Il était une fois la révolution Zapatiste

Article paru dans Rébellion 15 ( Novembre-Décembre 2005)

Le 1 er Mai janvier 1994 alors que rentrait en vigueur l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada, débutait dans la province mexicaine du Chiapas la première rébellion contre le mondialisme. Sortant de la clandestinité des forêts, les membres de l’Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional ( EZLN) allait tenter, par la prise de quelques bourgades, de signifier au monde moderne le refus des peuples indigènes, dominés et exploités depuis la conquête espagnole, de voir leurs cultures et leur vie disparaître au nom de la globalisation capitaliste.

La réalité mexicaine et le rêve zapatiste

Par ses richesses naturelles, le Chiapas est une des provinces mexicaines au plus grand potentiel de développement ; pourtant la population indienne, majoritaire avec prés d’un million d’individus, se voit écrasée par une oligarchie de grands propriétaires qui contrôlent la quasi-totalité des terres cultivables et par les firmes multinationales exploitant les réserves en bois et en pétrole. La corruption endémique de l’Etat aux mains du Parti Révolutionnaire Institué et sa complicité avec les lobbies des exploiteurs ne laissaient comme seule solution au début des années 90 que la révolte aux masses indigènes. Constitués de communautés de tribus vivant à cheval entre la tradition et le mode de vie occidental, les indiens sont les exclus de la nation, confrontés à la déculturation et au ravage du monde moderne ( drogue, alcool…). Devant l’échec sanglant du mouvement pacifiste de protestation, ils durent faire appel à un noyau de guérilleros isolés dans les montagnes du Chiapas. Des indiens politisés ayant une grande expérience d’organisation et de lutte acquises dans les combat pour la propriété de la terre, servit d’intermédiaire avec ce noyau d’à peine dix hommes. Ils survivaient depuis une dizaine d’années dans la Selva Lacondona, coupés de leur base urbaine. Branche militaire d’une organisation clandestine née dans le milieu de l’université de Mexico et inspirée par l’expérience militaire de Castro et de Che Guevara, ce groupe se proposait de mener une guerre de libération nationale sur le modèle « foquiste » des mouvements révolutionnaires sud-américains. Mais il refusait pour autant de sombrer dans les mêmes erreurs que certains d’entre eux, comme les FARC de Colombie ou le Sentier Lumineux du Pérou, avec une politique de terreur des populations, d’enlèvements et de dérives vers la narco-guerilla. Constitué en 1983, avec des effectifs ridicules et privé de contact avec le reste du monde, le groupe traverse un désert de solitude : « Rien dans la réalité mondiale ou nationale n’indiquait que ce sacrifice valait la peine ou qu’on avait une chance de gagner » se rappelle le Sous Commandant Marcos qui fit partie de ce petit carré de convaincus. Leur ténacité devait être payée de retour. La répression militaire et les raids des paramilitaires payés par les grands propriétaires, entraîna un rapprochement entre eux et les populations locales à partir de 1985. Ils tombent d’accord sur la nécessité d’une lutte armée populaire organisée par une armée régulière. Les militants vont former militairement les paysans. Leurs techniques insurrectionnelles, ils les ont apprises eux-mêmes dans les manuels anti-subversions des Rangers et des Marines Américains. Mais une plus grande leçon leur sera donnée par les indiens en retour. Un choc culturel se produit avec l’apprentissage des langues indiennes et de la culture traditionnelle avec sa mythologie et ses symboles spécifiques. Devant cette réalité inconnue ces jeunes idéalistes issus des milieux urbains vont remettre en question toute leur stratégie. De plus, l’effondrement du bloc soviétique, les oblige à cette remise en question idéologique. La dimension identitaire et nationale de la lutte leur apparaît alors clairement, ainsi que le bouleversement, sans précédent, de la mondialisation dans l’existence des peuples.

Vivre pour la Patrie, Mourir pour la Liberté (Devise de l’EZLN)

10 % de la population mexicaine est d’origine amérindienne, la majorité restante est constituée de métis et d’une minorité de blancs issus des cadres de la Conquête. Oubliés de tous, les indiens sont victimes d’un ethnocide silencieux. Le zapatisme est une analyse propre au problème des communautés indiennes du Chiapas, qui peut être étendue au niveau international, du fait de la mondialisation. Les problèmes de misère, de perte de l’identité et de l’exploitation se retrouvent sur l’ensemble du globe du fait de l’extension des marchés et des échanges économiques qui les diffusent. De cette conclusion, les zapatistes vont tirer l’idée de pensée globale pour agir localement.

