le résultat d’un rapport de force, et non de « principes » et de « sentiments » (qui seront piétinés dès que l’Allemagne aura l’impression que ses intérêts ne sont pas servis au mieux). Le « rêve européen » – autre nom de la grande crise de naïveté aigue qui a frappé les peuples d’Europe centrale et orientale au début des années 1990 – est bel et bien terminé. Plus personne ne croit au Père Noël occidental.
R/ Qu’est-ce que le groupe de Visegrád ? Est-il une alternative pour vous à l’UE ?
Ici, il faut bien distinguer, d’une part le passé réel du projet officiellement nommé « Groupe de Visegrad » (souvent ignoré même par ses sympathisants les plus fervents) et, d’autre part, son image actuelle et les potentialités que recèle le grand mouvement d’enthousiasme entourant actuellement cette expression en Europe centrale (et, de plus en plus, orientale). Par conséquent, à l’heure actuelle, selon qu’on s’intéresse plutôt au passé de cette idée ou à son futur, des analyses très divergentes peuvent être simultanément exactes. C’est un peu le groupe de Schrödinger.
Concernant son passé, il est clair qu’il n’est pas sans lien avec l’OTAN et avec un « plan B » américain consistant à se réserver une alliance centre-européenne de revers dans l’éventualité (au demeurant peu probable actuellement) de l’apparition de cet « axe Berlin-Moscou » qui constitue depuis plus d’un siècle le cauchemar stratégique majeur des Anglo-saxons.
Quant à l’avenir du projet, je pense qu’il est actuellement ouvert. En termes psychologiques, la simple mention de cette association, pourtant fort peu contraignante encore, de pays de l’ex-Europe communiste suffit généralement à faire sauter un verrou mental de première importance sur la voie de la libération d’une pensée souverainiste : la peur de l’isolement, ressort psychologique puissant dans l’inconscient collectif de ces petites nations, et que l’Occident a jusqu’ici su utiliser avec brio à son profit. Et le fait que la « crainte du migrant » soit pour l’instant le meilleur argument publicitaire du projet ne doit pas occulter les potentialités d’intégration régionale qu’il sous-tend, et qui sont elles-mêmes la conséquence logique de complémentarités économiques naturelles (ou du moins anciennes), que la colonisation occidentale s’est jusqu’ici efforcée de court-circuiter pour favoriser les relations clientélaires est-ouest. Qu’il s’agisse de distances géographiques ou culturelles, il est bien plus naturel pour un hongrois aimant la mer (dont son pays est dépourvu) d’aller passer ses vacances sur le littoral croate ou roumain (voire abkhaze ou géorgien), en voiture (ou peut-être demain en train grande vitesse), que de prendre l’avion pour gagner les plages LGBT d’Espagne ou le littoral turc halal. Et beaucoup des quatre millions de roumains vivant à l’étranger préféreraient peut-être gagner un salaire hongrois revalorisé à quelques centaines de kilomètres de leur village natal que de vivre à 2000 ou 3000 kilomètres de chez eux : pouvoir rendre visite à ses parents chaque week-end si on le désire, ou seulement à Pâques et Noël, c’est une différence qui laisse peu d’Européens de l’Est indifférents. Enfin, sans tomber dans les paranoïas ridicules de la propagande russophobe, il est vrai que, dans un monde où la Russie est appelée par la force des choses à devenir plus active internationalement (et globalement, on ne peut que s’en féliciter !), ces petits pays de son voisinage, qu’ils soient alliés historiques (comme la Serbie et, dans une moindre mesure, la Bulgarie), rivaux historiques (comme la Pologne et la Lituanie) ou dans des situations intermédiaires (comme la Roumanie et la Hongrie) auront tout intérêt à lui parler, à elle aussi, d’une seule voix – fraternelle, mais ferme.
R/ La Hongrie peut-elle sortir de l’UE ?
