Macron : la divine surprise
Article disponible dans le numéro 79 de notre revue, inspiré d’une conférence donnée par l’auteur le 4 mars 2017 à Marseille à l’invitation de l’Action française
« C’est François Mitterrand – avec Pierre Bérégovoy – qui a déréglementé l’économie française et l’a largement ouverte à toutes les formes de concurrence. C’est Jacques Delors qui a été, à Paris comme à Bruxelles, l’un des bâtisseurs de l’Europe monétaire avec les évolutions qu’elle impliquait sur le plan des politiques macroéconomiques. C’est Lionel Jospin qui a engagé les regroupements industriels les plus innovants, quitte à ouvrir le capital d’entreprises publiques. »
Qui a écrit ça ? Que le coupable se dénonce ! Car on a beau, dans ces quelques phrases, concéder quelques mots flatteurs comme bâtisseurs ou innovants, on n’en a pas moins là un réquisitoire contre la gauche de gouvernement. Qui en est l’auteur ? Ce pourrait bien être Jean-Luc Mélenchon, l’homme qui se téléporte sous forme d’hologramme pour mieux dénoncer le capitalisme numérique et préfère, par un habile jeu de passe-passe lexical, appeler à la relance d’activité plutôt qu’à la croissance – alors que le marxiste qu’il prétend être devrait savoir qu’il s’agit dans les deux cas d’un même phénomène économique, qui est l’accumulation du capital. Mélenchon qui, comme le rappelait encore Aurélien Bernier il y a quelques années, accumule les contradictions1 : revendiquant la souveraineté populaire mais refusant de lier cette dernière à la nation qui en est pourtant le cadre privilégié, rêvant d’une autre Europe mais sans réelle volonté de rupture avec l’ordre juridique et monétaire bruxellois, professant l’anti-capitalisme mais refusant toute recette de type protectionniste. Mélenchon dont les contradictions se retrouvent jusque dans le nom de son parti : son Front pourrait être populaire, pourrait être socialiste, pourrait être communiste même, mais il ne saurait en aucun cas être de gauche ! Je ne reviendrai pas ici sur cette incompatibilité fondamentale entre l’idée de gauche et l’idée de socialisme, j’en ai parlé déjà à plusieurs reprises et je renvoie ceux pour qui ce n’est pas encore une évidence aux textes et interventions que j’y ai consacrés ces dernières années2. Non, décidément, l’auteur de cette phrase ne peut pas être Mélenchon, il croule lui-même sous un trop grand nombre d’incohérences pour se permettre décemment de pouvoir faire le procès du PS – dont il est d’ailleurs issu, faut-il le rappeler.
Qui a donc écrit ces vilaines choses, qui est le coupable ? Philippe Poutou ? Marine Le Pen ? François Asselineau ? Non, vous n’y êtes pas, ne cherchez pas dans l’opposition, ce n’est pas là que vous trouverez la réponse ! Il s’agit tout simplement de François Hollande lui-même, dans un livre publié en 2006 (une conversation avec Edwy Plenel, qui est décidément dans tous les mauvais coups) et intitulé Devoirs de vérité. Et il est important de citer encore la phrase qui suit directement cet extrait et qui, pour ainsi dire, lui sert de conclusion : « Cessons donc de revêtir des oripeaux qui ne trompent personne. »3 Bravo ! Il fallait oser une telle confession en pleine campagne des présidentielles, alors qu’une certaine Ségolène Royale avec qui il entretenait un lien privilégié était justement candidate sous les couleurs du Parti socialiste ! Difficile de ne pas voir, dans cet accès surprenant d’honnêteté, de cynisme diront certains, une sorte d’acte manqué – mais ce n’est pas notre sujet.
De quand date le divorce entre la gauche et le socialisme ?
