Ouvrons le débat : La poussée des séparatismes au sein de l’UE par Franck Buleux

Le droit international a consacré, au sortir de la Seconde Guerre mondiale et à la veille de la décolonisation, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe qu’il a fallu lier avec celui de l’intangibilité des frontières (I). Ce droit des peuples tend à servir de fondement à la poussée des séparatismes européens, issus d’une entité étatique, envisageant une sortie de l’Union, ou d’une partie de celle-ci, dans le but d’une scission purement et seulement nationale (II). Ces séparatismes, loin d’être homogènes et solidaires, recoupent plusieurs réalités territoriales totalement différentes (III).

I/ Un principe fondateur : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

L’État-nation semble se juxtaposer au peuple qui le compose. C’est cette conception idéale qui a consacré le principe international de l’intangibilité des frontières. Mais cette symbiose entre nation et peuple comporte quelques lacunes, voire quelques contradictions. Le développement exponentiel des États-nations issus de la décolonisation mais aussi de démantèlements étatiques a vu l’émergence d’États de dimensions territoriales de plus en plus modestes remettant en cause les anciennes frontières établies.

A. Le principe fondateur

L’un des fondements du droit international exprimé après la Première Guerre mondiale et puissamment réaffirmé par la Charte des Nations-Unies après la Seconde Guerre mondiale est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, c’est-à-dire de choisir souverainement la nature de leur régime politique, sans diktat, ni pression étrangère. Cette liberté qui sera mise en application lors de la décolonisation repose sur la notion subjective de « peuple ».

Un peuple est, certes, un ensemble d’individus qui se reconnaissent une même identité, une conception commune de l’histoire ou, plus empiriquement, qui disposent d’une organisation commune, d’une volonté de « vivre ensemble », expression totalement déconsidérée dans notre pays mais qui peut encore être utilisée de manière positive dans l’évocation d’un « roman national » .

Cette organisation peut prendre une forme étatique, c’est-à-dire une organisation souveraine suprême, celle qui met en place une gouvernance au profit d’une population sur un territoire délimité.

Cette identité ne peut être consacrée que sous la forme d’une reconnaissance internationale, par exemple par une adhésion à l’ONU (acceptée par cette dernière).

Or, cette identité reconnue ne peut trouver sa source que dans et par l’existence d’un État.

Le peuple, ainsi constitué en État va obtenir une personnalité juridique internationale, dotée des prérogatives destinées à toute entité souveraine, au nom du principe d’égalité entre les États, gage de souveraineté.

A défaut, la notion de peuple devra être reconnue comme minorité, linguistique par exemple, ce qui sous-entend une pluralité de peuples au sein d’un État-nation, notion refusée totalement par certains États, comme la France, qualifiée de jacobine.

De manière récurrente, les entités de peuple, d’État et de nation sont imbriquées : le sens moderne du terme de nation est assez proche de celui de peuple, auquel on aurait joint le concept d’État, existant ou souhaité.

Le terme de « nation » n’est pas défini juridiquement, toutefois l’usage en politique internationale en fait un équivalent d’État souverain. Par exemple, la charte de l’ONU, l’Organisation des Nations-Unies, « fixe les droits et les obligations des États Membres » et « le préambule de la Charte des Nations-Unies exprime les idéaux et les buts communs de tous les peuples dont les gouvernements se sont réunis pour former l’Organisation des Nations-Unies ».

Les « Nations-Unies » représentent donc des peuples constitués en États souverains. Subsidiairement, « les Nations-Unies » n’indiquent en rien que l’ensemble des peuples se soit constitué en nations.

L’ONU représente actuellement 193 États-nations (et en reconnaît 197 ; dans les quatre reconnus non représentés figure la Palestine par exemple), c’est-à-dire des territoires souverains munis de gouvernement reconnus par l’ensemble de la communauté internationale.

On constate une parcellisation étatique du Monde depuis la création de l’ONU, passant ainsi de 51 membres fondateurs, en 1945, à 193 membres en 2013.

Cette progression est liée à un double phénomène : un État non fondateur adhère postérieurement à l’ONU ou un État déjà membre se divise en plusieurs nations distinctes, créant ainsi au moins deux États distincts.

La première possibilité encadre, le plus souvent, les États issus des politiques de décolonisation ; l’État sollicitant son entrée dans l’ONU n’était pas constitué comme tel en 1945. Il représentait un peuple, mais n’était pas constitué sous une forme étatique. Son territoire, issu le plus fréquemment de la colonisation, non modifié (malgré un découpage initial souvent réalisé « aux ciseaux »), procède de la création d’une nation, dans une structure souveraine. Le principe de l’intangibilité des frontières, déjà évoqué plus haut, est venu simplifier, notamment pour des raisons de sécurité collective, le passage d’un territoire colonisé en souveraineté étatique.

La seconde possibilité est plus limitée, notamment par le principe d’intangibilité, même si celui-ci s’adaptera aux États fédéraux démantelés, en retenant comme frontières, celles des États fédérés, comme par exemple pour la division en deux États souverains, de l’ancien État fédéral tchécoslovaque.

Le principe de droit international d’intangibilité des frontières a fait l’objet d’exceptions, voire de dérogations comme, très récemment, pour la division étatique du Soudan. Le Sud-Soudan est le dernier pays reconnu par le droit international.

Pour synthétiser, et nonobstant les dérogations, le principe est le statu quo ante en matière de frontières après un conflit ou un traité visant à octroyer l’indépendance d’un État. Dans le cas d’un État fédéral, ce sont les États fédérés qui font office de fondements territoriaux à respecter.

En effet, depuis 2008, on a dérogé au principe de l’intangibilité des frontières avec la reconnaissance par la moitié de la communauté internationale (à ce jour une centaine d’États) du Kosovo (ancienne région autonome de la Serbie, mais qui n’a jamais été considéré comme un État fédéré de l’ex-République socialiste de Yougoslavie, ancien État fédéral) et, par la Russie et quelques autres pays, de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie (anciennes régions autonomes de la Géorgie).

Une autre dérogation au principe (plus facilement admise, celle-là, car étrangère à tout conflit armé) est le réajustement technique des frontières par des commissions de délimitation nommées par l’ONU, à partir du moment où ce réajustement se fait dans le cadre de traités frontaliers en vigueur et sur le principe de la conservation de l’étendue territoriale globale des états parties prenantes.

L’exemple du Kosovo, évoqué ci-dessus, est emblématique pour deux raisons essentielles :

le Kosovo est un État auto-proclamé européen, reconnu par 3 membres (sur 15) du Conseil de sécurité de l’ONU (la majorité des 2/3, soit 9 Etats, est nécessaire pour le processus d’adhésion au sein de l’organisation internationale) et surtout plus de la majorité des États membres de l’assemblée générale, soit 100 Etats (sur un total de 193). Ce début de reconnaissance internationale peut surprendre quand on sait qu’il ne s’agissait, avant le conflit armé du printemps 1999, que d’une province régionale de la République de Serbie (elle-même issue de l’ancienne République fédérale de Yougoslavie), et non d’un État fédéré comme l’étaient la Croatie, la Slovénie, la Bosnie et Herzégovine, la Macédoine et le Monténégro qui représentaient les six États de l’ancienne fédération socialiste mise en place, en 1945, par le gouvernement dirigé par le Maréchal Tito. Or, le principe international d’intangibilité des frontières fait exception pour les États fédérés, mais pas pour les régions ou provinces des États ; il s’agit, ici, d’une dérogation au droit international que l’on peut justifier par la pression des États-Unis et de l’OTAN liée à la crainte de massacres ou considérés comme tels par la communauté internationale, comme à Sarajevo, devenue capitale bosniaque, quelques années auparavant ;

en acceptant le Kosovo (selon la résolution 1244 des Nations-Unies) comme candidat potentiel à l’adhésion en 2008, l’Union européenne a réaffirmé que ce pays avait une perspective européenne en son sein évidente alors qu’il n’était pas encore reconnu par l’ensemble, ni de la communauté internationale, ni de l’ensemble des États constituant l’Union européenne.

