Vents de guerre au Donbass
Joe Robinette Biden n’a même pas eu le temps de réchauffer la chaise derrière le bureau de la Salle Ovale de la Maison Blanche que sa présidence arc-en-ciel est déjà en train de lancer une nouvelle croisade au nom de la démocratie et des Droits de l’Homme. Cette fois-ci il s’agit de soutenir les nationalistes ukrainiens pour les aider à reprendre le contrôle, avec l’usage de bombes intelligentes sur les civils, du Donbass, qui a échappé au contrôle de Kiev en 2014 à la suite du coup d’État bruxello-atlantiste de Maïdan. La guerre est en train de reprendre à l’initiative de l’Ukraine, en totale violation des accords de Minsk II, fixant ainsi un autre abcès géostratégique pour empêcher l’unité eurasienne à la faveur du monde unipolaire libérale anglo-saxon du bloc atlantiste.
L’Ukraine au bord du gouffre
Avec un PIB qui chuta de 49% entre 2013 et 2017, et un taux de corruption phénoménale, l’Ukraine post-Maidan se présente comme un État en voie de faillite. Seulement le nationalisme, l’armée et quelques groupes néo-fascistes semblaient encore en état de maintenir un semblant de structure étatique, et l’économie ne survie que grâce aux perfusions du FMI. Le nouveau gouvernement d’alors, celui de l’oligarque Petro Porochenko, était occupé à renouer les liens avec la classe maffieuse occidentale pour lui permettre d’investir à la place de la maffia russe, que la révolte de Maidan avait en partie expulsé du système politico-économique ukrainien.
Pour remplir les caisses (vides) de Kiev, Bruxelles, le FMI et les USA avaient accordé des prêts colossaux qui n’avaient d’autre but que d’arrimer l’Ukraine dans la sphère d’influence atlantiste, l’arrachant à celle russe : 17 milliards d’euros en 2014, auquel il faut ajouter encore 16,6 milliards d’euros en 2015 sur quatre ans, et à nouveau 5,5 milliards d’euros en 2019. La mission eut un résultat partiel, car la Crimée fut rapidement annexée par la Russie, en mars 2014, tandis que le Donbass, région minière stratégique habitée par des Russes, se soulevait, déclarait son indépendance avec le nom de Novorossia et s’engageait en une longue guerre contre les troupes régulières et paramilitaires de Kiev.
Les médias se firent la caisse de résonnance des « deux Ukraines » : l’Ouest, pro-européen et démocratique, et l’Est, pro-russe et donc foncièrement corrompu et sauvage.
Et pourtant, celui des « deux Ukraines » est un mythe grossier qui réduit une réalité beaucoup plus complexe. L’Ouest est composé des acquis territoriaux de l’URSS à la suite de sa victoire pendant la Seconde Guerre mondiale, morceaux arrachés à la Pologne, à la Slovaquie, à l’Hongrie et à la Romanie. C’est un territoire dont l’identité est globalement artificielle, fruit d’une centralisation étatique de type jacobin, et que le vote de la loi de 2014 sur l’usage exclusif de la langue ukrainienne, alors que le pays se compose de Russes, Hongrois, Roumains et Tatares, a fait exploser. L’Est du pays se compose en prévalence de Russes – ces derniers demandaient une autonomie locale que Kiev leur a toujours refusée. Enfin, le Sud, où vivent tatares (descendants des populations turques), Russes, Bulgares et Moldaves. La partie centrale de l’Ukraine et le Nord sont habitées principalement par les Ukrainiens. Les « deux Ukraines » doit donc être revu, car si les intérêts des régions se tournent principalement, géopolitique oblige, vers l’Occident et la Russie, en réalité le pays apparait comme étant une construction en partie artificielle, fruit d’annexions voulues par les Russes ou, comme dans le cas de la Crimée, d’un cadeau russe.