Hollande a raison : l’inféodation de la gauche de gouvernement aux règles imposées par le marché ne date pas de lui, elle est bien antérieure, et on peut aisément remonter, par exemple, jusqu’à Pierre Mauroy et à ce qu’on a appelé alors le tournant de la rigueur – on peut même remonter plus loin encore dans le temps. Il n’y a guère que le néolibéral Guy Sorman pour penser (et se réjouir) qu’Hollande est l’artisan de ce tournant, prenant pour une mutation de fond ce qui n’était qu’une affaire de mots. L’ayant considéré avec horreur à son arrivée au pouvoir comme « l’ultime chef d’Etat en Europe qui se réclamait encore du socialisme dans sa version marxiste » (sic !), il l’applaudissait pourtant en janvier 2014, écrivant : « François Hollande se déclarant social-démocrate et non plus socialiste a mis un terme à une longue exception française. »4 On connaît la haine de Sorman pour tout ce qui est français (c’est-à-dire pas assez américain) et vaguement socialisant (c’est-à-dire prétendant encore échapper aux règles de l’échange marchand généralisé). Cet oiseau de mauvais augure, qui s’est heureusement à peu près toujours trompé sur tout, pense que le marxisme a régné en France jusqu’à ce beau jour de janvier 2014. Pour lui il n’y a pas eu de 1968, il n’y a pas eu de 1983, ou alors ces événements-là ont pris à ses yeux un sens à rebours de celui que nous leur donnons.
Or il y a trois grilles de lecture possibles pour examiner cette fuite en avant de la gauche à l’œuvre maintenant depuis quelques décennies. La grille de lecture libérale (celle que nous venons d’évoquer) pour qui ces mutations ne sont que des variations sans grande importance, de simples nuances de rouge sur la palette d’un marxisme jamais assez moribond, de simples querelles de chapelle entre partisans de Lénine et partisans de Michel Rocard ou de Julien Dray – entre lesquels, comme chacun sait, il n’y a pas de différence significative. La grille de lecture gauchiste, celle qui ne cesse de se lamenter sur la trahison des soixante-huitards passés à l’ennemi avec armes et bagages, celle pour qui pouvoir rime presque nécessairement avec forfaiture et pour qui il existe, par exemple, un gentil Dany le Rouge et un mauvais Cohn-Bendit. Et il y a enfin ce que j’appellerais la grille de lecture révolutionnaire, la grille de lecture socialiste, au sens le plus noble, le plus exact et le plus cohérent du terme, et c’est cette vision-là que j’aimerais partager avec vous.
En examinant les choses d’un point de vue socialiste, on se rend bien compte que ce n’est ni Hollande (comme le pensent les libéraux) ni même Jospin ou Mitterrand (comme le pensent les gauchistes) qui sont à l’origine de cette évolution de la social-démocratie, laquelle correspond à un mouvement historique sur le temps long. Il est vrai, pour donner raison aux libéraux et aux gauchistes, que ces tendances – l’embourgeoisement, le renoncement à toute transformation sociale significative de la société, le réformisme poussé jusqu’à un simple processus d’accompagnement du capitalisme – se sont vues ponctuellement renforcées lors de certaines étapes de mouvement historique, conditionnées en cela par les hommes qui tenaient les rênes à un moment donné, le jeu politique dans lequel ils étaient pris et, naturellement, la conjoncture économique. Toutefois, ces étapes sont moins des virages sur une route que des marches, plus ou moins hautes, plus ou moins distantes les unes des autres, sur un escalier. Ce n’est pas la vitesse ou les irrégularités du mouvement qui doivent éclairer sa compréhension, mais sa direction générale, ce qu’il y a en lui de constant, d’invariable.
Il n’y a pas rupture mais accélération du processus historique
Non, Hollande n’as pas trahi, la gauche ne s’est pas reniée, elle est simplement redevenue elle-même après une parenthèse historique survenue à la fin du XIXème siècle (cristallisée autour de l’affaire Dreyfus, avec le ralliement du mouvement ouvrier à la gauche au nom de quelques idéaux universels transcendant les clivages de classes5) et qui s’est close à une période du XXème siècle dont on ne sait pas trop – les avis diffèrent – s’il s’agit de l’après-Plan Marshall, de Mai 1968 ou de l’élection de Mitterrand et du tournant de la rigueur qui s’en est suivi. Une seule chose est certaine : à un moment donné entre la fin de la Seconde guerre mondiale et le début des années quatre-vingts, le pacte jaurésien d’union entre la gauche (c’est-à-dire l’aile gauche de l’échiquier républicain et de la grande famille libérale) et le socialisme au sens large (les mouvements ouvriers, les syndicalistes, les communistes, socialistes et anarchistes) s’est irrémédiablement brisé. De cette nouvelle configuration, nous ne sommes pas sortis et nous ne sortirons vraisemblablement pas. Et il n’y a aucune rupture à attendre des prochaines élections présidentielles, seulement une accélération historique du processus en cours – et c’est cette accélération, justement, qui, par son aspect spectaculaire et son apparence de bouleversement, donne aux observateurs non avertis l’illusion de la rupture. La gauche est toujours aussi libérale qu’avant, elle l’est simplement un peu plus qu’auparavant et d’une manière plus décomplexée, et tout laisse croire qu’à moyen ou long terme elle le restera.
