La formation de l’esprit capitaliste chez Werner Sombart
« FAUST : Maudit soit Mammon, quand, par l’appât de ses trésors, il nous pousse à des entreprises audacieuses, ou quand, par des jouissances oisives, il nous entoure de voluptueux coussins ! »
Goethe, Faust, 1790.
Werner Sombart est, avec son directeur de thèse Gustav von Schmoller, l’un des chefs de file de l’école historique allemande. Il s’attache, contre l’économie classique, à mettre en avant une approche pluridisciplinaire de l’économie, à travers une analyse sociologique et historique. Dans son livre paru en 1913, Le Bourgeois, Sombart s’évertue à montrer que le capitalisme relève d’un esprit nouveau plutôt que, comme le pense la théorie économique libérale, une association d’individus qui chercheraient uniquement à faire valoir leurs intérêts égoïstes au sein d’un marché autorégulateur. Sombart cherche à montrer que l’homo oeconomicus n’a pas toujours existé, et il entreprend de comprendre la naissance et l’avènement de celui-ci. S’opposant à Marx et à son matérialisme historique, Sombart entend montrer que le capitalisme est avant tout un esprit et un fait social total. Toute son analyse du capitalisme explique le changement de mentalité qui s’opère entre celle de l’homme précapitaliste et celle de l’homme moderne. Sombart nous livre ici une approche fortement originale et étayée quoiqu’aujourd’hui relativement méconnue. La question à laquelle Sombart va alors chercher à répondre est la suivante : comment expliquer l’émergence de l’esprit capitaliste au cours de l’histoire ?
Pour tenter de comprendre l’importance historique de l’œuvre de Sombart, il faut avant tout en comprendre les enjeux intellectuels et comprendre où se situe l’œuvre de Sombart dans l’histoire des idées. Contemporain de Karl Marx, et considéré comme marxien tout au long de sa carrière universitaire, Sombart entend prolonger et dépasser l’œuvre de celui-ci. Éminent critique de celui-ci, il était reconnu par Engels, avec qui il correspondit brièvement, comme étant le seul économiste allemand ayant compris Le Capital de Marx.
Une différence notable que l’on peut néanmoins remarquer entre ces deux économistes se trouve dans la question du matérialisme et de l’idéalisme. Chez Marx, qui est matérialiste, au sens philosophique du terme, les faits sociaux et idées d’une époque sont déterminés par l’infrastructure, qui comprend les rapports de production, les conditions de production et les forces productives. Pour lui, c’est l’infrastructure, Bau, qui engendre la superstructure, Überbau, qui regroupe l’État, les idées et les représentations individuelles et collectives ainsi que la conscience de soi. De l’autre côté, Sombart, idéaliste, tente de montrer que dans les faits, bien que l’influence de l’infrastructure ne soit pas contestable, c’est plutôt l’inverse que pense Marx qui se produit : c’est la superstructure qui influence en réalité l’infrastructure. Il oppose ainsi au matérialisme historique de Marx un « idéalisme historique » si l’on peut se permettre l’expression. Sombart se pose en sociologue des sciences noologiques, c’est-à-dire des sciences qui étudient le monde de l’esprit, de la pensée, pour utiliser l’expression reprise par Proudhon chez M. Ampère. Sombart justifie son idéalisme de la manière suivante : « Les organisations étant une œuvre humaine, l’homme et l’esprit humain doivent nécessairement lui préexister. »4
Comment l’esprit capitaliste est-il né ?
Sombart reprend la notion d’« esprit », Geist, centrale dans la Phénoménologie de l’esprit de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, et l’adapte pour définir l’esprit économique, qui représente l’ensemble des facultés et activités psychiques qui interviennent dans la vie économique. L’esprit économique va au-delà des simples normes morales et de l’éthique puisqu’elles intègrent, entre autres, l’intelligence, les différents traits de caractère et les jugements de valeur. Ces facteurs spirituels sont déterminants pour expliquer les réalités sociales concrètes, présentes dans un moment historique : c’est donc, d’après lui, l’esprit qui engendre la vie économique.
Sombart va alors s’intéresser à la prédominance de certains facteurs spirituels, qui ne peuvent pas rendre compte pleinement d’une époque économique mais qui ont le mérite d’en révéler les tendances et les dynamiques sous-jacentes. Nous allons désormais nous pencher sur la pensée de Sombart et à la manière, originale, dont celui-ci analyse le développement historique du capitalisme. Cette analyse s’accompagnera de références économiques, historiques et philosophiques ; cette approche complète, qui est celle de Sombart, permet de prendre de la hauteur de vue sur le développement du capitalisme, terme dont la paternité doit justement lui être attribué.