Pour Moscou l’annexion de la Crimée avaient plusieurs raisons, à la fois d’orgueil national, la Crimée étant une péninsule russe depuis le XVIIIème siècle et qui fut cédée à la RSS d’Ukraine par Nikita Kroutchev en 1954, et géostratégique. Là se trouve la base militaire russe de Sébastopol, la plus importante sur la mer Noire.
Le coup d’État de Kiev allait, avec l’arrivée des réseaux atlantistes et la demande d’adhésion à l’OTAN de la nouvelle oligarchie au pouvoir, arracher cette base de Moscou, limitant immensément les capacités de projection militaire russe non seulement dans la mer Noire mais surtout en direction de la mer Méditerranée, où Moscou allait s’engager en soutien de la Syrie de Bachar al-Assad et de la Cyrénaïque du maréchal libyen Khalifa Haftar.
Les nouveaux affrontements
L’Ukraine est actuellement dirigée par un ancien humoriste, Volodymyr Zelensky, arrivé au pouvoir de manière totalement inattendue. Sa campagne électorale se révéla être des plus incongrues, refusant de débattre, se limitant à produire des vidéos qu’il publiait sur les réseaux sociaux et entretenant des ambiguïtés avec le personnage qu’il incarnait dans une très célèbres série télévisée ukrainienne, Serviteur du Peuple, dont le titre devint le nom officiel de son parti politique. Zelensky était tout de même soutenu par un oligarque ukrainien de premier ordre, Ihor Kolomoïsky. Connu en Occident principalement pour le fait d’être un milliardaire de confession juive (il est le président de la Communauté juive unie d’Ukraine et ancien président du Conseil européen des communautés juives) qui finançait des bataillons néonazis, dont les fameux Azov, Aidar et Pravy Sektor, pendant la guerre du Donbass, Kolomoïsky est également le co-fondateur de la plus grande banque ukrainienne, PrivatBank, et propriétaire de la chaîne télévisée 1+1, qui transmettait la série télé de Zelensky et qui lui octroya une importante couverture médiatique lors de la campagne présidentielle.
Sans aucune expérience politique et totalement ignorant de la répartition des pouvoirs politiques du pays qu’il s’est décidé à diriger, Zelensky n’a aucune vision, il n’incarne aucun destin. Sa façon de diriger est des plus absurdes, à partir de sa prétendue lutte contre la corruption, éternel laisser-passer pour légitimer un pouvoir autrement illégitime. Alors qu’il n’avait eu de cesse de promettre qu’il aurait combattu la corruption dans le pays, son nom est sorti à l’occasion du scandale planétaire des Pandora Papers, et son entourage est composé en grande partie par des anciens cadres du système post et pré-Maïdan, par exemple Oleg Tatarov, ancien porte-parole des forces de police pendant la répression des manifestants de l’hiver 2013-2014.
Coquille vide sans aucune vision stratégique et géopolitique, Volodymyr Zelensky est accusée par l’opposition d’être une marionnette entre les mains des oligarques pro-occidentaux qui ont déclenché Maïdan pour contrer le pouvoir des oligarques pro-russes de l’ancien président russophile Viktor Ianoukovytch. C’est donc le retour de la frange la plus corrompue et atlantiste de l’oligarchie pro-européenne qui est à l’œuvre, et dans laquelle s’engouffrent les intérêts géostratégiques les plus russophobes de l’Europe et surtout des USA du démocrate Joe Robinette Biden, dont la famille et l’entourage étaient déjà bien présents lors des émeutes de Maïdan, notamment à travers son fils Hunter Biden. Ce n’est donc pas pour rien que l’ancien président états-unien Donald Trump avait tenté de convaincre Volodymyr Zelensky de pousser les autorités ukrainiennes à mener des enquêtes sur les intérêts de la famille Biden en Ukraine, dans le but de nuire à la campagne présidentielle de Joe Biden. Et ce n’est pas non plus un hasard si la situation au Donbass est en train de précipiter depuis que Biden a (re)prit le pouvoir à Washington.
