Patrie et Socialisme : L’idée nationale à réinventer

La réflexion sur la nature du socialisme est une « marque de fabrique »de Rébellion depuis presque 20 ans. Il nous paraît intéressant de donner la possibilité de relire ce texte de Jean Galié et de Louis Alexandre de 2009 dans une forme actualisée.

L’atomisation, par le triomphe de la néo-modernité (c’est-à-dire le règne idéologique et pratique du capitalisme sur l’ensemble des aspects de nos vies), des liens qui unissaient le «  Peuple », laisse la majorité de celui-ci sans repaires autres que ceux que lui fournit le système. « La guerre de tous contre tous » a brisé et rendu l’idée d’une destinée commune impossible. Certains ont cru voir en cela une « liberté », une émancipation, débarrassant l’individu du poids de la communauté. Mais ces naïfs (pour ne pas dire idiots) célèbrent simplement l’événement d’une nouvelle servitude. Cars les hommes sont avant tout des constructeurs de société (« l’animal politique » d’Aristote) ; en se réunissant ils savent créer solidarité et fraternité dans un élan commun. Cette créativité communautaire donne un sens à l’existence sociale et humaine. Elle est nécessairement à reconstruire sur des bases inédites car il n’est pas possible de retourner à des bases antécapitalistes. Elle est aussi le point de rupture avec la communauté despotique du capital, « communauté réelle de l’argent » (Marx). Elle est, encore moins, un projet utopique édifié a priori, ignorant les limites et imperfections de la condition humaine. Elle serait probablement la concrétisation et la libération des potentialités humaines qui sont, aujourd’hui, instrumentalisées à des fins de profit par le capital. Pour briser toute résistance, le capitalisme s’est appliqué à détruire les liens traditionnels (ceux des communautés agraires, des communautés précapitalistes) et ceux qui naissent de son exploitation, de la lutte contre celle-ci (comme l’unité de la classe ouvrière). Avec la mondialisation, il a étendu son œuvre aux nations et aux civilisations. La perte, qu’entraîne cet acte de guerre contre les peuples, est d’autant plus ressentie cruellement qu’elle a laissé le terrain libre à des reconstructions d’identités bancales, oscillant entre des modes consuméristes et un communautarisme menant à la ghettoïsation.

La simple remise en cause de « l’Etat-Nation » n’a pas permis de faire naître une réflexion globale pouvant trouver une alternative à son impasse actuelle. Il nous paraît important de réaffirmer que face au bulldozer capitaliste seule une lutte dont le but est de (re)créer une société harmonieuse sur des bases nouvelles est capable de vaincre. Notre projet socialiste révolutionnaire se fixe comme objectif d’être un moteur de la réappropriation par les travailleurs de leur destin.

En arrachant des mains de l’Etat capitaliste la Nation, nous ne reprenons que notre bien. La Patrie mérite mieux que les faux éloges que lui ont adressé par les politicars. Elle est porteuse d’une idée révolutionnaire que nous devons faire renaître. La « Nation aux Travailleurs » peu devenir un « mythe mobilisateur », un pôle de regroupement et de lutte face au capitalisme international comme « national » ( les grands groupes français du style Bouygues ou Total ne nous sont pas plus sympathiques que ceux venus d’autres parties du monde).

Pour nous l’unité de la France comme de l’Europe n’est pas une chose immuable, existant hors du temps, comme toutes les réalités sociales. Elle définit un ensemble de rapports très complexes et très riches qui s’insèrent dans un vaste mouvement social. Nous pensons donc qu’une juste articulation est possible entre les deux.

