Entretien avec Massimo Fini : l’éternel dissident

Personnage iconoclaste, Massimo Fini est aujourd’hui l’un des derniers grands journalistes et dissidents d’Italie. Il est un témoin exceptionnel non seulement de la vie politique italienne, mais également des « vices obscurs » (comme il aime les appeler) de l’Occident. Auteur de plusieurs livres totalement en contrecourant avec la doxa dominante et convenue, Fini a trempé sa plume acérée pour la mettre au service de la biographie (Néron, le mollah Omar, Catilina, Nietzsche), de la critique de l’Occident, de la décroissance, des rapports entre les genres et de l’autobiographie. 

Cette riche interview est alors une porte d’entrée incontournable pour faire la connaissance de l’un des derniers (sinon le dernier) des grands dissidents italiens. Fini s’y livre à bâton rompu sur un grand nombre de sujets : de sa rencontre avec Pier Paolo Pasolini à Silvio Berlusconi, de l’Iran à l’Afghanistan, de Thomas Sankara à Muhammad Kadhafi, de la politique italienne à Emmanuel Macron et Donald Trump. Sans oublier son thème favori – la critique de l’Occident, et son souhait d’une humanité finalement délivrée par la tyrannie du consumérisme, apaisée et digne. 

Entretien et traduction de Maxence Smaniotto

R/ Monsieur Fini, tout d’abord, merci pour nous avoir concédé cette interview. Nos lecteurs, et pas que, font toujours état d’un profond intérêt envers l’Italie et sa contre-culture. Beaucoup ici ont subi le charme d’Enrico Malatesta, de Hugo Pratt, de Gabriele D’Annunzio, de Pier Paolo Pasolini, sans parler de Gramsci. En est-il de même pour l’Italie ? Il arrive parfois d’entendre parler, dans les cercles italiens, d’auteurs français. Avez-vous, monsieur Fini, des références françaises qui ont enflammé votre jeunesse ou votre présent ? 

Oui, il y a des auteurs français que j’ai beaucoup lu et apprécié, comme Camus ou Rimbaud. Ma culture est pas mal francophone. Mes parents ont vécu à Paris entre 1930 et 1940. C’était une Paris extraordinaire, où des intellectuels sans le sou, comme l’étaient mes parents, avaient la possibilité de fréquenter des artistes locaux qui, mis à part Picasso et Dali, étaient pauvres eux aussi. Donc, ils se rencontraient tous ensemble. Il y avait le boulevard dit « des Italiens », c’était le boulevard Saint-Michel, où ils se donnaient rendez-vous. 

Une autre part de ma culture est russe, car ma mère était Russe. Là, la transmission était directe : les auteurs russes demeurent pour moi fondamentaux, de Dostoïevski à Tolstoï à Gogol. Cependant je dirais qu’il y a davantage d’intérêt de la part des Français pour l’Italie que des Italiens pour la France. Cela tient aussi au fait qu’ici, en Italie, nous avons eu un très grave effondrement du niveau culturel… Tout cela a commencé avec les divisions entre les partis politiques et la ravageant arrivée des « commerciaux » de Silvio Berlusconi. Culturellement, nous sommes descendus très bas, vraiment. Certes, nous avons-nous aussi des niches qui survivent ici et là, mais elles restent très marginales. 

Certains de vos livres sont publiés en France par les éditions le Retour aux Sources. Donc le public français vous connaît grâce à L’Argent, excrément du démon et aux deux pamphlets Le vice obscur de l’Occident et La démocratie et ses sujets. C’est dommage, car vous êtes également un excellent biographe à contrecourant. Vos écrits sur Néron, Catilina et, surtout, le Mollah Omar sont suscité à la fois scandale et admiration. Pourquoi avoir choisi ces trois figures historiques ? Qu’est-ce qu’elles représentent pour vous ? 

Avant, mon éditeur était Mondadori, mais je suis parti quand Silvio Berlusconi l’a racheté, et cela pour éviter de devoir faire le typique « J’accuse » où je critique Berlusconi tout en gagnant de l’argent grâce à lui. Bon, bref… Marsilio, mon éditeur actuel, et moi nous nous sommes toujours bien entendus, mais Marsilio est, à l’étranger, assez faible, il n’a pas de grands moyens. C’est pour cela que les livres que vous citez ont été publiés pour une petite maison d’édition et non pas pour une grande.  

Pourquoi ces figures historiques ? Tout d’abord, il s’agit de personnages en contre-courant. Catilina parce qu’il est insulté à cause de sa célèbre conspiration. En réalité il s’agissait d’une tentative de limiter le pouvoir du Sénat romain, qui était composé principalement de propriétaires fonciers, en faveur du peuple – et pas seulement. C’était ça, Catilina. C’est un homme qui me fascine beaucoup, car il sait très bien qu’au fond de son histoire il y a la mort, mais il y va tout de même. C’est un homme avec de grosses couilles, voilà. C’est peut-être le personnage que j’admire le plus, comme on pourrait admirer un Che Guevara, disons. 

