Le Moyen Âge, obscur objet de désir
J’ai un souvenir étrangement précis de la première fois qu’on m’a parlé du Moyen Âge à l’école. L’instituteur nous avait décrit le système féodal, avec les suzerains, leurs vassaux, mais surtout les pauvres serfs au dos courbé sous le poids des sacs de blé et des impôts iniques. Nous pouvions dès lors nous estimer heureux de ne plus vivre ainsi et d’avoir le droit d’aller à l’école. En 2017, le président se prend pour Louis XIV, je fréquente des jeunes gens péchus qui souhaitent le retour d’un Roi, et les Français se demandent à quoi peuvent bien servir leurs impôts. Demeure une fascination pour ce millénaire, notamment à travers le prisme des fictions de fantaisie héroïque et des jeux-vidéos. On a envie, en simple amateur, de mieux le connaître, ne serait-ce que pour répondre du tac au tac à ceux qui balayent d’un méprisant » tu veux nous ramener au Moyen Âge ! » quiconque ose dire que c’était « ptèt’ mieux avant ».
Claire Colombi propose avec cette Légende noire du Moyen Âge une introduction assez correcte à quelques thématiques des études médiévales, à destination du grand public. Son travail part de la Renaissance italienne – en fait un suprématisme toscan vomissant la France plus « barbare » – pour arriver jusqu’au cinéma contemporain, et liste les falsifications accumulées au cours des siècles afin de salir l’ordre ancien et de justifier le nouveau. Si cette méthode ne permet pas d’embrasser les mille ans qui séparent le baptême de Clovis de la découverte de l’Amérique, et si on n’apprend pas grand-chose sur les dynamiques politiques et économiques à l’œuvre, Colombi se sert des inanités de la propagande moderniste pour décrire, par contraste, un socialisme médiéval à bien des égards plus humain.
Hélas, elle finit par se refléter dans le gouffre à force de le scruter. On regrette son ton souvent trop engagé, trop passionné, trop semblable à celui des idéologues qu’elle conspue. Le pamphlet a certes ses vertus, et cette Légende noire constitue une bonne idée de cadeau pour un ami persuadé que les rois étaient tous d’affreux tyrans et que le peuple a passé des siècles à manger des racines tandis que festoyaient ses indolents seigneurs (on connaît tous quelqu’un comme ça). Mais un historien républicain pourrait facilement – et sans avoir à révéler ses couleurs – démonter la thèse de Colombi en pointant du doigt son parti-pris. Et même le plus conciliant des « grècistes » ne pourra que rire des attaques catéchétiques qu’elle réserve à l’Empire romain très vilain – puisque qu’il y avait des esclaves… Il ne faut pas oublié la continuité entre la Rome des Empereurs et la Rome des Papes.
Mais ne boudons pas notre plaisir, car ce livre remet quelques pendules à l’heure, et est rempli de citations jubilatoires et grotesques, à l’image de cet extrait d’un manuel de la Troisième République affirmant que « la Liberté, l’Égalité et la Fraternité, rien de tout cela n’existait avant la révolution. ». Monsieur Mélenchon, j’ai un livre à vous offrir pour Noël…
Charles Vincent
Claire Colombi, La légende noire du Moyen-Age, 204 pages, Kontre Kulture, 15 euros
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