Sombart distingue deux types d’esprits : l’esprit d’entreprise et l’esprit bourgeois, qui se rejoignent tous deux dans l’esprit capitaliste. Le substrat sur lequel se développe le capitalisme est l’esprit d’entreprise dans un sens large (l’expédition militaire en est l’incarnation typique), qui, pendant longtemps, n’est pas tourné vers le gain. Le capitalisme va justement naître de la combinaison de ce terreau qu’est l’esprit d’entreprise mélangé à l’esprit bourgeois, qui contient une multitude de facteurs, parfois difficilement appréhensibles : prudence, calcul, rationalisation… Cette rencontre va donner de cette manière à l’entreprise, telle que nous pouvons la concevoir aujourd’hui, un sens plus strictement économique.
Dans ce contexte, plus qu’une simple classe, la bourgeoisie est avant tout la représentante d’une mentalité spécifique. Gide, reprenant dans son Journal (1937) le mot de Flaubert – « J’appelle bourgeois quiconque pense bassement » – s’en rend bien compte lorsqu’il écrit de manière incisive : « Je reconnais le bourgeois non à son costume et à son niveau social, mais au niveau de ses pensées. Le bourgeois a la haine du gratuit, du désintéressé. Il hait tout ce qu’il ne peut s’élever à comprendre. »
La formation de l’esprit d’entreprise
La toute première source de l’esprit capitaliste remonte, à la passion de l’or et des trésors, propre aux peuples germaniques et celtes. On retrouve une origine cosmogonique de cette passion de l’or dans le chant de la Völuspa dans l’Edda poétique qui explique que les crimes et péchés naquirent de la fusion opérée entre le royaume des eaux primitives des Wanes et le royaume de lumière des Ases. Cette fusion, provoquée par l’or par le passage du premier au second, en fait alors le fait central de l’histoire universelle. L’or, est ainsi objet de toute convoitise par ce qu’il représente : symbole de la terre, il étale à la lumière du jour ses moissons et fruits dorés. Il incarne la puissance et la magnificence que désirent et convoitent tout hommes.
Cette passion de l’or va évoluer historiquement en amour de l’argent, en témoignent la plainte d’Erasme, Pecunioe obediunt omnia,ou l’importance accordée au culte de Mammon, divinité du Nouveau Testament personnifiant la richesse et l’avarice, à Florence au XIVe.
La source première de l’esprit capitaliste résulte de l’association entre l’appât du gain et l’esprit d’entreprise. Un entrepreneur doit disposer de qualités psychiques spécifiques s’il veut mener à bien son entreprise : il doit être conquérant, organisateur et négociant. Il est possible de voir dans Faust, et tout particulièrement dans le dernier acte du Second Faust de Goethe le profil type de l’entrepreneur : il soumet la nature et domine l’artifice technique au service d’une démesure humaine. Désormais, depuis que Faust s’est voué à l’« Action », qu’il substitue au « Verbe » biblique, tout est devenu possible.
Du bourgeois « vieux-style » à l’homme économique moderne
Sombart formule une thèse originale dans le sens où il fait remonter la naissance du capitalisme aux républiques marchandes du Nord de l’Italie au cours du Trecento, et plus particulièrement à Florence. On retrouve déjà dans le traité Del governo della famiglia de Leone Battista Alberti, l’un des grands humanistes polymathes du Quattrocento, le type accompli du bourgeois, avec des éléments que l’on retrouvera plus tard chez Defoe ou Benjamin Franklin. Alberti y fait l’éloge de la « sancta cosa la masserizia », le « saint esprit d’ordre » qui se rapporte à la bonne organisation intérieure de l’économie, qui passe avant tout par la rationalisation de la conduite économique et par l’esprit d’épargne. Par le développement de ce premier, le « dominus » est pour la première fois en charge de l’administration économique. Également, l’importance grandissante que va prendre ce dernier avec l’expansion du capitalisme signale le passage d’une économie fondée sur les dépenses à une économie fondée sur les recettes. Cela fait dire à saint Thomas d’Aquin que l’argent, n’existe que pour être dépensé : « usus pecuniae est in emissione ipsius ».D’ailleurs le credo de tout brave bourgeois, selon Alberti, est que les dépenses ne doivent pas dépasser les revenus. Sombart montre que Florence est le berceau du calcul commercial avec Liber Abbaci de Leonardo Pisano en 1202, qui pose les principes du calcul correct et va mener à une mathématisation croissante du monde. On retrouve en tout six écoles de calcul à Florence au XIVe siècle. Cette réduction de toute chose à la quantité, c’est-à-dire à la substance, aspect le plus grossier de l’existence manifestée est d’ailleurs brillamment analysée par René Guénon. Sa pensée, fortement marquée par l’ésotérisme, l’hindouisme et les doctrines métaphysiques orientales, met en avant une philosophie de l’Histoire