Entretien avec Xavier Eman : Dans les coulisses des écoles de journalisme
Critique acerbe de la modernité et de ses contemporains, Xavier Eman revient avec un ouvrage inattendu sur les écoles de journalisme. Un milieu auquel on aurait tort de ne pas s’intéresser, tant ces écoles infusent les idées libérales-libertaires auprès de leurs élèves. Rencontre avec l’auteur.
On vous a connu critique du monde moderne, vous vous attaquez aux écoles de journalisme, pourquoi ?
Parce qu’il faut varier les genres… Et qu’il y a une certaine continuité, malgré tout, entre les deux exercices, le journalisme et le monde médiatique étant incontestablement deux des piliers de notre monde moderne finissant, les journalistes pouvant être considérés comme les nouveaux curés de la doxa morale et idéologique dominante. Mais pour analyser le système de formatage des écoles de journalisme, j’ai cependant abandonné le ton du pamphlet ironique de mes habituelles chroniques pour celui de l’étude et de l’enquête factuelle, « journalistique » pour le coup.
Qu’ont en commun l’ensemble des écoles que vous analysez ?
Une très forte endogamie sociale et un parfait conformisme idéologique. En caricaturant à peine, on pourrait dire que ce sont des petits bourgeois des centres-villes qui suivent les cours de leurs aînés, issus des mêmes milieux, le tout communiant dans le panel complet des poncifs « libéraux-libertaires » de l’époque : wokisme, xénophilie, ethno-masochisme, gauchisme de salon, LGBTQisme… avec la certitude partagée de constituer une élite moralement supérieure à la plèbe des « sans-dents ».
Étudier le journalisme à Paris ou en province, est-ce vraiment différent ?
Aucune différence notable n’est apparue au cours de l’enquête ni dans les témoignages que nous avons recueillis. Peut-être trouve-t-on un tantinet plus de diversité sociale en province, mais cela reste très anecdotique…
Quel est votre regard sur le rachat de l’ESJ Paris ?
Ce rachat de la plus ancienne école de journalisme du monde par un conglomérat de milliardaires propriétaires de médias suscite chez moi un sentiment ambivalent. D’une part, indiscutablement, elle marque une nouvelle étape dans le contrôle grandissant du spectre médiatique par un poignée d’oligarques. De ce point de vue, cela peut paraître inquiétant, même s’il ne s’agit que d’une école sur des dizaines en France. Mais d’autre part, l’orientation « libérale-conservatrice » qui semble être la voie choisie pour cette école introduit malgré tout un petit peu de « diversité idéologique » dans l’offre de formation au journalisme jusque-là totalement verrouillée par la gauche libérale-libertaire. En cela, même si cette option politique n’est pas la mienne, je considère que ce n’est pas un mal qu’elle puisse avoir sa place et bousculer un peu l’hégémonie gauchiste actuelle. A ce titre, les cris d’orfraie et les réactions scandalisées provenant des élèves et des cadres des autres écoles de journalisme à l’annonce de ce rachat ne manquent pas de sel ni d’humour involontaire puisqu’ils osent dénoncer la perspective d’un possible « formatage libéral-conservateur » alors qu’ils se complaisent dans un parfait « formatage libéral-libertaire » depuis des décennies. En réalité, la gauche morale ne supporte simplement pas la moindre atteinte à son monopole sur la culture et les médias… En plus, tout cela n’est vraiment que du cinéma, puisque les apprentis journalistes qui prétendent s’inquiéter et s’outrer de l’influence grandissante de ces milliardaires, vont tous, ou presque, par la suite docilement (et confortablement) travailler pour eux dans les différents titres qu’ils possèdent ou financent, de Libération à Streepress en passant par les Echos, le Parisien ou Canal+…
Finalement, les oligarques gardent toujours la main, des pistes pour s’en sortir ?
Déjà en gardant à l’esprit que les « écoles de journalisme » ne sont pas un absolu ni une nécessité impérieuse pour devenir journaliste. La plupart de ces écoles n’existent que depuis la seconde moitié du 20e siècle, et le journalisme ne les a pas attendues pour exister et même pour briller de façon autrement plus glorieuse qu’aujourd’hui… Ensuite, on peut aussi imaginer l’émergence d’écoles véritablement « indépendantes », à la fois de la pensée unique et du grand Capital, formant « techniquement » des journalistes sans leur imposer un logiciel idéologique. Enfin, le développement des « médias alternatifs » et de leur audience permet aujourd’hui d’envisager d’œuvrer utilement et efficacement dans le journalisme sans se soumettre aux diktats et aux conformismes des médias centraux et dominants. Bien sûr, en ce cas, il ne faut pas espérer devenir riche et célèbre. Mais pouvoir être libre et honnête, c’est certainement moins clinquant, mais sur le long terme, ce n’est quand même pas si mal…
Propos recueillis par Jean Ernice pour Rébellion
Formatage Continu, La Nouvelle Librairie éditions, https://nouvelle-librairie.com/boutique/editions-la-nouvelle-librairie/formatage-continu/