Ils vont poser la question du rôle de la Nation dans un monde globalisé. L’attachement à l’unité nationale et les déclarations patriotiques des insurgés dérouteront certains. Les indiens ne remettent pas en cause l’existence de la nation Mexicaine et ne réclament pas l’indépendance du Chiapas. Ils veulent la reconnaissance de leur propre existence, de leur culture et de leur identité dans la Nation. Leur attachement à la patrie est sincère, ils l’accusent seulement d’avoir abandonné et oublié ses enfants. Ils se réclament les héritiers de la révolution mexicaine et d’Emilio Zapata, héros populaire, pour faire sortir la notion de Nation des musées et en faire un espace de résistance et de protection des plus démunis.

L’armée zapatiste, au moment où triomphe la globalisation, va se lancer dans une offensive désespérée pour attirer le regard de la Nation sur le Chiapas. Conçue comme une opération suicide, l’EZLN forte de quelques 2000 combattants masqués et armés de quelques vieilles pétoires lance l’occupation des principales villes de la province. Les zapatistes vont réussir l’impensable à leurs yeux : briser la belle vitrine de l’Etat mexicain qui s’apprêtait à rejoindre « le nouveau monde » capitaliste et susciter un mouvement de soutien national et international à la cause indienne.

L’armée mexicaine dans un premier temps intervint massivement pour écraser l’insurrection. Mais elle doit stopper ses opérations sur ordre du gouvernement, qui veut éviter un bain de sang préjudiciable à son image médiatique. Quand on connaît l’efficacité et la brutalité des opérations anti-subversion des militaires d’Amérique latine, on peut se poser des questions sur la passivité de l’armée (qui avait fait ses preuves dans la lutte contre le mouvement révolutionnaire des années 60-70). La déstabilisation du PRI et les désaccords internes au parti-état sur la politique à suivre au Chiapas, ont donné aux zapatistes le temps d’alerter l’opinion et les médias sur leur situation. La mobilisation massive d’un mouvement de soutien international va forcer le gouvernement mexicain à dialoguer avec les rebelles.

Une expérience alternative

Né de l’identification d’une jeune génération avec le discours novateur des zapatistes et de la popularité de l’image de Marcos, ce mouvement de soutien fut à l’origine des premières mobilisations anti-mondialisation. Des squats de Barcelone aux universités américaines, la stratégie de communication de Marcos a fourni un réseau de soutien et un bouclier médiatique aux indiens, leur permettant d’opter pour une stratégie de paix des armes sur le terrain militaire. La présence des agaçants humanistes patentés de l’intelligensia de gauche, comme Danielle Mitterand ou José Bové venus au Chiapas rencontrer Marcos et s’en faire ensuite une gloire dans les salons parisiens, rentre dans une logique de communication visant à écarter l’épée de Damoclès de la répression. Première cyber-guerilla, le zapatisme a, le premier, utilisé le net comme outil de lutte. Communiqués de presse, analyse, textes doctrinaux et poèmes, les sites de soutien à l’EZLN fournissent matière à penser à toute une frange de la contestation mondiale.

Après les opérations de 1994, l’armée mexicaine s’est officiellement retirée du Chiapas laissant le champ libre aux zapatistes (elle a pourtant continué ses interventions comme lors de l’offensive de février 1995). Ils ont profité de cette paix armée pour organiser une expérience sociale originale faisant du Chiapas un îlot de résistance à la mondialisation. Une réforme agraire est mise en place avec un partage des terres de l’oligarchie au profit des paysans qui en étaient privés. Un projet d’éducation se développe et on promulgue l’interdiction de la consommation d’alcool, fléau qui détruisait les familles et la santé des indiens. Au niveau des institutions, un système de démocratie directe et participative est instauré dans les communautés avec la participation des femmes et des enfants aux décisions. Cette organisation remplacera d’ailleurs l’administration étatique.

La zone zapatiste n’a jamais eu comme vocation de rester un réduit, elle a servi de cadre à des rencontres sociales nationales et internationales, comme « la Rencontre continentale pour l’humanité et contre le néo-libéralisme » de 1996, projetant l’expérience de résistance zapatiste sur le devant de la scène. L’originalité du mouvement repose sur le fait, qu’il invente au fur et à mesure de ses avancées des alternatives nouvelles, se lance des perpétuels défis de créativité pour répondre aux demandes de sa base populaire.