D’après le site de l’Union européenne, le Kosovo est candidat à l’entrée dans l’UE en qualité de candidat potentiel, au même titre que la Bosnie et Herzégovine et l’Albanie, États eux reconnus par la communauté internationale .

En outre, l’Union européenne contribue à assurer la stabilité du Kosovo à travers sa mission « État de droit » qu’elle mène au Kosovo, EULEX. La Commission européenne formule également des recommandations quant aux moyens à mettre en œuvre afin de remplir les critères d’adhésion à l’Union européenne, qui sont exposés dans le partenariat européen pour le Kosovo.

B. Un Continent à l’image du Monde : « Small is beautiful »

L’exemple, emblématique, de l’ex-fédération Yougoslave consacre le démantèlement du Monde. Le développement des micro-États fait écho à la globalisation mondiale. Ainsi, l’interdépendance mondiale revoie-t-elle au développement pluri-étatique. La décolonisation a créé des États dans le respect des frontières coloniales (mais pas des nations), l’après « guerre froide » structure le monde d’une façon différente en augmentant le nombre de nations, et par voie de conséquence, d’États.

L’effondrement des empires coloniaux a créé des États ; l’éclatement de certains États, notamment de l’ex-bloc soviétique, a créé, outre des États, mais aussi des nations, représentant des peuples « libérés ».

Les exemples les plus emblématiques de cette embellie étatique sont l’URSS et la république fédérale yougoslave, mais aussi la Tchécoslovaquie au cœur de l’Europe.

L’expression « Small is beautiful» correspond à une accélération de l’histoire des États en considération avec leur développement quantitatif.

De plus, le principe d’égalité des droits en matière de souveraineté laisse apparaître un large spectre de possibilités ; ainsi la France fut-elle mise en cause à l’ONU par une résolution de l’Assemblée générale des Nations-Unies (AGNU) prise à l’initiative de trois pays du Pacifique de taille modeste : les îles Salomon, Nauru et Tuvalu et porté par les indépendantistes polynésiens, appelant à la décolonisation progressive de la Polynésie française, pourtant collectivité française, même si elle est dotée d’une large autonomie via l’existence d’un gouvernement local .

Or, cette résolution a été votée à la majorité des États présents et s’exprimant, comme le stipule la règle de fonctionnement de l’assemblée générale onusienne. Sans s’exprimer sur la portée de ce type de déclaration, il est tout de même intéressant de s’interroger sur ce type de condamnation prise à l’initiative de micro-États, contre un membre permanent du Conseil de sécurité, la France, pouvant engager l’ensemble de la communauté internationale. Vaste débat que nous n’aborderons pas ici…

L’Union européenne est, elle-même, constituée d’États de dimensions très diverses dont le nombre d’habitants est, par voie de conséquence, très différent. Sur les fonts baptismaux des Communautés européennes, dans les années 1950, se penchèrent trois États européens de faible dimension, déjà unis au sein d’une structure interétatique d’union douanière, le Benelux (union entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, tous trois fondateurs des structures européennes).

Lors des récents élargissements, l’île de Malte avec ses -seulement- 410 000 habitants, comme la république de Chypre, États insulaires ont fait leur apparition au sein de l’Union européenne.

Bien entendu, des règles existent en fonction de la puissance, ou faiblesse, démographique des États-membres comme le nombre de représentants élus au Parlement européen ou le nombre de voix dont dispose chaque pays au Conseil de l’Union.

Ce développement d’États modestes, en matière de dimension territoriale et/ou démographique accompagné de la remise en cause du principe de droit international d’intangibilité des frontières, a ouvert une brèche vers la possibilité de démantèlement de certains États préexistants.

C. La mise en cause des frontières par l’Union européenne : l’exemple du Kosovo

Comme nous l’avons indiqué, l’intérêt de focaliser cette partie de notre étude sur le Kosovo est lié à son rapport très fort avec l’Union européenne. Porté, à sa création, par les États-Unis et l’OTAN, dont l’intervention militaire au printemps 1999 ne fut pas précédé d’une autorisation de l’ONU (donc, il s’agissait d’une intervention totalement illégale du point de vue du strict droit international), le Kosovo fait déjà figure de candidat potentiel à l’entrée dans l’Union, favorisant ainsi sa stabilité politique malgré une forte pression de la minorité d’origine serbe au nord du pays et les accusations récurrentes de trafics, y compris d’êtres humains, mettant en cause les plus hautes autorités de l’État kosovar .

Or, le Kosovo n’était pas un État fédéré de l’ex-République fédérale Yougoslave, mais une simple province de la République Serbe et, à ce titre, ne pouvait pas revendiquer de droit à la souveraineté étatique, c’est-à-dire à l’indépendance.

Ce droit auto-proclamé à l’indépendance en 2008 et cette demande d’adhérer à l’Union européenne, alors même que certains États de l’Union ne reconnaissent pas encore la souveraineté du Kosovo, fait constater, à de nombreux observateurs, la volonté de l’Union de promouvoir cet État aux origines et aux méthodes controversées au rang de tout autre. A la demande des États-Unis ? La question mérite d’être posée…

Peut-on considérer cette reconnaissance comme un déclic du réveil des peuples ou plus prosaïquement, de ce que certains auteurs nomment les « Etats-régions » ?

Certains médias russes, proches du président Vladimir Poutine et de la minorité serbe du Kosovo, n’ont pas craint de dénommer cette situation « la malédiction de Poutine ».

En effet, l’Union européenne n’a pas été la dernière à critiquer le traitement infligé par l’exécutif russe à ses minorités ethniques.

Ce faisant, prenant appui sur le problème de la reconnaissance du Kosovo, Vladimir Poutine a rappelé aux européens leurs « points faibles » désignant nominativement la Flandre, le Pays basque, la Catalogne… Ce qui, au regard des résultats des élections qui concernent ces Provinces, n’est pas faux !

Évidemment, l’exemple du Kosovar n’a pas grand-chose à voir avec les velléités de certaines régions de l’Union mais en modifiant les frontières préétablies, en offrant au Kosovo une quasi-reconnaissance officielle, l’Union européenne n’a-t-elle pas ouvert la boîte de Pandore à de nouvelles nationalités européennes ou, à tout le moins, de nouvelles revendications « nationalitaires » ?

La fin de l’intangibilité des frontières peut-elle ne s’exercer qu’au-delà des frontières de l’Union ? Les démembrements récents du Soudan, mais surtout en Europe de l’ex-URSS, de la Tchécoslovaquie et de l’ex-République fédérale yougoslave ne peuvent-ils pas s’étendre, par principe, à des États-nations membres de l’Union ? Le droit international ne peut pas être pluriel en fonction des velléités des puissants.

L’Union européenne sera appelé à répondre à cette question dans les années, voire les mois qui viennent au sujet de certains des États qui la composent comme le Royaume-Uni (qui fait encore partie de l’Union, malgré le Brexit qui devrait prendre effet en 2019) ou l’Espagne.

