Le Hezbollah : “Rien n’effacera notre mémoire”

L’image d’une organisation terroriste et criminelle que les puissances occidentales, aidés par des médias aux ordres, tente de donner du « Parti de Dieu » ne résiste pas à la réalité de son rôle sur le terrain. Loin d’être une nébuleuse aux buts obscurs à la façon d’Al-Qaïda, il incarne la volonté de résistance de la communauté chiite libanaise face à l’agression israélienne. Le Hezbollah est à l’avant garde d’une lutte de libération nationale qui dépasse les clivages religieux ou communautaires ; il y ajoute la lutte pour la justice sociale et la solidarité.

Première partie : Une longue lutte

A la fin des années 1960, la forte croissance démographique de la communauté chiite n’amène aucun changement de sa situation sociale et économique défavorisées au sein d’une société libanaise en mutation. Au contraire, elle reste dans la plus extrême pauvreté dans les zones rurales (la plaine de la Bekaa et le Sud Liban) et l’exode massif vers les zones urbaines (les banlieues de Beyrouth) des années 1950 a fait naitre un petit peuple d’artisans et de travailleurs de force qui ne profitent nullement du « miracle économique » libanais. Les élites traditionnelles chiites, c’est à dire les grands propriétaires terriens, maintiennent en leur faveur un système de domination clanique. Ils conservent jalousement leurs prébendes dans un partage du pouvoir au sein de l’Etat (chaque communauté ayant reçu une part du gouvernement à l’indépendance pour préserver l’équilibre nationale). Cette bourgeoisie clientéliste est vigoureusement attaquée par le clergé chiite qui dénonce vigoureusement leur corruption et leur occidentalisation. Proche du peuple, les religieux sont les premiers à remettre en cause les inégalités sociales.

Naturellement les forces  » progressistes de gauche » attirent les masses pauvres chiites (le Baas et le Parti Communiste Libanais sont très présent au Sud Liban dans les années 1960-70). Mais très vite, le « mouvement des déshérités » incarne une voie proprement chiite dans la revendication de la justice sociale. Son fondateur, l’iman Moussa Sader développe un discours révolutionnaire chiite mais tente de préserver la paix entre les factions libanaises.

Des affrontements opposent quand même son mouvement aux milices de gauches et leurs alliés palestiniens réfugiés au Liban. L’émergence d’AMAL (espoir en arabe) sera une étape de plus dans la naissance d’une force politique offensive, avec la constitution de groupes armés de défense dans le contexte de guerre civile larvée à la fin des années 1970. La Révolution Islamique iranienne va renforcer ce mouvement en donnant un exemple de réussite aux chiites. Une intense réflexion religieuse et politique marque cette époque, une nouvelle génération de cadres émerge.

La naissance du Hezbollah

C’est la terrible invasion israélienne de 1982, qui va faire naitre le Hezbollah. Les ravages commis par Tsahal sont immenses et sa brutalité sans limite. Les populations chiites du Sud se retrouvent face à une occupation violente. Les israéliens emploient les mêmes méthodes que dans les territoires occupés de Palestine, mais ils trouvent face à eu une communauté qui se soude dans la résistance. Les chiites sont fiers d’avoir réussi à s’affirmer dans le combat, devenant par leurs capacités militaires et leur courage le pire ennemi des israéliens. Le sens du sacrifice et de la solidarité n’est pas un vain mot dans ce courant de l’islam.

Une partie des jeunes cadres d’Amal, marqués par l’expérience iranienne mais aussi par l’encrassement sanglant par Saddam Hussain du mouvement chiite irakien, vont vouloir faire du combat contre l’intervention de Tsahal au Sud Liban le point de départ d’une lutte d’émancipation chiite et d’une résistance radicale au sionisme.

La plaine de la Bekaa est le berceau du Hezbollah, une foule d’individus et de groupes radicaux convergent dans la zone. On croise des étudiants, des prédicateurs religieux et leurs disciples, des anciens des organisations de résistance palestinienne ou des transfuges du Parti communiste. Tous aspirent à mettre fin aux combinaisons politicardes et opportunistes, ils refusent la participation d’Amal au gouvernement d’union nationale qui tente de négocier la paix avec Israël sous la pression de l’Occident. Suivant les idées de l’Iman Khomeini, ils veulent un état juste basé sur une vision révolutionnaire de l’islam.

Les premiers temps sont difficiles, le Hezbollah n’étant pas structuré et homogène politiquement, sa rupture avec Amal est violente. Durant plusieurs années, les affrontements entre combattants des deux partis font plusieurs centaines de morts pour la conquête de l’hégémonie dans les zones chiites. La jeune organisation peu compter sur un allier de poids : l’Iran. La nouvelle république islamique a dépêché dans la Bekaa (sous contrôle syrien) plusieurs cadres des gardiens de la révolution. Les pasdaran aguerris par les années de guerre contre l’Irak, forment militairement et politiquement les combattants du Hezbollah.

Le Hezbollah s’organise dans le plus grand secret, il ne cherche pas à être médiatisé et veille à structurer toutes ses implantations. L’objectif est de former un groupe militaire efficace, loin de l’inorganisation des milices libanaises.

