« Easter Rising » : le soulèvement irlandais de Pâques 1916
Comment un échec sanglant aura permis aux révolutionnaires irlandais d’obliger l’Empire Britannique à céder devant la mobilisation de tout un peuple. Par leur sacrifice, les insurgés de la Pâques de 1916 ont redonné force et courage à la cause irlandaise.
Contexte général et déroulement des faits
En 1916, l’Irlande est sous domination britannique depuis de nombreux siècles ; longtemps discriminée et souffrant de la colonisation anglo-écossaise, l’écrasante majorité catholique d’Irlande du sud (hors Ulster1), relève progressivement la tête depuis le XIXème siècle, faisant sauter, grâce à l’appui de ses élus au parlement britannique, la plupart des freins à son émancipation. Tant est si bien que le « Home Rule » soit l’autonomie interne (statut semblable à ceux de l’Australie ou du Canada de l’époque), est finalement voté par les deux chambres anglaises en septembre 1914, juste avant le premier conflit mondial. Malheureusement pour les irlandais libres, le déclenchement de la guerre met l’autonomie en sommeil. Paradoxalement, la plupart des irlandais sont alors favorables à l’effort de guerre britannique et espèrent naïvement que les autorités de la couronne tiendront leur parole après la guerre. Alors que des milices protestantes suppléant les troupes du Royaume-Uni se constituent en Ulster (avec l’objectif affiché de peser pour garder l’Irlande au sein de ce pays), des milices catholiques y répondent, apportant un soutien critique à l’armée anglaise2.
Les dirigeants nationalistes irlandais suivent alors majoritairement John Redmond, le leader du parti parlementaire, qui soutient l’effort de guerre ; cependant, une partie des Irish Volunteers refuse ce soutien et c’est au sein de ces opposants que se constitue un noyau prêt à une insurrection contre le pouvoir britannique avant la fin de la guerre.
C’est alors L’Irish republican Brotherhood qui dirige les opérations. Fondée en 1868, c’est une organisation secrète possédant une branche politique et une branche militaire, ainsi que des relais aux États-Unis. Les principaux chefs impliqués dans l’action sont Pearse, Plunkett et Connoly, ce dernier, syndicaliste et marxiste, mobilisant sa propre organisation appelée l’Irish citizen army, fondée en 1913 pour défendre les ouvriers de Dublin.
L’IRB commence par infiltrer les Irish volunteers et décide enfin, en janvier 1916, de déclencher une rébellion pour Pâques, car des armes allemandes doivent arriver durant cette période, tandis qu’un des leaders des Irish Volunteers, MacNeill, est rallié au soulèvement.
Cependant, les choses déraillent et se précipitent lorsque le cargo allemand Aud transportant les armes (20 000 fusils), est saisi par les britanniques le 20 avril. Certains chefs de l’IRB tentent d’annuler les opérations (dont MacNeill), tandis que les plus décidés, majoritaires, les repoussent simplement du dimanche au lundi 24.
Ce jour là, 120 membres de l’ICA et 700 Irish volunteers défilent dans O’Connell Street dans la capitale, vers 10h. Puis peu après, ils occupentla Poste Centrale, ainsi que de divers bâtiments stratégiques, tels les Four Courts (palais de justice) ou la gare de Westland Row. Outre les trois déjà cités, les chefs des révoltés sont Clarke, Mac Diarmada, De Valera et Markievitz pour la brigade féminine de l’ICA. Des armes sont volées à l’armée britannique tandis que les femmes amassent des vivres et des médicaments.
Pearse proclame alors la République irlandaise, à 13h, devant une foule interloquée. Quelques tentatives ont lieu dans des villes de province, mais pas une insurrection générale, comme cela avait été envisagé. Les insurgés sont en effet encore vus comme des traîtres par une grande partie de la population, alors que de nombreux Irlandais se battent en France. Durant toute l’après-midi, les assauts de l’armée britannique sont repoussés et plusieurs casernes sont même attaquées par les volunteers. Toutefois, les insurgés ne prennent pas le Castel, siège de l’autorité britannique et centre des communications. C’est une énorme erreur, car ainsi les Britanniques ont conservé la maîtrise du téléphone, ce qui leur permet, l’effet de surprise passé, d’alerter des renforts qui convergent vers Dublin. Le maréchal French, commandant en chef des troupes britanniques, ordonne de transférer vers l’Irlande quatre divisions (plus de 50 000 hommes !). Le lendemain, mardi 25 avril, alors que les insurgés radiodiffusent la proclamation de la République, la contre-attaque britannique obtient d’indéniables succès militaires, et les premiers renforts arrivent de province. Dublin est le lieu de batailles acharnées. Les Britanniques bombardent les bâtiments aux mains des Républicains provoquant différents incendies. Après cinq jours de combats, les insurgés sont dans une situation désespérée. Le 29 avril, Patrick Pearse, président du gouvernement provisoire, décrète l’arrêt des combats. La reddition sans condition est signée le même jour.