II/ Les séparatismes, les Peuples contre les Nations

Il est nécessaire d’effectuer une triple distinction : celle, d’abord, qui consiste à distinguer un séparatisme d’État et un séparatisme « régional », partiel ; ensuite, fondamentalement, celle qui concerne les mouvements séparatistes eux-mêmes, et enfin, les différentes natures politiques des courants prônant les scissions étatiques au sein de certains États constituant l’Union européenne.

Sortir de l’Union européenne est prévu de manière explicite dans le Traité de Lisbonne, par la volonté unilatérale de tout État membre.

Le retrait volontaire est un droit que l’on pourrait lier à une volonté d’intégration de plus en plus forte. Cette volonté d’intégration, issue des traités de Maastricht qui fonde le Traité sur l’Union européenne (TUE) en 1993, puis d’Amsterdam en 1999, de Nice en 2003, et enfin de Lisbonne en 2009, ne peut pas laisser sans contrepartie l’État membre, qui conserve ainsi une liberté de manœuvre liée à sa souveraineté nationale, ainsi maintenue et préservée.

Cette liberté explicite de retrait peut également servir de négociation en cas de volonté de sanction d’un État membre sur le fondement de l’article 7 du Traité de l’Union européenne.

Avant de nous attarder sur la scission étatique, fruit d’une division nationale entre des peuples s’estimant différents en tout cas pour ce qui concerne la conduite de l’avenir d’un pays, il est, en effet, nécessaire de s’interroger sur le départ d’un État, dans son intégralité, de l’Union européenne dont il est membre.

A. La distinction entre séparatisme total et partiel

Un État peut mettre un terme, définitif ou non, à son intégration dans l’Union européenne.

Cette demande n’avait jamais été formulée avant la victoire du Brexit au Royaume-Uni : en effet, avant le traité de Lisbonne, cette procédure n’était pas prévue mais on pouvait penser que le pouvoir discrétionnaire et souverain d’un État pouvait mettre fin au processus d’intégration, conformément au droit international ; après le traité de Lisbonne, l’hésitation doctrinale entre le caractère définitif de l’appartenance étatique aux Communautés puis à l’Union européenne et le pouvoir souverain n’a plus lieu d’exister puisque le droit de retrait est affirmé expressément. C’est ce dont les Britanniques devraient pouvoir profiter, du fait de la prise en compte (ce qui n’était pas prévu par la Coutume) du résultat du référendum organisé par l’ancien Premier ministre conservateur Cameron.

Ce principe de droit de retrait étant posé, il laisse donc clairement et manifestement ouverte la porte au départ de l’Union, dans le cadre d’une espèce de « divorce institutionnel ». Nous verrons, via l’exemple britannique, la mise en place de ce retrait.

De plus, s’agissant d’une décision souveraine, rien n’indique pour un État membre d’invoquer une motivation ou un grief quelconque à l’encontre des partenaires ou des institutions. L’article 50 du traité fixe simplement la procédure du retrait et définit les relations futures permettant ainsi de sauvegarder les intérêts des deux parties, l’Union maintenue mais diminuée et l’État séparé.

Ainsi, un État membre peut-il faire l’objet d’une séparation totale vis-à-vis de l’Union, comme d’une séparation territoriale partielle, car limitée à une ou plusieurs régions.

L’exemple permanent du Royaume-Uni :

Nous l’avons indiqué, depuis la création des Communautés européennes, aucun État membre, en sa qualité, avant la perfide Albion, n’avait jamais demandé son retrait de l’ensemble européen.

Cela étant, depuis son intégration en 1973, le Royaume-Uni, qui regroupe l’ensemble de la Grande-Bretagne (île représentant la majorité du territoire du Royaume-Uni , ce toponyme désigne l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Écosse ainsi que la plupart des territoires insulaires contigus à l’exclusion de l’île de Man et des îles Anglo-Normandes, britanniques et ne faisant pas parties de l’Union européenne) et l’Irlande du nord (L’Irlande du Nord a été créée en 1921 par le Parlement britannique en application du « Government of Ireland Act » et est une des quatre nations constitutives du Royaume-Uni) n’a jamais cessé de demander auprès de la Commission européenne et d’obtenir des dérogations à l’égard des décisions communautaires.

Depuis leur intégration communautaire, les dirigeants britanniques ont multiplié les « opt outs » dérogeant notamment des décisions européennes en matière sociale.

Sans remonter dans le temps la nature des rapports, complexes et parfois tendus, entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, il apparaît évident que l’ancien premier ministre, le conservateur David Cameron et sa majorité parlementaire, issue des Tories, élus sur un programme aux accents très eurosceptiques, ont constamment travaillé, y compris avant le Brexit, au « rapatriement » complet au niveau britannique des compétences de l’Union européenne en matière de politique sociale.

Au-delà de cette demande de dérogations permanentes aux règles communautaires, David Cameron n’avait jamais exclu, de manière explicite, la remise en cause totale de l’adhésion à l’Union européenne.

En effet, le premier ministre britannique a accepté que les « Tories », terme désignant les représentants du parti conservateur britannique, publient, dès 2013, une proposition de loi pour l’organisation d’un référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Ce qui fut fait (un politique qui respecte sa parole est à signaler) avec les résultats que l’on connaît.

Certes, en acceptant de laisser les conservateurs présenter une proposition de loi (à l’initiative d’un député conservateur eurosceptique) visant à l’instauration d’un référendum sur la question du maintien dans l’Union, M. Cameron espérait calmer la rébellion, défavorable à l’Union européenne, qui agitait alors son parti.

Les 304 députés présents, presque tous membres du groupe conservateur, sur les 650 que compte la Chambre des Communes, ont approuvé le texte initial prévoyant un référendum d’ici 2017. La réponse des Britanniques fut donnée dès 2016.

Par cet exemple, on constate qu’un État peut décider, dans le respect de ses propres règles constitutionnelles, de modifier l’adhésion à un traité, y compris celui de l’Union européenne.

Cette possibilité reste également une hypothèse en cas de changement de majorité parlementaire dans tel ou tel pays de l’Union.

Ainsi, reprenons l’exemple britannique : le positionnement du premier ministre, laissant ouverte la possibilité d’un référendum sur la question européenne, n’est pas exempte de calculs de stratégie électorale.

Ce pays, marqué par l’insularité et sa proximité ethnique, historique et linguistique, avec les États-Unis, a toujours eu des réticences à l’intégration européenne, de la question budgétaire sous les gouvernements de Margaret Thatcher, dans les années 1980, à la question sociale de nos jours.

Cela étant, malgré de solides divergences internes au sein des deux principaux partis, les Tories et le Labour, aucun des deux n’avait prôné ouvertement le retrait des Communautés ou de l’Union. Les Travaillistes s’étaient convertis peu à peu à l’idée de l’Union et les conservateurs, même s’ils étaient de plus en plus divisés sur la question, n’avaient jamais franchi le pas de l’initiative de la mise en application d’un processus conduisant à la rupture.

L’allié de toujours du Royaume-Uni, les États-Unis d’Amérique, par la voix de son président, Barack Obama, avait d’ailleurs fermement déconseillé cette solution à son homologue, le chef du gouvernement britannique, David Cameron.

De l’autre côté de l’Atlantique, les instances de l’Union ont toujours accepté les dérogations britanniques dans certaines limites, sans remettre ouvertement en cause le statut du pays.

En 2012, avait été évoqué par le vice-président du parti conservateur, Michael Fabricant, l’existence d’un « pacte » occulte entre les conservateurs, son propre parti, et un parti souverainiste britannique, l’UKIP, qui devait aboutir à un référendum sur le maintien, ou non, du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, ainsi que sur quelques avantages ministériels octroyés aux responsables de l’UKIP.