Néron est une figure beaucoup plus complexe, mais au même temps plus intéressant, car moins linéaire. Néron est une sorte de prince de la Renaissance en avance sur son époque ; et en même temps, un voyou qui croque la vie à pleines dents. Néron a accompli toute une série de réformes très importantes, comme sur le plan fiscal, abolissant les taxes indirectes sans augmenter celles directes, le tout grâce à une politique qu’on pourrait définir « keynesienne », centrée sur les grands œuvres. La Domus aurea en est un exemple, mais nous pourrions en évoque davantage. Lorsque je commençai à rédiger sa biographie, j’ignorais combien les mensonges sur son compte étaient graves et éloignées de la vérité. Du reste, il suffirait d’aller visiter ce qui est resté de la Domus aurea pour comprendre que le monde de Néron était un monde solaire, pas du tout ténébreux. Il fut, avec Hitler, l’homme le plus insulté de l’Histoire. Il faut bien dire que l’historiographie contemporaine ne se base plus sur les écrits de Tacite, qui le détestait car il faisait partie de cette caste de Sénateurs que Néron ne finissait plus d’attaquer. Maintenant, les nouvelles études tentent de rééquilibrer un peu les choses. Au lieu de s’occuper des tendances sexuelles de l’empereur, maintenant ils s’occupent des choses importantes qu’il fit. Néron fut à l’origine de la première dévaluation officielle de la monnaie. Ce fut une initiative qui, malgré la damnatio memorie, ils ne purent pas retirer. En outre, il a reconstruit Rome en s’appuyant sur un plan urbanistique qu’est encore aujourd’hui étudié dans les écoles d’architecture. L’historiographie universitaire réévalue Néron, certes, mais reste le fait que cet empereur continu d’être injustement méprisé. 

Pour ce qu’est du Mollah Omar, il s’agit d’une historie plus récente, et concerne de près ce qui se passe en Afghanistan. L’histoire commence avec l’invasion soviétique, en 1979. A l’époque Omar est un jeun moudjahidin qui combat contre l’envahisseur. Il a dix-huit ans, il perd un œil pendant un combat, est ultérieurement blessé, mais continu de combattre et, une fois la guerre terminée, il rentre dans son village. Entretemps commence la guerre civile, où les Seigneurs de la Guerre luttent entre eux pour le pouvoir. Leur domination se distingue par les assassinats, les viols, les expropriations… les protagonistes de cette guerre sont Massoud, Ismaïl Khan et bien d’autres encore. C’est à cette époque qu’Omar intervient. Le premier épisode qui le voit protagoniste est celui où deux filles sont enlevées par les subordonnés de ces Seigneurs de la Guerre. Elles sont emmenées dans leur camps, et là, violées à répétition. Omar part alors avec seize camarades ; ils sont armés avec de vieux fusils, mais ils arrivent à délivrer les filles, puis ils pendent le chef de la bande sur la place publique, comme il est juste qui soit. A partir de là, Omar devient un peu un Robin des Bois, et les gens s’adresseront à lui pour réclamer justice. Il fondera alors le mouvement des Talibans. Eux ne le savaient pas qu’ils étaient Talibans, ils n’étaient que des étudiants dans les madrasas (« Taliban » signifie « étudiant » dans leur langue), et ils finiront par prendre le pouvoir en Afghanistan. Les six années de pouvoir du mollah Omar, entre 1996 et 2001, seront les seules années de paix dans ce pays. Certes, sous une loi très dure, qui est celle de la sharia, mais qui n’était pas non plus étrangère au 90% de la culture afghane, qui correspond, disons, à celle des campagnes, les villes étant une chose à part. Ensuite arrivera l’intervention américaine, avec comme prétexte que les Talibans auraient eu quelque chose à voir avec l’attentat au World Trade Center. C’était faux, car il n’y avait aucun Afghan, et encore moins de Talibans, parmi les kamikazes, et qu’il n’y en avait pas non plus dans les repaires, vrais ou pas, d’Al-Qaïda. Il a été successivement prouvé que les dirigeants talibans de l’époque n’étaient pas au courant des préparatifs de cet attentat. Mais cela n’a pas empêché les Occidentaux de mener une guerre qui a duré vingt ans, et dont les dégâts ont été beaucoup plus importants que ceux infligés par les Soviétiques. Ces derniers ont fait des dégâts matériaux très importants. Nous, outre à ça, leur avons infligés également des dégâts moraux car, en bons lèches-bottes des USA, avons tenté de corrompre ces gens, de les emmener de l’autre côté. Ashraf Ghani, qui est aujourd’hui le président d’Afghanistan, mais qu’à l’époque avait un autre rôle, affirma que ce fleuve de dollars avait corrompu l’intégrité du peuple, les rendant ennemies les uns pour les autres. 

C’est une guerre vraiment… sans aucun sens, et qui a causé un nombre incalculable de morts, et qu’à la fin nous avons, comme il est juste qui soit, perdue. C’est ce que j’avais préconisé dans plusieurs articles, bien avant d’écrire le livre sur le mollah Omar. Il faut dire que, lorsque les troupes occidentales ont commencé à partir, ils ont interviewé tout le monde, y compris des gens qui ne savaient pas bien situer l’Afghanistan sur la carte, tandis que personne ne m’a interviewé. C’est là un autre exemple de l’émargination capillaire que moi et d’autres subissons. Indro Montanelli, en une préface qu’il avait rédigé pour l’un de mes livres, avait affirmé : « Ils feront tomber sur lui le silence, qu’est la forme moderne utilisée pour taire ceux qui ne rentrent pas dans les cases ». 

C’est la damnatio memoriae des temps modernes !