Un exemple pour illustrer ma démonstration. Il y a quelques jours, Robert Hue, ancien président du Parti Communiste, déclarait qu’il rejoignait Emmanuel Macron et soutenait sa candidature. Hue, qui aura décidément été jusqu’au bout le fossoyeur de Georges Marchais, expliquait en outre qu’il ne se définissait pour sa part plus comme communiste ni même comme social-démocrate mais comme… progressiste ! Que dire de plus ? Nous savions déjà qu’il existait une gauche du capital, cette péripétie nous rappelle qu’il existe aussi une extrême gauche du capital6. Venant d’un homme qui employait il n’y a pas si longtemps les talents de Frédéric Beigbeder pour assurer les campagnes du Parti7, plus rien ne peut nous surprendre !
Or, parler de l’irruption dans le paysage politique français d’Emmanuel Macron, c’est précisément parler de cette accélération du processus historique en cours à gauche. Il y a là un paradoxe apparent car Macron se vante régulièrement de n’être ni de gauche ni de droite, et en un sens il dit vrai. Seulement, pour des raisons dialectiques propres au processus dont nous parlons, la gauche, en accompagnant le libéralisme culturel et sociétal qui la caractérise depuis des décennies par un libéralisme économique affirmé (qui était auparavant plutôt l’apanage de la droite), devient intégralement libéral-libertaire, c’est-à-dire qu’elle s’extrait en effet du vieux clivage gauche-droite, qu’elle le dépasse. Ce dépassement aurait tout à fait pu être le fait d’un candidat de droite (et cela arrivera sans doute un jour ou l’autre) mais il se trouve qu’aujourd’hui, dans le cadre de cette campagne présidentielle-là, c’est à gauche qu’il s’est manifesté le premier.
En s’extrayant de la gauche (dont il est issu par le jeu du népotisme et des influences) sans rejoindre la droite (dont il a compris qu’elle n’avait aucun avenir), en devenant le premier candidat explicitement libéral-libertaire, Macron s’affirme comme le plus actuel de tous, le plus en phase avec l’esprit de l’époque (du moins avec un des pôles de l’esprit de l’époque) et – je dois bien l’avouer – le plus cohérent. Il n’est pas, comme François Fillon, embourbé dans les contradictions du libéral-conservatisme (grotesque oxymore qui ne fait plus guère rêver que les bourgeois de l’ancien monde) ni, comme Benoit Hamon, dans celles d’une social-démocratie ambitionnant, on ne sait comment, de concilier défense des travailleurs et immigration à tout crin, sauvegarde du modèle social français et libre circulation des personnes. Si Fillon et Hamon ont déjà perdu, c’est que même si l’évolution de la partitocratie politicienne a toujours un train de retard sur l’évolution de la société, il vient un moment où chacun doit payer le prix de ses paradoxes.
Macron : une arme de guerre forgée par la commission Attali
En 2012 déjà, même Libération aura compris à quoi s’en tenir avec Macron, « ce jeune homme pressé », ce « Julien Sorel d’un siècle où la haute finance est devenue l’antichambre du pouvoir politique »8 – ce qui n’empêchera pas, quatre ans plus tard, le grand quotidien de gauche (ainsi que la majorité des médias dominants) de tresser des lauriers au jeune loup devenu candidat à la présidentielle. Macron, rappelons-le, est le produit de plusieurs influences conjointes liées aux milieux qu’il a fréquentés, aux écoles qu’il a suivies, aux officines dans lesquelles il a exercé, aux think tanks qui le conseillent. Ces influences ? La haute bourgeoisie, l’ENA, l’Inspection des finances, la banque Rotschild, quelques grands groupes industriels (dont Nestlé, qui l’a employé), l’institut Montaigne, un laboratoire d’idées néolibéral dont on ne parle malheureusement pas assez, et surtout la commission Attali (la fameuse « commission pour la libération de la croissance française » initiée par Sarkozy), dans laquelle il a siégé et qui, à bien des égards, a assuré sa formation idéologique.