 Communautés locales – Régions – Patrie – Europe

Une unité harmonieuse dans une diversité enrichissante

Le capitalisme triomphant est parvenu à faire croire qu’aucune alternative n’était possible à sa domination sur nos vies. Pour détruire ses fondements idéologiques, il est important de redonner leur sens aux mots qu’il détourne ou stigmatise. La Patrie est un de ceux-là. Pensée comme un archaïsme par les tenants de l’oligarchie dominante, que la mondialisation va heureusement, à leurs yeux, faire disparaître, elle est un symbole puissant qui pourrait devenir une force pour le mouvement révolutionnaire. Pour mieux faire comprendre notre conception de l’idée nationale, et ses nombreuses articulations, nous livrons ici la première partie d’un article de synthèse sur la question.

Comprendre le sens de son héritage historique

Définir la Nation française, c’est d’abord reconnaître l’importance de son héritage historique dans sa forme actuelle. Si le rôle de la royauté capétienne est reconnu dans l’unification des diverses composantes qui la constituent, la naissance d’un fort sentiment national est plus difficilement situable. Faire remonter son apparition à la fin du Moyen Age ou à l’Epoque Moderne est possible, mais l’idée de Nation se révèlera pleinement au peuple français avec la Révolution de 1789.

« L’Etat-Nation » naîtra de ce phénomène fondateur et en conservera les ambiguïtés. La Révolution est, en effet, à la fois un élan populaire, révolutionnaire, patriotique et un attachement à des valeurs positives et collectives fortes comme la souveraineté populaire, l’égalité, la liberté. Des idées qui seront à l’origine d’un « esprit français » spécifique, qui viendra renforcer une communauté nationale née de la langue, de la culture et de l’histoire. Mais elle est aussi l’avènement de l’ère bourgeoise. La déchéance des élites de l’Ancien Régime, laissa le champ libre à la nouvelle classe dirigeante qui imposa la modernisation à la société française pour son seul profit. Le capitalisme naissant transforma les structures nationales pour permettre son extension et n’hésita pas à détourner le patriotisme français dans des entreprises guerrières, en Europe, puis dans le Monde.

Une division s’opérera et se renforcera entre « l’Etat » (l’organisme dirigeant aux mains de la bourgeoisie qui pourra prendre successivement la forme de la Monarchie, de l’Empire ou de la République) et la « Nation » (comprise au sens du Peuple participant au politique). Un divorce qui ne cessera de se renforcer au gré de la lutte que les classes populaires auront à mener au cours du XIX siècle contre le Patronat et les gouvernements à ses ordres. Les acquis faisant la spécificité d’un pseudo « modèle social français » sont les fruits d’un combat sans cesse renouvelé : Si en France le système de redistribution sociale possède un caractère plus égalitaire que chez beaucoup de nos voisins, cela n’est nullement un don du ciel ou un particularisme insulaire ; ce n’est que la résultante d’une lutte, d’un combat de classes, qui s’est avéré en France particulièrement dur et précoce. Ce n’est pas sans raison qu’un Karl Marx, pouvait déjà dire que la France est le théâtre de la lutte des classes. Ce n’est pas sans raison non plus que, pendant deux siècles, les plus brillants révolutionnaires séjourneront en France et en étudieront l’histoire .

La construction du socialisme français prendra en compte la réalité de la Nation, en établissant le lien entre un patriotisme révolutionnaire et une solidarité internationale forte. Cette spécificité trouvera un écho dans le combat de la Commune de Paris, symbole de la tentative de création d’une société plus juste et égalitaire et de régénération nationale. Elle traversera l’ensemble des courants du socialisme français jusqu’à la Grande Guerre. Jean Jaurès pouvait ainsi écrire « Mais ce qui est certain, c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes du militarisme et aux bandes de la finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini dans la démocratie et dans la paix, ce n’est pas seulement servir l’internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène ».

