Macron et l’abondance : entre prophétie et machiavélisme.
Le président de la République, Emmanuel Macron, s’est exprimé mercredi 24 août lors de la rentrée du Conseil des ministres à l’Élysée et si celui-ci nous a habitués ces dernières années à nous offrir un discours caressé et lénifiant, conforme aux codes de la communication politique la plus moderniste, force est de constater que le contexte international provoque des remous jusque dans son choix des mots, des formules et de l’esprit qu’il tente d’insuffler dans ses paroles :
“Je crois pour ma part que ce que nous sommes en train de vivre est plutôt de l’ordre d’une grande bascule ou d’un grand bouleversement. D’abord parce que nous vivons et cela pas simplement depuis cet été, ces dernières années, au fond la fin de ce qui pouvait apparaître comme une abondance […]
C’est aussi la fin des évidences. Quand on regarde à la fois la France, l’Europe et le cours du monde, la démocratie, les droits de l’homme… Si d’aucuns pensaient que c’était la téléologie de l’ordre international, les dernières années auront battu en brèche quelques évidences. […]
Ce tableau que je fais là, cette fin de l’abondance, cette fin de l’insouciance, cette fin des évidences montre que c’est au fond une grande bascule que nous vivons face à laquelle évidemment nos compatriotes peuvent réagir avec beaucoup d’anxiété et donc face à cela je pense que nous avons quelques devoirs”
Même si la situation politique, économique et sociale étaient autrement moins défavorables sous leur présidence, jamais Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande n’avaient fait preuve durant leur mandat respectif d’un intérêt pour la chose spirituelle ou seulement dans une perspective intéressée de comptabilité électorale. Emmanuel Macron a endossé un costume à plusieurs coutures : celui de obermanager en chef de la start-up nation Made in France ®, mais aussi plus étonnant et même intriguant, de prophète. “Je pense à notre peuple auquel il faudra la force d’âme pour regarder en face le temps qui vient” a prévenu ce prophète étrange, appelant les Français à “payer le prix de leur liberté”.
Ces mots ne semblent pas anodins dans la bouche d’un président. François Mitterrand, en son temps et dans le silence de ses cabinets de réflexion, s’était révélé être un homme ancré dans la croyance des forces de l’esprit. Cette figure politique avait certes grandi dans un univers où la religion s’imposait d’elle-même mais, les années passant, il en avait fait un mode de vie par conviction personnelle, en tous cas un centre d’intérêt majeur pour ses questionnements. Au-delà d’une seule religion, François Mitterrand puisait dans toutes les formes de croyance pour toucher du doigt l’essence de la foi.
Loin de nous d’essayer de hisser Emmanuel Macron à ce niveau de réflexion, ses réflexions et pensées trahissent plutôt une vision du monde et du futur pour les Français et les Européens beaucoup plus sombre et inquiétante. Quand Mitterrand évoquait les forces de l’esprit, Macron parle plutôt de “bête de l’événement”. Que cette dernière soit avant tout une figure rhétorique soit utilisée pour suggérer l’ampleur inédite de la période actuelle, en matière de « pandémie », de « terrorisme » ou d’« autres chocs » ne fait aucun doute. Mais le choix de cette expression parmi toutes celles que le chef de l’Etat, amateur de références littéraires, religieuses ou intellectuelles, aime à employer ne doit pas nous détourner de sa véritable volonté : imprégner les esprits les plus sensibles de l’imminence d’un danger pour la France et pour ses concitoyens. Macron doit devenir et incarner cette figure attendue par bon nombre d’élites politiques, et notamment par Klaus Schwab en 2018 de “bon guide” dont le rôle à “nous emmener dans ce monde nouveau”. Au-delà des restrictions de libertés, de confort matériel, de hausse des défaillances de l’Etat, de quel monde parle-t-il ? Quelles responsabilités et quels devoirs devons-nous attendre de lui ? Les questions peuvent se bousculer dans nos esprits, et tout particulièrement dans la conception républicaine de la France qu’affectionne la minorité majoritaire lui ayant à nouveau confié tous les pouvoirs en mai 2022.
Finalement, le mot de la fin sur cette énième sortie médiatique du président tendant une fois de plus à plomber encore davantage les âmes perdues et envolées, appartient à Olivier Véran : “Ce n’est pas l’intervention du président qui est pessimiste. C’est un discours transparent, honnête, comme il l’a toujours fait”. Dont acte : préparons-nous au pire, resserrons les liens avec nos proches, formons nous pour changer nos vies de fond en comble et reconstruire après-demain un monde digne de la nouvelle émancipation des travailleurs européens.
Erwan Kohl
Discours intégrale :
“Je crois pour ma part que ce que nous sommes en train de vivre est plutôt de l’ordre d’une grande bascule ou d’un grand bouleversement. D’abord parce que nous vivons et cela pas simplement depuis cet été, ces dernières années, au fond la fin de ce qui pouvait apparaître comme une abondance. Celle des liquidités sans coûts et nous aurons à en tirer les conséquences en termes de finances publiques mais le monde se réorganise. Celle de la fin de l’abondance de produits, de technologies qui nous semblaient perpétuellement disponibles. Nous l’avons vécu pendant la période du covid, nous la revivons ici avec encore plus de force. La rupture des chaînes de valeur, la rareté de tel ou tel matériau, technologie réapparaît. La fin de l’abondance de terre ou de matière et celle de l’eau également et là nous aurons des dispositions à prendre pour tirer toutes les conséquences. Nous avons déjà commencé à le faire, je rappelle le Varennes de l’eau qui s’était tenu il y a plusieurs mois qui avait donné lieu à des choix très structurants qui nous appartient de mettre en œuvre. C’est aussi la fin des évidences. Quand on regarde à la fois la France, l’Europe et le cours du monde, la démocratie, les droits de l’homme… Si d’aucuns pensaient que c’était la téléologie de l’ordre international, les dernières années auront battu en brèche quelques évidences. C’est la fin de celle-ci la montée des régimes illibéraux, renforcement des régimes autoritaires, nous l’avons encore vu dans les discours désinhibés des derniers mois sont clairs et c’est je dois le dire aussi la fin pour qui en avait d’une forme d’insouciance. Aujourd’hui jour pour jour la guerre a repris il y a six mois en Europe depuis le 24 février et en ce jour qui est celui l’anniversaire des trente et un ans d’indépendance de l’Ukraine, c’est malheureusement celui aussi des six mois de la guerre qui a repris et pour beaucoup de générations dans notre pays, la guerre était une réalité qui n’existait plus sur le sol européen. De la même manière, la crise climatique, avec toutes ses conséquences, sont là, perceptibles et de nouveaux risques aussi apparaissent ces derniers jours l’ont montré comme le risque cyber. Ce tableau que je fais là, cette fin de l’abondance, cette fin de l’insouciance, cette fin des évidences montre que c’est au fond une grande bascule que nous vivons face à laquelle évidemment nos compatriotes peuvent réagir avec beaucoup d’anxiété et donc face à cela je pense que nous avons quelques devoirs”