Denis Collin : A la recherche du sujet révolutionnaire …

Note de LA RÉDACTION : Dans cet article, Denis Collin poursuit l’entretien qu’il nous avait accordé en exposant ce qu’il considère être l’état actuel de la nature du « sujet révolutionnaire ».

J’ai une question personnelle à vous soumettre. Pensez-vous que la domination que subit le « prolétariat » ( au sens contemporain du terme, c’est-à-dire plus de précarité) est le fruit d’un manque, à la fois intellectuel et conceptuel, qui briserait toute conscience de sa force ? Le populisme en serait-il l’expression ?

On ne peut pas faire comme si le mouvement ouvrier n’avait pas d’histoire. Il y a maintenant près de deux siècles de luttes ouvrières (on peut partir des canuts lyonnais et peut-être avant). Ces deux siècles ont permis une importante amélioration de la condition absolue et relative du prolétariat. Des institutions ouvrières ont été créées que plus personne ne songerait à mettre en question – songeons que les mutuelles ont été longtemps illégales France, en vertu de la loi Le Chapelier ! Tout cela n’est pas rien ! Mais la révolution n’a pas eu lieu. Il y eut de nombreux soulèvements à caractère révolutionnaire (juin 1848, la Commune, octobre 17, révolution allemande 1919-1923, 1936, 1945, 1956 en Hongrie, 1968 en Tchécoslovaquie …) et j’en oublie. La Commune, c’était trop tôt : pas de parti, isolement des parisiens, etc. 

Mais après ? J’ai souvent cité ce passage de la Grammaire des civilisations de Fernand Braudel qui considère que la social-démocratie, en se ralliant à la guerre en 1914, a manqué l’occasion historique. Elle pouvait prendre le pouvoir et ne l’a pas fait. Mais exactement comme le PC allemand en 1923. Tout cela pose une vraie question : l’analyse de Marx sur le capital est profondément juste mais on ne peut pas en déduire que la classe ouvrière peut s’ériger en classe dominante. 

Costanzo Preve le dit bien : les classes dominées ne peuvent pas devenir dominantes ! Il y a une sorte d’évidence dans cette affirmation qui mériterait qu’on s’y attarde. Quand la bourgeoisie s’est installée dans la société féodale, elle était déjà une classe dominante en conflit avec une autre classe dominante. Pour les prolétaires, c’est tout autre chose : ils peuvent instituer des organisations (syndicats, mutuelles, municipalités socialistes, etc.) mais ceux qui assument la direction de ces organisations ne sont plus des ouvriers. La loi d’airain de l’oligarchie, selon Roberto Michels, est impitoyable. Il y a deux penseurs qui ont eu l’intuition de cela : Lénine et Gramsci, et tous deux estiment qu’en vérité c’est un bloc social, celui des ouvriers et intellectuels bourgeois pour Lénine, le bloc historique de Gramsci, qui seul peut prétendre à renverser l’ordre existant. Un bloc qui pourrait regrouper les salariés, les travailleurs indépendants, le « popolo minuto » de Machiavel et les intellectuels qui, refusant de trahir leur fonction d’intellectuels, pourront devenir avec d’autres des « intellectuels organiques ». Dans les « gilets jaunes », on a vu, dans la plus grande des confusions, la naissance possible d’un tel mouvement. Et aucun parti n’a saisi ce qui se passait, ni la France Insoumise, ni quiconque. Pour le RN, il aurait fallu devenir vraiment un parti populaire et dire clairement non à ses vieilles attaches bourgeoises. Pour LFI, il aurait fallu admettre qu’un bon électeur du RN pouvait être un bon gars dans la lutte, bien meilleur que les « jeunes urbains » ou les proto-indigénistes qui forment le cœur de cible de LFI. Mais cela reviendra, nécessairement. Et d’autant plus sûrement que la « classe moyenne » est condamnée. L’« intelligence artificielle » va automatiser beaucoup de tâches occupées par les employés, cadres moyens et mêmes cadres supérieurs. Il restera de la place pour les assistantes à domicile ou les livreurs de pizzas, mais toutes ces classes de gens qui gagnent en 2000 et 4000€ va être ravagée. Et alors la colère pourra se déployer d’autant plus sûrement qu’on va prolétariser toute une classe  éduquée et que les non-éduqués s’éduquent très vite quand la nécessité est là.

Le mot populisme est galvaudé. C’est dommage. Le populisme est l’avenir. Un populisme prolétarien au sens le plus large du terme – un travailleur indépendant est souvent un prolétaire qui n’a rien d’autre à vendre que sa force de travail mais qui possède sa « kangoo » et sa boîte à outils pour aller travailler.

Le mouvement ouvrier marxiste pur – version léniniste ou trotskiste – est à peu près mort. Mais le sujet révolutionnaire est déjà là.

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