Pour nous, l’héritage historique de la Nation n’est pas une fin en soi, il est un point de départ. Il doit nous permettre de poursuivre l’aventure collective qu’est la France, en l’orientant vers une voie spécifique de construction du socialisme à l’échelle d’une Europe libérée du Capitalisme. En pratique, les formes que peuvent prendre la Nation sont appelées à se transformer pour faire face aux défis de notre époque. Les travailleurs en reprenant en mains leur destin, seront amenés à redéfinir le rôle des institutions et à remettre en cause le fonctionnement d’un Etat qui appartenait à ses ennemis de classe depuis l’origine. Pour cette raison, nous n’avons jamais idéalisé l’ancien modèle républicain jacobin et nous rejetons ses mythes, de même des nationalismes conservateurs liés à la défense d’une « société traditionnelle » qui n’exista jamais, telle qu’ils se la représentaient et qui servit à justifier leur alliance avec les forces libérales. L’actualisation de ce discours par le courant libéral-conservateur est pour nous une arnaque de plus.

La contradiction historique entre la Nation et l’Etat se retrouvera jusqu’à nos jours, cars elle est le fruit du maintien du système capitaliste. Nous avons souvent évoqué dans Rébellion les étapes de cette lutte et l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire pour ne pas avoir à y revenir en détail dans cet article de synthèse.

Durant la mise en place de sa domination, la bourgeoise entreprit de mener une politique impérialiste et belliciste dans le cadre européen ou international (par exemple avec le colonialisme). Elle se drapa toujours dans le drapeau tricolore, pour mieux le trahir ensuite. Les travailleurs étant régulièrement sacrifiés sur l’autel de ses intérêts, on ne saurait les tenir pour responsables de sa folie meurtrière. Les entreprises de culpabilisation des classes populaires, menées depuis les années 1970, ne peuvent apparaître que pour ce qu’elles sont : des outils servant à désarmer, désorienter et à diviser la résistance à la véritable oppression capitaliste dans son stade mondialisé. Bien au contraire, les classes populaires maintiendront l’honneur de la France et l’attachement à ses valeurs quand l’oligarchie du capitalisme « national » passera à son extension mondialiste.

L’oligarchie mondialiste contre les Peuples

En effet, dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les classes dirigeantes françaises ont bien compris qu’une nouvelle époque s’ouvrait pour le capitalisme (le fameux plan Marshall). Sur les ruines de notre pays, elles allaient entreprendre une vaste braderie de notre indépendance nationale. Le phénomène de mondialisation de l’économie ouvrait de nouveaux terrains à sa soif de richesse, le carcan national devait voler en éclats.

L’ouverture de la France aux capitaux et aux entreprises américaines, puis la construction du Marché Commun Européen permirent à de nombreuses « entreprises familiales » françaises de s’internationaliser et de conquérir des parts de marché non négligeables (voir le cas emblématique de l’Oréal). Ce virage mondialiste allait s’accélérer dans les années 1970 et 1980, de nombreuses firmes, poussées par la quête d’un taux de profit satisfaisant, s’acharnèrent à détruire le tissu industriel français par des restructurations et délocalisations sauvages avec la complicité des gouvernements successifs. Dans cette oeuvre, le grand patronat français joua à fond son rôle et ne laissa aucune chance à des millions de travailleurs réduits au chômage ou à la précarité. Il y gagna le droit de prendre sa place au sein des quelques multinationales qui se partagent les marchés mondiaux.

A l’heure actuelle, certains de ses représentants manifestent leurs talents dans l’exploitation, en se hissant aux premiers rangs de l’oligarchie internationale. Au niveau politique, on assista au même phénomène, les institutions supranationales intégrant les dirigeants français de Droite comme de Gauche. Du FMI aux institutions « Européennes », ceux-ci surent faire preuve de servilité à l’égard des nouvelles règles et amener la France à se « moderniser » par des privatisations massives et la disparition des dernières lois sociales. Le vieil impérialisme français participa lui aussi à cette affaire, en tentant de conserver ses prés carrés (l’Afrique de l’Ouest, le Liban, la Méditerranée) et de profiter de son intégration à l’OTAN afin de concourir à la défense de l’ordre capitaliste mondial qui lui concèdera toujours quelques miettes.

