Petite enquête sur le militantisme au féminin
Le militantisme féminin, voilà un sujet plus difficile à aborder que ce qu’on pourrait penser au premier abord. L’association des deux mots semble presque contradictoire tant « militantisme », issu du miles latin, le soldat, est chargé de virilité. Pourtant le militantisme féminin est une réalité. Mais y a-t-il vraiment un modèle de militantisme féminin ou varie-t-il en fonction des militantes ? Plusieurs femmes et jeunes filles ont été consultées, toutes militantes politiques, issues de mouvements divers et variés mais tous classés « patriotes ». Le questionnaire a été envoyé à vingt-cinq d’entre elles, ce qui rassemble toutes mes connaissances féminines ainsi que celles de certains camarades. Treize ont répondu. Ne pouvoir envoyer ce questionnaire qu’à vingt-cinq personnes est déjà symptomatique, avant même de se pencher sur les réponses, du faible nombre de femmes dans « le milieu ».
Le besoin d’intervenir concrètement sur le monde
Pour conforter, infirmer ou expliquer les tendances remarquées dans les réponses au questionnaire, je suis partie à la recherche d’ouvrages un tant soit peu sérieux sur le thème du militantisme des femmes, et me voilà confrontée à l’absence totale d’études sur le sujet ! Les seuls livres ayant un semblant de rapport avec notre sujet portent en fait sur la lutte des femmes pour leurs droits à travers les mouvements féministes ou sur l’implication des femmes dans les institutions politiques. Nulle part il n’est fait mention du militantisme de terrain des femmes, pour une cause plus large que leurs simples droits. Cette carence elle aussi est symptomatique, que ce soit de la faiblesse de l’engagement féminin dans l’activisme ou de la difficulté pour la société à concevoir et admettre cet engagement. L’ouvrage le plus intéressant que j’ai trouvé pour le sujet qui nous occupe est Femmes et militantismes de Dominique Loiseau. L’auteur y étudie l’engagement des femmes dans le milieu associatif et syndical entre les années trente et les années quatre-vingt, dans le microcosme qu’est la ville de Saint-Nazaire. Les difficultés auxquelles étaient confrontées les femmes militantes de Saint-Nazaire à cette époque étaient sans aucun doute similaires à celles du reste des Françaises engagées. On en retrouve d’ailleurs certaines dans les témoignages obtenus des militantes actuelles.
J’ai voulu laisser le plus possible la parole aux militantes interrogées tout en cherchant à souligner les grandes tendances qui s’échappent de la confrontation des différentes réponses. Il est impossible d’établir un profil commun à toutes ces militantes, tant elles sont différentes les unes des autres. On retrouve cependant quelques points communs qui sont intéressants à relever. Il faut souligner par ailleurs la présence du témoignage de Marie-Laure, ayant milité dans les années 80, permettant ainsi de constater évolutions et permanences ; celles-ci peuvent d’ailleurs se remarquer sur le plus long terme, lorsque des réponses coïncident avec les remarques de Dominique Loiseau dans son ouvrage.
Si l’âge des militantes interrogées varie entre dix-huit et vingt-neuf ans (quarante-six ans pour Marie-Laure), elles ont cependant toutes commencé à militer entre seize et vingt-deux ans. Mais c’est après tout l’âge auquel toute personne commence à s’intéresser à la vie publique et à vouloir l’influencer. Pour quelles raisons ces jeunes filles ont elles choisi la vie exaltante et inconfortable que procure le militantisme ? Neuf d’entre elles ont mentionné l’importance à leurs yeux de ne pas rester inactives face au déclin de la civilisation qu’elles constatent, d’être actrices de leur vie. La mention de la communauté revient trois fois, ainsi que celle du souci de l’avenir de leurs enfants. C’est ainsi qu’Émeline nous dit : « J’ai eu un attrait assez tardif à la politique, et j’avais envie d’aller plus loin, de faire autre chose que de rester passive. » Le besoin d’intervenir concrètement sur le monde qui les entoure est un point qui revient dans la plupart des questionnaires, que ce soit pour cette question ou plus loin.