Il est nécessaire, préalablement, de rappeler que le débat et le vote du traité de Maastricht, en 1993, vit une très discrète scission des eurosceptiques du parti conservateur, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, dont l’acronyme anglais est l’UKIP. Depuis, l’UKIP a formé un groupe au Parlement européen, Europe de la liberté et de la démocratie directe, avec d’autres mouvements eurosceptiques européens comme le « Mouvement 5 étoiles » italien, le Parti populaire danois ou les Vrais Finlandais.

Bien évidemment, l’« indépendance » dont il est question dans le sigle même du parti politique britannique est l’indépendance vis-à-vis de l’Union européenne et de ses instances institutionnelles. Cette appréciation par l’appellation renvoie à un droit, celui de l’expression souveraine d’un peuple, dont celui-ci aurait été déchu. Lutter pour l’indépendance, c’est le renvoi sémantique au refus du colonialisme ; ici, ce dernier se matérialise par la volonté d’abolir les structures européennes.

Or, paradoxalement, il faut bien le noter, c’est l’expression démocratique d’une de ses structures, le Parlement européen, qui a permis l’éclosion, puis l’irruption sur la scène nationale britannique de ce parti.

En effet, ce sont les quatre dernières élections au Parlement européen qui ont vu se manifester le net progrès de ce parti : 3 élus en 1999, 12 en 2004, 13 en 2009 malgré la réduction de la délégation britannique en matière de parlementaires et 22 en 2014. La liste parrainée par l’UKIP obtient même la deuxième place derrière les Conservateurs en 2009… et la première place en 2014 !

Loin d’être isolé au niveau de l’Union contrairement à l’extrême-droite traditionnelle britannique, l’UKIP a rejoint, au sein du Parlement européen, le groupe « Europe libertés démocratie » (ELD, en anglais : « Europe of Freedom and Democracy Group », EFD) qui comprend 46 députés européens.

Outre ces excellents résultats électoraux lors des élections européennes, l’UKIP réalise des scores appréciables lors de scrutins locaux. Il est aussi fréquent que ce parti soit crédité d’un score situé au-delà de 20% par les sondages d’opinion.

Ainsi, en novembre 2012, l’UKIP obtint près de 22% des suffrages exprimés, arrivant en deuxième position, lors d’une élection législative partielle dans la circonscription de Rotherham située dans le nord-est de l’Angleterre.

Le mode de scrutin britannique, uninominal à un tour à majorité relative, permet au candidat arrivé en tête dans une circonscription donnée d’être élu. Cette forme, tout à fait respectable, de choix d’un député peut permettre à une formation d’avoir des élus avec un suffrage national d’à peine 30% des suffrages exprimés, en fonction du nombre de candidats susceptibles de rassembler un nombre significatif de voix. Or, le Royaume-Uni recense plusieurs partis importants : les travaillistes, les conservateurs, les libéraux-démocrates et dans certaines parties du Royaume, des mouvements spécifiques électoralement représentatifs comme le parti nationaliste écossais ou les mouvements unionistes et nationalistes irlandais.

Pour l’UKIP, l’Union européenne est résolument « undemocratic, expensive, bossy », soit, en traduction littérale française, anti-démocratique, coûteuse et autoritaire ; ce sont les termes mêmes que l’on trouve sur son site officiel.

Le potentiel électoral de l’UKIP apparaît comme important ; le mode de scrutin peut être excessivement défavorable ou favorable (à quelques points obtenus près) et son ancien leader, Nigel Farage, ancien adhérent du parti conservateur , est très attaché à l’image de son parti, ceci afin d’éviter toute diabolisation électorale (comme par exemple, la nomination d’un responsable d’origine indienne pour les petits et moyens entrepreneurs adhérents à l’UKIP ou la condamnation de propos d’un élu de la Ligue du nord concernant une ministre italienne d’origine congolaise).

Cette démonstration à travers la poussée électorale de l’UKIP et le scepticisme traditionnel britannique à l’encontre de l’Union européenne permet d’indiquer la possibilité pour un État de mettre en place un dispositif visant au départ de l’Union, voire à son départ réel…

Cette démarche ne semble pas avoir la même puissance électorale et la même clarté idéologique au sein des autres pays où parfois des mouvements entonnent le son de la sortie de la « zone euro » mais assez peu, ou de façon très minoritaire, ou discrète, la sortie de l’Union.

Aucun mouvement électoral d’importance, depuis le Mouvement anti-CEE danois (dans les années 1980) ne porte d’ailleurs dans son sigle lui-même l’opposition au maintien au sein de l’Union, excepté l’UKIP.

Cela étant, l’UKIP ne remet pas en cause l’unité nationale britannique. Si son projet principal vient à être mis prochainement en application par la nouvelle premier ministre britannique, c’est l’ensemble du pays qui quittera l’Union européenne.

Or, des hypothèses, des risques de séparation d’une partie de l’Union peuvent émaner, non d’un Etat dans son intégralité territoriale, mais d’une partie de celui-ci.

B. L’essor des séparatismes partiels, le réveil des Peuples

L’État et la Nation sont des entités confondues depuis les principes issus de la Révolution française.

Les mouvements de libération nationale ont, le plus souvent, été liés avec la décolonisation : un État pouvait se diviser en plusieurs nations, parce qu’il était composé de plusieurs peuples, ethniquement différents car, par exemple, éloignés géographiquement (issus de continents différents) et/ou culturellement (issus de religions, d’ethnies ou de traditions historiques opposées).

Au-delà de ses partitions étatiques, un État-nation parfois constitué après une guerre peut-il se dissocier, entraînant ainsi plusieurs entités souveraines reconnus par les autres États, y compris celui dont il émane ?

La paix entre les États-nations fut la pierre d’achoppement de la création, notamment, des Communautés européennes. Il est fort probable que cette notion, encore abstraite après la Seconde Guerre mondiale, devenue réalité (pour ce qui concerne ses membres) soit également la cause initiale, même inconsciente, du développement du droit à se séparer.

En effet, la crainte d’un conflit armé entraîne un regroupement, une union face à un ennemi commun ; l’absence de cette crainte belliqueuse a permis aux Européens de s’interroger, voire de militer pour des fragmentations territoriales négociées.

Le conflit armé est facteur de fusion, d’union nationale, voire internationale, alors que l’absence de guerre (la « paix », donc par antithèse) est constitutive d’autres intérêts. On constate cette donnée dans la permanence des Etats totalitaires pour lesquels l’unité nationale, tant territoriale que populaire, passe par un nationalisme exacerbé, voire guerrier, en tout cas dont l’expression rencontre un caractère belliqueux, une forte animosité à l’encontre d’autres États.

Loin de la crainte de tout conflit armé (en tout cas avec l’extérieur), plusieurs mouvements ont apparu, et se sont développés, au sein d’États membres de l’Union au-delà d’un cadre purement et strictement « régional ». En effet, il paraît d’évidence que chaque État-nation, issu de différentes traditions historiques ou culturelles, religieuses ou linguistiques, dispose d’une latitude souveraine pour valoriser son territoire, en mettant en place des politiques de déconcentration des structures étatiques, voire de décentralisation comme en France depuis les lois initiées par le ministre socialiste de l’Intérieur Gaston Defferre en 1982, ou même fédératives comme en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni, en Belgique ou en Allemagne, cette liste n’étant pas exhaustive.

Au-delà d’une personnalité culturelle, économique ou juridique régionale, certains mouvements optent pour l’implosion de l’État-nation pour voir éclore… plusieurs États-nations, par nature souverains. Le régionalisme ne serait-il qu’un « nationalisme aux petits pieds » ?