traditionaliste et cyclique (à la différence d’Hegel ou de Spengler). Pour Guénon, le cycle dans lequel l’humanité est actuellement plongée est celui du Kali Yuga : c’est un âge sombre, c’est l’Âge de fer de la mythologie grecque dont parle par exemple Hésiode13 et qui a pour caractéristiques un accroissement de la vitesse et une multiplication des évènements. Notre cycle consacre le caractère quantitatif au profit du caractère qualitatif et annonce la chute du pôle essentiel vers le pôle substantiel, la materia de la scolastique, qui n’est, pour l’homme, que quantité pure. Cette dégénérescence se manifeste concrètement (Guénon se place toujours de deux points de vue : le point de vue humain et celui cosmologique) par exemple à travers la monnaie. Auparavant couverte de symboles bien précis, sa fonction est désormais uniquement de servir de valeur d’échange, dont la valeur inhérente peut elle-même être dégradée, par l’inflation par exemple. Ce glissement vers l’ère de la quantité peut se retrouver dans la phrase de Cornelius Castoriadis, qui en devient presque un aphorisme : « Ce qui compte désormais est ce qui peut être compté. »
F
Un point intéressant de la méthode « sombartienne » c’est qu’elle opère des distinctions de sociétés ou de peuples dans ses analyses : elle aperçoit que l’esprit capitaliste diffère en intensité selon les peuples, les époques et même dans la prégnance de tel ou tel caractère dans les différentes communautés ou classes sociales. Sombart opère ainsi, une analyse approfondie des variations, apparitions et effacements, de l’esprit capitaliste entre les pays, à la différence de Marx qui voit dans les facteurs matériels des forces agissant dans un sens unique et prédéterminé (ce sens de l’histoire fait du capitalisme un mal « nécessaire ») et sans distinctions de sociétés ou de peuples (internationalisme).
Il est ainsi possible de s’intéresser à la France, dans sa spécificité historique, puisque l’on y a toujours trouvé des entrepreneurs de génie. L’illustration peut être faite avec l’exemple de Jacques Cœur, argentier de Charles VII qui a développé au XVème siècle un commerce de grand style. Sa légende produira d’ailleurs une descendance avide d’aventures : Rochefort, Boncour, Lesseps… Le comptoir de Jacques Cœur représentait à lui tout seul une puissance commerciale hors-norme, que l’on disait alors capable d’égaler celles des Génois, Vénitiens et Catalans. Inculpé sous les chefs d’accusation de haute trahison et de faux monnayage, Jacques Cœur terminera sa vie en prison, dépouillé de tous ses biens et condamné à l’exil. Cette fougue typiquement française, se mêle néanmoins parfois avec les craintes d’un manque d’esprit capitaliste chez les Français ayant la réputation d’être d’indolents, préférant rester dans leur zone de confort et ne souhaitant travailler outre mesure. Cela s’est historiquement manifesté dans le fonctionnariat, qui s’est répandu au XVIe siècle et qui se manifeste dans « le dédain des carrières industrielles et commerciales ».
Sombart observe au cours du temps un glissement de l’esprit bourgeois, qui passe d’un bourgeois qu’il nomme « vieux style » (qui va du début du capitalisme au XVIIIe siècle) à l’homme économique moderne, homo economicus.
Le bourgeois vieux-style était « un entrepreneur capitaliste, ayant le gain pour but et la fondation d’entreprises pour moyen » et qui s’est assimilé aux vertus bourgeoises. Toutefois, est entendu par vieux-style qu’il est guidé surtout et avant tout, par la considération du bien et du mal : la richesse n’est pas une fin en soi mais plutôt un moyen de création et conservation des valeurs en rapport de la vie. Il cherche calme et repos avant toute chose.
Ce qui est nouveau dans l’homme économique moderne c’est son attrait pour l’illimité et pour l’infini. Ce n’est pas une coïncidence si Spengler assigne à l’Occident une tendance passionnée, « faustienne » vers l’infini dans Le déclin de l’Occident. L’homme économique moderne cherche à gagner le plus possible, à faire prospérer ses affaires le plus possible, dans nul autre intérêt que le gain lui-même. C’est une logique sans fin : à la fois sans limite et, au sens téléologique, sans autre finalité la dépassant. La figure du Faust de Goethe, alliée au diable Méphistophélès, apparaît en miroir comme figure inversée de l’homme pieux libéré du carcan ecclésiastique et seul face à son Dieu. Ses instruments sont alors la magie et l’argent. L’on retrouve notamment dans la pièce faustienne un témoignage sur l’aube des révolutions technique, industrielle et économique. L’aurore de l’entreprise inouïe, est vue par Goethe, avec pour objectif de rebâtir le monde, dans un mélange de conformisme bourgeois et d’Ancien Régime en fin de course. Faust met en scène l’incarnation de l’aventure nouvelle que commence le capitalisme d’alors.
