John King/ Deux guerres mondiales et une coupe du monde

TEL EST LE REFRAIN IMMUABLE des chansonnettes braillés par Tom, Mark, Carter, Harry et la plupart des supporters anglais qui débarquent à Berlin afin de suivre l’équipe na­tionale lors du match opposant l’Allemagne à l’Angleterre. Mais les teutons ne sont plus maî­tres dans l’art du Blitzkrieg, et nos héros sont bien décidés à leur faire savoir une bonne fois pour toute. Mais avant le règlement de compte entre deux vieux ennemis éternels, la récré est programmée à Amsterdam, qui va devoir subir les mauvaises humeurs de nos joyeux drilles.

Aux couleurs de l’Angleterre met en scène les hé­ros respectifs de Football Factory et de la Meute qui vont se retrouver côte à côte dans un fa­meux périple européen où se mêlent gaiement, bastons, sexe, saouleries, drogues et autres rigolades du genre, histoire de perpétuer les bonnes vieilles traditions d’une race d’insulai­res, comme ils aiment eux même se définir.

Pendant ce temps, à travers les vitres de ce pub londonien qu’il fréquente depuis tant d’années, Bill Farrell, vétéran de la seconde guerre mon­diale, revoit un Londres de black-out et d’abris anti-aériens, de rues incendiées par les bombes et les obus de la Luftwaffe, d’hommes et de femmes fouillant les décombres à la recherche de survivants, les idées submergées de sinis­tres souvenirs de cette guerre fratricide dont il ne parvint pas à se défaire mais au moins, il est fier d’avoir foulé les plages de Normandie et du rôle qu’il a joué dans la mise au pas de la dictature nazie, contrairement à Bob West, vétéran de la première guerre du Golfe et ancien pilote de Spitfire, en proie à d’intermi­nables nausées et cauchemars provoqué par la certitude d’avoir combattu pour le Koweït, le compte de l’industrie pétrolière et ses dollars, d’avoir massacré tant d’innocents, alors qu’il avait consacré toute sa vie à la RAF, au rêve d’égaler un jour les exploits des héros de la ba­taille d’Angleterre qui avait bercé son enfance.

John King met en scène dans un parallèle per­cutant et haletant hooligans anglais et soldats alliés débarquant sur le continent, tentative culottée qui s’avère d’ailleurs parfaitement réussie de par l’originalité de sa mise en forme plutôt…audacieuse.

L’auteur n’a pas enterré le style d’écriture si particulier qui a fait sa renommée et qui prend toute son importance dans la narration du débarquement sur les plages de Normandie à travers le personnage de Bill Farrell, qui tient le lecteur autrement plus en haleine que n’importe quel vulgaire film hollywoodien auquel l’industrie du cinéma nous a habitué, et ce que John King nous décrit laisse le lecteur abasourdi devant tant de réalisme et de puis­sance, et nous fait ressentir des sentiments au plus profond de nous même qu’une télévision ne pourra jamais nous donner.

Une autre ligne perceptible commune entre les personnages principaux que sont Bill Farrell et Tom Johnson réside dans la crainte et la haine commune qu’ils ressentent vis à vis de l’Union Européenne, qui, pour l’un, est « une magouille du grand capital pour centraliser le pouvoir et créer un super état doté d’une super économie, qui fait de Londres la proie d’un branleur anonyme de Bruxelles qui va interdire la bitter parce qu’elle n’a pas la même couleur que la blonde » , et pour l’autre, « une tentative d’éradiquer les cultures individuelles remplacées par une société anonyme, neutre et froide comme une galerie commerciale dans laquelle se répandent des bureaucrates non élus qui s’installent confortablement à des postes grassement rémunérés avec à la bouche un dis­cours libéral lénifiant. »