Cette revendication peut sembler, à juste titre, paradoxale : en effet, il s’agit de rejeter le modèle de l’État-nation pour mettre un place un autre, ou plusieurs, État-nation.

Ce nationalisme que l’on peut qualifier de « régional » n’a qu’un souhait, devenir national.

Ce système de revendication ne serait-il qu’un jeu de « poupées russes » où une éclosion nationale ne peut qu’engendrer une autre revendication régionale, qui se transformera, ipso facto, en nationale ?

Ainsi, pour revenir au conflit dans les Balkans, la République fédérative socialiste yougoslave a laissé place à la République Serbe, qui elle-même a donné naissance au Kosovo… au sein duquel, certains souhaitent voir naître la République Serbe du Kosovo, au nord de la capitale Pristina.

Chaque revendication identitaire peut donner lieu à une autre revendication de même nature, en fonction d’un certain nombre de paramètres, issus le plus souvent du contexte historique, mais aussi de la situation actuelle du territoire.

B. Les points communs du séparatisme

La demande de séparation d’une partie d’un territoire à l’État dont il dépend doit porter sur un ou plusieurs éléments rassembleurs. En effet, il n’est pas question, ici, de se faire porteur des revendications d’un groupe qui ne serait pas en phase avec une minorité significative, voire une majorité, d’habitants sur un territoire donné.

Nous nous efforcerons d’évoquer les séparatismes d’importance, tant territorialement qu’électoralement.

Pourquoi « électoralement » uniquement ? Parce que nous nous positionnons au sein d’une institution régionale, l’Union européenne, dont un des principes fondamentaux est le respect de la démocratie représentative élective. Ainsi, ce droit inclut et implique la liberté d’expression des différents tendances composant le pays, à la condition suspensive que les mouvements participant à cette liberté respectent la Constitution, qu’elle soit écrite comme celle du 4 octobre 1958 en France instituant la Vème République ou orale, donc d’origine coutumière, comme au Royaume-Uni.

Ce choix de l’option électorale exclut, de facto, le choix des armes même si, nous le verrons, certains groupes terroristes peuvent évoluer en concurrence ou en complément de mouvements légaux, avec dans certains cas, une certaine porosité entre les deux groupes.

Enfin, et surtout, les revendications électorales ne doivent pas se limiter à des souhaits régionalistes, mais à des velléités séparatistes.

Ici, se pose un problème de nature juridique. Une Constitution, comme celle de la France, peut imposer le maintien de l’intégrité territoriale et la loi peut criminaliser tout individu, voire toute structure se revendiquant d’une éventuelle scission étatique. Ce qui est le cas.

Toutefois, il peut exister des mouvements dont les revendications régionalistes ne sont, pour ces raisons, que le paravent de la volonté d’une indépendance vis-à-vis de l’État unitaire.

Cela étant, le développement des micro-États comme nous l’avons vu laisse, assez largement, ouverte la porte aux revendications séparatistes, notamment dans l’Ouest de l’Union européenne où les principes démocratiques sont plus anciens et, par voie de conséquence, normalement mieux amarrés (si je mets de côté la pensée unique) qu’à l’Est de cette même Union.

1. Le droit international, fondement du processus libératoire

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un concept né de la Révolution française qui s’est affirmé, peu à peu, comme une revendication internationale légitime.

Ce droit a été aussi qualifié de principe des nationalités, fondement qui a servi de ferment à l’émergence d’Etats-nations durant les deux derniers siècles.

Ce principe figure dans le programme dit des 14 points du président américain Wilson à la fin de la première guerre mondiale, lors de son discours du 8 janvier 1918, devant le Congrès américain.

Cette prise de position, face à une Europe exsangue, donnait une portée universelle à la conception de nationalité.

Le droit des peuples, difficilement applicable pendant l’entre deux-guerres, sera réaffirmé dans l’article 1er de la Charte des Nations-Unies en 1945 : ce droit bénéficia aux peuples colonisés sur une base territoriale préexistante afin d’éviter toute contestation entre ethnies, qui aurait laissé un monde à la proie de l’anarchie par la multiplication d’Etats économiquement non viables.

Ce droit des peuples fut intimement lié à la notion de territoire préexistant, c’est-à-dire à des frontières établies et fixées. L’après Seconde Guerre mondiale semble devoir nous renvoyer à un monde fini, dans le sens où le respect des limites territoriales entre les Etats est prépondérant et l’ensemble des territoires est modelé à travers l’existence de frontières établies et respectées.

Toutefois, l’éclatement de l’ex-Empire soviétique et le démantèlement de l’ex- République Yougoslavie titiste a étendu, de facto, la notion de droit des peuples en droit international.

L’État, vu comme nation, laisse place, peu à peu, à une vision politique des peuples, une vision dynamique -et non purement institutionnel- d’une expression collective dont le ressenti n’est pas systématiquement celui de l’État préexistant.

L’État, comme expression de la nation, qui entraîne cette dernière au combat pour sa défense et sa survie comme le laisse apparaître l’expression magnifiée de la bataille de Valmy ne représente plus l’image consensuelle de la libération nationale par « le peuple en armes ».

Le peuple se disjoint de la nation pour devenir nation lui-même. Ce sentiment national n’est plus issu du territoire, fondement tellurique de la puissance étatique, mais d’une partie de sa population, qui, expression d’une partie de ce territoire, va dissoudre la nation, pour en générer d’autres.

Une minorité au sein d’un ensemble territorial ne tend elle pas à devenir une majorité sur une portion plus restreinte, mais définie et délimitée, de ce même territoire ?

La puissance du territoire, via sa superficie, dont on a vu, à travers la fin de l’URSS, ses limites, laisse place à cette volonté populaire de démantèlement de la puissance. La viabilité d’un territoire, par ce qu’il est important en étendue, expression de puissance du XIXème siècle, laisse progressivement la place à l’image, devenue réalité, du « géant aux pieds d’argile ».

L’interdépendance des États, mise en exergue par la mondialisation, ne permet pas à l’un d’entre eux de vivre en autarcie, du moins si l’on veut élever une population au niveau de vie décent, par conséquent l’indépendance politique n’est pas liée à l’indépendance économique. Un territoire exiguë, mais lié à une population volontaire, peut être un « nain économique » mais doté des prérogatives de la souveraineté, à la condition sine qua non, d’être reconnu par l’ensemble des États.

La nation moderne est, à la fois, volonté populaire et acceptation internationale même si, nous le verrons, toute nouvelle nation entraîne le démembrement d’une partie du territoire d’une autre.

Cette volonté populaire de s’ériger en État-nation se fonde sur des éléments le plus souvent objectifs que l’on retrouve préexistants à la situation actuelle de l’État.

La définition d’une nation est complexe, a fortiori lorsqu’il s’agit de se différencier d’un État-nation souverain, le plus souvent pluri-centenaire. Rappelons que la France célébra son millénaire en 1987 , soit deux années avant la commémoration du bicentenaire de la Révolution française, en 1989, permettant ainsi, de lier, à deux courtes années de distance (et en pleine agitation politique avec la première cohabitation, puis la réélection du président Mitterrand, le tout sous la pression de la poussée du Front national de Jean-Marie Le Pen), la France éternelle et les fondements philosophiques de notre ordre politico-juridique.

Les tenants de la scission étatique vont s’approprier une forme d’organisation sociale antérieure à l’organisation de l’ordre national-étatique établi.