Si des accrochages ont toujours été présents entre les forces armées ukrainiennes et celles séparatistes du Donbass, il est force de constater que somme toute les accords de Minsk II avaient été respectés. Ce n’est plus le cas depuis octobre 2021, quand l’armée ukrainienne a commencé à bombarder des centres civils du Donbass et des positions militaires. Suréquipée et bien entraînée, larmée ukrainienne n’est plus le ramassis de soldats sous-payés, de volontaires et de mercenaires qui perdirent rapidement le contrôle des territoires des Républiques populaires de Donetsk et de Lugansk entre 2014 et 2015. Les aides économiques et militaires de la part des USA et de l’Europe ont donné leurs fruits, de sorte que l’armée ukrainienne est aujourd’hui forte de 255.000 actifs, 900.000 réservistes et d’un budget annuel de six milliards de dollars, avec des équipements fournis par USA, Royaume-Uni, France, Israël, Turquie, Chine, Japon, Canada, Australie et ainsi de suite. Et ce sont justement les accords avec la Turquie, au cours de l’été 2021, qui ont fourni à l’Ukraine les drones armée Bayraktar, les mêmes que l’armée turque déployée en Azerbaïdjan utilisa contre les Arméniens de la république d’Artsakh entre septembre et novembre 2020.
D’importants moyens sont actuellement en train d’être acheminés à la frontière russo-ukrainienne et à celle entre l’Ukraine et le Donbass. Le gouvernement ukrainien a également demandé aux puissances occidentales de déployer des troupes sur son sol afin de protéger le pays d’une éventuelle invasion russe. L’invitation a été mal reçue par les intéressés, qui se rendent compte du point de non-retour auquel l’ancien humoriste Zelensky et ses alliés oligarques risquent d’entraîner l’Europe. Le Secrétaire à la Défense du Royaume-Uni Ben Wallace a récemment déclaré que le déploiement de troupes en Ukraine ne serait pas le bienvenu, le pays ne faisant pas partie de l’OTAN, et Joe Biden a freiné rapidement les ardeurs de l’ancien showman tout en lui promettant des aides militaires.
Cette montée des tensions et des affrontements militaires se produit sur fond d’intenses pourparlers entre les autorités russes, états-uniennes et européennes. Car ce conflit n’a, comme bien d’autres, rien de régional et tout d’international. Le but est d’empêcher une entente euro-russe dans le domaine économique et politique, ce qui risquerait de jouer en défaveur des USA. Ces derniers ont besoin de laisser des Européens solidement atlantistes, donc hostiles aux Russes et à leurs alliés, afin de pouvoir redéployer leurs ressources à l’Est, dans le Pacifique, qui est désormais le principal théâtre de conflit pour la puissance thalassocrate américaine. Autrement dit, contenir, selon la vieille stratégie anglosaxonne, l’immense Russie pour lui empêcher le contrôle exclusif du Heartland, et concentrer les forces contre le géant chinois.
La faille géopolitique eurasiatique
La reprise des combats et les immenses et complexes intérêts politico-économiques qui s’agitent sur le fond représentent un point de fixation, un abcès, qui s’inscrit en une faille géopolitique qui court du nord au sud, séparant l’Eurasie en deux blocs. D’une part, le bloc bruxello-atlantiste formé par l’UE, la Grande-Bretagne, les USA et le Canada. De l’autre, le bloc russo-iranien, avec leurs alliés syrien, houthi au Yémen, chiites au Liban, centre-asiatiques et caucasiens (Géorgie et Azerbaïdjan exclus, le premier étant prooccidental et le second pro-turc).
Les points de fixation se trouvent au nord de la mer de Barents, où a fonte des glaces est en train d’ouvrir de nouvelles voies de communication maritimes au long des côtes russes de l’Arctique. En descendant, l’accès à la Baltique est rendu difficile à cause de l’hostilité des états baltes à l’égard de la Russie, alors que le gazoduc Nord Stream 2 a été inauguré en 2021. La fausse crise des migrants à la frontière biélorusse-polonaise est une réponse de Minsk et de Moscou à la tentative de déstabilisation politique de la Biélorussie de la part des atlantistes, et notamment de Pologne et Lituanie.