Or, que disait (et dit toujours) Attali ? « Nous avons besoin de plus de mondialisation. Aujourd’hui, les hommes d’Etat se jugeront à leur capacité à passer à un étage fédéral supplémentaire. »9 Que dit-il encore ? « Le capitalisme ira jusqu’à son terme : il détruira tout ce qui n’est pas lui. Il transformera le monde en un immense marché, au destin déconnecté de celui des nations […] Il parachèvera ce qu’a commencé le marché depuis ses origines : faire de chaque minute de la vie une occasion de produire, d’échanger ou de consommer de la valeur marchande. »10 Et croyez bien que lorsqu’Attali fait ce type de prévision, ce n’est pas pour s’en désoler ! Il faut d’ailleurs préciser que les rapports rendus par cette commission dans laquelle siégeait Macron préconisaient des mesures de libéralisation et de dérégulation économique et sociale si brutales que le gouvernement Sarkozy, pourtant pas particulièrement protectionniste, n’avait pu se résoudre à les appliquer… Nous sommes bien loin du libéralisme modéré d’un candidat que certains voudraient voir comme un centriste !
Le terreau professionnel de Macron, à l’inspection des finances comme ailleurs, c’est celui de l’expertocratie, du lobbyisme, des administrations non élues, des conseillers cooptés11. Michel Clouscard l’avait déjà diagnostiqué en observant les années d’après-guerre, au moment de la mise en place du Plan Marshall : la social-démocratie nouvelle s’était bâtie et renforcée comme synthèse de la bureaucratie et de la technocratie, au service d’un capital se répartissant entre un rôle de manager (pour assurer la production) et d’animateur (pour assurer la consommation). Nous n’en sommes pas sortis, et Macron incarne cette social-démocratie-là à son acmé, dans son évolution logique, dans son inévitable mue libérale.
Cohérence et atouts du candidat libéral-libertaire
Le politologue Jérôme Sainte-Marie parle à propos de Macron de « libéralisme intégré », relevant à juste titre que ce libéralisme-là se distingue nettement « d’une gauche et d’une droite qui n’en acceptaient qu’une partie »12, l’opposition entre libéraux et souverainistes s’étant désormais substituée à l’opposition gauche-droite. C’est tout à fait exact mais j’irais même plus loin et parlerais plutôt de libéralisme intégral, de par son caractère totalisant (et potentiellement totalitaire – mais ce serait l’objet d’un autre débat), englobant l’ensemble des aspects qui constituent notre société dans une même dynamique de fuite en avant. Economie, finance, juridictions diverses, mœurs, vivre-ensemble, questions d’éthique, tout est saisi en un bloc, bouleversé, soumis à la même déliaison, au même déracinement, à la même atomisation. C’est détestable ? Sans doute, mais c’est cohérent, imparable, c’est un tout qui se tient merveilleusement bien. Et c’est là la force de Macron.
Quelques heures avant la conférence de presse que Macron avait annoncée pour présenter son programme, mon ami et compatriote Slobodan Despot ironisait en disant que cette conférence devait, si tout se passait bien, durer entre neuf et treize secondes… On a en effet beaucoup glosé sur la légèreté du candidat et de son mouvement En Marche, sur son usage des généralités consensuelles, sur sa manière de remplir la béance de son projet avec des moulinets et des exhortations aussi enflammées que vides de contenu. Bref, sur son absence de programme. Il y avait du Trump dans ce début de campagne de Macron : la volonté de convaincre, de séduire, d’impulser une énergie, de construire une forme nouvelle, mais tout en restant flou sur le fond. On peut le regretter bien sûr, mais c’est aussi cela le postmodernisme, c’est aussi cela le stade supérieur de la société du spectacle transposé à la lutte électorale, c’est aussi cela qui fait de Macron un politicien de son temps, en avance sur les démocrates de l’ancienne génération – en avance en fait sur les démocrates tout court.