Oui, c’est ça ! Et qui est bien plus insidieuse, car… disons que si t’es envoyé en exil pendant le fascisme, au moins tu peux trouver de la force dans ton opposition au régime, tandis que si t’es censuré… c’est plus subtil et insidieux. Ils me sont arrivés des choses de ce type en d’autres occasions, comme avec le seul spectacle télé que j’avais crée, Cyrano, où je n’étais même pas realisateur. Ils l’ont bloqué la veille de son lancement. Bon, après nous sommes arrivés à le jouer au théâtre, je me suis régalé, le spectacle eut un franc succès. J’était avec une troupe théâtrale, ce n’était pas un one man show. En tout cas, je ne puis plus mettre les pieds sur un plateau télé, ou sinon c’est très rare. 

Cela me fait penser à Donal Trump, même si dans une situation totalement différente. Il ne s’agit pas de notre modèle de référence, ici, mais il est néanmoins sidérant de constater comment les réseaux sociaux aient pu décider de taire le président des USA. 

Voilà, Donal Trump est à mon sens un exemple très bon. Trump, contrairement à Hillary Clinton et à Barack Obama, est franc et direct. Certes, il est ce qu’il est, mais au moins tu sais avec qui t’as à faire, tandis que les autres, là, ce sont des hypocrites qui font pareil, peut-être pire encore, mais avec la prétention de rester les défenseurs de la morale internationale. La présidence Trump fut une période importante, car finalement je pouvais critiquer les USA, et je n’étais plus seul à le faire. Cependant, les autres ne critiquaient pas les USA pour ce qu’ils sont, mais seulement parce qu’il était permis de critiquer Trump ! 

L’Occident ne semble pas tenir une place privilégiée dans votre cœur. Pourquoi ? D’après tout, son modèle néolibérale, individualiste et démocratique semble susciter l’adhésion de la plupart des peuples de la planète, tandis que les autres sont traités de rétrogrades qu’il faudrait éduquer. Le coefficient de Gini, qui semble être devenu un dogme parmi les néolibéraux, montre que les pays où la démocratie et le libre marché triomphent, la répartition des richesses est plus étendue tandis que les inégalités tendent à diminuer. Votre critique va en profondeur, et remet en question les bases mêmes sur lesquelles dresse l’Occident et sa démocratie…

L’Occident a ce vice obscur de vouloir imposer, avec les bonnes, mais plus souvent avec les mauvaises manières, son modèle et ses valeurs aux autres pays, là où ces valeurs n’ont rien à faire. L’Afghanistan est un exemple, mais on en pourrait évoquer bien d’autres, comme l’Amérique latine. L’Occident fait la promotion d’un modèle totalitaire. Avec des bonnes intentions, certes, mais souvent les meilleures intentions se révèlent être au fond les pires. 

Je critique l’Occident sous plusieurs aspects. A l’extérieur, il est totalitaire, tandis qu’à l’intérieur, il est un système qui a augmenté immensément les inégalités, tout comme il les a augmenté entre nous et les pays dit « du Tiers Monde ». La distance qu’il y a entre nous et les peuples africains est aujourd’hui plus grande que pendant le colonialisme. Evidemment je ne cautionne nullement le colonialisme, mais à cette époque, on accaparait les matières primaires et c’est tout. Le colonialisme d’avant n’avait pas pour vocation de modifier les liens sociaux, la façon de vivre de ces peuples. Nous, au contraire, avons voulu changer même cela, détruisant ces communautés. Elles étaient des communautés très soudées, et dans ces contrées, lorsque t’as à manger, un toit sur la tête et des fringues, leur vie ne changeait pas beaucoup. Maintenant l’Afrique est détruite. Voici quelques années y eût une rencontre du G8 – à l’époque c’était encore le G8 pas le G7. Il y eût en même temps une contre-rencontre de pays du Tiers Monde, avec le Bénin en tête, et le firent au cri de : « S’il vous plaît, ne nous aidez plus ! ». 

Même lorsqu’il y a de bonnes intentions, en reproduisant ailleurs notre modèle occidental, on y crée certains types de situation qu’on voit à l’ouvre chez nous aussi, c’est-à-dire de la jalousie, de la compétition. Ce qui a comme effet de détruire la solidarité d’une communauté. 

Cela n’a pas eu lieu seulement en Afrique, mais également chez nous. Quand j’étais gosse, il n’y avait pas de différences entre nous. Il y avait une petite couche sociale de bourgeois qui avaient la décence de ne pas se montrer. Entre nous il n’y avaient pas de différences basées sur qui a une marque de vêtements plutôt qu’une autre. Ces choses n’existaient pas. Certes, nous étions pauvres, mais nous avions un sens de la solidarité, de la communauté, que nous avons complètement perdu. Je parle de l’Italie, mais je suppose qu’en France c’est pareil. 

Nous avons oublié l’enseignement de Claude Lévi-Strauss, qui nous apprenait que chaque pays a sa culture, qu’elle se compose de poids et contrepoids, mesures et contremesures… on ne peut pas prétendre lui enlever quelque chose qui ne nous plaît pas ! Si on le fait, on détruit un monde. L’exemple des femmes dans l’Islam est très parlant. Si tu enlèves ça, le voile etc., tu détruis le monde musulman. L’Occident utilise beaucoup cette stratégie, aussi parce qu’ainsi faisant il obtient le soutien des femmes occidentales. Le problème est que l’Islam et l’Occident sont deux civilisations totalement différentes. Aujourd’hui nous payons cher la montée de ce type de néofemminisme. Chez nous les femmes n’enfantent plus. En Italie le taux de natalité est de 1,3 enfants par femme – c’est le taux le plus bas après celui du Japon. Pour avoir un renouveau générationnel il faut avoir au moins 2. Au Moyen-Orient, le taux est de 2,5, tandis que dans certains pays africains il est de 5. Donc, et cela pour une raison très simple, d’ordre démographique, ils finiront par nous submerger. Et les obus de Mr. Salvini (je suis désolé de parler de ce type d’individus si rebutants) ne serviront à rien pour arrêter ce processus. 