Juridiquement, c’est très compliqué. Concrètement, c’est même presque impossible, à en juger par les pressions énormes qu’a subies un état autrement solide (la Grande-Bretagne) quand il a eu l’audace de vouloir évacuer cet « Hôtel California ». Petite, financièrement fragile, très dépendante du capital allemand et militairement anémique, la Hongrie aurait bien du mal à résister seule – d’où, aussi, l’importance du projet Visegrad, dont le but tactique actuel n’est cependant probablement pas d’organiser « une évasion en groupe », mais plus modestement de négocier le maintien dans une position moins dramatiquement défavorable. Cela dit, compte tenu d’une part de la folie fanatique qui semble de plus en plus s’emparer des eurocrates (de plus en plus enclins à voir des « complots russes » partout où on les critique, même poliment, et à vouloir organiser des changements de régime sur le champ), et d’autre part du caractère des hongrois (qui cachent sous une placidité vaguement dépressive des ressources insurrectionnelles inattendues), un « accident de parcours » ne saurait être totalement exclu à court terme. En gros, si l’UE, dans sa campagne anti-Orbán, passe la ligne rouge des moyens légaux du soft power (guerre médiatique, chantages économiques etc. : déjà en plein déploiement au moment où j’écris) et entre en territoire de barbouzerie (attentat sous faux drapeau, stratégie de la tension ethnique etc.), alors, oui, elle se retrouvera peut-être avec un Huxit sur les bras…
R/ Quelle est l’origine de la guerre ouverte d’Orbán contre les réseaux de G. Soros ?
Ici aussi, une mise en perspective est probablement nécessaire. En Occident, la présence et l’action des réseaux Soros (enfin, de la nébuleuse qu’on dénomme conventionnellement ainsi, mais qui constitue en réalité le principal instrument d’un soft power mondialiste qui dépasse à mon avis la personne de G. Soros) reste souvent assez discrète (quoique efficace) pour qu’il soit possible à la presse à gages de nier sans autre forme de procès et de tenter de combattre par le mépris et le ricanement ceux qui tirent la sonnette d’alarme. En Europe post-communiste, les choses sont assez différentes. Ici, tout au long des années 1990 et encore au début des années 2000, le sabotage systématique de l’Etat passait aussi par une dégradation inimaginable à l’Ouest du statut des universitaires, scientifiques et autres intellectuels, littéralement réduits à la mendicité (au moins au sein de leur famille) par des salaires oscillant (même pour ces pays à bas niveau de vie) entre le ridicule et le dérisoire. Dans ces conditions, Soros, à travers ses innombrables bourses, subventions etc., était devenu le seul bailleur de fonds solvable du monde intellectuel, et, en tant que tel, dictait naturellement les règles du dire et du penser. Mais peu à peu, les choses changent : pour empêcher un effondrement total des structures universitaires menacées par l’exil des cerveaux, les pays d’Europe centrale, volens nolens, ont dû peu à peu commencer à revaloriser ces professions. L’indépendance intellectuelle ainsi créée rend possible la fronde actuelle, dont la Hongrie de V. Orbán a, là aussi, pris la tête, et qui, dans les opinions publiques, se focalise surtout sur deux thèmes qui opposent frontalement le projet anglo-saxon de « société ouverte » aux mentalités locales : l’immigration de masse (dans des pays d’émigration où il est plus difficile qu’à l’Ouest de faire passer la « mobilité des personnes » pour un idéal rose bonbon) et l’agenda LGBT (qui passe mal dans des sociétés où – entre autres justement du fait de la précarité économique organisée par l’Occident dans les années 1990 ! – la famille reste un point de repère central dans la vie des individus).
R/ Quels sont les rapports de la Hongrie avec la Russie de Vladimir Poutine ?
En dépit d’une propagande occidentale intense, la plupart des hongrois ne sont jamais tombés dans le piège consistant à rendre le peuple russe responsable des errements souvent criminels de la bureaucratie bolchévique (et notamment des massacres de 1956). Ici, on a donc une vision non-idyllique, mais bien plus réaliste qu’à l’Ouest, de la Russie de Poutine : tout le monde se rend bien compte qu’elle constitue un voisin potentiellement redoutable, qui défend ses intérêts sans faiblesse, mais on se laisse plus difficilement aller aux errances paranoïaques des discours occidentaux sur « l’expansionnisme russe », la « folie du dictateur du Kremlin » et autres légendes urbaines fabriquées à Langley et relayées par Hollywood. De plus, en cherchant à isoler diplomatiquement et en menaçant de punir économiquement la Hongrie pour délit de lèse-dogme mondialiste, les eurocrates poussent de facto Orbán (qui, comme toute la planète, a vu en Irak et en Lybie de quoi l’Occident est désormais capable avec ses lieutenants mutins) dans les bras de Poutine. Cela dit, la Hongrie reste militairement fidèle à l’OTAN et se contente d’y soutenir le camp des modérés contre celui des « faucons » néo-con – comme devrait le faire tout gouvernement responsable et raisonnablement patriote en Europe centrale, compte tenu du coût exorbitant qu’aurait pour ces pays un affrontement direct des deux blocs (lequel aurait, a priori, en partie lieu sur leur territoire). Les rumeurs de « passage à l’Est » de la Hongrie relèvent donc pour l’essentiel de la propagande que les eurocrates et la galaxie Soros ont déchaîné contre le gouvernement FIDESZ.