Sans l’encombre du pouvoir de la rationalisation, l’homme économique moderne peut se concentrer entièrement sur l’amplification de son commerce, afin de vouloir toujours plus. Ce dernier est torturé par l’aspiration à l’infiniment grand : lucrum in infinitum la poursuite du gain pour le gain. Or, cette recherche du gain est nécessaire pour toute économie capitaliste si elle veut prospérer, elle doit aller au-delà de ses besoins. Baudrillard, s’est particulièrement intéressé à l’acte consommatoire prenant place dans le monde moderne. La démarche de l’homme moderne est celle d’un homme avide d’une consommation sans fin « d’expériences » dans un monde marchand. Ce monde marchand n’est en fait qu’un marché du désir qui est obligé de passer par la séduction (Michel Clouscard) et la représentation spectaculaire (au sens où Guy Debord l’entend dans La Société du Spectacle) d’un « fétichisme de la marchandise », que Marx fut le premier à théoriser. Celles-ci ont pour but la maîtrise de l’univers symbolique afin de perpétuer et d’accentuer la logique capitaliste. Tout cela fait dire à Baudrillard dans La société de consommation : « Il faut tout essayer : car l’homme de la consommation est hanté par la peur de « rater » quelque chose, une jouissance quelle qu’elle soit. On ne sait jamais si tel ou tel contact, telle ou telle expérience (Noël aux Canaries, l’anguille au whisky, le Prado, le L.S.D., l’amour à la japonaise) ne tirera pas de vous une « sensation ». Ce n’est plus le désir, ni même le « goût » ou l’inclination spécifique qui sont en jeu, c’est une curiosité généralisée mue par une hantise diffuse – c’est la « fun-morality », où l’impératif de s’amuser, d’exploiter à fond toutes les possibilités de se faire vibrer, jouir, ou gratifier. »
Dans cette orientation forcée de l’activité capitaliste réside la possibilité psychologique d’une part de l’aspiration à l’infini et d’autre part de l’infiniment petit. L’aspiration à l’infini ne peut être satisfaite à son tour, que par le développement de la technique moderne, qui ignore la mesure naturelle. Ce développement vise à « atteindre un état qui n’est défini par rien sauf par la capacité à atteindre de nouveaux états » comme l’explique Cornelius Castoriadis, et ainsi de réintégrer l’infini dans le monde matériel. Si l’entrepreneur veut se tenir au niveau des inventions de la technique, il ne peut le faire qu’en étendant indéfiniment le volume de son entreprise. À l’instar de cette évolution, l’infiniment petit par la contraction du temps et la minimisation des coûts. Le capitalisme, avec l’aide de la technique, détermine le rythme de la vie spirituelle de l’homme économique moderne, obligé de se presser, même lorsqu’il ne le voudrait pas.
Ce qui différencie fondamentalement l’homme moderne de l’homme traditionnel, c’est qu’il a arrêté d’être à la mesure de toutes choses. Les traits psychiques de l’homme économique moderne sont définis par une rationalisation absolue qui s’imprègne dans les tous les domaines de la vie et une proclamation de la supériorité du gain sur toutes les autres valeurs. En fait, un certain nombre de vertus bourgeoises propres au bourgeois vieux-style (application, esprit d’épargne, honorabilité) se sont objectivées chez l’homme économique moderne pour devenir des principes objectifs de la conduite économique. L’activité économique change de nature : elle était empirique (économie de la demande et de l’usage), et elle devient rationnelle (économie de l’offre et de l’échange).
Pour le parfait bourgeois, il lui faut la coexistence de deux âmes en son sein : une âme entrepreneur et une âme de bourgeois, qui forment par leur réunion l’esprit capitaliste. L’âme d’entrepreneur, associé à l’entrepreneur capitaliste, est qualifiée comme ayant un intellect et une volonté supérieure à la moyenne et présente trois qualités morales : vivacité d’esprit, perspicacité, intelligence. On retrouve cette âme dans des postes importants comme chef des armées ou chef de l’état.
D’ailleurs, le philosophe Henri Bergson corrobore cet aspect des deux âmes en distinguant l’homme ouvert qui dépense, au fond au tempérament seigneurial, qui fonde ses jugements sur des valeurs personnelles et qui a une vision traditionnelle de la vie ; et l’homme clos qui thésaurise, au tempérament bourgeois, avec des valeurs objectives, et qui a une vision utilitariste de la vie. Sombart reprend dans Le bourgeois, l’idée de Bergson : « On vit ou pour l’économie ou pour l’amour. Vivre pour l’économie, c’est épargner ; vivre pour l’amour c’est dépenser. »
Pourquoi l’esprit capitaliste a-t-il pu advenir ?
