La « common decency » en temps coronaviral
Lancer une enquête fouillée sur les origines du COVID-19 d’un point de vue scientifique et policier n’est pas forcément, dans le cadre d’une observation du genre humain, ce qu’il y a de plus intéressant. Les conséquences sont les plus parlantes. Elles nous saisissent vigoureusement et se collent à nos chairs éprouvées par la renaissance du pollen et par un soleil effronté qui a décidé d’être, en ces temps de confinement, le plus engageant qui soit. Les conséquences, pour être bien grasses et apeurées, se nourrissent d’une actualité dispersive et hyper-connectée à en donner la migraine pour les plus veilleurs d’entre nous.
Le gavage ne manque pas en ce début d’année 2020. Enièmes petites piques adressées aux membres du gouvernement par des internautes qui ont besoin de se rassurer de leur courage et de leur « conscience » ; une beurette qualifie son bled selon son traitement de faveur de « paradis » et de « dictature » ; des banlieusards se tartent dans une queue de supermarché ; des jeunes de quartier lancent depuis leur balcon des feux d’artifice sur la gueule des flics, ; les challengeuses états-uniennes post-Paris Hilton lèchent une cuvette de toilette pour démontrer que « les riches n’attrapent pas le coronavirus » ; des tanties africaines toussent à la tronche des patrouilles veillant à faire respecter le confinement ; des conspis dernier degré font circuler sur les applications des audios alarmistes aux sources « sûres » (c’est-à-dire la cousine de la mère à mon amie boulangère dont l’amant travaille à l’Institut Pasteur !) ; des parisiens au sommet de leur art fuient en masse vers les provinces qu’ils ont l’habitude de dédaigner, sans penser qu’ils sont et seront toujours le foyer (le « cluster » comme disent les anglicistes) de toutes les maladies de ce pays….Ca y est ! Un mauvais foie gras est prêt à être dégusté !
Mais le plus important, en dehors de l’entretien complaisant de la peur par nos journalistes d’Etat, ce sont les actes naturels de solidarité et de générosité de nos milieux populaires : les attestations pré-imprimées pour celles et ceux qui ne sont pas équipés et qui souhaiteraient s’en procurer (« souhaiteraient » car contrairement à ce que nous montre les médias, la police n’est pas tout à fait « partout ») ; un boulanger rouennais (dont le faciès n’est pas celui d’un identitaire croisé pro-QI) offrant le petit-déjeuner aux aides soignants ; les applaudissements, les chants, les casseroles frappées et les basses pétées en leur honneur tous les soirs à 20h dans les cours intérieures de nos résidences, initiative parfois critiquée par certains d’entre eux (mais le râle d’un français, jamais content même du peu et qui ne se foule jamais pour faire changer les choses, est un virus anthropologique dont on n’a pas encore trouvé le vaccin)… Nous avons un confinement fait de cris et de révoltes potentielles, de solidarité et de retour à l’essentiel : acheter utilitaire, cuisiner, apprendre à aimer sa moitié, faire du sport, lire, écrire, regarder un film en dehors d’un streaming à la fréquentation ralentie par l’afflux de zombies (le disque dur externe voire le DVD !), respirer un air moins pollué et réécouter le chant de la nature qui reprend ses droits…
La « common decency » ne se théorise pas à n’en plus finir, elle se vit. Elle est organique. Pour le moment, elle réorganise en confiné ce qui avait commencé à naître il y a plus d’un an dans la révolte des Gilets Jaunes, mouvement mis en suspens au sein d’un agenda qui tombe définitivement bien pour le gouvernement français. L’épidémie a efficacement fait tomber les masques et nous a confirmé la radicalisation du conflit de classe. Préparons-nous alors au réaménagement économique que ce coronavirus entraîne, gardons un œil attentif au changement de fusil d’épaule de la géopolitique mondiale, de manière à ce que la lutte puisse s’intensifier et se diriger vers la concrétisation d’une rupture.
Nikos Amilduki