L’effondrement du PS : enfin !
Question : quelle est la différence entre un candidat sanctifié et promu depuis le début de la campagne par tous les grands médias et une candidate diabolisée et vilipendée quotidiennement par l’ensemble de ces mêmes médias ?
Réponse : environ 2 points.
Ce premier tour est donc à la fois une victoire et une défaite du système de propagande médiatique. Une victoire car ce système a porté au sommet un homme qu’il a en grande partie créé, les solides réseaux de Macron dans les médias ayant peut-être été cette fois encore plus déterminants que ses réseaux, tout aussi influents, dans les sphères de l’économie et de la haute administration (encore que tout cela soit lié). Une défaite car en dépit de ce bourrage de crâne manichéen et unilatéral, les électeurs ayant voté pour la figure du Mal telle que désignée par ce système sont presque aussi nombreux que ceux à avoir opté pour la figure du Bien. Il y a dix ou vingt ans, il y a fort à parier que ce type de communication-là aurait amené entre les deux candidats un écart considérable, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que la crise de confiance est maintenant générale, non pas seulement à l’égard des institutions mais aussi à l’égard de la presse, de la radio et de la télévision. Le vote Marine est en grande partie le résultat du scepticisme envers les médias mainstream, de la diversification des sources d’information, d’une certaine libération de la pensée favorisée par internet. Le discours officiel tend de plus en plus à ressembler à un astre mort : il continue encore, vitesse de la lumière oblige, à émettre des lueurs qui nous éblouissent, mais l’étoile qui produit ces lueurs a déjà cessé d’exister. De ce point de vue-là, la probable victoire de Macron n’est peut-être que le dernier acte d’une dynamique conformiste qui, la prochaine fois, ne trouvera peut-être plus suffisamment de force pour mobiliser autant.
La présence du Front national au second tour, aussi spectaculaire puisse-t-elle être dans la fièvre d’une soirée électorale, n’est pas historique puisque nous avons déjà connu ça en 2002. Deux éléments peuvent par contre à bon droit être qualifiés d’historiques dans ce à quoi nous avons assisté hier soir : 1) le PS s’est effondré à environ 6%, dépassé sur sa gauche par un candidat au score trois fois supérieur, 2) aucun des deux grands partis du système n’est présent au second tour, ce qui est une situation inédite. Jean-Luc Mélenchon, dont il faut tout de même saluer la performance, aura eu son rôle à jouer dans ce petit psychodrame. Ne boudons pas notre plaisir : voir l’homme de la gauche radicale peser trois fois plus que le candidat du parti au pouvoir, soit un retournement extrême de ce que nous avions connu jusqu’ici au fil des élections, aura constitué pour nous un moment savoureux, une satisfaction symbolique tout à fait délectable.
Il faut toutefois bien comprendre, comme je l’expliquais dans mon texte sur Macron (disponible sur le site) qu’il ne s’agit pas réellement là d’une rupture mais plutôt d’une accélération du processus historique en cours. Le PS ne meurt que pour mieux muter : un grand nombre de ses cadres et de ses militants est passé avec armes et bagages dans les rangs du mouvement En Marche qui pourrait bien, demain, trouver un nouveau nom, tel que les Démocrates ou, mieux encore, les Progressistes. L’ancien hollandiste Macron ne fait que reprendre les recettes du blairisme ou du clintonisme, il réoriente légèrement le bipartisme en opposant, au libéralisme sécuritaire de la droite classique, son libéralisme intégral, lequel puise autant dans la doctrine de l’économie de marché que dans la religion progressiste de la gauche social-démocrate. Les Américains ne s’embarrassent pas de tant de nuances, ils ont trouvé depuis des décennies le terme qui définit cette ligne : liberal. Là où Fillon est schizophrène, Macron est cohérent – et c’est ce qui fait sa force.
Et si j’ai pu dire avant les élections que l’irruption de Macron était une divine surprise, je ne peux que le répéter aujourd’hui. Macron, comme négateur du vieux clivage gauche-droite, comme fossoyeur du PS, participe à une nécessaire clarification du débat. Grâce à lui, le socialisme, ce beau mot pour lequel nous nous battons, va enfin à nouveau avoir un sens, va enfin pouvoir être compris sans les ambigüités et les contresens dont il était chargé jusqu’à aujourd’hui. Grâce à Macron, même les plus butés, même les moins éveillés comprendront que la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux n’est qu’un seul et même phénomène, que la mondialisation ultralibérale et l’immigration de masse ne sont que les deux facettes d’une seule et même pièce, que l’Union européenne et le triomphe du capitalisme généralisé à toutes choses ne constituent qu’un seul et même rêve destructeur.
Bien sûr, nous vous invitons à voter contre Macron. Bien sûr, cela ne servira probablement à rien car nous allons assister, ces deux prochaines semaines, à un déferlement médiatique de haine, de mensonge et de propagande active sans doute pire encore qu’en 2002 durant l’entre-deux tours, tout cela bien sûr avec la bénédiction de l’Etat, des institutions et de tous les pouvoirs constitués. Nous vous invitons quand même à le faire pour l’honneur, pour le panache, pour mettre la pression sur cette vaste alliance libérale qui aura sans doute l’affront de se dire « républicaine », pour lui faire sentir à quel point sa victoire est fragile et lui faire comprendre que nous allons vers des temps d’affrontements, de luttes sociales et de réveil identitaire. On a beaucoup reproché à Macron de ne pas avoir de programme, je lui en vois pourtant un auquel il lui sera difficile d’échapper : demain le Capitole, après-demain la roche tarpéienne.
David L’Epée