Entretien avec Paris Violence : Entre spleen et idéal
Entretien avec Flav pour Rébellion. Réalisé en 2003.
Nous sommes particulièrement heureux d’ouvrir nos colonnes à l’animateur d’un des projets musicaux les plus ambitieux de la scène street punk actuelle. Loin de partager nos orientations, il a pourtant accepté de répondre à nos questions. Qu’il en soit remercié.
R/ Peux- tu présenter Paris Violence ? Son histoire et sa composition actuelle ?
Paris Violence est un projet né vers 1994, davantage axé sur l’expérimentation musicale que sur la scène, priorité étant donnée à laisser des traces concrètes sur disques ; nous avons sorti quatre albums et un certain nombre d’autres productions sur des formats différents. Les formations ont évolué au fil des années, commençant par une formule trio, puis j’ai tout assuré en solo sur deux albums, avant d’être rejoint par Spirou Molodoï, tout en ayant parallèlement constitué une autre formation à trois pour pallier ses périodes d’indisponibilité.
Quels sont les groupes qui t’ont marqué musicalement et qui t’ont donné envie de faire de la musique ?
Du punk 77 avec, détachés du lot, Métal Urbain et Bulldozer, mais également des groupes moins connues comme Gasoline ; outre-manche, UK Subs ou The Adverts.
Du post-punk, selon le sens du terme désignant l’évolution ultérieure de beaucoup de groupes punk et oi ! vers des styles de musique plus hermétiques ou au contraire plus pop, ou les deux à la fois : Blitz, Anti Nowhere League, UK Subs encore…
Trois groupes de métal old school : Motörhead comme tout le monde, Manowar et leur wagnérisme pré-adolescent si attachant, et Iron Maiden depuis toujours, contre vents et marées.
De la oi ! et du streetpunk français de la génération 1982-1986 : Komintern Sect, Camera Silens, Brainwash, Panik LTDC, Collabos et alii…
De la oi ! anglaise de la même époque : Combat 84, The Last Resort, Condemned 84, The Blood, The Magnificient, Peter and The Test-Tube Babies, et toutes ces compilations chez Syndicate records ou Link Records dont le titre commençait invariablement par « Oi ! the… » !
De l’indus symphonique et martial : Blood Axis, Puissance, Dernière Volonté…
De la cold-wave, par exemple de vieux groupes français comme Leitmotiv, Odessa, Tanit, Clair Obscur, Norma Loy, Resistance, Complot Bronswick, ou, plus classique, Marquis de Sade.
De la oi ! japonaise des années 90 : Gruesome, Bull the Buffalos, Sledge Hammer…
Du black métal symphonique et mélodique: Catamenia, Eternal Tears of sorrow, Moonsorrow, Bal Sagoth, Enslavement of Beauty, Summoning, Stormlord…
Je hais tout ce qui est festif et bien intentionné, rock alternatif stupide ou militant, ska sympathique, raggamuffin, et je suis totalement hermétique au jazz.
R/ Alors que la plus grande majorité des groupes punk/oi! se complaisent dans une imagerie limitée, tu as réussi à développer un univers particulièrement riche en références littéraires et musicales. Comment définis- tu cette spécificité de Paris Violence ?
Le goût immodéré des groupes oi ! pour les lieux communs et autres passages obligés spécifiques au genre contribuent sans doute à la cohésion de ce mouvement qui se veut ne pas être seulement un style musical mais une façon d’être (« skinhead’s not a fashion, it’s a way of life », chantaient Combat 84). Mais il est vrai que tout cet aspect « traditionnel » constitue souvent du même coup un certain frein à l’originalité et à la créativité ; pensant que la survie de cette « orthodoxie » était très bien assurée par d’autres que moi et que du reste elle n’était guère en péril, j’ai préféré explorer des voies plus personnelles. Cela a pu se traduire, par exemple, par la tentative de créer des disques-concepts soit au sens fort du terme (le décadentisme fin XIXème pour « en attendant l’Apocalypse » ou les profondeurs marines pour le EP « Cauchemar abyssal), soit de façon plus nuancée en essayant de donner à chaque production une « couleur » propre (l’ambiance crépusculaire de « Ni Fleurs ni Couronnes » ou l’omniprésence du thème du froid pour « L’Age de Glace » qui empreint tant les paroles que la texture du son ou le graphisme) ; tout un système de rappels d’un disque à l’autre par la récurrence de thèmes, concrets (la guerre de 14-18, la guerre froide, Paris, les quartiers chauds…) ou d’ordre davantage affectif ou intellectuel (le pessimisme, l’idée de décadence, la misanthropie…) sont censés assurer une sorte de cohésion plus large à l’ensemble qui contribue à la mise en place progressive d’un d’univers propre qui serait une sorte de « planète Paris Violence ».
R/ L’inspiration de tes premières productions était ancrée dans un monde de béton et de grisaille. Qu’évoquent encore en toi ces jungles urbaines où l’individu semble disparaître dans l’anonymat de la masse ?
