John King : Quand la poésie et la violence prolétarienne s’expriment…
…cela donne un cocktail détonnant de 3 romans qui ont déboulé sans prévenir. Qui ont surpris, fasciné, choqué. La trilogie King, c’est un peu la bible des prolétaires.
Né en 1960, John King vit à Londres. C’est Irvine Welsh, alors responsable d’édition de revues et zines punk qui découvrira ce jeune talent. On ne sait que peu de choses sur cet auteur, écrivain au style percutant, provocateur, émouvant aussi, très discret dans la vie de tous les jours ; ce que nous saluons évidemment aujourd’hui où tout est question d’auto-promotion sur les plateaux de TV et d’hystérie publicitaire. Football Factory (1995), son premier roman, remportera un succès immense Outre- Manche et dans toute l’Europe. Ce livre sera repris récemment en version cinématographique, d’ailleurs complètement ratée. Se suivront La Meute, (2000), puis Human Punk (2003), suivi de son petit rejeton de la trilogie Foot , Aux couleurs de l’Angleterre (2005).
Écrivain aux inspirations orwelliennes il s ‘affirme aujourd’hui comme le romancier le plus doué de la génération issue de la classe ouvrière britannique des années 90. Rébellion ne pouvait donc pas faire l’impasse sur cet auteur étonnant et attachant. Les beaux discours étant inutiles, laissons maintenant place à ses oeuvres.
War on the terraces.
Football Factory (d’ailleurs déjà chroniqué dans le numéro 4 de Rébellion) narre les péripéties extra footballistiques de 3 supporters de Chelsea, un des innombrables clubs de Football qui pullulent un peu partout à Londres. Seulement voilà, Chelsea n’est pas Fulham et compte une des bandes les plus violentes d’Outre- Manche. Tom, le héros, Mark et Rod ont grandi ensemble. Potes depuis toujours, ils sont prolétaires, violents et racistes. Ils font partie de ces gens qui choquent les médias et la masse uniformisée qui se contente de manger cher, de voir un match à un prix exorbitant assis sagement comme du bétail, ces derniers étant soumis à l’ordre policier et moral de la perfide Albion ; et cela dérange fortement la classe politicienne britannique.
Bien que la majeure partie de ce roman soit consacrée aux nombreuses émeutes, règlements de compte et affrontements entre bandes de hooligans respectives, John King essaye surtout de nous inculquer sa way of life, constituée de soirées enivrées d’alcool dans les pubs londoniens, plans voyous, virées dans les restos indiens à base de poulet tandoori, de madras sauce pistache et de séance de baise avec les nanas récupérées çà et là. Mais Football Factory, c’est aussi une violente critique de la société héritière des années Thatcher. Un récit du sentiment de haine généré par la misère sociale et les boulots sans lendemain, et tente, sans jamais vouloir se justifier ou s’excuser, de faire prendre conscience du pourquoi et du comment de ces agissements dans les stades.
Ce roman a nombre d’attraits. D’une part, de présenter un autre visage du milieu hooligan que celui caricaturé à l’extrême par les médias et les habituels clichés auxquels nos cerveaux sont habitués, hooligans qui sont avant tout des passionnés de football, mais – même inconsciemment – n’entendent pas rester couchés devant le règne du capitalisme qui a transformé ce sport initialement populaire et fréquenté par les couches sociales les plus pauvres par une place forte dominée par le business, l’argent roi et le profit financier. Nos héros vivent une aventure qui leur donne l’impression de s’affranchir de leurs vies monotones et sans saveur, sans but parce que sans avenir ; et vivent dans une atmosphère de peur, de risque, de haine mais aussi d’amitié, de solidarité et de liberté qui leur confère la certitude d’être différents, de vivre quelque chose d’extraordinaire.