Vous êtes un témoin d’exception de la vie politique et culturelle italienne, et cela depuis les années 60. Les Français connaissent peu et mal l’histoire politique italienne, et la plupart ignorent que l’Italie actuelle est née sur les cendres de ce que les journalistes ont appelé Première République. En 1991 commence la série d’enquêtes judiciaires désignée comme « Mani Pulite » (Mains propres, N.d.T.]. Le résultat : les partis traditionnels qui structuraient le panorama politique italien s’évanouissent, ses membres se recyclent. Le résultat : plus de vingt ans de politique hédoniste dominée par Silvio Berlusconi. Qu’est-ce qui s’était passé ? Qu’est-ce qui a permit l’arrivée au pouvoir de Berlusconi ? Et, surtout, qui est Silvio Berlusconi selon vous ? De quoi est-il le nom ? 

Eh, qu’est-ce qui s’est passé… il s’est passé qu’en 1992 et 1994, la Magistrature italienne, et plus particulièrement celle milanaise, avec des personnages exceptionnels comme Saverio Borelli, Ilda Bocassini et Antonio di Pietro, convoqua pour la première et, probablement, dernière fois dans notre historie italienne, la classe dirigeante afin qu’elle réponde devant les lois auxquelles nous tous sommes également soumis. On découvrit ce dont tout le monde était déjà un peu au courant, c’est-à-dire la profonde corruption des partis et de la classe entrepreneuriale. La partitocratie est un grand problème en Italie. Ce fut l’occasion, pour la classe dirigeante et entrepreneuriale, de trouver une rédemption, disons pour emprunter une voie décente. Mais que s’est-il passé ? En l’espace de seulement quelques années, disons deux ou trois, les magistrats sont devenus les vrais coupables, les voleurs les victimes et souvent les juges les victimes de ces voleurs. C’est là que commence toute la dérive à laquelle nous assistons aujourd’hui. Il est désormais difficile trouver, non seulement parmi les juges et les entrepreneurs, mais également parmi les simples citoyens, ces valeurs qui étaient présents dans les années 50, comme l’honnêteté, la dignité, la sobriété, car désormais même le citoyen lambda se dit « Et quoi ? Il n’y a que moi qui doit être le dindon de la farce ? ». La conséquence : une corruption endémique à laquelle il est difficile de résister. 

Ensuite il y a l’appartenance. Je ne parle pas de la carte du parti, car aujourd’hui personne n’est assez idiot pour penser qui faut l’avoir ; je parle d’appartenance à un lobby plutôt qu’à un autre. Et cela a comme effet de détruire le mérite. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de nos jeunes, et je ne parle pas seulement des gros cerveaux, mais également des petits cerveaux, émigrent. L’Italie est aujourd’hui un pays profondément corrompu, à des niveaux fous. Nous nous retrouvons à des niveaux pénibles, en une situation où, je dois bien le dire, je me trouve très mal à l’aise. 

Les enquêtes du pool Mani Pulite fut décisif. Cela aurait pu être le moyen, pour notre pays, de redevenir normal, mais cela n’a pas pu se réaliser. 

Silvio Berlusconi, à votre sens, est-il un symptôme de ce dont vous parlez ou est-il plutôt une pièce de l’engrenage du système dont il fait partie ? 

Il est les deux choses à la fois. Derrière Berlusconi il y avait, et il m’attriste de le dire, Bettino Craxi, qui lui avait permis pendant une dizaine d’années de se prendre toute une part de la télévision italienne. Il est ensuite clair que l’Italien lambda naît avec Berlusconi et ses programmes télés dans la mesure où il a été influencé par ce type de culture. Berlusconi est donc d’une part le fruit du non-respect des lois italiennes. En France, Bernard Tapie a tenté de faire des magouilles, mais il a été durement sanctionné ! En un pays moyennant démocratique, une chose pareille ne peut pas avoir lieu, tandis que chez nous, c’est ce qui est arrivé. Berlusconi a pris un pouvoir immense, a fait des lois pour lui, et ainsi de suite. Mais au fond on ne peut pas l’accuser de toutes les maux. Il a fait ce qu’on lui a permis de faire. Certes, il a été un fléau pour l’Italie, mais nous sommes à un point tel qu’un individu comme Silvio Berlusconi, qui a une condamnation définitive pour extorsion fiscale, qui a neuf absolutions en raison de leur tombée en prescription, dont trois cas avaient été certifiés comme étant réels par la Cour de Cassation, qui a arnaqué, avec l’aide de l’avocat et ancien sénateur Cesare Previti, une mineure devenue orpheline dans des circonstances terribles, Annamaria Casati-Stampa, voilà, cet individu, que je ne recevrai jamais chez moi (plutôt je reçois Vallanzasca, qui est au moins lui est un bandit honnête), ce type, Berlusconi, ils sont en train de faire en sorte qu’il devienne président de la République ! Peut-être nous pourrions affirmer que Berlusconi représente le mieux et le pire des Italiens. Il est en quelques sorte le miroir de l’Italie. Des choses que même pas au Burkina-Faso arrivent… 

Au moins, le Burkina-Faso a eu Thomas Sankara… 

Thomas Sankara dénonça le colonialisme, celui de type nouveau, celui de la dette. En allant en Afrique, nous les avons étranglés avec la dette. Sankara fit un grand discours à l’Union Africaine (je l’ai publié deux ou trois fois, et je crois avoir été le seul à le faire en Italie), et ce n’est pas une coïncidence s’il fut tué deux mois après l’avoir prononcé. Il avait très bien compris la situation, mais cela n’étant pas permis, alors il fut éliminé. 