Où en est le Chiapas zapatiste maintenant ?

Le 2 juillet 2000, pour la première fois le PRI doit s’avouer battu lors d’élections régulières. Un nouveau président de droite, Vincente Fox, est élu avec le soutien de la Maison Blanche. Les zapatistes voient s’effondrer le pouvoir corrompu qui avait tenté de les museler. Des négociations débutent avec le nouveau gouvernement, qui aboutissent le 11 mars 2001 à l’arrivée à Mexico, après une marche pacifique de 3000 Km, des cadres de l’EZLN. Marcos dans un vieux car blanc traverse le pays suivant la route de Zapata en 1914, lors de la révolution mexicaine. Il est acclamé par des milliers de partisans et déclare devant la foule de la capitale : « Nous voici, nous sommes la dignité rebelle, le cœur oublié de la Patrie ».

Si l’opération eut une portée symbolique forte, elle ne résolut pas le problème du Chiapas. Fox tente de récupérer le mouvement à son profit sans apporter aucune réponse aux demandes zapatistes. Le dialogue avec le nouveau gouvernement n’aboutit à rien et les rebelles sont repartis dans leur montagne. Les zapatistes ont du mal à trouver leur place dans le jeu politique. Ils sont confrontés à une impasse. Marcos déclare « j’ai peur de mettre les pieds dans le champs politique boueux où je risque de m’enliser ».

Malgré les accords de San Andrès, reconnaissant les droits des autochtones, rien n’a changé. Les zapatistes réclament le droit à l’autodétermination, le retrait de l’armée des régions indigènes et l’annulation de tous les projets économiques colossaux mis en place par le gouvernement et les sociétés transnationales pour exploiter les ressources naturelles de la région. Ne pouvant trouver dans l’Etat et les forces politiques mexicaines un partenaire honnête, les zapatistes vont développer l’autonomie politique des communautés indiennes. L’EZLN va ainsi transmettre progressivement le pouvoir aux « conseils de bon gouvernement » (créés en 2003 pour réunir toutes les communautés indiennes insurgées). Ils se chargent d’assurer la défense des populations contre les incursions des militaires et des milices patronales. D’autant que le gouvernement fait toujours planer la menace d’une intervention militaire massive pour nettoyer le Chiapas des zapatistes. Ainsi en juin 2005, Marcos décréta une alerte rouge générale pour l’EZLN en réponse aux manœuvres d’encerclement de l’armée mexicaine.

On peut préjuger que bientôt douze ans après le début de l’insurrection, la situation au Chiapas est loin d’avoir trouvé une solution. Il faudra une fois encore aux zapatistes de l’imagination pour bâtir une route vers la paix. « C’est notre pensée et ce que nous éprouvons dans notre cœur, affirme la Dixième déclaration zapatiste, qui nous font dire que nous en sommes arrivés à un seuil limite et qu’il se peut même que nous perdions tout ce que nous avons, si nous en restons là et si nous ne faisons rien pour avancer encore. Alors, l’heure est venue de prendre à nouveau des risques et de faire un pas dangereux mais qui en vaut la peine (…). Un nouveau pas en avant dans la lutte indigène n’est possible que si les indigènes s’unissent aux ouvriers, aux paysans, aux étudiants, aux professeurs, aux employés, c’est-à-dire aux travailleurs des villes et des campagnes ».

Le sous-commandant Marcos : « un libertaire qui pense en patriote »(Régis Debray)

Qui se cache derrière le passe-montagne le plus célèbre de notre époque ? Est-ce que Marcos est un certain Rafaël Guillén comme l’affirme la propagande étatique mexicaine ? Qu’il soit ou non, cet universitaire brillant, formé politiquement à Cuba et qui a participé à l’expérience sandiniste au Nicaragua a peu d’importance. Il déclare qu’en débutant l’insurrection au Chiapas, il dit avoir tiré un trait sur son passé, laissant derrière lui « assez de morts pour comprendre qu’il fallait s’en aller pour revenir sous une autre forme, sans visage, sans nom, sans passé, mais de nouveau pour ces morts ». La symbolique étant au cœur de sa démarche -de son nom de guerre pris à un camarade mort au combat, au passe- montagne utilisé d’abord pour éviter d’être reconnu- il a acquis une autre dimension : « N’importe quel mexicain peut l’enfiler et devenir Marcos, devenir qui je suis » déclare-t-il. Adopté par le vieil Antonio, chef d’une communauté indienne, il s’est imprégné de cette culture pour devenir un pont entre le monde moderne et le monde traditionnel. Par ses poèmes et ses fables naïves, il a fait découvrir la cause indienne au monde. Comme pour le Che, il ne faut pas confondre la légende héroïque avec la réalité, par exemple on ne connaît pas réellement son rôle au sein de l’organisation révolutionnaire, mais il est devenu le porte-parole international des zapatistes.