2. Le retour à l’ethnos sur un territoire (histoire-langue-culture) : forme d’organisation sociale antérieure à la Cité

En effet, chaque État-nation a un passé pendant lequel l’étendue de son territoire a évolué.

La France, souvent et à juste titre présentée comme un vieux pays qualifié, nous l’avons vu, de millénaire, n’a pas bénéficié de manière continue des mêmes frontières. Certains territoires ont des passés différents, voire totalement antagonistes, les uns des autres. Et l’existence d’un territoire suppose, sur celui-ci, une population dont les intérêts sont liés.

Sans remonter au berceau de l’Humanité, nos voisins n’ont pas toujours présenté les mêmes formes territoriales, ni même les mêmes identités : les nationalités allemande et italienne sont, par exemple, récentes.

Le principe de l’intangibilité des frontières, principe de droit international nécessaire pour éviter les conflits post-décolonisation dans l’hémisphère sud du Globe, semble avoir fait long feu, y compris dans les anciens territoires colonisés comme le Soudan.

Depuis la chute du Mur de Berlin et le démantèlement de l’ancien empire soviétique, le processus de fragmentation territoriale a touché l’Europe ; il est susceptible de frapper l’Union.

En effet, on peut être frappé que l’intégration de certains Etats au processus d’Union européenne se produit une fois leur démantèlement accompli : ainsi la République Tchèque et la Slovaquie ont intégré l’Union après avoir mis fin au « bloc » fédéral national Tchécoslovaque, ainsi que la Slovénie et la Croatie après les convulsions guerrières interethniques balkaniques.

Enfin, les trois pays Baltes : l’Estonie, la Lituanie et la Lettonie sont également devenus membres de l’Union européenne, une fois leurs indépendances vis-à-vis de l’URSS déclarées, négociées, acceptées et reconnues par la Communauté internationale.

Sur les (encore) 28 États de l’Union, sept d’entre eux, soit le quart, ce qui est largement représentatif, sont donc issus de structures étatiques récemment dissoutes. Parfois même, ces États souverains faisaient parties, auparavant, du même État. On peut donc penser que leur séparation, soit d’un État à la dimension importante, soit commune, n’a pas laissé, entre eux, de séquelles au niveau des rapports interétatiques. On peut, en effet, rappeler qu’un État non membre de l’Union, doit bénéficier de l’accord de l’ensemble de ses futurs pairs pour être intégré. Cette disposition, pour autant qu’elle soit maintenue dans l’avenir, doit d’ores-et-déjà nous interroger sur les États candidats à l’Union et les difficultés diplomatiques, pour ne pas écrire plus, qui seraient susceptibles d’exister entre certains prétendants et des membres.

Donc, ces sept pays : l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la République Tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Croatie émanent d’États constitués et souverains (URSS, République fédérative socialiste de Yougoslavie et Tchécoslovaquie) dont les structures ont été supprimées ou largement modifiées.

Ces modifications ou suppressions étatiques sont liées à des revendications d’existence de nationalités à l’intérieur de territoires disposant, préalablement, d’une autorité étatique reconnue.

Ainsi, les démantèlements étatiques ont dû reposer sur des fondements que l’on nommera, par commodité linguistique et pour les rassembler, l’ethnie.

Dans son essai paru en 1963, « L’Europe des ethnies », le professeur de droit public, Guy Héraud, militant fédéraliste convaincu et ancien candidat à l’élection présidentielle de 1974, indique que « l’ethnie est une collectivité présentant certains caractères distinctifs communs de langue, de culture et de civilisation ». Cette définition montre que l’ethnie, contrairement à l’acception de certains, n’est pas limitée à des éléments biologiques. L’ethnie se détermine, selon Guy Héraud par le sol, le sang, la langue, l’histoire, la géographie, la culture, la religion, le climat ; toutes influences, parfois interactives entre elles, visant à une conscience collective.

La détermination l’ethnie, ainsi définie, est essentielle car elle doit définir une unité et dans le même temps une, ou plusieurs, dissociation ; elle doit être, à la fois, force d’unité et symbole d’altérité :

une force d’unité quant à un ensemble de population souhaitant continuer l’Histoire ensemble, un peuple lié par une espèce de continuum, liaison essentielle -forme de religare- pour se perpétuer au-delà du présent ;

mais aussi une altérité qui va permettre de se séparer, soit de l’autre partie de la population (ce sont les exemples de la Tchécoslovaquie, en Europe, ou du Soudan, hors de l’espace européen), soit d’un ensemble territorial global (ce sont les exemples de l’ex-URSS ou de l’ex-Yougoslavie, Etats fédéraux récents issus des conflits du XXème siècle et déjà défunts).

Les éléments structurels de la nation nouvelle doivent être, à la fois, assez forts et structurants pour déterminer la création d’un État et discriminants pour se démarquer, se dissocier des autres parties de l’ensemble territorial.

Toutefois, les éléments structurants par leur unité devront, idéalement, être supérieurs à ceux, structurants par leur altérité. En effet, l’union positive, par une volonté de vie commune, sera, par nature, plus féconde qu’une unité fondée, uniquement, contre une entité, à la qualification d’ennemi.

Quoi qu’il en soit, unique comme multiple, ces éléments structurants doivent également être consensuels, à l’intérieur des nouvelles frontières, comme à l’extérieur, y compris au sein de l’ex-souveraineté.

En effet, ce nouvel État va devoir préalablement négocier, et signer un traité de séparation avec les autres parties territoriales avec lesquelles il cohabitait, puis être intégré au sein de la Communauté interétatique internationale. Les accords de Dayton signés dans l’Ohio, aux États-Unis, le 14 décembre 1995 , par exemple, mirent fin aux conflits interethniques entre la république Yougoslave et la Bosnie et Herzégovine, laissant une partie du territoire de celle-ci (l’autre partie étant la République Serbe de Bosnie) devenir indépendante et être reconnue par le biais de la création de la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine. Bien évidemment, nul besoin, heureusement, d’un conflit armé pour aboutir à une partition comme l’exemple Tchécoslovaque nous l’a démontré.

Les éléments structurels de l’éclosion d’un État-nation sont le plus souvent les suivants :

le poids de l’histoire comme facteur d’unification, ou de différenciation, peut être important : le contexte historique, même lointain, peut être structurant dans l’esprit d’un peuple ; bien évidemment, les périodes guerrières sont beaucoup plus évocatrices dans l’âme des peuples, qu’elles soient synonymes de victoires ou de défaites, qu’une période de paix durable. Les périodes pendant lesquelles un territoire fut indépendant, par rapport à l’ensemble de l’État contesté, est extrêmement fédérateur : si un peuple a pu, et su, demeurer indépendant pendant un certain nombre d’années, voire de siècles, il a laissé, le plus souvent, des normes légales, voire une charte constitutionnelle, un drapeau, des structures architecturales… Le processus historique d’un peuple a pu être interrompu par un regroupement comme l’Italie du XIXème siècle avec le Risorgimento ou un rattachement à un ensemble comme l’Écosse à Angleterre ou la Normandie à la France… Cette « interruption » temporelle peut être considérée comme une forme de suspension chronologique historique qu’il est indispensable de reprendre… ;

la géographie peut également être un fondement structurant : un territoire peut se fondre entre deux fleuves, deux montagnes, l’isolement insulaire (souvent repris par les identitaires, régionalistes ou séparatistes Corses au sein de la république française malgré sa qualification, dans sa Constitution, d’« une et indivisible », mais aussi nous l’avons abordé précédemment par les Groenlandais, membres de la Couronne Danoise et bénéficiaires d’un statut d’autonomie adapté à leur situation d’insularité et à la dimension territoriale de l’île (aussi que de sa proximité avec le Canada et le monde Nord-américain) et fonder une entité ; cette géopolitique du territoire peut, bien entendu, être connexe avec l’histoire de cette enclave terrestre ou cette péninsule insulaire ;

la langue : la reconnaissance linguistique est un élément légendaire de discorde entre les peuples comme le souligne le symbole de la Tour de Babel, peut être aussi, a contrario, un élément d’accord, lié à une compréhension commune. La langue fut ainsi un critère d’extension territoriale, notamment dans la politique allemande du Troisième Reich vis-à-vis de son extension : les Sudètes, l’Autriche… La langue fixe encore des frontières régionales au sein, par exemple, d’un Etat fédéral comme la Belgique entre Wallons et Flamands ; elle peut ainsi être facteur d’unité ou d’altérité, ou les deux à la fois. Elle est probablement un des facteurs les plus marquants si l’on considère, outre-Atlantique, le cas du maintien de l’identité ethnique de la Province du Québec, via l’affirmation de la francophonie, vis-à-vis du Canada, majoritairement anglophone.

