Entretien avec Georges Corm : Macron veut-il le retour de la France au Liban ?
Près d’un mois après l’explosion de Beyrouth, Georges Corm revient sur les conséquences géopolitiques de cette catastrophe. Economiste de profession, spécialiste du Moyen-Orient et de la Méditerranée, il est consultant auprès d’organismes internationaux et d’institutions financières. Il a été ministre des finances du Liban durant les années 1999 – 2000.
R/ Comment s’organise la solidarité après explosion sur le port de Beyrouth ? Quel est l’impact de cette catastrophe sur la capitale ?
La solidarité s’est organisée spontanément. On a vu les jeunes des quartiers dévastés aidés par des jeunes venus d’autres quartiers nettoyer la rue principale du quartier affecté et y enlever les débris de toutes sortes.
R/ Cet événement a ouvert une crise majeure avec la démission du gouvernement. Comment analysez-vous le mouvement populaire de contestation et pensez-vous qu’une solution politique est possible ?
Le gouvernement n’a démissionné que quatre jours après l’explosion, ce qui était curieux. Constituer un nouveau gouvernement ne sera pas facile, car M. Hariri a annoncé qu’il n’était pas candidat. Il est d’ailleurs peut être actuellement toujours l’objet d’un véto saoudien. Le président de la République, curieusement, viens de commencer ses consultations parlementaires.
R/ Quelle est l’origine de la crise économique actuelle ? Les « oligarques libanais » ont-ils eu un rôle dans son déclenchement ?
Le terme oligarque s’applique très bien aux dirigeants communautaires libanais qui ont bâti d’énormes fortunes. Ce n’est sûrement pas eux qui peuvent réparer le pillage de l’économie libanaise auquel ils ont procédé avec la couverture de l’amitié franco-libanaise incarnée par les liens très étroits entre le président Jacques Chirac et Rafic Hariri puis son fils Saad. Ce pillage s’est effectivement réalisé par la politique des très hauts d’intérêt sur la dette intérieure en livres libanaises qui ont atteint 39% en 1995.
Par ailleurs, au Liban tous les coûts ont été gonflés, en sorte que la construction d’une infrastructure coûtant 1 million de dollars est facturée au Trésor public 5 ou 10 millions de dollars. Il ne faut pas oublier que la superficie du Liban n’est que de10 452 km2. Ne pas parvenir à rétablir un approvisionnement régulier en électricité sur un si petit territoire au cours des trente dernières années est un « exploit » négatif tout à fait exceptionnel.
R/ Comment jugez-vous les interventions d’Emmanuel Macron ? Pensez-vous que le gouvernement français veut placer ses cartes dans le jeu libanais ?
Le gouvernement français a toujours eu une forte influence au Liban depuis le milieu du XIXè siècle. Cette influence s’est renforcée sur le pays par l’obtention du mandat de la Société des Nations (SDN) en 1919. En revanche, on a gommé de l’histoire du pays la très grande influence qu’a pu avoir l’Italie, en particulier la Toscane sur le Liban et dont le style architectural a marqué l’habitat urbain et rural.
Comme je l’ai déclaré par ailleurs, les intentions du président Macron vis-à-vis du Liban peuvent être interprétées de deux façons différentes : soit il s’agit d’un intérêt désintéressé motivé par l’intensité des relations, notamment culturelles et historiques qui unissent nos deux pays ; soit il s’agit d’élargir et d’approfondir la présence française en Méditerranée de l’Est où la Russie et la Turquie sont omniprésentes. L’avenir nous dira ce qu’il en est.