On pourrait évoque également le colonel Kadhafi. L’attaque à la Libye des Français, des États-Uniens et des Italiens, comme d’habitude là pour les suivre obséquieusement, est incroyable. Tout d’abord, c’est illégal sous tous les points de vue. Il n’y avait pas l’appui de l’ONU, il n’y avait rien pour justifier cette attaque. Cette intervention a créé la situation à laquelle nous assistons aujourd’hui en Libye, un pays où il n’est plus possible de vivre. Nous assistons continuellement à ces migrants désespérés qui sont disposés à traverser la Libye, qui est désormais un enfer composé de bandes… J’y étais, en Libye, avant la guerre. Kadhafi parvenait à y maintenir de l’ordre, et sans de grandes violences. Il favorisait un peu sa tribu, et c’est tout. On dit continuellement qu’on n’a pas su organiser l’après-Kadhafi. Mais il faut le répéter : cette attaque était totalement illégale ! Kadhafi s’est tiré une balle dans le pied en prononçant un discours à l’ONU, d’ailleurs très laïque, et où il affirmait deux choses fondamentales. Tout d’abord, que cette histoire selon laquelle tous les pays sont égaux est fausse, car il y a cinq pays qui ont le droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU. Et il disait, seconde chose, que l’intervention en Afghanistan était toute à revoir. 

A mon sens ce discours lui a couté la vie, comme pour Thomas Sankara.  

Revenons en Italie. Pier Paolo Pasolini demeure encore aujourd’hui une référence culturelle pour beaucoup de Français, et nous assistons aujourd’hui à un retour d’intérêt grandissant pour ce personnage, notamment grâce à ses Ecrits corsaires. Personnalité complexe, paradoxale, Pasolini était habité également par un côté sombre. Vous l’avez connu, pouvez-vous nous en parler ? 

Je suis content que les gens lisent Écrits corsaires, aussi parce que là-dedans il y a une interview que je lui fis. La première fois que je rencontrai Pasolini fut pour une interview, en 1972. Contrairement à d’autres personnes, que lorsque tu les interviewe tentent seulement de s’autoglorifier, Pasolini était une personne qui s’intéressait beaucoup à l’autre, à son interlocuteur. Finalement, ce fut plus un colloque qu’une interview. Nous nous trouvions sur la terrasse de sa maison, dans le quartier romain de l’EUR ; c’était une maison très bourgeoise. A un moment donné arrive sa mère, et là, Pasolini s’infantilise, il devient presque embarrassant, tout « gni gni gni » et ce genre de choses. Puis dans l’après-midi arrive Ninetto Davoli, et là nous avons encore un autre Pasolini. 

Le soir, Pasolini m’emmena dans un quartier particulier de Rome. Aujourd’hui ce quartier est tendance, mais à l’époque c’était une place très dangereuse de si rendre. On comprenait bien que Pasolini, d’une manière ou d’une autre, cherchait la mort. Ou tout du moins le risque, car on ne va pas dans ce quartier en Alfa Romeo, comme si rien n’était. 

Pasolini est mort comme ça, cela faisait partie de sa personnalité, il avait ce côté obscur. D’ailleurs, l’ombre d’un artiste est souvent la raison même à la base de sont essence d’artiste. La biographie de Proust est terrifiante, mais cela ne diminue pas l’importance capitale de A la recherche du temps perdu, au contraire, elle en est avec toute probabilité même à l’origine. Mais l’intelligentzia italienne, ne supportant pas ce côté sombre de Pasolini, dut s’inventer, surtout Oriana Fallaci, qu’il avait été tué par les Fascistes, car à l’époque tout devait être la faute des Fascistes. Les choses n’ont pas évolué, encore aujourd’hui c’est comme ça. 

Déjà alors les choses fonctionnaient ainsi, donc. 

Oui, c’était déjà ainsi à l’époque. Il est important de dire que si on se penche sur l’histoire d’Italie, et plus précisément si on lit les articles des journaux de l’après-guerre, on remarquera qu’il n’y avait pas cette violence verbale à l’égard du fascisme. Certes, il y avait le « Triangle rouge », mais ça c’est une autre histoire, c’est un cas particulier. Le fascisme ne fut guère, comme l’affirma sottement Benedetto Croce, une parenthèse de l’histoire italienne ; il en fut au contraire un moment. Avec des choses positives. Pensons à comment fut affrontée la crise de 1929, avec la création de l’IRI et de l’IMI, qui permit à l’Italie de résister à cette crise, que sans surprise démarra aux USA. 

Une autre chose à prendre en compte est aussi l’idée de donner à l’Italie un fondement, une idée d’État et de Nation. Ensuite, le fascisme fit une erreur grave en s’alliant au national-socialisme, et depuis, il est considéré comme l’horreur suprême. C’est que les guerres il ne faut pas les perdre, il faut les gagner. J’ai l’impression que si les démocraties continueront ainsi, on arrivera même à se demander si cela fut un bien que les pays démocratiques aient gagnés la guerre. 