Il y a dans tout cela un propos essentiellement esthétique, hors de cette dimension sociale que tu évoques ; mais cette dernière, à son tour, a valeur esthétique. S’il y a une poésie urbaine, il y a aussi sans doute, au risque d’employer une expression affreuse empruntée à la clique des géographes, une poésie de l’urbanisme dont le plus récent représentant serait peut-être Michel Houellebecq. Ce sur quoi j’ai pour ma part mis essentiellement l’accent est cette étrange sensation de vertige qu’engendre la Mégalopolis contemporaine.
R/ Que t’inspire la marche du monde moderne ?
Ce dans quoi nous vivons ne peut plus en aucun cas, je pense, être appelé un monde. Philippe Muray a quelque part raison lorsque reprenant le concept de fin de l’Histoire, il affirme qu’elle est déjà finie sans que nous le sachions… Ce qu’il appelle l’ Après-Histoire n’est pas très loin de ce que je nomme un âge de glace et dontle caractère premier (et du coup dernier) serait l’indifférenciation, c’est-à-dire la mort. Au fil des siècles, l’homme s’est peu à peu trouvé engouffré dans un vortex, celui de la peur du Vide. Les pires maux on le sait, sont ceux dont on n’est pas absolument certain, craintes hypocondriaques ou premiers symptômes d’on ne sait quoi ; l’esprit humain, qui ne supporte pas l’inconnu, trouve alors généralement au problème cette unique et tragique solution qui consiste à venir au-devant du mal : c’est le sage se suicidant par peur de la mort. De la même façon, l’humanité ne sachant trop ce qu’était l’abîme ni s’il existait vraiment, a fini par le creuser de ses propres mains et par s’y jeter. Sans doute même y a-t-il eu, dans ce grand moment de psychologie collective (ou plutôt, ici, totale), quelque chose comme un profond sentiment de volupté.
R/ On remarque que certains de tes textes sont extrêmement engagés socialement, mais tu contre balances cela par une certaine forme de misanthropie basée sur une vision pessimiste de la nature humaine. Comment expliques- tu cela ? L’influence célinienne peut- être ?
Oui et non ; en un sens, dans les grandes lignes, tu dois avoir raison. Mais des mots tels que « social » ou «engagement» me sont radicalement étrangers, peut-être à cause du minimum de conscience collective qu’ils sous-entendent nécessairement, et aussi sans doute par les connotations idéologiques qui ont toujours entouré leur emploi ; et au-delà, par tout ce qu’ils contiennent de réalisme (au sens de trivialité) et de matérialisme intellectuel (et donc, un jour ou l’autre, « dialectique ») ; peut-être y a-t-il davantage à la source de ceux de mes textes d’inspiration historique qui peuvent être perçus comme « sociaux » un sentiment plus difficile à décrire verbalement et qui se rapprocherait, grosso modo, de mes hypothèses sur le traitement de l’Histoire par l’art telles que j’ai pu les exposer en partie dans mon article « Budapest 1956 ou le souffle de l’Histoire » (Nouvelles d’Outre-Tombe, n°1°).
R/ Tu peux t’en douter, nous avons particulièrement apprécié les différences évocations de la Commune de Paris et des insurrections populaires qui émaillent tes albums. Pourquoi un tel intérêt pour ces révoltés contre l’autorité centrale et la bonne conscience bourgeoise ?
« Autorité centrale », « bonne conscience bourgeoise », je crois que la réponse est contenue dans ta question. A la limite, on n’a pas besoin de se sentir Communard pour haïr le Versaillais. Cela rejoint un peu le sens du titre de ma première démo, « L’Esprit français » : derrière tous les prétentieux discours d’élégance et de panache français, demeure cette présence qu’on souhaiterait ne pas voir, en chaque français ou presque, d’un petit bourgeois aigri. Qui a eu, dans notre histoire, le courage d’en prendre conscience pour l’étrangler mérite respect, hors de toute considération idéologique plus poussée.
R/ Une chanson comme « In Memoriam » (sur l’album Temps de Crise) nous a marqués. Elle évoque non seulement les victimes des totalitarismes nazis et communistes, mais aussi celles de la démocratie. Tout régime est-il fondamentalement mauvais à tes yeux ?
Précise ce que tu entendrais par bon régime… un régime qui garantirait l’indépendance et la grandeur nationales ? le bien-être matériel du plus grand nombre ? la liberté ? (laquelle ?et la liberté de quoi ?) la justice sociale ? l’épanouissement de l’individu ? une société égalitaire ? ou créatrice d’élites ? etc., etc. On voit vite que dans cette liste rapidement improvisée bien des catégories semblent déjà intrinsèquement incompatibles, et quand bien même on opèrerait des choix radicaux n’en impliquant que deux ou trois, rien dans l’Histoire ne nous propose de solutions qui aient été réellement capables d’en permettre la réalisation. Je ne suis en rien un utopiste et ne propose aucune solution miracle, mais j’avoue qu’effectivement j’ai une très profonde antipathie pour les voies « totalitaires » sans être pour autant séduit le moins du monde par le modèle de social-démocratie ultralibérale et globale qui se consolide partout dans le monde un peu plus chaque jour.