Très tôt, le Parti de Dieu se distingue des autres milices prédatrices libanaises par son souci constant d’aider les populations. L’ordre règne dans ses zones, les mœurs publiques sont alors marquées par une recherche de pureté et d’exaltation guerrière. Le double objectif d’instaurer un état vertueux islamique sur le modèle de la révolution iranienne et de chasser les Israéliens du Liban se combine dans les appels au jihad.

Le sacrifice jusqu’au bout

Le chaos de la guerre civile est total dans les années 1980 à Beyrouth. La ligne de front traverse la capitale, chaque groupe politique s’accroche aux ruines de leurs quartiers-bastions. Le Parti de Dieu répugne à intervenir dans les affrontements intra-libanais, mais il doit assurer sa survie. Le Hezbollah combat sur plusieurs fronts et réussit à s’imposer à force de sacrifices face aux autres milices et à l’état libanais, mais aussi contre les forces internationales qui veulent maintenir le statu quo entre les factions libanaises et favoriser Israël.

Le 18 avril 1983, un homme fonce dans un vieux camion chargé d’explosif contre l’ambassade des Etats-Unis. L’explosion fait 63 victimes dont 17 américains. Parmi les morts, plusieurs cadres de la CIA venus étudier le moyen de liquider l’insurrection chiite. Le Jihad islamique, groupe alors inconnu, revendique l’attentat. Le dimanche 23 octobre 1983, une attaque suicide sur le même modèle vise la base des marines américains et le Drakkar, le QG des troupes françaises. Le bilan est lourd : 241 américains et 58 français laissent leur vie. Le même groupe revendique l’attaque.

Le Hezbollah n’est pas l’organisateur de cette campagne. Cependant, il est pointé du doigt car il avait déjà lancé des opérations suicides contre les Israéliens. Le premier martyr chiite est Ahmad Qassir, il a vu des membres de sa famille tués par les attaques israéliennes lors de la première invasion du Liban en 1978. Quatre ans plus tard, il jette sa voiture piégée contre le QG de l’armée d’occupation à Tyr. Si l’islam interdit le suicide, l’Imam Khomeini et les plus hautes autorités religieuses l’acceptent dans le cadre d’un sacrifice volontaire dans le combat pour la foi. Le Hezbollah avait demandé une dispense spéciale pour permettre cette action qui pouvait aussi tuer des musulmans (plusieurs prisonniers libanais et palestiniens furent tués dans l’attentat). Le coup fut extrêmement dur pour Tsahal, les Israéliens surent alors que le Liban serait le tombeau de leur ambition de remodeler le Proche-Orient en leur faveur. Le Hezbollah resta discret et n’exploita pas cette victoire, il préféra d’abord l’attribuer à l’ensemble de la résistance libanaise. Il poursuivit dans l’ombre ses actions de guérillas, sapant le morale de l’occupant et l’obligeant à être sur ses gardes.

Pour protéger sa famille des représailles, A. Qassir voulait que son identité ne soit révélée qu’après le retrait israélien du Sud Liban. Depuis, sa mémoire est célébrée chaque 11 Novembre, lors de la plus importante célébration du parti : « la Journée des Martyrs ».

Le pire ennemi d’Israël

Le Hezbollah va forger un appareil politique et militaire de premier ordre. Son action embarrasse pour ainsi dire toutes les armées régulières arabes et fait découvrir aux Israéliens qu’ils ne sont pas invulnérables. Pour la première fois de son histoire, Tsahal trouve en face de lui une véritable résistance populaire sur le modèle de la guérilla. Cet ennemi, peu nombreux mais d’une efficacité redoutable, est animé d’une flamme sacrée. Prescrivant dans les années 1990 les actions martyres, le Hezbollah prêche l’efficacité et l’organisation pour « saigner » les capacités offensives sionistes. Les cibles sont précises : les militaires israéliens et leurs collaborateurs de « l’Armée du Liban Sud », et les opérations « propres » : pas de violence ciblant les civils ou d’actes terroristes aveugles. Le Hezbollah a donné un message clair à Israël : si elle frappe des cibles civiles au Liban, le « Parti de Dieu » en fera autant avec ses missiles de courte portée sur le nord d’Israël.

Malgré des opérations d’une brutalité sans nom, l’armée israélienne va s’enliser dans une sale guerre au Sud Liban. Le Hezbollah bouscule Tsahal et lui inflige une succession de défaites sur le terrain. Répondant par une série de massacres de civils à la suite de bombardements aveugles, Israël s’affiche au grand jour comme le bourreau et l’occupant du Sud Liban.

Le 23 mai 2000, à la faveur de la nuit, Tsahal quitte de manière désordonné ses positions et se replie sur la frontière. Les troupes israéliennes abandonnent leur matériel et leurs collaborateurs libanais. Des dizaines de milliers de réfugiés de la région reviennent aussitôt dans les zones que les occupants laissent dévastées. Les Libanais de toute confession saluent les vainqueurs d’Israël, le Hezbollah. Les vaincus ne sont nullement massacrés, ils sont livrés indemnes par l’organisation aux autorités libanaises pour être jugés – et condamnés à des peines légères.

 

 

Dans le numéro 61 de Rébellion , nous verrons comment cette victoire à permis au Hezbollah de validé sa juste orientation politique. 

 

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