L’arrivée aux affaires d’Emmanuel Macron est la dernière étape de cette intégration des élites française dans l’oligarchie mondialiste. Pour participer à cette vaste curée, les représentants français ont intégré et fait leur, l’idéologie dominante de la globalisation des échanges marchands tous azimuts (« le monothéisme de marché »). Ils se sont parfaitement adaptés et sont totalement intégrés à ce système de domination mondiale, servant leurs propres intérêts dans un monde de concurrence effrénée et ne se sentant plus appartenir à la Nation française.

Ce phénomène de rupture entre, d’une part, les élites mondialisées donnant le spectacle du nomadisme au sein du village mondial consumériste et, le Peuple d’autre part, s’avère être une clé d’analyse importante afin de comprendre l’acharnement dont firent preuve les classes dirigeantes dans le musellement de la volonté populaire. La peur du retour du Peuple français, de sa prise de conscience des dysfonctionnements de la société, de ses conséquences et des ravages du capitalisme, mine la bonne conscience de nos maîtres. En s’attaquant à la souveraineté populaire et nationale, ils pensent pouvoir conserver leur régime d’aliénation et d’exploitation. Mais rien n’est moins sûr …

La Nation aux travailleurs !

Une rupture radicale doit être clairement faite, aussi bien, avec les conceptions libéral-conservatrices et bourgeoises de l’idée nationale qu’avec les tenants d’une mondialisation « post nationale » (qu’ils soient des représentants des multinationales, des intellos bobos ou les derniers rejetons des groupuscules gauchistes). L’enjeu est de faire le lien entre la question nationale et la question sociale, c’est-à-dire de poser clairement la priorité de la libération de la France et de l’Europe de la domination capitaliste, ce qui aurait par voie de conséquence une portée internationale essentielle.

Dans le cas français, le cadre national est riche en perspectives novatrices et révolutionnaires que nous ne devons pas laisser corrompre ou dénigrer par les discours démagogiques et les illusions de ses récupérateurs ou opposants. Historiquement porteuse d’un esprit frondeur et rebelle, la France est née de l’idée que toute injustice devait obligatoirement donner naissance à une résistance capable de la vaincre. Que la liberté de la Nation et de son Peuple ne pouvait être divisée, que la communauté nationale offrait à l’individu un cadre pour son épanouissement en lui garantissant la solidarité de l’ensemble de ses concitoyens. « Un grand peuple ne vit pas de son passé, comme un rentier de ses rentes » comme l’écrivait Bernanos, il nous appartient de redonner son sens à ses anciennes notions de justice, de liberté et de souveraineté populaire. L’oligarchie qui nous dirige ayant renié la Nation, les travailleurs doivent la réinventer et en faire tout autre chose.

C’est dans cette optique que nous mettons en exergue l’idée de Nation des travailleurs, signifiant avant toute chose le renversement du rapport de force entre le capital et le prolétariat (immense majorité de la population). La domination réelle du capital bien qu’ayant fait diminué en quantité relative la classe ouvrière traditionnelle (délocalisation et chômage de larges secteurs industriels) n’en a pas moins plongé la majorité des travailleurs et des chômeurs dans une situation de prolétarisation, c’est-à-dire de précarité grandissante du point de vue de leurs conditions d’existence la plus élémentaire. Face à cette attaque de grande envergure déclenchée par le capital, la réponse adéquate ne passe pas par trente six mille chemins. Les illusions réformistes ont fait long feu. Il n’y a qu’une seule solution, celle de renverser le rapport de force, non pas simplement de manière ponctuelle en essayant, même si cela est légitime, de compenser les pertes « économiques » de niveau de vie mais en tentant d’établir une hégémonie politique en faveur du plus grand nombre : le prolétariat, et cela afin que ce dernier dépasse sa condition.