Outre que biographe contrecourant, essayiste et journaliste, vous êtes également un fin connaisseur de l’Iran, un pays qui semble vous tenir particulièrement à cœur. Qu’est-ce qui vous attire dans ce pays ? 

Plusieurs choses. Dès que tu débarque à Téhéran, tu remarque tout de suite qu’il y a plus de femmes que de garçons. Elles doivent porter le voile, c’est leur tradition, mais bon. Comme me le dit une jeune et sympathique femme qui était directrice d’un magazine qui s’appelait Femme de Jour, au cours d’une réception où il y avait beaucoup de femmes, et dont le fait de se couvrir avec le voile choquait beaucoup de journalistes occidentaux : « Le problème du voile est un problème principalement occidental. Ce ne sont pas ceux-là nos problèmes. Nos problèmes à nous sont dans les campagnes, où les maris et pères font la loi, font ce qu’ils veulent, et ça ce n’est pas écrit dans le Coran ». Je dois dire que les femmes étaient beaucoup plus critiques et agressives à l’égard du régime que les hommes, plus lâches…

Dans le passé, l’Iran avait signé le traité de non-prolifération nucléaire, il n’a jamais enrichi l’uranium outre le 3% ou le 4%, qui est le pourcentage nécessaire pour des utilisations civiles et médicales. Mais malgré tout ça, l’Iran a été sanctionné ! Israël n’a pas ratifié le traité, il possède la bombe nucléaire, tout le monde le sait, et c’est Israël qui est laissé tranquille. Israël se permet de faire des choses que si n’importe qui d’autre les faisait… Le Mossad tue où et quand bon lui semble. En vertu de l’extermination des Juifs, les Israéliens se croient, à 75 ans de distance, tout permis. En outre ils sont la pointe de lance des USA au Moyen-Orient. Souvenons-nous de ce qui s’est passé à Gaza. Les Palestiniens lancent quelques roquettes que la technologie israélienne neutralise tout de suite, et à chaque fois il y a une réponse israélienne où ils éliminent vingt ou trente civils en un seul coup en disant qu’au milieu y pouvaient y être des Hezbollah. E ça, c’est un argument tabou en Italie. On peut écrire sur tout, mais pas sur Israël, ni sur la communauté juive plus en général. Sur ces thèmes, il faut être très vigilants, même dans des journaux très libres, comme dans Il Fatto quotidiano, où j’écris. Le directeur du journal, Marco Travaglio, me laisse écrire ce que je veux, lui est une personne très respectable, mais je ne veux pas le mettre en difficulté. Je suis moi-même en une position très particulière, car ma mère était Russe, mais d’origine juive, eh ! Mais ce n’est pas pour autant que j’estime qu’à 75 ans de distance, je doive avoir plus de droits que ceux que les autres possèdent. Un point et c’est tout. Si Israël en tant qu’État fait des atrocités, il est de notre droit et devoir de les dénoncer, comme n’importe quel autre pays au monde. Avant on faisait une distinction plus claire entre les membres de la communauté juive et les citoyens d’Israël. Si Israël commettait un crime, ce n’était pas logique de culpabiliser le Juif de Rome, et vice-versa. Mais aujourd’hui nous vivons dans une époque plus confuse là où jadis existaient des lois internationales, et où il y avait une conscience plus accrue de ces lois. 

Parlons un peu des Italiens. Depuis quelque temps, en France un certain nombre de penseurs font état d’une disparition progressive des traits masculins au profit d’une caricature de ceux féminins, qui se traduisent par une émasculation et un féminisme puritain et misandre. Dans vos articles et interviews vous semblez déplorer vous aussi une perte des valeurs communément associés à la virilité dans la société italienne. Est-ce exact ? N’est-il peut-être pas le destin de l’Occident que de saper toute forme de masculinité et de féminité afin d’effacer les différences entre les sexes ? 

Oui, c’est exact. Mais je ne pense pas que ce soit un programme. Sincèrement, je n’estime pas ces gens si intelligents. En tout cas c’est un fait que les caractères virils sont en voie de disparition. Il n’y a plus les guerres traditionnelles, il n’y a plus l’idée nationale ; tout ça, c’étaient des facteurs qui structuraient les caractères virils : tout a disparu ou est en voie de disparition. De l’autre côté il y a la femme qui, justement, a acquis la parité des droits. Cela est un bien, mais nous, hommes et femmes, ne sommes pas pareils, nous sommes différents. Et en revanche nous sommes en train d’aller vers un monde unisex, qui est dévastateur. Ainsi faisant, les rapports entre les sexes sont rendus difficiles, alors que déjà à la base ils sont compliqués. 

En plus il y a le problème de la démographie. Personne n’empêche la femme de faire une carrière, d’être une bonne musicienne s’elle l’est, mais anthropologiquement, les hommes et les femmes sont faits pour faire des enfants. Si on ne fait pas d’enfants, nous serons submergés par ceux qui fonds des enfants … 

C’est un problème très complexe, auquel Mee Too a donné son apport. Désormais il est difficile d’avoir des rapports naturels, se rencontrer. Parmi mes lecteurs il y a beaucoup de jeunes. Les garçons je les reçois chez moi, tandis que les filles, je les rencontre au bar, car qu’est-ce que j’en sais de ce qu’elles pourraient penser et dire si je les invitais chez moi ?

Nous souhaiterions en savoir un peu plus sur votre « Movimento Zero » et votre Manifesto Antimoderno. Comment est-elle née l’idée de constituer ce mouvement, auquel Alain de Benoist aussi apporta son soutien ? 