La question sur leur conception du militantisme provoque l’utilisation du même vocabulaire dans les réponses : communauté, fraternité, développement de soi. Cependant la vision la plus générale, soulignée explicitement par sept des treize militantes, est celle d’un engagement au quotidien, de la nécessité d’appliquer dans toute sa vie son idéal : le militantisme ne se limite pas pour elles aux heures qu’elles passent chez elles à créer et s’informer ou dans la rue à coller ou tracter. Il s’agit à leurs yeux d’un engagement profond, d’un effort sur soi à chaque moment. La réponse d’Irène symbolise bien celles de toutes les autres : « Je pense que le militantisme est une vocation, quelque chose qui se rapproche du sacerdoce. C’est un élément d’accomplissement de soi au même titre que le mariage, la maternité, le sport. » Ou encore celle de Blandine : « Le militantisme est quelque chose qui se vit au jour le jour, en restant fidèle à ses valeurs dans la vie quotidienne. »
Le militantisme féminin : sortir du « carcan de la douceur et de la grâce »
Viennent ensuite les questions plus directement liées au militantisme féminin. En ce qui concerne l’aspect pratique, toutes disent effectuer les mêmes activités que les hommes, de la gestion de la boîte mail aux collages en passant par la création d’autocollants ou de sites internet – en fonction de leurs compétences. Le temps qu’elles consacrent aux activités proprement militantes varie totalement selon chacune et en fonction des événements, de leurs responsabilités, de la présence d’un local ou non : cela va de quelques heures à plusieurs demi-journées par semaine.
La question des différences entre hommes et femmes dans le militantisme soulève des réponses assez nettes de la part des militantes. Dix d’entre elles sont catégoriques : ces différences existent. Trois sont plus nuancées.
- Une différence dans la façon de militer mais conforme au « rôle naturel de chacun » (Laura) : les femmes passent mieux dans tout ce qui est relationnel, que ce soit au niveau de la communication ou de l’approche des nouveaux arrivants, les hommes sont plus à l’aise sur le terrain en collage ou en manifs par exemple. Ces différences sont dues selon certaines filles à une approche différente du militantisme de la part des hommes et des femmes.
- Il n’y a pas de différences particulières -pas plus qu’entre deux militants quels qu’ils soient- puisque au final, les hommes et les femmes font les mêmes activités. C’est ni plus ni moins ce que nous dit Bonnemine : « […] toutes les activités proposées peuvent être faites par les deux sexes. ». Marie-Laure, en accord avec ce constat, souligne cependant une difficulté à prendre la parole, pour les militantes, dans les années 80. Par ailleurs, il est intéressant de noter que dans ces deux cas, les militantes constatent une différence de fait mais elles en contestent la légitimité.
Y aurait-il, selon ces militantes un rôle particulier pour les femmes au sein du militantisme ? Sept d’entre elles répondent que oui, dont la cinq qui expliquent qu’il s’agit en fait d’un regard différent plus que d’un rôle spécifique. Pour les six autres, assigner un rôle à la femme reviendrait à l’enfermer, elle doit au contraire trouver sa place en fonction de ses affinités et de ses compétences propres, comme tout militant. Pour ce qui relève d’un rôle de la femme ou d’un regard particulier de celle-ci sur le militantisme, l’analyse de Sophie est très intéressante : la vocation de la femme à donner la vie engendre un engagement plus important, plus sérieux que celui des hommes, une femme ne peut pas militer sincèrement dans ce milieu tout en étant profondément égoïste. Elle souligne aussi que l’existence de stéréotypes sur les militantes demande à la femme d’être plus vraie dans son engagement. Les réponses peuvent parfois sembler contradictoires : ainsi pour Émeline, Anne, Laura, Adèle et Pauline l’image de non violence et de douceur portée par la femme est indéniablement un atout pour un mouvement, notamment dans la communication. Louise au contraire considère qu’il faut sortir de cette image, même s’il est vrai à ses yeux qu’une femme peut être en général plus efficace dans le relationnel : « Si nous voulons avoir notre place dans ces milieux exclusivement masculins, il faut savoir à certains moments taper du poing, sortir de notre « carcan de douceur et de grâce » […]. ». Pour certaines encore, la militante a pour rôle de donner un autre exemple de féminité, elle doit présenter une alternative entre la décadence de la femme moderne et sa dissimulation plus ou moins importante sous le voile et la burqa. Pour Marla la femme est aussi « […] un facteur d’ « attractivité » tant par son physique que sa tempérance et… finalement ce qu’elle représente : le couple, la famille, l’idéal pour beaucoup encore (et heureusement). ». Enfin Marie-Laure souligne l’importance du regard pragmatique de la femme sur la société, qui permet une autre compréhension de celle-ci et une meilleure adaptation, sans doute, des campagnes et des actions. Ainsi, de la négation d’un rôle strictement féminin à la représentation de la militante selon des critères valorisants pour la femme (douceur, non-violence, beauté physique,…) l’assignant à une mission bien particulière, en passant par la constatation d’une simple différence de regard, l’avis des militantes sur un hypothétique « rôle féminin » est extrêmement varié.