Toutefois, ce flou n’a pas duré et Macron a fini par livrer un programme, assez tard certes mais il l’a fait. Un programme qui confirme toutes nos craintes tout en conservant certaines imprécisions, certaines généralités exprimées ainsi à dessein. A l’image des teintes de sa campagne, où le rouge et le bleu du drapeau français ont été remplacés par un vague rose et un bleu pâle qui en disent long sur sa vision de l’Etat, de la République et de la nation. Un programme libéral qui trahit une certaine fascination pour l’économie numérique (le fameux modèle dit de la Silicon Valley n’est pas loin) ainsi qu’une méfiance pour le processus démocratique qu’il essaie de contourner de diverses manières, tant par le haut (via l’UE, à qui il accorde une place centrale et dont les directives devraient selon lui prévaloir sur les lois françaises) que par le bas (via des parodies de consultation populaire au niveau local)13. Une lecture qui confirme la première impression d’un Michel Onfray, lequel voyait dans Macron « l’autre nom de l’ubérisation de la société », qui aboutirait immanquablement à la fin de l’Etat-providence. Et lui aussi, déjà, pensait qu’il s’agissait moins d’une rupture que d’une accélération. « Je vois, confiait-il au journaliste de L’Obs qui l’interviewait, un homme qui propose d’accélérer ce qui nous a déjà conduits près du ravin. »14
La figure providentielle, l’homme à abattre
Je vais sûrement vous étonner mais je vais le dire comme je le pense : Macron, c’est une divine surprise. C’est un grand coup de balai dans le marais des ambivalences, c’est une mise à bas des masques, une remise à plat salutaire, une clarification radicale du débat, un long brouillard qui s’écarte enfin. Macron est l’ennemi de la France, Macron est l’ennemi du peuple, Macron est l’ennemi de tout projet socialiste, de tout projet populaire, de tout projet patriotique. Il l’est de façon absolue, bien plus encore qu’un Hollande ou qu’un Sarkozy, qu’un Hamon ou qu’un Fillon, perpétuellement dans l’équivoque et la demie mesure. Macron est, de manière évidente, de manière indiscutable, l’homme à liquider en priorité dans ces élections présidentielles. C’est sur lui qu’il faut concentrer toutes les forces, toutes les énergies, toutes les volontés. Et s’il a le malheur d’être élu, son gouvernement sera, par excellence, le gouvernement à abattre. Qu’il triomphe ou qu’il s’effondre, il représente en miroir, en inversion, tout ce que nous devons être, tout ce que nous devons dire, tout ce que nous devons penser. Il est le candidat libéral-libertaire, le candidat du libéralisme intégral, il est donc le candidat de la cohérence, d’un projet aussi solide qu’un système, qu’un bloc, qu’un tout indissociable. Aussi solide que… celui ou celle qui proposera exactement le contraire. Et c’est là, justement, que réside l’espérance.
Qu’adviendra-t-il à présent ? Il est toujours délicat de se prêter au jeu des pronostics électoraux, mais on ne peut s’empêcher de remarquer que le PS et le mouvement En Marche semblent moins fâchés aujourd’hui qu’au moment où Macron démissionnait du gouvernement Hollande pour « se mettre à son compte », initiative que le président aurait pu à bon droit considérer comme une grave trahison. Or, à présent, les socialistes passent en masse dans les rangs d’En Marche, sans même se cacher et sans, semble-t-il, avoir à se justifier. Le PS accepte-t-il cette double affiliation alors qu’il la refuse pour tout autre parti ? Les macroniens encore membres du PS se sont-ils vu retirer leur carte ? Un PS qui, notons-le, en plus de se montrer très complaisant avec Macron, censé être son rival, met paradoxalement en avant pour porter ses couleurs à la présidentielle un candidat de l’aile gauche du parti, c’est-à-dire l’aile théoriquement la moins compatible avec le libéralisme macronien – ce qui n’aurait pas été le cas si, par exemple, un Manuel Valls était sorti vainqueur des primaires de gauche. Pourquoi ? Il n’est pas impossible que Pierre-Yves Rougeyron, le fondateur du Cercle Aristote, ait vu juste en supposant que le seul rôle de Benoit Hamon, pathétique homme de paille, soit de siphonner l’électorat de Jean-Luc Mélenchon dont la progression commence à effrayer les socialistes. La stratégie du PS se résumerait alors, sans même chercher à prendre le pouvoir en son nom, à anéantir l’extrême gauche dans un premier temps, puis dans un second à se rallier à Macron15.