Pour l’instant, le cadre national est l’instrument le plus adéquat au sein duquel le prolétariat peut redonner sens à sa vie sans être atomisé dans une néo barbarie sociale, qui serait son seul horizon possible avec le maintien du système en place. Le France dispose des moyens ( pas pour longtemps ) d’exercer sa puissance souveraine et de choisir ses grandes orientations comme celles de sortir de l’OTAN, du carcan d’impotence de l’UE en proposant aux autres peuples européens une voie autonome de destin, par exemple. De même sur le plan intérieur, il s’agit de combattre ce qui peut malheureusement apparaître comme une « fatalité » économique, la condition au plus haut point précaire et soumise à la contingence la plus arbitraire, imposée aux classes populaires par le capital.

La socialisation des conditions de production et de distribution n’a pas uniquement une portée économique. Sa signification l’outrepasse. Il s’agit de renverser les finalités de l’être social qui sont actuellement aliénées au productivisme et au consumérisme par le processus d’instrumentalisation/manipulation des consciences. Sans se faire d’illusions sur la nature humaine, nous pouvons raisonnablement soutenir la thèse selon laquelle le capital dans sa domination réelle (soumission du rapport social à l’économie productiviste) entrave toute créativité humaine chez la plupart des hommes. Le socialisme prend alors le sens de participation consciente de chacun aux décisions le concernant sur le plan social. C’est notre réponse à la question de l’identité nationale qui ne se situe pas dans une essence intemporelle mais dans un effort constructif et qualitatif de la part d’un peuple prenant ses destinées en mains, y compris dans le contexte international de la lutte de classe et de la lutte pour une vision culturelle d’ensemble (monde multipolaire dans lequel l’Europe a son mot à dire).

En France, la conscience nationale fut toujours naturellement liée à une conscience socialiste et révolutionnaire forte dans le mouvement ouvrier. Elle connaît aujourd’hui un regain d’intérêt causé par le fait que toutes les attaques dont sont victimes les travailleurs français viennent de la logique d’un capitalisme mondialisé et de structures transnationales . Pour cela, la Nation peut servir de base à la création d’un rapport de force politique favorable car elle est encore un frein à l’extension de la globalisation et un lieu d’expression pour la solidarité. Elle est un levier pour faire basculer le Peuple dans le combat pour sa libération nationale et sociale.

Le rôle de la Nation dans la construction du socialisme

Car le débat sur la question nationale nous ramène à celui du choix de société dans laquelle nous voulons vivre. Pour nous, qui combattons pour le socialisme, nous ne voulons pas nous libérer de l’oppression du capitalisme mondialiste, pour retomber sous le joug d’un capitalisme « national ».

Dans un premier temps, la (re)nationalisation totale des secteurs clés économiques et des services publics doit permettre de remettre au service du peuple, l’outil économique. Le retour dans le cadre national de larges pans de la production et de la distribution économique s’accompagne d’une socialisation progressive de la Nation. Ainsi les conseils d’entreprise seront amenés à diriger l’activité de ces nouvelles structures. Cela passe par une redéfinition des besoins et des moyens de les satisfaire par une praxis sociale non aliénante. La dimension de la coopération des producteurs doit être l’axe central de cette nouvelle praxis, celle qui justement ne les réduirait pas à être de simples agents économiques.

Cela a, par exemple, de vastes répercussions sur le rôle de la formation, de l’éducation qui doit fournir aux travailleurs les outils leur permettant d’intervenir « théoriquement » dans le cadre de leur activité (cf. les analyses de Marx lorsqu’il explique que le travail devient de plus en plus « théorique »).

A partir de là, il ne faut plus considérer la technique sous son seul aspect de l’arraisonnement du monde mais comme pratique dialectisée par l’enrichissement du lien social. C’est la réponse au débat biaisé sur la croissance /décroissance. La liberté est toujours au-delà de la nécessité, en conséquence il n’y a un destin de la domination technique productiviste à croissance exponentielle que parce que la téléologie propre à l’être social est sous l’emprise de la domination réelle du capital. Dit autrement, le travail n’est pas que du travail ! Il peut apparaître comme lien social non aliéné s’il débouche sur autre chose que sur la seule préoccupation de la nécessité économique.

