Gangs of New York : Martin Scorsese réfute Guillaume Faye…
Un article du numéro 2 ( mai 2003) de la revue Rébellion qui reste d’actualité …
Des échos positifs étant parvenus à nos oreilles sur le dernier film de M. Scorcese, nous avons vu sa dernière œuvre. Nous savions par ces critiques, que celle-ci montrait les solidarités ethniques, le problème de l’immigration irlandaise au milieu du 19 ème siècles à New York. À côté de ses qualités artistiques que nous laissons aux cinéphiles le soin d’analyser, nous avons surtout été marqués par la portée historique, sociale et politique de ce film. En effet, la corrélation entre le capitalisme et l’immigration y est clairement montrée. Une leçon pour ceux qui, comme Guillaume Faye, ne voient de l’immigration extra-européenne qu’une offensive de l’Islam (1) et ignorent ou minimisent le rôle du capital en la matière. On nous rétorquera qu’il s’agit d’une comparaison anachronique puisque le film de Scorcese évoque l’immigration massive de catholiques irlandais au 19 éme. Même s’il y a évidemment des différences majeures avec l’immigration subie par l’Europe actuellement, nous pensons qu’existe un fil conducteur menant d’une situation à l’autre. L’œuvre de Scorcese a ici une portée générale et c’est en ce sens qu’elle est particulièrement réussie.
Évoquons d’abord les différences. D’un côté une immigration européenne – mais pas uniquement, dans le film apparaît la communauté chinoise – d’un autre côté , de nos jours, une immigration largement musulmane, mais là aussi pas uniquement, avec une relative présence de réseaux islamistes, hétérogènes d’ailleurs. Par ailleurs, les Etats-Unis formés par diverses vagues d’immigrants devenus colonisateurs peuplant un large territoire en comparaison avec une civilisation européenne millénaire subissant le choc d’une migration de vaste ampleur venant de tous les pays pauvres économiquement.
L’Europe n’a pas à être bouleversée dans son identité par une immigration massive
Nous affirmons que l’Europe n’a pas à être bouleversée dans son identité par une immigration massive, pas plus que les peuples migrants n’ont à perdre leurs identités en abandonnant leurs aires de civilisations ; ce qui nous amène à la question du capitalisme.
Nous ne cessons pas de le répéter, seul le capitalisme est un système qui a déraciné universellement les peuples pour les nécessités de son marché (besoin variable de main-d’œuvre et effondrement des structures sociales traditionnelles). Les migrations plus anciennes étaient moins importantes quantitativement et le plus souvent s’étalaient sur de très longues périodes pour aboutir en général à des recompositions de civilisations, soit en se fondant dans le creuset culturel des peuples subissant la poussée migratoire, soit en créant une nouvelle stabilité sociale et civilisationnelle recouvrant l’ancienne strate culturelle.
L’utilisation de la démocratie par le capital
Le capitalisme, lui, est producteur de chaos et d’anomie, il fait perdre toute identité, tout repère, en corrompent les identités subsistantes en les transformant en phénomènes de bandes qu’il manipule. « Gangs of New York » est à cet égard, très significatif car on y voit s’affronter avec violence le gang des « natifs » (eux-mêmes immigrés un ou deux siècles plus tôt) s’opposait au gang des Irlandais récemment débarqués à New York. La bourgeoisie, quant à elle, joue sur les deux tableaux, utilisant tour à tour les miséreux des deux bords. Elle favorise le gang des « natifs » pour faire régner une apparence d’ordre et de hiérarchie au sein du quartier mal famé de Five Points en utilisant les ressorts du banditisme et de la corruption, tout en se réjouissant de l’arrivée quotidienne des navires bondés d’irlandais prêts à tout pour subsister et qu’elle enrôlera massivement dans l’armée nordiste lors de la guerre de Sécession. Symbolique est la scène où l’on voit des Irlandais sur les quais du port de New York recevant immédiatement des papiers de citoyens américains pour repartir aussitôt, vêtus de leur uniforme, sur un autre navire où on leur promet trois repas par jour, vers la boucherie de la guerre contre les confédérés. Cela ne rappelle t il pas la composition de l’armée US, récemment, en Irak ? L’utilisation de la démocratie par le capital est aussi clairement montrée dans le film. Ainsi les misérables irlandais sont invités à participer à la farce électorale en votant pour un des leurs, lorsque leur nombre et le renouveau de leur identité font qu’ils deviennent une clientèle intéressante pour les politiciens du système. Faut-il faire un dessin pour transposer la situation de nos jours dans la grande civilisation des droits de l’Homme ? Et puisque nous évoquons cette dernière idéologie, comme aux thuriféraires de droite et de gauche du système, on le voit poindre dans la situation historique de l’époque de la guerre de Sécession où de faméliques prolétaires sont envoyés au casse-pipe au nom de la libération des esclaves noirs des états sudistes, par la bourgeoisie industrielle qui est bien indifférente à la condition sociale des immigrés européens et qui vise à la domination sur tout le territoire des Etats-Unis en détruisant le système patriarcal sudiste, et « libéra » les esclaves noirs pour en faire des prolétaires peuplant les ghettos des grandes villes. Analogie avec notre époque et à une autre échelle ?