L’organisation capitaliste représente, d’après l’expression que l’on retrouve chez Max Weber, un « immense cosmos » qui préexiste aux hommes et dont le mécanisme du marché dicte les normes. Sombart, pour tenter de comprendre pourquoi l’esprit capitaliste a-t-il pu advenir, va analyser l’influence des forces extérieures et de la sélection, ainsi que la présence de conditions morales et forces morales favorables ou non à l’avènement de l’esprit capitaliste. Il va ainsi chercher à savoir, « comment, dans un groupe humain prédisposé, l’esprit d’un certain nombre d’individus reçoit, grâce à certaines orientations extérieures, une orientation capitaliste. »
Les prédispositions ethniques au capitalisme
Sombart décide d’aller plus loin que l’analyse des seuls individus et de leurs aptitudes en s’intéressant aux grands groupes humains chez les peuples historiques. Il remarque que certains peuples semblent avoir une prédisposition ethnique particulière envers le capitalisme ; c’est le cas notamment de tous les peuples européens et de l’Amérique du Nord qui semblent « posséder un nombre suffisant de variantes capables de contribuer au développement du capitalisme ». Mais cette prédisposition varie selon les peuples, que cela soit en termes du nombre de variantes capitalistes que chaque peuple possède ou en fonction de l’intensité de ces prédispositions capitalistes au sein des individus constituants tel ou tel peuple.
Deux groupes de peuples semblent néanmoins particulièrement prédisposés au capitalisme. D’un côté les peuples de héros montrent des dispositions particulières pour les entreprises violentes de grand style (brigandage, piraterie…). Les Romains pensaient par exemple que le succès économique ne pouvait être conquis que par la pointe de l’épée. De l’autre côté, les peuples de marchands exercent une activité commerciale pacifique et ont un penchant prononcé pour la vie bourgeoise. Sombart prend l’exemple des Ecossais, des Florentins et des Juifs dont les dispositions proviennent de trois peuples, respectivement, les Etrusques, les Frisons et les Juifs. Sombart préfère « analyser les différents ensembles de causes d’après leurs effets multiples et variés » plutôt que de « rechercher les causes qui ont donné naissance aux différents éléments constitutifs de l’esprit capitaliste en examinant ces éléments les uns après les autres. ». Or, dans ces ensembles de causes, on retrouve notamment ce que l’on qualifie de forces morales qui agissent du dedans au dehors, et qui représente un aspect majeur du développement capitaliste.
Influences déterminantes de la philosophie et de la religion
En philosophie, les principales influences sur l’esprit capitaliste furent les philosophes empirico-naturalistes (Francis Bacon, George Berkeley, David Hume…) et des philosophes utilitaristes (Jeremy Bentham, John Stuart Mill…).
Une influence majeure sur le développement de l’esprit capitaliste provient également d’une lecture des auteurs antiques où l’on retrouve une idée de la rationalisation de l’ensemble de la vie, dans toutes ses manifestations. On assiste en fait à une réduction de la pensée stoïcienne chez les quattrocentistes qui lui donnent « un sens purement utilitaire, en enseignant notamment que le bonheur suprême de la vie consiste dans une organisation rationnelle, finaliste de la vie »26. Cette reprise du système stoïcien s’inspire, entre autres, d’aphorismes que l’on peut retrouver dans les pensées de Marc-Aurèle : « C’est en vue de l’utilité que la nature procède comme elle le fait. », ou de Sénèque : « toutes les autres choses échappent à notre pouvoir, mais notre temps nous appartient. ».
Quant à l’influence de la religion, celle-ci est primordiale d’après Sombart dans la formation de l’infrastructure socio-culturelle et de l’esprit capitaliste : elle est à la fois de nature économique mais aussi d’ordre biologique et ethnologique. Nous n’allons pas ici nous attarder sur l’influence du protestantisme, qui a fait l’objet d’un développement de la part de Max Weber (collaborateur de Sombart) dans L’éthique protestante du capitalisme, et à laquelle Sombart attribue une importance moindre. D’un côté, Weber s’intéresse à l’affinité entre une éthique religieuse et l’esprit du capitalisme. De l’autre, Sombart insiste sur les rapports de réciprocité entre l’organisation économique et la mentalité économique ; formant un ensemble de prédispositions se transformant, chez certains groupes humains via certaines influences extérieures, en orientations et en tendances actives matériellement efficaces.
Concernant le catholicisme, celui-ci a pu avoir des effets ambigus selon les périodes et les lieux sur le développement de l’esprit capitaliste. Sombart note tout d’abord que toute la vie sociale se retrouvait subordonnée aux préceptes de l’Église, tout particulièrement aux débuts du capitalisme, et que cette dernière aura une influence non négligeable tout au long du développement de l’esprit capitaliste en Europe.
C’est plus particulièrement dans l’œuvre de saint Thomas d’Aquin que l’esprit capitaliste va trouver des points d’accroche. Le thomisme, qui domine toute la catholicité officielle à partir du XIVe siècle, supprime le dualisme de la loi et de l’Évangile en combinant la religion de la grâce et de l’amour de saint Paul et saint Augustin, et la religion de la loi. On observe également une rationalisation de la vie : chez saint Thomas, être vertueux c’est observer l’équilibre prescrit par la raison. L’homme impulsif va peu à peu disparaître pour laisser place à un type d’homme au psychisme spécifiquement rationnel. La morale chrétienne dénonce l’oisiveté, otiositas, pour y préférer la non-inactivité, neg-otium. La doctrine de l’Église nous enseigne que l’homme oisif comment un péché en gaspillant le temps, qui lui est si précieux. Tout ce processus de rationalisation mène à l’application à la vie économique des règles que la religion proposait à la vie en général.