Le lecteur fan de Football Factory et de la Meute se régalera des virées bataves et teutonnes de nos bouillonnants héros londoniens, le person­nage d’Harry – quelque peu moins travaillé que les autres héros de La Meute – est cette fois au premier plan de ce roman dont les réflexions profondes inspirées par le mélange d’idées po­pulistes et anar chères à l’auteur, font plus que jamais d’Harry un homme attachant qui nous met en face de nos propres interrogations, qui, même s’il ne rêve plus comme auparavant, se plait à nouveau à penser à des choses plus belles dans une vie dont il ne voit désormais plus l’issue, et alors que Tom, Mark ou Carter, à peine arrivés à Amsterdam ressentent déjà un sentiment de nostalgie à l’idée de s’enfiler chips au vinaigre et pintes de Foster’s à volonté et de passer leur temps à déblatérer leur haine de l’Europe, Harry, lui, voit les choses différem­ment. Ce voyage est enfin pour lui l’occasion de renaître et d’entrevoir d’autres possibilités que ne peut lui offrir Londres et l’Angleterre, un autre rythme de vie, d’autres opportunités, une autre manière de vivre, et l’histoire qu’il vivra avec cette prostituée thaïlandaise du quartier rouge d’Amsterdam fait ressentir tout l’attachement que John King a pour le peuple et les pauvres gens en général dont les vies respectives décrites de manière si émouvante et si dure dénoncent clairement la société capitaliste dans laquelle ils vont devoir se battre toute leur vie pour pouvoir espérer y survivre.

La nauséabonde logique de la société occiden­tale est aussi clairement montré du doigt à tra­vers les vétérans de l’armée britannique que sont Bob West et Bill Farrell, le premier laissé à l’abandon dans une société individualiste où il se retrouve après des années de gloire à traverser le monde au bureau de chômage à Londres, comme un simple numéro dans la file d’attente, âme solitaire subsistant dans un appartement misérable avec pour seul nourri­ture des fayots sur toasts, son esprit vagabon­dant à travers les traumatismes que lui a infligé la Guerre du Golfe, et qui se bat toujours plus chaque jour contre la réalité de tous ces sou­venirs de cadavres calcinés qu’il a injustement tué. Quant à Bill Farrell, s’il s’estime heureux d’avoir survécu à la dernière guerre mondiale, pensant à tous ceux qui ne sont pas revenus, et qu’il est reconnaissant à la vie de pouvoir boire tranquillement une pinte au pub, chez lui, à Londres, il préfère se replonger des journées durant dans de lointains souvenirs d’une vie plus innocente, plus douce, des femmes qu’il a aimées jadis, de l’agitation de sa jeunesse, bouillonnant de rage devant l’américanisation de la culture anglaise qui a permit l’épanouis­sement d’un matérialisme grossier dont s’est servi l’establishment pour endormir la popula­tion, avec quelle facilité l’argent a acheté l’âme anglaise, comment les gains réalisé par sa pro­pre génération ont été dilapidé par une élite superficielle, et que la guerre qu’il ont mené a été utilisée par les politiques et les financiers pour leurs profits futurs, préférant alors se souvenir du soulagement général qu’a été l’annonce de la fin de la guerre, de cette joie et de cette musique omniprésente, de tous ces rires incessants, de cette fureur de vivre enfin retrouvée.

Aux couleurs de l’Angleterre est le roman qui ré­jouira le lecteur ancré dans l’univers agité des tribunes qui se délectera des anecdotes tou­jours plus nombreuses de ces fans de Chelsea mises à l’honneur par l’auteur et des aventures sanglantes qui attendent nos héros au pays des tulipes et de la choucroute, même si le style est malheureusement moins percutant et soigné que les précédents – et géniaux – opus, mais le tout reste tout de même d’une excel­lente facture pour les fans du genre.

Pour le lecteur de Rébellion, c’est surtout la critique crue et puissante de la société mondialiste qui intéressera nos neurones et l’exaltation de la lutte de classe, désormais habituelle dans chaque roman de John King, mais il faut remarquer à ce sujet qu’elle re­vêt toujours des formes et des expressions différentes…pour notre plus grand plaisir. Les nombreux passages consacrés à la narration des récits de la dernière guerre mondiale ont aussi leur importance, car si l’auteur met tout d’abord en exergue le patriotisme anglais et la manière toute british de faire la guerre, John King ne nous interdit pas de penser que c’est surtout toute une jeunesse européenne qui s’est injustement entre-massacrée pour les seuls profits des ordures capitalistes et autres gros bonnets de la finance, et que toute guerre y est intimement lié. Que cela nous serve et nous fasse réfléchir afin de ne pas répéter les mêmes erreurs. Surtout en ces périodes de troubles…

Mister King, un autre roman, vite !

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