Le fonctionnement du capitalisme
La violence est omniprésente dans « Gangs of New York ». D’après Faye, la violence, l’insécurité sont des phénomènes liés à l’immigration en Europe ; une violence qui ne serait qu’une offensive conscience, organisée de la part des immigrés contre l’Europe. S’il ne s’agit pas de nier l’existence de pathologies sociales accompagnant l’immigration vers notre continent, il est vain de généraliser en faisant de ce facteur l’explication de tous nos maux. Sur notre continent même, la misère engendrée par le capitalisme a toujours été accompagnée de phénomènes de violence et de criminalisation. Simplement ceux-ci étaient sanctionnés de manière beaucoup plus sévère (le débat sur crimes et sanctions était beaucoup plus vaste par ailleurs). Autre intérêt de cette œuvre cinématographique : le spectateur peut comprendre le fonctionnement du capitalisme quasiment à l’état pur, c’est-à-dire dans un pays n’ayant pas de structures anciennes à supplanter (les Indiens, eux, ont été génocidés). Le triomphe de l’économie sur la dimension sociale, c’est la guerre, le banditisme à tous les étages du corps social, l’arbitraire, le mensonge, la corruption et l’individu prolétarisé ou sous-prolétarisé livré à la loi de la jungle du marché. Les partis politiques n’y sont que des bandes organisées plus ou moins influentes, sous-traitant parfois leurs services de basse besogne. Actuel, actuel !
Au bas de l’échelle, les « gangs » se disputent une part de territoire, d’économie parallèle et se fortifient en adoptant une identité symbolique forte. Les « natifs » du film de Scorese s’accrochent à l’histoire et à la dignité de la nation américaine, les Irlandais à leurs racines culturelles, religieuses. La dimension ethnique s’exacerbe même ; lors de l’émeute gigantesque menée par les pauvres de New York contre la conscription, les responsables politiques bourgeois sont visés, mais aussi quelques noirs sont lynchés, rendus responsables de la conscription parce que la libération des esclaves noirs était la justification, la mystification idéologico-morale avancée par les capitalistes. Donc, à ceux qui pour défendre l’identité européenne font appel à une xénophobie rudimentaire, nous disons que ce n’est pas cela que défendre la cause des peuples, pas plus d’ailleurs que de participer à l’idéologie antiraciste défendue par les officines du capitalisme mondialiste. L’immigration des prolétaires européens dont nous avons parlée n’est elle pas aussi tragique que la traite des esclaves africains ? N’y a-t-il pas eu autant de souffrance en l’occurrence ? Donc, nous ne nous associerons pas aux jérémiades droits de l’hommistes : guerre au capital et à ses amis camouflés (alter mondialistes de tous poils) !
La scène finale du film est également fort éloquente. Pendant que l ‘émeute se déploie dans New York, les deux gangs rivaux sont sur le point de s’étriper. Des canonnières apparaissent alors dans les eaux baignant la cité et bombardent les quartiers pauvres de la ville envoyant des milliers de malheureux ad patres. Force reste à la bourgeoisie…
Le seul chemin qui nous paraît être efficace
Conclusion : lorsque la société est synonyme de chaos, de crise, les tensions entre groupes, communautés, bandes diverses s’exacerbent. Des identités collectives réelles ou fictives légitimes ou manipulées et créees de toutes pièces s’affrontent (voir le Proche-Orient, l’Irlande du Nord, les Balkans…). Le capital, lui, prospère.
Son mode d’être n’est pas la stabilité, la prospérité des peuples, mais la subversion permanente de tout ce qu’il approche. Par conséquent, il n’y a pas de « plan » islamique de colonisation de l’Europe selon la théorie de G. Faye. Il y a une immigration inhérente au triomphe de la forme capital actuellement sur la planète, avec parfois une instrumentalisation consciente des immigrés de la part de forces mondialistes voulant la destruction des pays encore homogènes qui contrarient tel ou tel de leurs projets et parfois un appel de main d’œuvre corvéable, à basse rémunération (voir l’appel récent du patronat irlandais réclamant des Africains !). Pour favoriser ce chamboulement universel les bourgeois apprennent aux immigrés qu’ils doivent se venger des méchants Européens et aux Européens qu’ils doivent se soumettre à toutes les vexations et battre leurs coulpes jusqu’à la fin des temps. Pendant ce temps-là, le prolétariat européen qui avait accouché d’une critique radicale du capitalisme ne pense plus au socialisme authentique, celui qui consisterait à prendre enfin sa vie en main en rejetant la démocratie capitaliste représentative.
Enfin, une guerre civile ethnique d’où resurgirait une Europe forte – toujours selon la théorie de Faye – est une illusion. Il peut y avoir des affrontements ethniques au sein du chaos économique et social généré par le capital. Mais cela, ce n’est pas la solution anticapitaliste. Le seul chemin qui nous paraît être efficace c’est la pratique de la théorie socialiste révolutionnaire. Par tous les moyens tentons d’imposer la prise de conscience des impasses de la mondialisation capitaliste et de son opposition fictive qu’est l’alter mondialisme.
Jean Galié