Ontologiquement, il est moyen de produire et de reproduire ses conditions d’existence au sens large, en d’autres termes il ne permet pas seulement de vivre mais de « bien vivre », c’est-à-dire non dans l’illimité de la quête marchande et financière mais dans l’ouverture à sa signification communautaire et à la réalisation personnelle des individualités.

Concrètement, un système de production et de distribution socialiste prendra en compte d’autres critères que la recherche du profit. On peut imaginer sans mal que les conditions de travail, la recherche de la qualité des produits, la valorisation de la production décentralisée et locale, le respect des équilibres naturels, seront des objectifs tout à fait réalisables pour ce nouveau rapport social.

Communautés locales : un rôle crucial dans la socialisation

Au cœur de notre réflexion et de notre action, l’idée de la socialisation est à nos yeux la seule solution pour que chacun s’habitue à prendre une part active et consciente au travail qui a toujours une portée collective et cesse d’être instrument ou spectateur passif de la domination capitaliste. La socialisation doit s’appuyer sur des bases « saines » (c’est-à-dire non mercantiles et liées à l’idée de solidarité et d’un minimum de décence morale commune, la « common decency » d’Orwell) que représentent les rapports humains authentiques existant encore dans nos sociétés.

Pour cela, les communautés locales constituées par des communes populaires auront un rôle très important à jouer. Partisan de la subsidiarité, nous pensons qu’une articulation est possible entre les divers niveaux de compétence. Il s’agit évidemment du fameux principe de subsidiarité évoqué par les instances de l’UE mais qui pour cette dernière est un peu comme l’Arlésienne que l’on attend toujours… Cela n’est d’ailleurs pas si étonnant que cela car ce principe se situe aux antipodes du fonctionnement de la société capitaliste, de ses nécessités fondamentales. La subsidiarité consiste si l’on veut le dire le plus simplement du monde à s’occuper de ce qui nous regarde ! Justement, la démocratie représentative si chère au capital contemporain consiste à nous faire croire que l’on s’occupe, grâce à elle, de ce qui nous regarde. Le citoyen y est invité à participer à sa propre mystification et à s’identifier aux décisions inhérentes au fonctionnement optimal du capital dans sa quête illimitée du profit. Restent alors quelques miettes de pouvoir et de prébendes concédées à ceux qui veulent bien entrer dans le jeu de la politique du système.

Il est étrange que l’on ait peu insisté sur la compatibilité du socialisme et de la subsidiarité. Le premier ne peut vraiment se concrétiser et répondre aux attentes des citoyens que par le moyen de leur large participation à l’élaboration des orientations les concernant le plus immédiatement, c’est-à-dire sur le plan local plus ou moins proche selon les circonstances. Quant au second, si l’on ne veut pas seulement l’envisager comme une simple figure de style, il ne peut gagner en contenu que dans la mesure où il pourrait donner forme aux aspirations les plus communautaires et non à l’imposition d’intérêts particuliers à la majorité.

C’est en ce sens, la concrétisation des termes du Contrat Social évoqué par Rousseau, qui a été trop souvent mal compris. Qu’ « il n’y ait pas de sociétés particulières dans l’Etat » écrit le philosophe. On croit devoir lire cette affirmation comme étant un plaidoyer pour la centralisation artificielle à tout prix. C’est à notre avis un contresens puisque l’auteur précise que s’il doit en exister (réalisme !) il faut alors favoriser leur multiplication ! Comment alors les articuler si l’on veut qu’en résulte la « volonté générale » (qui n’a rien d’abstraite !).