En descendant, nous trouvons davantage de points de fixation : le conflit au Haut-Karabagh, où certains pays du bloc atlantique (Israël, Turquie, Royaume-Uni) ont soutenu l’Azerbaïdjan dans la guerre contre les Arméniens du Haut-Karabagh, dont le territoire s’est réduit comme peau de chagrin et est actuellement protégé par les peacekeepers russes. Dans la même zone géographique, le conflit qui oppose les républiques séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, soutenues par les Russes, à la Géorgie, soutenue par les USA et l’UE, n’a pas trouvé de solutions et risque d’être réactivé à n’importe quel moment, comme ce fut le cas en 2008.
Au Moyen-Orient, la guerre en Syrie, qui n’est encore pas terminée mais dont les maîtres du jeu sont désormais la Russie et en partie la Turquie, qui occupe, avec le consentement de Moscou, le nord-ouest du pays. Le Liban est un autre terrain de conflit, car le pays, en pleine déliquescence politique et faillite économique, est le fief du Hezbollah, milice chiite alliée de l’Iran, et qu’Israël a échoué à démanteler lors de l’invasion du pays en 2006.
Le Yémen, dont la catastrophe humanitaire est immense mais totalement occulté par le système politico-médiatique occidentale pour ne pas froisser les « amis » saoudiens qui utilisent des milices mercenaires pour massacrer la population Houthi, représente le dernier abcès, qui met en danger le passage de convois maritimes à travers le golfe d’Aden et la mer Rouge, seuls accès depuis l’océan indien pour le canal de Suez.
Ces points de fixation existent depuis l’effondrement de l’URSS, à un état plus ou moins latent. A certaines périodes certaines sont réactivés, tandis qu’à d’autres, ils sont mis en veille, les désignant avec l’appellation pudique de « conflits congelés ». En revanche, avec la reprise des combats au Donbass et la situation explosive au Haut-Karabagh, que la guerre de septembre-novembre 2020 n’a aucunement résolue, c’est la première fois qu’autant de points de fixation sont actifs en même temps.
Le but affiché est double. D’une part, empêcher une entente économique et politique entre les pays du continent eurasiatique, d’où les attaques contre les Nouvelles Voies de la Soie, le gazoduc Nord Stream 2 et les autres projets d’infrastructures. De l’autre, en brisant cette entente, permettre au système libérale états-unien d’infiltrer tous les plans de l’existence humaine afin de maintenir ouverts des marchés qui leur sont favorables : ubérisation, libre-marché, privatisations, le tout en s’appuyant sur une série d’idéologies déconstructionnistes et individualistes qui légitiment l’emprise de Washington, vu comme un phare de liberté contre l’ « illibérisme » des sociétés plus traditionnelles qui sont celles russe, caucasiennes, iranienne, arabe et chinoise.
Maxence Smaniotto
Note :
1 / Christine Lagarde, aujourd’hui Présidente de la Banque centrale européenne, était alors la directrice du FMI. En échange de ce prêt, le gouvernement Ukrainien accepta sans sourciller de tripler le prix du gaz et de réduire le montant des déjà misérables retraites. Cfr : https://www.france24.com/fr/20150312-kiev-ukraine-aide-fmi-17-milliards-dollars-pret-reformes-russie-conflit-guerre.
3/ En un document de huit points publiés par le ministère des Affaires étrangers russe le 15 décembre, la Russie propose aux USA et à l’OTAN une série de mesures pour la mise en place d’une garantie de sécurité régionale stable. La première concerne l’exclusion de l’Ukraine de tout processus visant à son adhésion à l’OTAN, tandis que d’autres portent sur des accords visant à faire en sorte que ni la Russie ni les USA utiliseront le territoire d’autres pays pour y mener des exercices militaires dans la perspective de préparer des attaques les uns contre les autres. Lire : https://mid.ru/ru/foreign_policy/rso/nato/1790818/?lang=en