La morale scolastique est différente de l’idéal de pauvreté du christianisme primitif. « Pour le chrétien pieu, la pauvreté et la richesse comme telles sont sans importance aucune : ce qui importe c’est l’usage qu’on fait de l’une et de l’autre. ». Le chrétien riche doit échapper au reproche d’iniquité. La richesse ne peut et ne doit jamais être considérée comme une fin, seulement comme un moyen, au service de l’homme et de Dieu.
Ancrés dans leur époque, les moralistes partagent la conception du bourgeois vieux style en refusant la course aux richesses qui ne connait ni limites ni scrupules, et sont, en ce sens à distinguer de l’homme économique moderne à proprement parler tel qu’il se développera après le XVIIIe siècle. Saint Thomas met en avant une conception « statique », précapitaliste dans laquelle chacun occupe une place déterminée qu’il doit conserver toute sa vie durant. Toute évolution se doit d’être purement intérieure, portant uniquement sur les rapports de l’homme avec Dieu.
À l’inverse de la morale scolastique, il y a dans la morale juive et dans les textes religieux juifs, un traitement particulier appliqué aux étrangers, tout particulièrement en ce qui concerne le prêt à intérêt. On trouve des justifications à cela dans l’Ancien Testament, qui enjoint les Juifs à ne pas prêter à intérêt au sein de leur propre communauté mais qui les autorise, sinon les oblige, à prêter à intérêt à l’étranger : « Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt ni pour argent, ni pour vivre, ni pour aucune chose qui se prête à intérêt. » (Deutéronome 23.20), « Si vous prêtez de l’argent à ceux de mon peuple qui sont pauvres parmi vous, vous ne les presserez point comme un exacteur impitoyable, et vous ne les accablerez point par des usures. » (Exode 22.25), « Tu ne tireras de lui ni intérêt ni profit, tu craindras ton Dieu et ton frère vivra avec toi. Tu ne lui prêteras pas ton argent à intérêt et tu ne lui prêteras pas ta nourriture pour en tirer un profit. » (Lévitique 25.36-37). Il est donc clair que l’étranger subit un traitement financier particulier, Sombart montre donc que par cette pratique, alors inédite dans la société occidentale, les Juifs avaient des prédispositions fortes à l’esprit du capitalisme.
On trouve d’ailleurs une référence au prêt à intérêts dans l’œuvre de Shakespeare, Le Marchand de Venise, laquelle est centrée autour de la rivalité entre Antonio, qui prête sans intérêts, et Shylock, usurier juif. Dans la pièce, Antonio emprunte 3 000 ducats à Shylock, qui aura le loisir de prélever une livre de chair sur Antonio en cas de défaut de paiement. Tout cela amène Antonio, qui constamment malmène Shylock, à lui dire que c’est seulement à l’étranger que l’on peut sans pitié réclamer principal et intérêts lorsqu’il ne paie pas de son plein gré ; pour lui, et contrairement à Shylock, le prêt à intérêts entre personnes d’une même cité est amoral.
Or, les prêts à intérêts concernant les étrangers ont fortement contribué au développement de l’esprit capitaliste . Effectivement, pour Sombart, le prêt d’argent a plus contribué que le commerce des marchandises à la formation de la mentalité capitaliste. Dans le prêt d’argent, tout ce qui est qualité disparait pour laisser place à ce qui est uniquement quantitatif. Le prêt d’argent fait ainsi disparaître ce qui est concret pour laisser la place à l’abstraction la plus totale de l’acte économique. Il est intéressant de noter que la ville de Florence fut la place des marchands de laine, et en même temps celle des banquiers. Elle fut aussi la ville des corporations et de l’esprit corporatif qui ont permis à l’esprit bourgeois de se développer.
L’intervention de l’État permet à l’esprit capitaliste de prendre forme dans une réalité sociale concrète
Sombart s’intéresse à une autre influence non négligeable sur la formation de l’esprit capitaliste tout au long de l’Histoire, à savoir celle de l’État.
Par sa politique économique, l’État a su participer au développement de l’esprit capitaliste. Par exemple, la politique mercantiliste a été profitable aux intérêts capitalistes pendant la période du capitalisme naissant. En Angleterre, c’est le roi ou la reine qui pendant les XVIe et XVIIe siècles assure, grâce aux ressources nécessaires, dont il ou elle dispose, la marche d’un grand nombre d’entreprises. Nous pouvons illustrer ce propos avec Sir Walter Raleigh, qui est certainement l’un des plus puissant ancêtres de l’esprit capitaliste, et fut l’un des premiers à souligner l’importance de l’enjeu géopolitique et économique des océans, ce qui a permis par la suite à la Grande Bretagne de s’assurer une supériorité maritime. L’État peut agir par le biais de privilèges négatifs, monopoles sur la production ou le commerce, ou par le biais de privilèges positifs, protection ou encouragement d’initiatives politiques ou commerciales. Tout cela fait dire à Henri II, dans une lettre datée du 13 juin 1558, que ses « privilèges et bienfaits » ont pour objectif de stimuler les industriels « vertueux et laborieux » afin de les pousser vers des entreprises profitables.