« POURQUOI NOUS COMBATTONS »

La quatrième guerre mondiale a commencé…

« Le néolibéralisme, comme système mondial, est une nouvelle guerre de conquête de territoires. La fin de la troisième guerre mondiale, ou guerre froide, ne signifie nullement que le monde ait surmonté la bipolarité et retrouvé la stabilité sous l’hégémonie du vainqueur. Car, s’il y a eu un vaincu (le camp socialiste), il est difficile de nommer le vainqueur. Les Etats-Unis ? L’Union européenne ? Le Japon ? Tous trois ? La défaite de l’« Empire du mal » ouvre de nouveaux marchés, dont la conquête provoque une nouvelle guerre mondiale, la quatrième.

Comme tous les conflits, celui-ci contraint les Etats nationaux à redéfinir leur identité. L’ordre mondial est revenu aux vieilles époques des conquêtes de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Océanie. Etrange modernité qui avance à reculons. Le crépuscule du XXe siècle ressemble davantage aux siècles barbares précédents qu’au futur rationnel décrit par tant de romans de science-fiction. De vastes territoires, des richesses et, surtout, une immense force de travail disponible attendent leur nouveau seigneur. Unique est la fonction de maître du monde, mais nombreux sont les candidats. D’où la nouvelle guerre entre ceux qui prétendent faire partie de l’« Empire du bien ».

Si la troisième guerre mondiale a vu l’affrontement du capitalisme et du socialisme sur divers terrains et avec des degrés d’intensité variables, la quatrième se livre entre grands centres financiers, sur des théâtres mondiaux et avec une formidable et constante intensité. La « guerre froide », la mal nommée, atteignit de très hautes températures : des catacombes de l’espionnage international jusqu’à l’espace sidéral de la fameuse « guerre des étoiles » de Ronald Reagan ; des sables de la baie des Cochons, à Cuba, jusqu’au delta du Mékong, au Vietnam ; de la course effrénée aux armes nucléaires jusqu’aux coups d’Etat sauvages en Amérique latine ; des coupables manoeuvres des armées de l’OTAN aux menées des agents de la CIA en Bolivie, où fut assassiné Che Guevara. Tous ces événements ont fini par faire fondre le camp socialiste comme système mondial, et par le dissoudre comme alternative sociale.

La troisième guerre mondiale a montré les bienfaits de la « guerre totale » pour le vainqueur : le capitalisme. L’après-guerre laisse entrevoir un nouveau dispositif planétaire dont les principaux éléments conflictuels sont l’accroissement important des no man’s land (du fait de la débâcle de l’Est), le développement de quelques puissances (les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon), la crise économique mondiale et la nouvelle révolution informatique.

Grâce aux ordinateurs, les marchés financiers, depuis les salles de change et selon leur bon plaisir, imposent leurs lois et leurs préceptes à la planète. La « mondialisation » n’est rien de plus que l’extension totalitaire de leurs logiques à tous les aspects de la vie. Naguère maîtres de l’économie, les Etats-Unis sont désormais dirigés, télédirigés, par la dynamique même du pouvoir financier : le libre-échange commercial. Et cette logique a profité de la porosité provoquée par le développement des télécommunications pour s’approprier tous les aspects de l’activité du spectre social. Enfin une guerre mondiale totalement totale ! Une de ses premières victimes est le marché national. A la manière d’une balle tirée à l’intérieur d’une pièce blindée, la guerre déclenchée par le néolibéralisme ricoche et finit par blesser le tireur. Une des bases fondamentales du pouvoir de l’Etat capitaliste moderne, le marché national, est liquidée par la canonnade de l’économie financière globale. Le nouveau capitalisme international rend les capitalismes nationaux caducs, et en affame jusqu’à l’inanition les pouvoirs publics. Le coup a été si brutal que les Etats nationaux n’ont pas la force de défendre les intérêts des citoyens.