La gauche a d’ores et déjà échoué, le PS a amorcé un déclin qui s’annonce désormais irréversible. Là non plus ce n’est pas une rupture, seulement une accélération. Ayant perdu depuis longtemps le combat social (elle est réduite depuis 1983 à mener grosso modo la même politique que la droite en la matière), elle ne peut aujourd’hui miser que sur les valeurs : l’idéologie culturelle, le progrès, l’anti-racisme, le féminisme, l’extension illimitée des droits individuels, etc. Des valeurs éminemment libérales, notons-le ! Mais ce combat, elle est aussi en train de le perdre. D’une part parce que la plus grande partie du peuple n’y croit plus, et d’autre part parce que ceux qui y croient encore pensent, à juste titre, que Macron est bien plus efficace dans ce rôle-là. La prochaine étape ? Peut-être le ralliement du think tank Terra Nova à Macron, les lobbyistes exaltés de la « France de demain » ayant tout misé sur « les diplômés, les jeunes, les minorités »16 et réalisant qu’il vaudra désormais mieux, pour ce combat-là, parier sur le fringant cheval Macron que sur les vieilles haridelles du parti à la rose. Ils pensent sans doute, comme le Zarathoustra de Nietzsche, que « ce qui tombe, il faut encore le pousser »17. Car oui, la gauche tombe, elle est bien « ce grand cadavre à la renverse où les vers se sont mis »18 dont parlait déjà Sartre et qui, à présent, doit être précipitée dans l’abîme.
Laissons-les faire, laissons-les tirer sur l’ambulance, laissons-les éventrer l’homme de paille. Les règlements de compte des bourgeois ne nous intéressent pas. Il ne doit désormais y avoir pour nous qu’un seul antagoniste, qu’un seul ennemi : Emmanuel Macron. La figure providentielle, la divine surprise, l’homme à abattre.
David L’Epée
1 Aurélien Bernier, La Gauche radicale et ses tabous : pourquoi le Front de Gauche échoue face au Front national (Seuil, 2014) – à noter que ce livre a été rédigé deux ans avant la campagne présidentielle et que sur certains points, Mélenchon a affiné son discours, notamment sous l’influence intelligente de quelques économistes de son mouvement citoyen la France insoumise.
2 par exemple celui-ci : Gauche et socialisme : le grand malentendu, in. Rébellion n°75, été 2016
3 François Hollande, Devoirs de vérité (Stock, 2006)
4 Guy Sorman, Ci-gît le socialisme européen, in. L’Hebdo, 30 janvier 2014
5 Lire à ce propos Jean-Claude Michéa, Le Complexe d’Orphée (Climats, 2013)
6 Phénomène qui n’étonnera pas outre mesure les lecteurs de Charles Robin qui, dans son essai La Gauche du capital (Krisis, 2014), pointait ce processus de libéralisation (au nom du progrès) aussi bien dans la gauche social-démocrate que dans l’extrême gauche trotskiste, voire pseudo-communiste.
7 Frédéric Beigbeder revient sur cet épisode avec un certain cynisme dans son livre L’Egoïste romantique (Grasset & Fasquelle, 2005)
8 Libération, 17 octobre 2012
9 Jacques Attali, entretien, L’Hebdo, 20 juillet 2011
10 Jacques Attali, Une Brève histoire de l’avenir (Fayard, 2006)
11 Pour en savoir plus sur l’itinéraire et les réseaux de Macron, on se reportera au portrait perspicace qu’en a tracé Faits & Documents dans son n°346 (15 au 30 novembre 2012).
12 Jérôme de Sainte-Marie, entretien, Figarovox, 27 janvier 2017
13 Pour plus de détails sur ce programme, se référer à la vidéo de mon intervention, où je l’examine point par point, dans le cadre du colloque Election présidentielle : la défaite du peuple ? (4 mars 2017), disponible sur le site de la section provençale de L’Action française.
14 Michel Onfray, entretien, L’Obs, 16 février 2017
15 Cette hypothèse, que je partage ici, est évoquée par Pierre-Yves Rougeyron dans son Grand entretien de février 2017 (vidéo disponible sur YouTube).
16 Terra Nova, Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? (rapport publié en 2011)
17 Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Henri Albert, Paris, Mercure de France, 1952, p.243
18 Jean-Paul Sartre, préface à Paul Nizan, Aden Arabie, La Découverte, 2002
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