D’autres éléments, nous les avons listés précédemment, peuvent être structurants, même s’ils s’avèrent plus marginaux, car liés, le plus souvent, à des antagonismes plus violents ou à une illégalité internationale (ou les deux cumulés) : le sang dans une conception raciale de l’espace, la religion dans un strict rapport au sacré (les conflits entre Irlandais ainsi que ceux entre Yougoslaves peuvent puiser, notamment ou spécifiquement, leurs origines dans ce fondement).

Le choix de l’élément structurant de la nation en devenir est lié à la définition que le peuple donne à celle-ci : une nation circonscrite à un territoire restreint se fondera, plus facilement, sur sa géographie, voire au fondement du droit du sang lié à une population endogène, alors qu’une nation tournée vers l’extérieur préférera opter sur un critère linguistique, par définition plus large.

Ces formes de fusion, visant tant à la création d’une nation qu’à la dislocation d’une autre, doivent être issues d’une volonté populaire utilisant ces ressorts structurants, l’histoire, la géographie territoriale, le fondement linguistique mais aussi n’être que le déclencheur, ou le prétexte politique, d’un autre élément, structurant lui-aussi, mais d’une autre dimension.

On parlera, ici, nous le verrons, le plus fréquemment, du caractère populiste de la démarche scissionniste qui visera à s’appuyer sur des carences, ou des abus, étatiques pour développer un caractère de séparation lié par exemple au refus de fiscalité exagérée visant à uniformiser en matière d’équipements, par exemple, une nation. Le thème d’une partie d’un territoire étatique qui s’estime ponctionné fiscalement de manière abusive pour une autre partie de ce même territoire est récurrent au sein d’une Europe dont l’individualisme en vient à prendre des aspects communautaires liés à un territoire. On parlera ici d’une forme de « national-égoïsme » qui se traduira, plus prosaïquement, en « nationalisme économique ».

On peut également, subsidiairement, voir apparaître d’autres formes de structuration d’une identité comme le refus de l’immigration qu’une partie du territoire estime devoir cantonner à une autre.

Toutefois, ne nous y trompons pas, le choix de l’élément fondateur d’une nation peut être double : un élément fondé par exemple sur la géographie peut n’être qu’un trompe l’œil d’une revendication beaucoup plus terre-à-terre, par exemple en matière de limitation des droits de douane ou, plus prosaïquement, de limitation de la solidarité fiscale d’une région prospère vers des régions plus pauvres (l’exemple de l’Italie entre le nord du pays et le Mezzogiorno sud-italien est, à cet égard, emblématique).

Mais, a contrario, le fondement ethnique peut également n’être qu’un support d’action politique plus civique. Le consentement populaire, positif quant à l’avenir territorial, peut résulter à la fois d’une ethnie préexistante servant d’identification à une volonté populaire, élargie, de conscience commune. L’élargissement, ici, évoque le dépassement de l’ethnie, notamment dans le cadre de l’acceptation de citoyens souhaitant participer au pacte social, sans pour autant partager l’ethnie initiale.

L’ethnie, comme élément constitutif d’un État-nation, voit ainsi dériver son fondement soit de manière négative, en soulignant une altérité, soit positivement, en accentuant une conscience collective.

Enfin, tout en considération le poids, au sens de la réalité, du passé et d’un fondement ethnique, quel qu’il soit, il n’en demeure pas moins que celui-ci doit être complété d’une volonté de construction commune future.

L’ethnie, constitutive d’un peuple appelé à devenir nation, doit, non pas laisser place, mais se fondre dans un pacte social aux contours démocratiques.

III. Des mouvements séparatistes représentatifs et légitimes

Le double critère retenu, ici, est d’abord celui du choix, revendiqué ou apparent, de la séparation d’un territoire de l’État-nation central : en effet, un mouvement peut n’apparaître comme n’étant qu’une structure régionaliste manifestant une volonté d’affirmation régionale au sein d’un ensemble national. Cet ensemble sera contesté mais uniquement du point de vue de son absence de transfert de compétences vers la -ou les- région(s). Un État jacobin, expression liée au centralisme français, peut donner lieu à des mouvements régionalistes, voire autonomistes qui ne vont pas remettre en cause, tout du moins dans un premier temps, la souveraineté nationale. Cette modération dans la revendication peut aussi être du, comme nous l’avons suggéré précédemment, pour éviter toute dérive condamnée par l’autorité de mise en cause de l’intégrité territoriale.

Ainsi, dans un certain nombre de cas, peut-il être considéré qu’un autonomisme peut comporter des relents de séparatisme par prudence pour éviter une dissolution partisane pour atteinte à l’intégrité nationale. Enfin, dans certains cas, il est difficile de dissocier les mouvements séparatistes de ceux qui se revendiquent de l’autonomie car leurs options peuvent être mouvantes, en fonction de leurs leaders, de leurs bureaux politiques successifs, de la pression militante, de la pression électorale, des rapports, ou l’absence de rapports, avec les autres mouvements politiques… Par exemple, une coalition électorale avec des partis régionalistes, voire centralistes, limitera, par voie de conséquence, les revendications séparatistes d’un parti (c’est ce que l’on pourrait appeler le centre de gravité d’une coalition électorale). Nonobstant les unions partisanes, la ligne d’un mouvement peut évoluer ou être, nous l’avons indiqué, masquée.

Ensuite, le second critère retenu sera celui de la légitimité électorale, ce qui présuppose d’abord et avant tout, la participation aux joutes électorales dans le cadre du respect constitutionnel et légal du droit électoral dans les pays de l’Union. Mais ce critère est insuffisant : pour retenir un mouvement comme légitime, nous nous fonderons sur son niveau de représentativité qui sera jaugé à l’aune de son poids électoral et des conséquences politiques de ce rapport de force démocratique.