Après plusieurs relectures, on pourra remarquer que John King – où du moins le personnage qu’il met en scène, Tom Johnson – semble comme prisonnier de certains codes, certains règles et tabous propres au milieu hooligan qu’il convient de ne pas transgresser. Il distille habilement, mais toujours de manière brute, quelques argumentations politiques dignes d’intérêt. Il y a tout d’abord cette position de non alignement sur les idées d’extrême gauche comme d’extrême droite, qui font partie selon lui d’un même visage. En effet il renvoie dos à dos, les trotskistes, qu’il qualifie de petits bourgeois qui manipulent l’Anglais moyen, et les fascistes, vivier réactionnaire, qui selon King, n’hésiterait pas à les aligner sur un peloton d’exécution, si ces derniers arrivaient au pouvoir, au nom de la morale et de l’ordre. Dans ce sens, Tom Johnson, ses potes et le milieu qu’il fréquente en général pourraient être plus considérés comme des nouveaux anars, dans le domaine de l’attitude, même si on ne peut nier une haine de l’homme de couleur propre au milieu populaire et prolétaire en Angleterre qui ne se mélange pas dans la société multiculturelle imposée à tous les peuples d’Europe aujourd’hui. Mais John King ne tente pas d’idéaliser la classe ouvrière, il la montre telle qu’elle est avec ses haines justes et ses errances désespérées. Par ailleurs, il est aussi question du conflit irakien et d’impérialisme US, à travers un vétéran qui raconte son expérience et une autre vision de la guerre menée par les USA et leur allié anglais. Toutes ces idées seront exploitées en profondeur dans ses autres romans, celui-ci n’ayant pas une nature politique propre, mais King s’en sert pour annoncer une évolution future, comme un préambule à quelque chose de plus profond. Mais, comme nous l’avons dit plus haut, ce livre n’est pas que récits de violences urbaines. Football Factory met en scènes d’autres personnages – prolétaires le plus souvent – qui tentent tant bien que mal de survivre dans une Angleterre ultra-libérale où la conception de classe prend toute sa signification. Sont ainsi représentés des travailleurs, une retraitée et un ancien soldat de la Seconde Guerre Mondiale, tous désabusés dans un pays qu’ils jugent décadent et qui a perdu toutes ses valeurs. Mais aussi une journaliste bourgeoise et une militante trotskiste. Ces personnages amènent une vision en décalage, générant une complémentarité entre les récits de bastons entre bandes rivales hooligans et des récits de bout de vie de la Working Class anglaise qui font de ce roman un témoignage complet.
Bière, Sexe et haine de classes.
La Meute. Un roman à forte odeur de Guinness, de strings mal lavés, de dribbles bataves et de blagues épicées au curry. La meute en question, c’est une bande de 5 potes : Carter, Balti, Will, Harry et Mango. Lassés d’attendre que Denis Wise brise des genoux de joueurs à coups de tacles ou les éventuelles prouesses techniques de Gianfranco Zola (qui ont pris l’habitude d’enflammer le Myghty Shed, le stade mythique de Chelsea ) nos héros se sont décidés à créer eux- mêmes leur championnat : La division Q. La règle est simple et le but du jeu encore plus : Tirer le max de nanas possible ! (et accessoirement lâcher ses excréments dans les sacs à mains de ces dernières pour un bonus). Nos 5 garnements tirent le coup d’envoi avant de se régaler devant un Chelsea/ Portsmouth de FA Cup. Ardents supporters de Chelsea, ils ont fini par délaisser les soirées bastons et laissent la place et le job à Tom Johnson et ses potes, plus jeunes qu’eux .Nos héros font partie de la Old Generation, celle qui a fait la réput’ cogn de Chelsea, dans les gradins, dans les ruelles sombres et dans les premières pages de journaux dans les années 80. Tout ce qui les intéresse maintenant, ce sont de bonnes bitures, tirer leur crampe et rigoler un bon coup.
Carter tout d’abord, c’est la Ferrari de la baise de la bande. Toujours en train de fourrer sa nouille, il semble être le favori du championnat. Entre foot et foutre, tout est lié pour lui. « Il ne peut y avoir qu’un seul super joueur dans une équipe. C’est comme moi et vous. Il n’y a de place que pour une seule machine à baiser ». Que cela soit au boulot comme au pub, partout où il passe, les chattes trépassent.
Balti lui, vient de perdre son taf minable sur un chantier après avoir dérouillé MacDonald, son chef de chantier, un nord-irlandais arrogant de Millwall. Pour survivre et aussi pour continuer de se bourrer la gueule avec ses potes au pub, il va voler des autoradios et se lancer dans d’autres combines toutes aussi foireuses. Il profite d’être au chômage pour savourer un peu plus la vie. Dans un parc municipal, il fera la connaissance de Georges, clochard un peu déjanté qui pense sauver la planète en récupérant des boîtes de conserve et espère devenir riche en jouant aux courses hippiques. Il a la haine de classe, et préfère rester sans emploi plutôt que de travailler en tant que commercial. Car il déteste « ce petit jeu qui consistait à se crever le cul à essayer de baiser de braves gens pas beaucoup plus riches que lui.» Il est challenger direct de Carter dans la division Q mais « entrer dans une boîte branchée où tu paies 200 balles et que tu en allonges encore 30 pour boire une bière étrangère, au milieu d’une bande de pédés qui bossent dans la pub ou le théâtre » le fait profondément chier.
Le credo de Harry, quant à lui, ce sont ses rêves qu’il passe son temps à l analyser, l décrypter. Car il a cette faculté de faire des rêves prémonitoires. Alors que penser de ce rêve où il s’imagine sur un hamac en fumant des cigares cubains tout en buvant avec des aztèques qui le guideront vers des temples mayas, en pleine forêt d’Amérique du Sud, parsemés de tags de hooligans de Millwall, tout en étant poursuivi frénétiquement par la Guardia Civil Espagnole ? Il a absolument besoin de comprendre ses rêves pour être clair dans sa tête. Un peu excentrique, c’est l’alcoolique de la bande et ne rechigne pas sur les amphets. Il vit dans son monde un poil effacé, rêveur confirmé, il aime bien prendre son temps, observer de longues heures durant la nature, le beau de la vie.