Les raisons du non-engagement féminin ?
La faiblesse quantitative des militantes, qui fait le drame de certains de leurs camarades masculins, aurait selon elles d’innombrables causes. Au moins neuf, que je m’abstiendrai d’énumérer ici. Contentons nous de celles qui reviennent le plus fréquemment. La plus dénoncée est l’image du milieu, qu’il s’agisse de celle transmise par les médias ou de celles qu’on se prend de plein fouet lorsqu’on y débarque. Image violente, extrémiste, virile, portée par un type d’action souvent bien peu féminin. Le témoignage de Marla est d’ailleurs assez expressif, concernant ce problème d’une image trop virile renvoyée par le milieu : « Moi même, pour l’anecdote, ai découvert ce milieu grâce à mon fiancé. S’il n’avait pas été à mes côtés lors de la première soirée, je n’y aurais plus jamais remis les pieds ! Tant de simplicité, de vulgarité et même de misogynie m’ont rebutée. ». Les raisons d’une telle « virilisation » du milieu ? Marla nous en livre la réponse : « On peut même imaginer pour certains que le militantisme n’est qu’une sorte d’expression de leur masculinité non exprimée, voire non aboutie. C’est aussi souvent, malheureusement mais logiquement, une sorte d’exutoire pour eux, dans la mesure où ils n’ont que peu le loisir de s’exprimer dans leur vie quotidienne, et accumulent beaucoup de frustration en se contentant souvent de subir les éléments qu’ils analysent assez justement. Nombreux « jeunes » sont d’une brutalité et d’une simplicité qui pourraient faire fuir, même juste pour la forme, une femme avec une sensibilité juste normale. ». La deuxième cause souvent mentionnée est l’inculture et le désintérêt face à la vie politique qui toucheraient les femmes plus fortement que les hommes. Premières victimes des maux d’une société décadente, parmi lesquelles le consumérisme figure en bonne place, libérées par le combat féministe et Mai 68, l’idée même de « valeurs » leur semblerait une atteinte à une émancipation si chèrement acquise. En ce qui concerne le lien des femmes à la politique, Irène nous livre une pertinente analyse : « […] en dehors des élections, les femmes ne s’intéressent pas à la politique. Elles ont une vision dualiste de la vie sociale: le bien et le mal. Des idées qui sont souvent relayées a travers un prisme orienté dans lequel le rapport à ce qui est juste a disparu ; elles n’ont plus de raison de s’indigner et donc de s’engager. ». Après avoir interrogé quelques camarades masculins, il semblerait que chez eux ce soit d’ailleurs cette deuxième idée qui soit la cause première du non engagement des femmes dans le militantisme politique.
Il n’y a pas qu’UN militantisme féminin
Les solutions pour parer à ce manque de militantes sont nombreuses chez celles interrogées. Il n’y en a pas moins de vingt ! Parmi celles-ci quelques unes reviennent plus que d’autres : s’adresser aux filles, en les réinformant sur ce qu’elles sont vraiment, lancer des campagnes sur des thèmes qui touchent plus les femmes, faire des actions à vocation plus concrètes (Diane dénonce par exemple un manque de concrétisation des actions, qui aurait tendance à décourager les militantes). D’autres idées, en vrac, sont avancées par les militantes : donner plus de responsabilités aux filles, mettre en avant plus de filles, varier les activités et les sujets, éduquer les garçons pour qu’ils ne fassent pas fuir les filles, expliquer aux femmes qu’elles peuvent faire les actions, envoyer des militantes à la rencontre des filles qui n’osent pas s’engager, etc…
Au travers des témoignages -et de ma propre expérience- sont apparus plusieurs obstacles auxquels sont confrontées les militantes. Le premier est le danger que représente le stéréotype. L’image de la militante est assez caricaturale : elle est soit une fille masculinisée soit une potiche tout juste bonne à tenir une banderole et à sourire aux caméras. Cette image de potiche, plusieurs militantes la combattent vigoureusement tant le danger de tomber dans cette caricature, notamment pour une fille, jeune et jolie, fraîchement arrivée, est grand. Tout l’art de cette nouvelle venue sera de s’accomplir à travers le militantisme, de devenir une véritable militante, belle et rebelle. Ce danger du stéréotype est aussi souligné par Dominique Loiseau dans son ouvrage : elle explique que de nombreuses femmes, ne correspondant pas initialement aux critères d’un stéréotype, l’intègrent à force de l’entendre rabâcher et finissent par s’y conformer. Pour faire plus simple si une militante s’entend dire constamment que le militantisme féminin est une exception, que les femmes ne s’intéressent pas à la politique, qu’elles ne sont qu’un argument de communication, et toutes autres caricatures de la même veine, cette militante pourrait finir par calquer son attitude sur ces affirmations assénées à longueur de temps.