Un seuil, estimé uniquement en taux (%) de suffrages exprimés ou de votants (selon si le pays en question considère le vote « blanc » comme une expression, ou non, du suffrage universel), n’a pas de sens ici car il ne prendrait pas en considération un certain nombre de paramètres politiques nationaux comme :

le mode de scrutin : le choix de la proportionnelle intégrale, par exemple, appliquée à une circonscription nationale, avec l’absence ou un faible seuil de représentation, donnera plus rapidement une représentativité à un mouvement politique par exemple ; à l’inverse, un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, comme pour les élections législatives en France, rend plus difficile l’émergence de nouvelles forces, si ce n’est du point de vue du nombre de voix exprimées, tout du moins en terme de représentation parlementaire ; enfin, le mode de scrutin retenu peut différer dans le temps (modification du mode de scrutin), dans l’espace (selon le territoire) et selon la nature de l’élection (le mode de scrutin peut différer en fonction des représentants à élire, comme en France par exemple) ; la seule obligation étant, spécifiquement pour les élections européennes, le choix du scrutin proportionnel, probablement pour donner une représentation plus large (pouvant être réduite par un effet de seuil et une régionalisation des circonscriptions, comme en France) des opinions existantes dans l’Union au sein du Parlement européen en conférant à celui-ci une expression extrêmement démocratique (expression limitée, dans certains pays, par un taux d’abstention élevé) ;

les alliances électorales : un mouvement, plus faible électoralement qu’un autre, bénéficiera d’une représentation plus « visible » lorsqu’il sera associé avec d’autres soit en fonction d’un mode de scrutin (par liste nationale ou régionale par exemple), soit de désistements électoraux en cas de présence de second tours (scrutin uninominal ou de liste à deux tours), voire même, in fine, de constitution de coalition politique gouvernementale.

Il sera donc nécessaire d’estimer la représentativité d’un parti démocratique au sein, ou non, d’une alliance politique et dont la représentation électorale peut évoluer suivant les modalités du droit électoral national et son maintien, ou non, au sein de cette alliance.

Enfin, cette représentativité peut évoluer, c’est le propre de l’évolution de résultats électoraux démocratiques ; nous concentrerons cette étude sur des paramètres faisant état de résultats actuels ou récents, mais s’inscrivant dans la durée.

Bien évidemment, comme évoqué précédemment, cette force électorale doit reposer, ou paraître reposer, sur l’ethnie, que celle-ci soit liée à la langue, l’histoire ou le territoire commun.

L’exemple du « pays vert », le Groenland, qui a quitté l’Union européenne dès 1985 (tout en restant au sein de la Couronne danoise) peut-il être réitéré au cœur-même du territoire européen, amputant ainsi ce dernier d’un espace territorial intégré géographiquement ?

Sans aucune doute, ont déjà répondu les Britanniques.

Le Mouvement normand, un mouvement régionaliste lié à une terre millénaire

C’est le double rejet de la division administrative régionale normande de 1956 et de l’idéologie libertaire issue de 1968 qui va entraîner, en Normandie, une forme de réaction, au sens littéral et positif du terme, qui va permettre l’éclosion, le 29 septembre 1969, d’un mouvement régionaliste spécifique.

Le Mouvement de la jeunesse de Normandie (MJN) voit le jour à Lisieux en ce début d’automne 1969, porté sur les fonts baptismaux, par des jeunes gens issus de mouvements de jeunes classés à droite comme la Fédération des étudiants de Rouen (FER), active sur le campus de Rouen dans les années 1960.

Rapidement, ce mouvement fondé par l’historien Didier Patte (ce militant normand a quitté la présidence du MN en 2015 dont il est toujours le président d’honneur), obtient le ralliement de parlementaires favorables à la majorité gaulliste (Didier Patte s’est d’ailleurs personnellement mobilisé le 30 mai 1968, lors d’une grande manifestation rouennaise, contre « la chienlit), qui s’étaient regroupés au sein de l’Union pour la région normande (URN). Cette fusion des « modernes », jeunes militants enflammés, et des « anciens », notables gaullistes ou indépendants, donnera naissance au Mouvement normand(MN) en 1971.

Cette alliance d’origine entre militants classés à droite, comme Jean Mabire, alors journaliste à Minute et fondateur de la revue Viking (1949-1956) et parlementaires gaullistes comme Pierre Godefroy, élu de Valognes (Manche) et candidat RPF (Rassemblement du peuple français, créé par De Gaulle) dès 1951 (tout en collaborant d’ailleurs à la revue identitaire Viking) met en lumière le paradigme suivant : ce mouvement militant pour l’unification normande resta (et reste toujours) dans le combat métapolitique pour éviter de se marginaliser dans des combats électoraux incertains et clivants (Didier Patte n’a jamais souhaité limiter le MN à une partie de la population).

Le MN représente ainsi, dès son origine, un cercle d’influence, se voulant le fer de lance du combat régional normand. A une époque où la cause des peuples était essentiellement tournée vers l’anti-colonialisme et par voie de conséquence, ancrée à gauche, Didier Patte et le MN font le choix d’un régionalisme conservateur et « anti-marxiste ». Peut-être la fameuse « modération normande » ?

Malgré cette discrétion électorale, le MN entend devenir, dès 1971, un acteur majeur sur la scène normande. Dès cette période, une option se fait jour et pose débat au sein d’un mouvement où la double appartenance est possible (beaucoup de cadres du MN sont membres de partis classés à droite, voire même élus) : créer une structure militante autonome des autres partis ou être un aiguillon de parlementaires et porter l’idée de l’unité devant le Parlement national.

La tentation de l’offre politique, même si elle a ponctuellement existé (notamment dans la circonscription de Bayeux, dans le Calvados, où le candidat investi par le MN, François d’Harcourt, bat au second tour le cacique élu gaulliste sortant, Raymond Triboulet, proche de De Gaulle depuis la Libération) ne sera pas pérenne : le MN effectuera un travail de « lobbying » auprès des élus, y compris auprès de l’actuel et premier président de la région normande unifiée, Hervé Morin.

A l’initiative de la publication de nombreuses revues (Sleipnir, Haro, L’Unité normande, Culture normande…), le MN se consacre à mettre en scène une Normandie unie, puisant ses sources dans l’histoire (depuis la fondation du duché, en 911) mais aussi dans la modernité normande, le choix d’être normand ! Pour cela, le MN s’appuie sur des poètes normands du siècle dernier comme Charles-Théophile Féret, fondateur de la Société des écrivains normands, en 1923 à Honfleur ou Fernand Lechanteur.

L’objectif initial du MN, l’unification des cinq départements normands issus de la Révolution française, a été réalisé en 2016. Cette heureuse initiative (qui n’est que la reconnaissance administrative d’une terre reconnue historiquement depuis 911…) n’a pas mis fin au combat du MN ;

Au-delà de la nécessaire réunification, l’objectif concomitant du MN reste la reconnaissance d’un réel « pouvoir régional », avec la dévolution de certaines prérogatives au profit d’une assemblée normande.

Le MN n’a jamais remis en cause la Normandie, comme « Terre de France » mais il a toujours prôné la fin du jacobinisme d’État, de droite comme de gauche, qui en « parisianisant » la France, a oublié les patries charnelles qui la composent.

Le MN, qui dispose d’un media-web (TVNC, TV Norman Channel : http://www.mouvement-normand.fr/) veille à ce que la Normandie retrouve son identité propre en développant certains de ses particularismes : son territoire est tourné vers la mer et pourrait être un aiguillon européen entre la France et l’Europe du Nord. La Normandie n’a-t-elle pas une histoire commune avec les peuples du Nord, Scandinaves et Anglais ?

Le MN a su maintenir la flamme de l’unité normande. Il est temps désormais d’en porter l’identité charnelle.

Vous retrouverez dans mon essai : L’Unité normande, paru en décembre 2015, chez L’Harmattan, beaucoup plus d’informations sur le Mouvement normand : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=48960.

Pour en savoir plus, mes entretiens sur le web :

https://www.youtube.com/watch?v=dLr3QgEwO8I

https://www.youtube.com/watch?v=NGuj92h3Akk

http://www.mouvement-normand.fr/Des-auteurs-et-des-livres-%E2%80%94-Franck-Buleux-et-l-unite-normande_a649.html

Franck BULEUX

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