R/ Comment voyez-vous l’avenir du gouvernement de Viktor Orbán ?
Compte tenu des moyens sans précédents actuellement alloués par la machine de guerre cognitive occidentale à la campagne d’éviction de V. Orbán (G. Soros vient justement de doubler le budget de son armée d’activistes de la « société civile »), l’avenir devient hautement imprévisible. L’Empire ne semble vouloir reculer devant rien, et pourrait même préparer un maïdan en bonne et due forme (s’étant pour ce faire préalablement assuré le soutien du parti d’extrême-droite Jobbik, jadis russophile et en rapport de critique constructive avec le FIDESZ, mais « retourné » contre lui au cours de ces derniers mois, et qui semble actuellement prêt à marcher dans les pas du Svoboda ukrainien). Les attaques personnelles du plus bas niveau sont déjà monnaie courante, alors que la campagne officielle vient à peine de commencer et que six mois nous séparent encore de l’échéance électorale de 2018. La « gauche » libérale hongroise n’est pas en reste, et semble même souvent disposée à s’allier à ce Jobbik qu’elle dépeignait il y a encore un an comme la « peste brune ». Il y a, de toute évidence, beaucoup d’argent en jeu, et l’hiver sera chaud.
Je reste, néanmoins, raisonnablement optimiste, compte tenu de l’intelligence du peuple hongrois, difficile à manipuler et qui, parmi les nations d’une certaine importance, avait déjà réussi en 1990 la transition politique la plus pacifique du bloc Est. Du million de hongrois qui, en descendant dans la rue lors de la Marche de la Paix de 2012 (j’étais à leurs côtés), a réussi à neutraliser une première tentative de maïdan contre leur gouvernement légitime, assez peu ont dû changer d’avis entre temps, compte tenu des assez bons résultats des deux premiers mandats de V. Orbán (même très bons, si on les compare au bilan catastrophique des gouvernements précédents). La Hongrie étant d’ores et déjà une puissance exportatrice, une attaque monétaire et/ou douanière y aurait probablement les mêmes effets qu’en Russie : après une brève secousse désagréable, diversification salutaire des canaux commerciaux et stimulation de la production interne. Reste la fragilité du pays en termes de capitaux : l’emploi industriel y repose avant tout sur des investissements occidentaux (avant tout allemands) ; mais il s’agit là plutôt d’une interdépendance que d’une dépendance sèche : l’Allemagne sera-t-elle disposée à sacrifier son propre appareil économique sur l’autel du fanatisme idéologique ? L’avenir (proche) le dira.
A plus long terme, à vrai dire, je crains davantage les pièges d’une victoire facile que les dégâts (réparables) de la bataille si elle est gagnée de justesse. Dans son dernier discours de Tusnád, V. Orbán a lui-même reconnu que les résultats de sa politique nataliste n’étaient pas, pour l’instant, à la hauteur des efforts matériels consentis, sous sa direction, par la collectivité, et a fugacement évoqué la cause de cet échec : la réticence des femmes hongroises devant le choix de la maternité. Or, si le déclin démographique actuel se poursuit, tous ses efforts – généralement couronnés de succès – dans d’autres domaines n’auront finalement servi à rien. En cas de victoire, le FIDESZ devra donc s’atteler à la tâche – encore plus délicate qu’une simple euro-dissidence en matière de politique migratoire – de définir une alternative hongroise au modèle culturel libéral/individualiste qui domine actuellement la société hongroise : à la (re-)création d’une société accordant plus de respect aux mères qu’aux « femmes dans le vent », capable d’imaginer un bonheur transcendant la consommation, et une réussite sociale mesurable dans d’autres systèmes de mesure que l’euro, le rouble ou le forint.