Au XIXe siècle, l’esprit d’entreprise a été ravivé par la destruction du système mercantiliste et des corporations au profit du nouveau droit économique, que l’on appelle la « liberté industrielle ». Par son organisation, son administration, sa hiérarchie des fonctionnaires, l’État a représenté l’une des principales formes d’entreprise. Cela s’est manifesté principalement via son administration militaire, son administration financière, et, dans sa politique religieuse, par l’instauration d’une Église officielle et la création d’une catégorie sociale et politique d’hérétiques.
La politique financière se développe lors de la période mercantiliste car la grandeur et puissance d’un État se mesure alors par la quantité d’argent qu’il possède. En conséquence, on a connu les premières entreprises de spéculation, avec par exemple la compagnie du Pacifique qui était une compagnie coloniale et qui prenait en compte une partie importante de la dette de l’État. Cette compagnie s’est assurée d’assumer une somme de 30 millions de livres de dette publique anglaise en la transformant en capital social : il y eut un amalgame entre ses propres affaires et les finances de l’État.
Concernant sa politique religieuse, en créant une Église officielle, l’État a créé en même temps une catégorie sociale et deux catégories de citoyen. Ainsi, on a une distinction avec les hérétiques et les hétérodoxes, qui ont une pensée à contre contre-courant du dogme dominant. L’état d’hérésie, en créant des demi-citoyens (Juifs, Protestants dans les pays catholiques, quakers, presbytériens…) a contribué puissamment dans tous les pays à renforcer l’amour du gain et à exalter l’aptitude pour les affaires. En effet, les hérétiques étaient résignés à consacrer toutes les forces à l’activité économique, parce que l’argent représente le seul moyen pour un pays d’être puissant. On voit ainsi énormément d’hérétiques parmi les banquiers, les grands marchands, les industriels entre le XVIe et le XVIIIe, notamment parmi les Réformés en France. Les Huguenots ont ainsi réussi à se maintenir en grande partie par la droiture morale dont ceux-ci faisaient preuve et par leur honnêteté.
Or, le concept d’hérésie est étroitement lié aux phénomènes migratoires en raison de la naissance de persécutions politiques et religieuses. Et pour conséquence, ces migrations collectives ont grandement contribué à l’histoire intellectuelle et sociale, et notamment à la formation de l’esprit capitaliste. Par exemple, la colonisation des pays d’Outre-Mer a été faite par 7,5 millions d’immigrés dont une majorité d’allemands et d’anglais, et en particulier le grand flux migratoire (environ 20 millions d’immigrés) en provenance de l’Europe vers les États-Unis d’Amérique entre le XVIIIe et XIXe siècle. On retrouve des descriptions sur les américains d’antan, qui ont peu ou prou les mêmes traits psychiques que les américains de nos jours : « prédominance des intérêts matériels, travail acharné, amour du gain illimité, inconditionné, ne connaissant pas de scrupules, rationalisme économique poussé au plus haut degré.».
Au-delà de ces influences extérieures, l’esprit bourgeois a en quelque sorte réussi à prendre son autonomie après avoir mené une croisade contre la vie seigneuriale. Sombart voit dans ce renversement des valeurs aristocratiques un véritable ressentiment, dans le sens où Nietzsche l’entend, qui amène le bourgeois à en exalter les affaires pour les affaires. Nietzsche, dans Généalogie de la morale, théorise le ressentiment, « ou la rancune des faibles » qui provient de la différence entre les valeurs de l’être du ressentiment et les valeurs de l’aristocrate. Ces dernières émanent de l’amour de soi et de l’exaltation de la vie alors que la naissance des valeurs de l’homme faible vient au contraire de la haine des autres et de la vie. L’oppressé et le médiocre ont nourri de la haine et du ressentiment, pour le fort qui le domine et qui est heureux et aime la vie. Cet esclave est tout plein de haine contre la nature puisqu’elle a été injuste avec lui. Les êtres du ressentiment existent toujours mais n’ont plus la religion pour épancher leur ressentiment et leur désir de vengeance, les retournant donc contre le monde actuel et cherchant à le détruire. Nietzsche les qualifie comme une race d’homme pour qui « la véritable réaction, celle de l’action, est interdite et qui ne se dédommagent qu’au moyen d’une vengeance imaginaire. »
Il faut ajouter à cela la destruction du sentiment religieux : l’entrepreneur n’a désormais plus besoin du sentiment du devoir pour trouver dans les « affaires » le seul et unique intérêt de sa vie. L’esprit capitaliste est désormais libéré de toutes les carcans qui auparavant l’entravaient : « Toute économie capitaliste si elle veut prospérer, doit aller au-delà de ses besoins. C’est dans cette orientation forcée de l’activité capitaliste que réside la possibilité psychologique de l’aspiration à l’infini, laquelle ne peut être satisfaite à son tour, que par le développement de la technique moderne, qui ignore la mesure naturelle. »
Il y a une indifférence quant à la destinée de l’homme dans la mentalité telle qu’intégrée par le bourgeois. Effectivement, l’homme perd sa valeur économique, et même culturelle, dans la mesure où, grâce à la technique, il cesse de former le centre du processus de production. Le « progrès », qui est en fait vu d’un œil d’enthousiasme enfantin dans sa structure psychique, et qui anime tant les entrepreneurs, n’a désormais, avec l’avènement du capitalisme comme fait social total, de sens que sur l’aspect technique.