Réponse : par la subsidiarité, c’est-à-dire par l’espace public se dégageant de la discussion concernant ce qui semble être le plus pertinent pour telle ou telle instance communautaire existant à telle ou telle échelle ; les communautés plus larges (au sens d’instances de décisions à portée plus large comme la région par rapport à la commune et ainsi de suite) englobant celles du stade inférieur non pour les phagocyter mais pour leur donner les moyens d’exister dans un monde complexe (par exemple, questions de sécurité nationale, approvisionnements divers, etc.).

Sans entrer dans une description de notre futur qui serait utopique, qui ne perçoit qu’un tel fonctionnement porte en lui l’empreinte de la socialisation de nombreux facteurs de notre activité, de notre existence sociale ? Les nouvelles réalisations que le Socialisme apportera ainsi, laissent entrevoir un vaste champ du possible pour faire revivre les collectivités et communautés locales. L’attachement à des cultures enracinées ne sera nullement incompatible avec la participation à cette transformation radicale de la société. Elles trouveront leur place naturellement dans cette nouvelle organisation.

Mais nous devons préciser qu’une relative centralisation sera toujours nécessaire. Si la relocalisation de l’économie veut être efficace, elle doit être coordonnée au niveau de la France et de l’Europe par une planification intelligente dans le domaine de la production et de la distribution. Nous ne pouvons que souscrire à l’analyse d’un collectif issu du PCF sur la question de la centralisation: « Elle constitue la meilleure garantie dans l’élévation de la productivité, dans la lutte contre les gaspillages, dans la diminution de la bureaucratie. De plus, c’est elle qui assure un développement homogène de la communauté nationale sur l’ensemble du territoire. (…) La première des libertés locales reste la liberté de pouvoir atteindre un niveau de développement identique aux autres collectivités. (…) Un contre-exemple remarquable à l’efficacité de ces politiques peut être celui de l’Espagne où peuvent se côtoyer une Catalogne richissime et un Sud du pays en quasi sous-développement. L’homogénéité des niveaux de vie à l’intérieur du pays ne peut donc se faire que par une répartition des richesses par l’action de l’État central. En revanche, il convient que l’élaboration des politiques mises en œuvre par la nation soit un projet concerté, associant les citoyens de base, par l’intermédiaire de structures locales, aux pouvoirs importants, qui soit le fondement de la démocratie dans le pays. De même, il est impératif que la mise en place réelle des politiques de développement se fasse, sur le terrain, par des organismes responsables et révocables par les citoyens en cas d’incompétence, de mauvaise volonté ou de procédés douteux [1] ».

La crise économique et financière actuelle laisse entrevoir la possibilité de sortir du capitalisme. Il est nécessaire de décoloniser notre imaginaire de la marchandise, selon la formule de Serge Latouche (de son existence sensible/suprasensible, ajouterons-nous avec Marx), et de proposer une alternative viable au système capitaliste. Cette alternative ne saurait prendre la forme d’un inenvisageable retour à un mirifique âge d’or et ne sera en aucun cas unique, mais conforme au génie propre de chaque culture. Elle devra nécessairement tenir compte de la finitude de la Terre et de ses productions naturelles et sera donc libérée du tropisme du consumérisme. L’Europe, et plus généralement les pays du Nord, devront repenser intégralement leur système de production et de consommation pour le rendre compatible avec les limites des ressources naturelles. La théorie de la décroissance signifiant pour nous la fin de l’accumulation capitaliste, fin inhérente au socialisme, pourrait être le paradigme permettant de concilier le caractère prométhéen de la civilisation européenne (non réductible à l’économisme) et la réduction de notre empreinte écologique. Elle préconise entre autres choses de relocaliser la production des biens et des services, et par voie de conséquence, les emplois. Elle est en ce sens un frein à la mondialisation car elle conduit au réenracinement en s’opposant à la logique de la nomadisation. Elle s’articule logiquement avec une conception subsidiariste de la société dans le cadre d’une Europe réellement fédérale que nous appelons de nos vœux.

NOTE

1>Collectif, « L’idéologie Européenne », Editions Adem, 2008.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.