Nos anciens face à l’épidémie dans le grand hospice occidental
Note de la rédaction : Dans la situation grave que nous traversons, prenez soin des anciens et des plus fragiles. C’est notre devoir. On juge une société à la manière dont elle traite et respecte ses ainés. Yannick Sauveur nous le rappelle justement avec ce texte sur la situation des personnes âgées face au Covid-19.
La situation des personnes âgées (voire des personnes vulnérables) s’inscrit dans une problématique plus générale, celle d’une politique de santé publique nationale.
Mais avant d’entrer dans le cœur du sujet, il n’est pas inutile de rappeler quelques données qui, sans être si anciennes, ne sont pas nécessairement très connues. Se souvient-t-on par exemple que la canicule 2003 fut responsable de la mort de 70 000 personnes en Europe dont 15 000 en France, 15 000 en Espagne, 9.500 en Allemagne ? . Des morts dans une quasi indifférence et sans que cela émeuve beaucoup les pouvoirs publics et les élites de l’époque. Sait-on que la grippe saisonnière tue en moyenne 8 000 personnes par an en France ? Les proportions varient beaucoup d’une année à l’autre (13 000 en 2017/2018, 14 000 en 2016/2017, plus de 18 000 en 2014/2015).
Loin de nous l’idée de sous estimer la portée de l’épidémie du Covid-19 ou de vouloir comparer grippe saisonnière et Covid-19 même si nous pouvons nous étonner du battage médiatique (mais également des propos contradictoires tenus par des responsables à peu de temps d’intervalle). La différence de perception entre les deux phénomènes tient à la mondialisation de l’épidémie, le tout dans un contexte de crise économique.
Il n’est guère surprenant que les personnes âgées paient un lourd tribut. Mais si on prend la peine d’analyser finement les statistiques de décès, on s’aperçoit par exemple que le Covid-19 tue des personnes qui avaient déjà d’autres pathologies. Ainsi, 48,5% des personnes décédées en Italie souffraient de trois pathologies ou plus, 25% de deux pathologies et 25% d’une pathologie. Mais 0,8% des décès sont liés uniquement au coronavirus.
En fait, dans un cas comme dans l’autre, les résidents de ces établissements « présentaient tous les symptômes mais n’ont pas été testés au Covid-19 ». Quand on sait que la moyenne d’âge d’entrée en institution est de 85 ans et que la grande majorité des résidents souffrent de poly-pathologies, il n’est guère étonnant d’assister, ponctuellement, à des vagues de décès de cette ampleur qui, habituellement, ne font l’objet d’aucun entrefilet dans la presse. Sans le battage médiatique autour de cette épidémie, ces événements en Ehpad n’eussent pas dépassé le cadre de leur commune.
La différence de perception entre grippe saisonnière et Covid-19 pourrait résulter de la forte visibilité des morts de cette épidémie en comparaison de l’ « invisibilité » des décès de la grippe saisonnière qui sont principalement des résidents en établissement. J’ai eu l’occasion, en d’autres circonstances, de montrer à quel point dans une société marquée par le jeunisme, la médiatisation de la vieillesse permettait de rendre visibles des invisibles :
-Invisibles parce qu’ils sont confinés au domicile ou en maisons de retraite, lesquelles sont encore majoritairement… à la campagne, loin de tout, loin des centres où on ne les voit surtout pas.
-Invisibles pour évacuer le problème (sic) de la vieillesse conçue comme un fardeau (ainsi qu’elle est élégamment présentée par les experts patentés).
-Invisibles dans une société gérontophobe qui s’alimente du jeunisme érigé en valeur.
-invisibles pour ces milliers de personnes qui se suicident chaque année. La France est le pays qui détient le plus fort taux de suicides des plus de 75 ans. Le suicide de la personne âgée reste un sujet tabou et peu débattu, que la société préfère ignorer.
-Invisibles car la vieillesse symbolise la mort.
Tout a déjà été dit sur la destruction de notre système de santé, sur le délabrement de l’hôpital public avec toutes les conséquences visibles aujourd’hui dans le traitement de l’épidémie, à commencer par une faiblesse de moyens catastrophique (masques, lits de réanimation, personnel, absence de tests…). La députée des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer s’interroge : « Comment éradiquer une épidémie si l’on ne fait pas de dépistage ? », (…) « On a les équipes scientifiques pour tester, c’est un problème de logistique, d’organisation ».
Mais à côté de l’hôpital public, on parle beaucoup moins des vieux qu’ils soient en institution ou à domicile même si quelques affaires opportunément médiatisées ont mis sur le devant de la scène les conditions de travail des personnels travaillant en institutions pour personnes âgées, ce qui a permis, par ricochet, de médiatiser la vieillesse en tant que sujet de société.
Les autorités françaises ont choisi, suivant en cela l’exemple italien, de procéder au confinement de la population tout en laissant se dérouler le 1er tour des élections municipales (15 mars). Cette politique du confinement est loin de faire l’unanimité parmi les experts dont les médecins. Beaucoup y voient une atteinte aux libertés publiques pour une efficacité discutable. Il ne serait rien d’autre que la contrepartie de l’incapacité de l’Etat à prendre à bras le corps cette épidémie (dont les tests sur la population) : « le confinement, (…) est le prix à payer par la population pour la branquignolerie et l’avidité de ses dirigeants, (…) Ce qui est criminel chez nos gouvernants, c’est leur façon de simuler qu’ils font autre chose qu’improviser, de faire croire qu’ils gouverneraient quoi que ce soit dans cette affaire. Cette situation de détresse où chacun se rend compte que sa vie se trouve entre les mains d’une bande d’incapables qui en rajoutent dans l’arrogance produit logiquement le besoin de trouver un sauveur ».
S’agissant des personnes âgées en institution, les mesures de confinement imposées par les autorités ont soulevé une large indignation des résidents, des familles ainsi que des directeurs. Voici quelques mesures (parmi bien d’autres) demandées par les ARS (Agences Régionales de Santé) :
-La suspension des visites s’applique également aux personnes extérieures à l’établissement et participant habituellement aux temps collectifs d’animation.
-Les interventions de bénévoles sont suspendues
-La direction de l’établissement veille à ce que les visiteurs exceptionnellement autorisés ne présentent pas de symptôme et organise une prise de température frontale systématique
-les sorties individuelles temporaires des résidents sont suspendues. En conséquence, si un résident sort, il n’est pas autorisé à réintégrer l’établissement
-Toutes les nouvelles admissions sont reportées ; dans le cas d’exception, le résident est placé en chambre individuelle pendant 14 jours et n’est pas autorisé à utiliser les parties communes de l’établissement.
-les accueils de jour en établissement sont fermés.
On appréciera particulièrement l’humanité qui se dégage de telles mesures. Pour les résidents c’est la double peine : confinement, privation de liberté et séparation affective. Tout ceci démontre, s’il en était besoin, que le regard que la Société porte sur la vieillesse ne sortira guère grandi de cette épidémie.
Yannick Sauveur