R/ L’image du Dandy que tu développes dans « En attentant l’Apocalypse » est empreinte de toute une aura sulfureuse. Est-il encore possible de l’être dans une société qui est basée sur l’uniformisation des goûts ?
Le personnage du dandy est effectivement une image de rébellion élitiste, et ce sous les diverses formes qu’il a pu prendre, du muscadin de la « révolution » française au décadent de la Belle époque, en passant par l’incroyable du Directoire accompagné de sa merveilleuse, ou le poète maudit de la monarchie de Juillet… Cette forme de non-conformisme par l’élégance s’est essentiellement développée au XIXème siècle en réaction contre la révolution industrielle et le triomphe de la société bourgeoise ; aujourd’hui tout cela peut sembler dépassé puisque l’hyper-industrialisation n’est plus le terme d’une alternative mais une réalité globale et totalisante, que le bourgeois n’existe plus réellement en tant que classe, les clivages sociaux se définissant de plus en plus par le degré d’intégration de l’individu atomisé dans le système libéral mondial plutôt que par des différences de comportement ou de valeurs. Le dandy du XXIème siècle, s’il existe, n’est donc en aucun cas le bobo ou autres formes de pseudo-originalité qui ne sont que l’ultime avatar du conformisme inhumain moderne.
R/Le thème des sex-shops et des quartiers chauds revient dans la plupart de tes textes . Comment juges- tu l’utilisation des frustrations de nos contemporains par l’industrie de la pornographie ?
Je ne juge pas, je constate, comme tout le monde. Cet univers de la pornographie m’a longtemps inspiré de façon essentiellement esthétique : poésie des quartiers chauds, de la fange, de la détresse humaine… Ce n’est finalement qu’avec des morceaux plus récents comme « Mornes Horizons » que je parle de ces choses de façon plus « théorique », mais moins sous le jour d’une éventuelle exploitation (une « utilisation » comme tu dis) que révèlerait ce monde du sexe commercial que de ce qui, selon moi, tient de l’ aggravation collective d’une misère sexuelle –et, plus profondément, d’une crise du désir sous toutes ses formes- interagissant directement et logiquement avec la chute vertigineuse de nos civilisations dans le nihilisme.
R/ Dans les remerciements de ton dernier album, tu salues Romain Slocombe, artiste et écrivain qui puise son inspiration dans le bondage japonais, qu’évoque en toi cette singulière pratique érotique japonaise ?
Je suis fasciné, c’est vrai, par l’âme japonaise ; je ne suis pas particulièrement féru de bondage mais c’est une pratique qui peut tenir de l’art. Quant à Slocombe, disons que c’était une vieille connaissance, que nous avons repris contact vers l’époque de la préparation de cet album et que nous nous sommes brouillés entre-temps… Mais malgré cela je garde un grand respect pour son travail, qu’il soit graphique, photographique ou littéraire.
R/ Que penses- tu du renouveau de la scène streetpunk/ oi ! française ? Comment est-ce que tu te situes par rapport à elle et de qui es- tu proche ? Comment ressens- tu les querelles politiques qui la traversent ?
Tout cela est assez décevant ; je vois en fait moins de « querelles politiques » qu’un sectarisme aveugle se parant de faux alibis idéologiques pour justifier de bas règlements de comptes et donner une allure sérieuse à des comportements infantiles, essentiellement motivés par de sordides jalousies, dans un milieu devenu sordidement petit-bourgeois…. Alors que dire, sinon que je ne me sens proche que de mes amis ?-ceux qui ont su rester fidèles entendons, car jamais on n’a autant parlé d’honneur et de loyauté en aussi totale contradiction avec ses actes !
R/ Musicalement parlant, comme au niveau des textes, on a senti une évolution très nette dans ton dernier album, en attendant de l’apocalypse, vers ce que tu définis comme de la Oi !-Wave. Paris Violence étant en perpétuelle évolution, à quoi devons- nous nous attendre pour tes prochaines productions ?
« En attendant l’Apocalypse » était un album décadent, le prochain sortira de ces atmosphères volontairement délétères et désuètes pour quelque chose de sans doute plus atemporel, dans une veine peut-être à la fois épique et hermétique ; musicalement cela sonnera toujours Paris Violence, mais il faudra trouver de nouvelles textures de son quand viendra le temps des arrangements et du mixage. Si ce disque était sorti, comme prévu au départ, peu de temps après le précédent, il en aurait certainement été la continuation, mais la pause que nous nous sommes accordés a laissé le temps à de nouvelles thématiques et à de nouvelles influences de venir s’ajouter au cocktail P.V. …