Collectif « Cadavre exquis et guerre sociale » : Et après ?
Le confinement a liquidé la possibilité de se réunir et d’occuper la rue. L’espace public s’est déserté, la sphère privée s’est repeuplée, chacun devant affronter ses angoisses existentielles ou pragmatiques : perte de revenus, ininterruption des dépenses et des charges, le tout baignant, en raison de l’épidémie et de son traitement médiatique, dans un climat anxiogène. Cela n’a pas empêché certaines professions, méprisées hier, de se révéler indispensables au fonctionnement de la nation ; pour ces travailleurs qui n’ont pas regagné leur foyer, la cadence a redoublé, ou tout au moins n’a pas faibli.
Bien que la lutte a été contrainte de s’invisibiliser au profit des files d’attentes devant les fast foods et les enseignes de prêt à porter, la situation n’est pas dénuée de tout espoir. Assignés à résidence, la gestion calamiteuse de la maladie par les autorités a renforcé la frustration de ne pas pouvoir exprimer sa désapprobation et a pu susciter, chez les non acquis à la cause, incompréhensions ou interrogations suspicieuses qui pourraient bien ranimer les esprits apathiques. S’ajoute à cela les fantasmes d’augmentation du temps du travail et de diminution des congés que le gouvernement et le patronat évoquent sous couvert de redressement économique. Le travailleur, une nouvelle fois pris en otage, pourrait bien ne plus le supporter.
En cette période d’indétermination générale, ce qui se joue est peut-être une redistribution des cartes: à nous d’en sortir vainqueur. La résistance s’exprimera sous de nouvelles modalités, imprévisibles pour l’heure ; mais peut-être devrions nous lui donner la forme redoutée d’aujourd’hui : celle d’un micro-organisme dont rien n’arrête la contagion, flux sans cesse nouveau et renouvelé, capable de mutations pour déjouer les défenses immunitaires d’un corps qui agonise… Que la lutte soit pour l’ancien monde une pandémie mortelle.
…Ils n’en finissent pas d’apparaître et de réapparaître, ces symptômes. Les agents pathogènes de la lutte bouillonnent sous une terre plate et amorphe. La vieille taupe est de retour. Son museau est parvenu à la surface. Pour le moment, elle ne peut que renifler l’air impur du conformisme. Le confort de la peur étreint l’effroi de l’inconfort pour le plus grand bonheur du Capital. Les fétiches du capitalisme règnent en quantité, et c’est là leur seule qualité, parmi les décombres de nos êtres morcelés, entamés par la pourriture d’un soleil pâle et hydroalcoolique.
Dépouillés de nos forces vives par la quête maladive d’un CDI rassurant, nous nous giflons à pleines mains pour sortir du mauvais rêve de la paresse, cauchemar éprouvé à pleines suées et combattu par le salaire sauveur. Ainsi, le coronavirus n’a apporté pour nous autres aliénés aucune lueur de conscience émancipatrice. Etrangers à nous-mêmes, ce moment unique en son genre, qui aurait pu nous pousser à constater l’absurdité de ces promesses d’embauche et à vomir le dégueulasse culte du job, a été occulté par l’angoisse de ne plus pouvoir en être, de cette course à la non-vie…
Dépossédés de notre jouissance, l’érotisme des êtres et des choses, l’effleurage, le toucher vigoureux d’une amitié franche ou d’une promesse de fusion charnelle, nous sont petit à petit dérobés sous l’injonction des précautions. Ejaculations et orgasmes vagino-clitoridiens honteusement évacués dans les fosses communes : la pornographie ne pouvait être que coronavirale. La peur du virus est le renforcement rentable d’un individualisme acharné, les forces de la marchandise étant déterminées à faire passer la communion fraternelle, et donc révolutionnaire, pour un mirage.
Nos rituels d’exhibition sur les réseaux asociaux, biberonnés aux challenges insignifiants, les aveux d’impuissance de nos artistes médiocres, les poses mégalomanes et suffisantes de nos écrivains, ont dévoilé la contamination de l’Art par la face industrielle qui lui portait le duel dès l’aube de sa naissance.
Nous gesticulons entre nos cloisons, parce qu’Il n’en a pas tout à fait fini avec nous. Parce que malgré le démembrement progressif sur lequel Il s’applique et auquel nous n’avons opposé qu’un cri étouffé, il nous reste encore des organes à faire frémir. Et cette vitalité qui n’a que trop longtemps sommeillé en nous doit s’épanouir par la grâce des dormitions. Nous devons nous astreindre à l’expiration violente du nouveau-né. Nous avons le devoir de nous arracher les poumons pour jouir de cette respiration nouvelle…
…Face à la chimère, doit-on encore organiser, structurer, discipliner une forme de lutte en rupture avec les échecs passés ? Ou devons-nous accueillir, avec humilité et moins d’avant-garde, les contradictions de plus en plus manifestes d’un Capital effrayé et qui, conscient d’être en voie d’extinction, lâche ses dernières cartouches ? Si nous choisissons la première option, pouvons-nous alors croire encore à la puissance de l’Idée, à son culte et à celle de la personnalité ou du collectif qui l’insuffle sans tomber de nouveau dans les travers de nos anciens ? Et si nous choisissons la deuxième, n’y-aurait-il pas derrière cette aristocratie un attentisme suicidaire ?
C’est en épousant les tressaillements qui se nichent dans l’amas de signes et de bruits qu’est devenu notre monde que nous trouverons certainement la réponse…
… Nous ne sommes pas là pour donner des leçons, mais pour donner l’exemple. Quand s’agitent marionnettes et youtubeurs dans la cacaphonie du cirque médiatique, nous travaillons à accorder les vibrations positives nées dans la lutte contre l’aliénation et l’exploitation. Nous œuvrons à trouver une harmonie qui ait du sens pour ceux qui combattent quotidiennement.
Que mille foyers révolutionnaires naissent et convergent pour abattre le système, que fleurissent un printemps de communautés et de luttes autonomes. Cela n’est pas un repli ou une fuite. Au contraire, c’est la création de bases arrière pour reconquérir la vie. Pour donner un sens non confiné à notre réflexion et se donner les moyens de vaincre dans la guerre sociale qui ravage notre époque.
Toute théorie qui ne se converge pas avec l’action et la vie n’est qu’illusion. La Dissidence aura donné corps à une résistance (à travers les Gilets Jaunes), cette Résistance doit maintenant donner une Révolution. La révolte n’a pas éclaté le 11 mai par magie, mais l’histoire dure longtemps. Quand dans les prochaines années, la France Périphérique rencontrera les collapsologues, cela va vraiment provoquer des étincelles. Et une étincelle peut embraser la plaine…
Collectif Cadavre exquis et Guerre Sociale