Conséquences et analyse d’un surprenant succès posthume
Lorsque se produit l’insurrection, la quasi-totalité du peuple irlandais la juge négativement, y compris l’Église catholique ; pourtant à peine deux ans plus tard en 1918, on assiste à un retournement total de l’opinion : le Sinn Fein partisan d’une indépendance dure et glorifiant les martyrs de Pâques remporte haut la main les élections au parlement. Pourquoi un tel changement ? On peut voir à peu près cinq raisons l’expliquant :
D’abord, et c’est peut-être la principale raison, la promesse britannique du « Home Rule » n’a pas été tenue : en effet, malgré la fin de la guerre, il n’est pas appliqué et les élections de 1918 continuent à élire des députés au parlement britannique. A posteriori cela semble justifier l’insurrection, alors que le parti parlementaire irlandais s’en trouve ridiculisé. Une autre promesse non tenue est en lien avec le premier conflit mondial : bien que le gouvernement de sa majesté ait juré ne pas étendre la conscription en Irlande, il renie sa parole en 1918, provoquant de sérieux heurts à Dublin.
Ensuite, malgré une situation calme et l’apparente anglophilie irlandaise du temps de guerre, le feu couvait sous la cendre, il paraît évident que les deux forces levées en 1914, Irish volunteers et Ulster volunteers se détestent et ont des objectifs opposés : l’affrontement est inévitable et des échauffourées ont déjà éclatés avant-guerre dans les provinces du Nord, tandis qu’un gouvernement provisoire protestant unioniste y est constitué. Si l’armée britannique envisage parfois des actions contre les milices protestantes, les faits montrent le fort soutien des officiers à ces derniers et la menace de mutinerie3. De plus, côté républicain, l’IRB, en sommeil jusque-là, est réactivée dès 1907, tandis que les émigrés américains restent mobilisés fortement pour l’indépendance et constituent une solide base arrière avec des troupes et surtout des fonds prêts à être levés ; leur influence outre-Atlantique n’a jamais été aussi grande.
Le retournement tient aussi aux faits en eux-mêmes et à la bravoure des rebelles : en effet, on compte plus de morts chez les britanniques que chez les insurgés, et ces derniers, encerclés et en sous-nombre ont tout de même réussi à tenir la dragée haute à des troupes professionnelles pendant plus d’une semaine ! Même chez ceux qui condamnent la rébellion, on sent poindre une certaine fierté, et les révoltés ont montré qu’une troupe déterminée peut faire de grandes choses, tandis que la fragilité des troupes britanniques est étalée au grand jour. De plus, c’est une des première fois où ce sont des catholiques et non des protestants minoritaires qui ont mené une action armée pour l’indépendance.
Quatrième point : la gestion de la crise par les autorités anglaises est catastrophique. Tout le centre de Dublin est ruiné par les combats, plus de 300 civils sont morts et la répression féroce est contre-productrice, suscitant un élan de sympathie pour les rebelles qui dépasse les frontières de l’Irlande. Les leaders ayant signé la proclamation d’indépendance sont fusillés ou pendus malgré les appels à la retenue américains. Des milliers de personnes sont arrêtées, y compris des nationalistes n’ayant pourtant pas participé au soulèvement4. Paradoxalement, les loyalistes ne peuvent pas exécuter deux des principaux leaders du rising : Eamon de Valera (qui jouera un rôle déterminant dans l’histoire irlandaise après l’indépendance), du fait de sa nationalité américaine, et Constance Markievicz, car femme. Au point de vue « métapolitique », les anglais perdent la partie également, les rebelles recevant un soutien appuyé de la part de grands écrivains comme Bernard Shaw ou G.K.Chesterton.
Enfin, les survivants des « Pâques sanglantes », sauront remarquablement tirer les leçons de leur échec militaire. Sous l’influence notamment de Michael Collins5, les leaders républicains décideront de laisser de côté la lutte armée traditionnelle, pour laquelle ils ne peuvent rivaliser avec la puissante armée britannique, au profit d’une guerre de guérilla rurale, avec des troupes mobiles levées et dispersées facilement.
L’Easter Rising est un événement singulier, car c’est une des rares et plus brillante victoire de la propagande par le fait. Cependant, ce succès posthume n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu, et il a bénéficié du mûrissement et de l’exaspération croissante de l’opinion irlandaise. De plus c’est finalement l’attitude de l’occupant britannique d’avantage que le soulèvement direct qui a dessillé les yeux des catholiques irlandais. Mais quelque part n’est-ce pas là le véritable intérêt de ce type d’action que de révéler l’exacte nature du système oppresseur ?
Pierre Lucius.
1Province du Nord-Est dominé par les descendants de colons protestants (souvent presbytériens d’origine écossaise)
2Ulster Volunteer Force protestante et unioniste et Irish Volunteers nationaliste et catholique
3Bonar Law, un des chefs du parti conservateur britannique, enjoint même l’armée à désobéir en cas de Home Rule
4Près de 5000 personnes au total, dont les leaders Sinn Féin Griffith et MacNeill qui avaient pourtant enjoints aux volontaires de ne pas participer à l’insurrection !
5Personnage clé de l’indépendance irlandaise, un des leaders du parlement en guerre contre Westminster, excellent stratège et talentueux responsable du contre-espionnage.