La belle vitrine héritée de la guerre froide -le nouvel ordre mondial- a été brisée en mille morceaux par l’explosion néolibérale. Quelques minutes suffisent pour que les entreprises et les Etats s’effondrent ; non pas à cause du souffle des révolutions prolétariennes, mais en raison de la violence des ouragans financiers. Le fils (le néolibéralisme) dévore le père (le capital national) et, au passage, détruit les mensonges de l’idéologie capitaliste : dans le nouvel ordre mondial, il n’y a ni démocratie, ni liberté, ni égalité, ni fraternité. La scène planétaire est transformée en nouveau champ de bataille où règne le chaos (…). L’Union européenne vit dans sa chair les effets de la quatrième guerre mondiale. La mondialisation a réussi à y effacer les frontières entre des Etats rivaux, ennemis depuis des siècles, et les a obligés à converger vers l’union politique. Des Etats-nations jusqu’à la fédération européenne, le chemin sera pavé de destructions et de ruines, à commencer par celles de la civilisation européenne.

Les mégapoles se reproduisent sur toute la planète. Les zones d’intégration commerciale constituent leur terrain de prédilection. En Amérique du Nord, l’Accord de libre échange nord-américain (Alena) entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique précède l’accomplissement d’un vieux rêve de conquête : « L’Amérique aux Américains ». Les mégapoles remplacent-elles les nations ? Non, ou plutôt pas seulement. Elles leur attribuent de nouvelles fonctions, de nouvelles limites et de nouvelles perspectives. Des pays entiers deviennent des départements de la méga-entreprise néolibérale, qui produit ainsi, d’un côté, la destruction/dépeuplement, et, de l’autre, la reconstruction/réorganisation de régions et de nations.

Si les bombes nucléaires avaient un caractère dissuasif, comminatoire et coercitif lors de la troisième guerre mondiale, les hyperbombes financières, au cours de la quatrième, sont d’une autre nature. Elles servent à attaquer les territoires (Etats-nations) en détruisant les bases matérielles de leur souveraineté et en produisant leur dépeuplement qualitatif, l’exclusion de tous les inaptes à la nouvelle économie (par exemple, les indigènes). Mais, simultanément, les centres financiers opèrent une reconstruction des Etats-nations et les réorganisent selon la nouvelle logique : l’économique l’emporte sur le social (…) Dans cette nouvelle guerre, la politique, en tant que moteur de l’Etat-nation, n’existe plus. Elle sert seulement à gérer l’économie, et les hommes politiques ne sont plus que des gestionnaires d’entreprise. Les nouveaux maîtres du monde n’ont pas besoin de gouverner directement. Les gouvernements nationaux se chargent d’administrer les affaires pour leur compte. Le nouvel ordre, c’est l’unification du monde en un unique marché. Les Etats ne sont que des entreprises avec des gérants en guise de gouvernements, et les nouvelles alliances régionales ressemblent davantage à une fusion commerciale qu’à une fédération politique. L’unification que produit le néolibéralisme est économique ; dans le gigantesque hypermarché planétaire ne circulent librement que les marchandises, pas les personnes. Cette mondialisation répand aussi un modèle général de pensée. L’American way of life, qui avait suivi les troupes américaines en Europe lors de la deuxième guerre mondiale, puis au Vietnam et, plus récemment, dans le Golfe, s’étend maintenant à la planète par le biais des ordinateurs. Il s’agit d’une destruction des bases matérielles des Etats-nations, mais également d’une destruction historique et culturelle. Toutes les cultures que les nations ont forgées – le noble passé indigène de l’Amérique, la brillante civilisation européenne, la sage histoire des nations asiatiques et la richesse ancestrale de l’Afrique et de l’Océanie – sont corrodées par le mode de vie américain. Le néolibéralisme impose ainsi la destruction de nations et de groupes de nations pour les fondre dans un seul modèle. Il s’agit donc bien d’une guerre planétaire, la pire et la plus cruelle, que le néolibéralisme livre contre l’humanité (…).

Les extraits suivants sont issus du MONDE DIPLOMATIQUE d’août 1997. Pour l’ensemble du texte consulté le site du journal :

http://www.monde-diplomatique.fr

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