Will, quant à lui, est un peu comme dans la peau d’une pucelle au beau milieu de la division Q. Timbré de musique, de ska, de dub, de reggae, de punk, qui perpétuent selon lui la solidarité de classe. Il hait la violence, le sexisme, la guerre des sexes qui n’est pour lui qu’une instrumentalisation capitaliste, pour diviser afin de mieux régner. Il aime les femmes, mais pas façon Carter. Il les respecte, peut- être même trop. Will passe son temps à se poser des questions sur lui même, il doute cruellement de ses capacités. C’est un amoureux permanent, qui n’essaye même pas de brancher Eleein, la serveuse qui lui plaît tellement. Mais un jour il croisera la route de Karen, une amie d’enfance qui bouleversera sa vie.
Mango, bien que pote d’enfance des autres gais lurons, est totalement différent du mode de vie de la bande. Enfant malheureux dont le grand frère qu’il idolâtrait a mystérieusement disparu du cocon familial sans prévenir. Il a comblé son chagrin par son boulot à WordView, une grande multinationale de Londres, qui lui permet d’avoir la voiture de ses rêves, un 4 pièces luxueux de Fulham. Il s’enferme dans son univers artificiel, sniffant de la coke devant des films de cul.
Ce second roman amorce un virage dans l’œuvre de King. Nos héros sont amenés à s’exprimer sur la haine de classe qu’ils ressentent vis-à-vis du modèle de vie bourgeois et individualiste ; ainsi Mango est clairement désigné comme le symbole de ces valeurs et de cette éthique de vie que les 4 autres personnages exècrent : « L’an dernier je me suis fais quarante mille, rien qu’en intérêts capitalisés, en saignant ces gros connards, en les excitant jusqu’à ce qu’ils balancent leurs valeurs disponibles. (…).Réveillez- vous les gars. On vit dans un monde matérialiste. Même Madonna a pigé. Et Maggie avait tout compris. Le meilleur premier ministre qu’on n’a jamais eu. C’est elle qui m’a donné toutes les chances dont j’avais besoin». Au cœur de la critique de l’exploitation patronale et de la misère sociale, nous allons retrouver systématiquement Balti, exploité à travers le sous emploi qui lui permet de survivre : « Balti se revoyait en train de ramasser des pelletées de merde pour un salaire de misère, dans la puanteur des machines, avec du sang sur les mains, trois sous dans sa poche et de la poussière plein les yeux, même si c’était encore préférable à ce que t’octroie l’aide sociale. Au moins on avait gagné sa fierté à la fin de la semaine, et le boulot t’empêchait de réfléchir. » Légitimée par l’impunité de la classe dirigeante et de l’injustice dont ils sont toujours les premières victimes, la violence apparaît alors comme une solution, un soulagement et un exutoire : « Il était peut être obligé de pointer et de faire des sourires à une pétasse pour qu’elle appuie à temps sur le bouton de l’ordinateur, mais au moment crucial, c’était tes poings et tes pieds qui comptaient. Et une bonne barre de fer. Parce qu’en fait, personne ne t’écoutait tant que tu n’employais pas la violence. Ils parlaient suffrage universel et grandeur de la démocratie, te mettaient entre les mains des bouts de papier de différentes couleurs tous les cinq ans environ, qui te donnaient l’occasion de voter pour un quelconque branleur d’Oxford ou de Cambridge, conservateur ou travailliste, pas grande différence, ils étaient tous pareils, mais l’ennui, c’était qu’ils n’écoutaient jamais personne en dehors de leurs semblables. » Le désespoir de cette société individualiste s’exprime aussi à travers la misère affective, ainsi on finit par comprendre l’attitude superficielle de Carter dans son rapport aux femmes. Seul garçon de la bande à avoir été marié, l’échec de son couple semble l’avoir marqué profondément.
Mais au delà de cette vie morose, nos quatre héros montrent la volonté de marcher ensemble. Tous savent qu’ils ne sont pas des machins. Ils ont cette envie d’avancer soudés, car tant qu’il y aura les potes, la musique et le pub, la vie sera belle. La force de ce roman, c’est que chacun d’entre nous peut se reconnaître à travers ces héros (mis à part Mango. Enfin cela doit être le cas si vous lisez Rébellion…). A travers leurs parcours nous retrouvons, avec exactitude, nos propres vies, nos rêves, nos espoirs, nos craintes et nos désillusions. Le lecteur reste hébété devant tant de réalisme. Rajoutez un humour noir typiquement british, vous obtiendrez une oeuvre poignante, hilarante, vraie, parfois mélancolique mais qui exalte la beauté de la vie, pour ceux qui ont la volonté d’en faire vraiment quelque chose. Pour moi, La Meute, le meilleur ouvrage de King, assurément.
La suite arrive bientôt …