L’idée naquit à l’initiative du metteur en scène de mon spectacle Cyrano se vi pare. Il avait remarqué que le public qui se rendait à mon spectacle était composé en bonne partie de jeunes. Alors, il proposa de créer le Movimento Zero [Mouvement Zéro, N.d.T], chose que nous fîmes. Mais à un certain moment Fiorillo, qui était celui qui s’occupait de l’organisation, se retira du projet, et ce fut ainsi que je restais seul. Je ne suis pas un bon organisateur, je n’arrive même pas à m’organiser moi-même ! J’ai essayé de parcourir l’Italie, nous avions même des bons points d’appui, comme en Sardaigne, mais disons que le mouvement est, dans les meilleures des hypothèses, en sommeil. Peut-être qu’il est prêt à reprendre si jamais il y a besoin. Disons que c’est une expérience ratée. Notre place a été reprise par le Movimento 5 Stelle. Nous nous étions rendus chez Beppe Grillo avant qu’il n’entre en politique, pour lui demander s’il voulait se joindre à nous. Il nous répondit qu’il ne voulais pas entré en politique, puis il y est allé. 

Pour ce qui est du Movimento Zero, il y avait douze points, comme le non à la partitocratie, le refus que les cultures prétendument supérieures écrasent celles considérées inférieures. Et aussi la révolte face aux situation devenue intolérables. 

Un peu comme dans L’homme révolté, de Camus ? 

Le révolté de Camus n’est pas un conspirateur, car il fait les choses à la lumière du jour. Et il n’est pas non plus un révolutionnaire. L’homme révolté de Camus est celui qui veut se préserver face à la société. C’est en tout cas la façon dont j’interprète le livre de Camus. Disons que s’ils ne nous poussent pas trop loin, nous ne deviendront pas révolutionnaires, mais nous voudrons certainement défendre notre identité. D’un point de vue de l’individu et de celui de la communauté. 

Prenons comme exemple la Ligue du Nord, celle des premiers temps, d’Umberto Bossi. Elle avait un sens, dans la mesure où en un monde globalisé, la question de l’identité devient un concept central. Affirmer son identité vaut dans la mesure où il y a du respect pour les cultures des autres. Sinon, ce n’est que de l’oppression. Ce que l’Occident fait aujourd’hui, c’est précisément ça : opprimer. 

Bossi avait une vision des choses, mais il était trop en avance sur son époque. Son idée était qu’en une Europe politiquement unie, les points de vue périphériques n’auraient plus étaient les nations, mais plutôt les régions, soudées d’un point de vue social, culturel, économique et même climatique. Il s’agissait d’une idée brillante, mais trop en avant sur son époque, et elle fut combattue avec tous les moyens. Et aujourd’hui Bossi a disparu de la scène politique.

J’estime que Bossi fut le seul homme politique italien d’une certaine importance des derniers trente années, le seul avec une idée politique précise. Ensuite, cette idée n’a pas pu être réalisée, mais bon… Je suis de l’idée qu’une Europe politiquement unie soit indispensable. Ma formule est : une Europe unie, neutre, armée, nucléaire et autarchique. Angela Merkel était sur cette ligne, elle avait déclaré que les Américains n’étaient plus les amis de jadis, qu’on devait apprendre à se défendre seuls. Cela voulait dire qu’on doit avoir une équidistance entre la Russie, les USA et, maintenant, la Chine. Et ne pas être des serviteurs des USA parce que voici 75 ans ils nous ont libérés. Merkel est la plus grande statiste européenne des dernières années. Parfois Macron fait semblant de l’enjamber, mais après il la suit. Maintenant en Italie nous avons Draghi, qui plus atlantiste que lui il n’y en a pas. 

L’arrivée au pouvoir d’une coalition M5S-Ligue avait suscité la surprise générale. Beaucoup de Français s’étaient emballés, rénovant l’idée que l’Italie est comme d’habitude un laboratoire d’idées. Ils oublient que souvent l’Italie est plutôt un mauvais laboratoire. Le fascisme a lamentablement échoué, Berlusconi a ridiculisé l’image de l’Italie, le « jeune et cool libérale de gauche » Renzi n’en parlons même pas. Salvini et di Maio à la tête du pays, personne n’y croyait sincèrement. Qu’est-ce qui n’a pas marché, à votre avis ? 

Il est vrai que, bizarrement, l’Italie est un laboratoire. La figure du marchand comme classe sociale nait en Italie, à Florence, Plaisance et dans d’autres cités, et engendra le capitalisme. Le fascisme nait en Italie aussi. Hitler initialement imitait Mussolini. L’Italie est donc un pays laboratoire qui doit être étudié avec attention, car y naissent des idées que parfois peuvent être très mauvaises, tandis que d’autres fois, elles sont moins mauvaises. 