Conclusion
Le problème relatif à l’esprit du capitaliste est en fait extrêmement plus complexe et multiforme que ce qu’il apparaissait au tout début de notre analyse. Il serait vain d’essayer de le faire remonter à une unité, de « ramener toutes les causes du phénomène qui nous intéresse à une seule cause fondamentale, à une causa causans ». La méthode du matérialisme historique, qui se veut être une méthode scientifique plutôt que relevant de l’idéologie, montre ses limites quand l’on a compris cela.
Il faut donc saisir l’importance de l’évolution de l’esprit du capitalisme pour en saisir sa portée. A la toute base, les peuples européens, depuis la chute de l’Empire Romain, ont un amour très prononcé pour l’or et l’esprit d’entreprise, qui peut alors prendre diverses formes. Tous deux finissent par se mélanger et finissent par donner naissance à des puissants organes. Ceux-ci vont à leur tour permettre l’émergence de l’État moderne, qui va instituer un état d’hérésie ; ces deux phénomènes sont alors à mettre en lien avec l’importance du fait religieux. Grâce à cette structure que permet l’État moderne, des entreprises extérieures et des velléités conquérantes vont pouvoir voir le jour. La découverte de métaux précieux, la fondation de colonies, que nous n’avons pu aborder ici par souci de concision, vont pouvoir devenir des pépinières du capitalisme.
Cet esprit d’entreprise qui caractérise l’âme européenne et qui va se développer au fil du temps, provient en tout premier lieu de la caste seigneuriale. Avec le temps, celui-ci va s’étendre à des couches de population plus vastes et qui vont mettre en œuvre des moyens pacifiques de gagner de l’argent. Les valeurs qui les animent sont les suivantes : amour de l’ordre, de l’épargne, esprit de prévoyance et de calcul. Cette dernière variété d’entreprise est alors assimilable à celle de l’esprit bourgeois, qui va finir par s’étendre à tous les peuples européens, bien qu’il soit plus présent chez certains peuples (Etrusques, Frisons, Juifs…). L’influence de tels peuples va alors augmenter avec pour corollaire le changement de la structure psychique de l’entrepreneur capitaliste, dont l’esprit change et s’embourgeoise. L’entrepreneur va alors permettre de faire la synthèse entre la figure du bourgeois et celle du marchand.
Le passage à l’homme économique moderne ne s’est évidemment pas fait de manière uniforme dans l’histoire. Dans le capitalisme naissant, l’esprit capitaliste est avant tout caractérisé par un contrôle des mœurs et de la morale par la religion chrétienne. Au XVe s’opère une rupture et celui-ci se libère des entraves et restrictions qui pouvaient jusqu’alors restreindre son action. L’économie va se « désencastrer des relations sociales » pour reprendre l’expression de Karl Polanyi, grandement influencé par l’œuvre de Sombart, dans La Grande Transformation. L’homme moderne va alors avoir pour objectif principal dans sa vie le gain et va rechercher une accumulation illimitée des richesses. Celui-ci va, entre autres, prendre appui sur le développement des sciences de la nature, produit de l’esprit romano-germain, qui va servir de point d’appui à l’essor de la technique moderne.
Finalement, toute cette évolution de l’homme vers l’esprit bourgeois l’amène à se détourner de la vie pour y préférer un simulacre bassement matérialiste – ici dans son sens courant et non plus dans son acception philosophique – et étriqué. C’est exactement ce que reproche Patrice à Catherine dans Les sept couleurs de Robert Brasillach : « Les mots qui reviennent dans votre lettre : sage, raisonnable. J’avais bien raison de penser que vous étiez une petite bourgeoise. La sécurité. Et puis aussi, quelle chose curieuse : la jeunesse. J’aime ma jeunesse, je pense que c’est un cadeau miraculeux, qu’il faut en jouir, la respirer, boire son parfum et se blesser à ses épines. Mais vous, vous avez peur de la jeunesse. A vingt ans, avoir peur de sa jeunesse, je ne puis concevoir de tare plus terrible. »
Théo DELESTRADE
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