Deuxième obstacle important : la nécessité de faire ses preuves, ce que démontre d’ailleurs très bien la citation de Louise, plus haut, il faut « taper du poing » pour avoir sa place, pour être considérée comme une militante à part entière, au même titre qu’un homme – mais non pas comme un homme. Être une femme dans un milieu d’homme est difficile, c’est un véritable exercice d’équilibriste qu’il faut accomplir, pour se maintenir sur le fil ténu d’un militantisme sain. Il y a d’une part la tentation de ne pas faire grand chose, de se laisser porter, de n’être plus qu’un argument de communication, un faire-valoir, objet de l’indulgence et de la condescendance de ses camarades masculins. A l’opposé sévit le désir d’être considérée comme un homme avec le danger d’aller trop loin, d’abandonner toute féminité. Faire ses preuves est nécessaire pour une jeune militante, comme pour un militant, mais cela nécessite bien plus d’investissement, de temps et d’adresse pour ne pas tomber dans l’un ou l’autre de ces excès.
Autre obstacle qui semble être permanent dans le militantisme féminin, celui de la prise de parole. Dominique Loiseau le souligne dans son livre, il est très dur pour une femme de prendre la parole en public, devant ses camarades masculins ou un public plus large -excepté bien sûr dans les associations féminines. C’est encore le cas dans les années 80. Aujourd’hui cela semble plus courant, voire même encouragé, mais ce n’est que dans la communication externe. En effet un point souvent souligné par les militantes est la quasi-absence de femmes aux postes de décisions -postes qui impliquent une certaines prise de parole en interne. Ce qu’on pourrait aussi expliquer par la faible proportion de femmes dans ces milieux. Cependant cette absence entraîne souvent, aussi, le manque de modèles féminins auxquels se référer. Les nouvelles militantes n’ont pour référence quasiment que des hommes, ce qui ne peut qu’accentuer les difficultés d’une adaptation déjà peu aisée.
Les témoignages présentent aussi des thèmes récurrents, que j’ai déjà mentionnés mais qui sont importants. L’engagement profond qu’est pour ces femmes et jeunes filles le militantisme est un des points communs les plus flagrants. Mais reviennent quelques notions qui semblent leur tenir à cœur : justice, communauté et épanouissement. Ce sont là les seuls véritables points communs qui transparaissent dans les réponses fournies.
Il est impossible, comme expliquer au début de l’article, de tirer de ces témoignages un profil commun à toutes les militantes. Seuls les points cités plus hauts les unissent. Pour le reste leurs avis sont divers, variés et dépendent beaucoup du caractère de chacune, notamment en ce qui concerne leurs conceptions du rôle de la femme et de l’engagement féminin. Il y a certes des tendances communes, certaines plus fortes que d’autres, mais il n’y a pas UN militantisme féminin.
Je remercie encore une fois toutes les militantes qui ont pris de leur temps afin de répondre au questionnaire ! Je n’énumérerai pas les noms ici : elles sont toutes nommées au moins une fois dans l’article.
Alaïs Vidal
Article paru dans le numéro 61 de Rébellion ( épuisé)
Contribution à votre article et votre combat, plasticienne engagée, j’ai réalisé une installation dans un centre d’art sur le violences faites aux femmes. Intitulée « Loi n°2010-769 », elle rend tristement hommage aux 130 femmes décédées en 2018 en France et à toutes les autres décédées dans le monde, victimes de leur partenaire ou ex-partenaire. A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/loi-n2010-769_2.html
Et aussi une série de dessins This Is Not Consent : https://1011-art.blogspot.com/p/thisisnotconsent.html
Ces séries ont été présentées à des lycéens, quand l’art contemporain ouvre le débat …