C’est une spécificité italienne, nous sommes très étranges. C’est que nous, au fond, sommes individualistes, nous n’avons jamais été vraiment un pays. Mussolini détestait la « perfide Albion » car c’est un peuple vraiment uni. Nous ne le sommes pas ; en revanche, nous avons des individus extraordinaires. Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, sont difficiles à trouver dans d’autres pays. Cependant, nous ne sommes pas profonds ; nous sommes des esthètes. Dans la même période où il y avait Raphaël et Michel-Ange, en Allemagne et dans les pays scandinaves il y avait des gens comme Bosch, qui anticipe de plusieurs siècles la psychanalyse. Nous autres, les Italiens, sommes des esthètes, nous sommes superficiels, nous ne sommes pas profonds. C’est beau en un certain sens, mais c’est également le motif pour lequel nous n’arrivons pas à être un pays, un peuple. Les Anglais le sont, mais, d’un point de vue culturel, ils ont produit beaucoup moins, et je dis cela avec tout le respect dû à Shakespeare and company…

Le Movimento 5 Stelle est, comme la Ligue du Nord de Bossi à l’époque, une tentative de détruire la partitocratie. L’alliance entre la Ligue actuelle et le M5S n’a pas fonctionné parce qu’ils avaient tout l’establishment italien contre eux. Le M5S a tenté une alliance avec Renzi au début, mais la gauche a refusé, alors ils sont allés chercher la Ligue et Salvini. Il faut dire que le gouvernement de Giuseppe Conte n’a pas été si mal que ça. Il a été touché très rapidement par la crise sanitaire, et ils ont prit des mesures que tous, à part la Suède, avaient pris. Je ne soutiens pas ces mesures, mais bon, Conte et son gouvernement ont été cohérents. 

Renzi on ne comprend pas comme il fait pour être encore là vu son poids électorale si peu important, il détermine la direction du gouvernement et a fait même tomber le gouvernement en pleine crise sanitaire ! Personne ne s’était permis une chose pareille, mais lui il continu de conserver un certain rôle dans la politique italienne. Renzi est pire que Berlusconi, il a une vision destructrice des choses. Au moins, Berlusconi en avait une plus positive, disons. 

Notre beau, jeune et dynamique président Emmanuel Macron a été giflé par un type chevelu au cri de « Montjoie Saint Denis ! ». Vive émotion de la classe politique française, y compris de l’extrême gauche républicaine et pseudo-révolutionnaire, qui a condamné le geste. Monsieur Fini, pouvez-vous nous faire la grâce d’un commentaire sur cet événement ? 

A mon sens, chaque gifle, et je me limite à parler de gifle, donné à un politicien, ne peut qu’être libératoire. Parfois ils doivent avoir peur de se chopper un coup de poing dans la figure, hein. Je ne dis pas qu’ils doivent se prendre plus que ça, ce n’est pas qu’il faut aller les chercher chez eux. Mais voilà, une claque est libératoire, avec tout le respect dû à Macron, qu’il n’est pas le pire de tous. Lui, politiquement il suit Angela Merkel comme un toutou, c’est tout. Mais bon, un peu de saine réaction, sans devoir arriver au terrorisme, elle est parfois psychologiquement libératoire. 

Il y a comme une odeur de Fin des Temps. Julius Evola, Oswald Spengler et l’Apocalypse semblent être devenus les livres de chevet de beaucoup de personnes. En France, les livres qui traitent du morcellement de la société française et les romans qui abordent le thème d’une éventuelle guerre civile se vendent comme des petits pains. Deux tribunes publiées par des militaires à la retraite et en service actif ont suscité des réactions très contrastées – et inquiété beaucoup de monde. Quel est votre sentiment par rapport à tout cela ? Et que faire, finalement ? Se lancer dans un combat désespéré afin que « tout soit perdu, sauf l’honneur », ou au contraire se construire des « citadelles intérieures », un peu comme le suggéraient Julius Evola et Ernst Jünger ? 

Héraclite, au VIème siècle av. J.-C., affirmait que l’humanité est destinée à dégénérer constamment. Si on observe ces dernières deux mille et six cents années d’histoire, il est difficile de lui reprocher cette vision. Cela dit, il y a deux choses qu’il est possible de prévoir.

Tout d’abord, et cela me paraît assez probable, c’est que le système va s’écrouler de lui-même. Un système qui base son existence sur une croissance exponentielle, chose qui existe en mathématique mais pas en nature, lorsqu’il ne peut plus croître, il collapse. En attendant, la solution, d’un point de vue existentiel, est celle de s’enfermer dans des petites communautés. Plus haut nous discutions du Movimento Zero. Bien. Ce que certains jeunes du mouvement ont fait, c’est de s’acheter un champ, une ferme, apprendre à bêcher, qui est une activité très fatigante !, et là, créer ce que le mouvement hippie n’arriva pas à faire, mais qu’aujourd’hui est possible. Il y a deux communautés nées ainsi, l’une à côté d’Asti, l’autre dans les Pouilles. Il s’agit de communautés autosuffisantes qui n’ont pas besoin d’aides extérieurs. Certes, c’est difficile, mais les gars sont épanouis, ils sont sereins, c’est une façon de vivre qui leur convient. Il faut s’organiser. Aussi parce qu’avant je pensais que le système aurait mis beaucoup de temps à s’écrouler. A l’époque je faisais une enquête journalistique, que j’intitulait Science amère. Je me rendis à Genève, où Carlo Rubbia dirigeait alors le CERN. Rubbia est un humaniste, un héritier des Lumières. A un certain point, j’étais un peu agacé par son discours, je lui dis : « Mais professeur, ce n’est pas que, à la vitesse avec laquelle nous sommes en train d’aller, nous sommes en train d’abréger notre futur ? ». Il réfléchit un moment, pour il me répondit : « Oui, c’est ainsi ». 

Ce système s’écroulera. Peut-être nous n’assisterons pas à cet événement, mais nos enfants, oui. Et là, tout sera recréé. Peut-être avec les mêmes erreurs, qu’en sais-je ? mais au moins ils sortiront de ce système. Car les longues agonies sont bien pires qu’une mort soudaine et sûre. 

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