Entretien avec Olivier Maulin : «Notre rapport au monde a été abimé par l’économie triomphante»

Vous n’avez pas lu Olivier Maulin ? Grave faute de goût que vous devez dès maintenant expier ! Il est un des rares auteurs français vivants dont les livres sont une source de joie et d’inspiration pour le lecteur. Il nous avait fait l’honneur de répondre à nos questions dans numéro 83 de Rébellion.

Comment êtes-vous venu à la littérature ? (Question totalement idiote, j’en conviens)

Pas forcément idiote mais compliquée… Je me souviens qu’adolescent, je passais mes soirées à écrire des poèmes et à rêver d’être un poète. J’avais alors pour modèle Rimbaud, bien sûr, et les poètes fauchés de la fin du XIXe siècle qui représentaient pour moi un exotisme fabuleux. C’est donc plus la figure du poète qui me fascinait que la littérature elle-même ! Mais à force d’écrire des poèmes, très mauvais pour la plupart, j’ai appris à écrire, et à m’intéresser à autre chose qu’à la poésie, notamment au roman. Je me suis mis alors à écrire des nouvelles que je publiais dans des petites revues littéraires, puis au roman, assez tardivement. Mais je reste aujourd’hui absolument convaincu que ce sont toutes ces heures passées à écrire de la, poésie qui m’ont tout appris.

Quelles sont les lectures qui vous ont poussé à écrire ? ( question légèrement moins bête)

Adolescent, je ne lisais que de la poésie et des livres d’histoire, cultivant un mépris stupide et un peu snob pour le roman. C’est en licence d’histoire que j’ai eu deux chocs successifs en découvrant Crime et châtiment de Dostoïevski et surtout Mort à Crédit de Céline. J’ai dès lors avalé tout Céline et j’ai compris les possibilités inouïes du roman. Il m’a fallu ensuite une dizaine d’années pour digérer ce monstre et quitter la parodie.

Pour paraphraser Macbeth, l’humour dans vos romans est-il présent pour rappeler que l’existence n’est qu’une histoire de fous racontée par des idiots, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien” ?

Il y a de cela en effet. Mais je n’arrive pas vraiment à parler de l’humour de mes romans. Quand j’ai écrit En attendant le roi du monde, je n’avais pas vraiment conscience que c’était un roman drôle, il a fallu qu’on me le dise. En fait, je ne force rien, c’est la façon dont je vois les choses, je ne peux pas m’empêcher de voir le côté grotesque et raté de l’existence. Et puis je me suis aperçu que l’humour était une arme redoutable qui permettait de tout dire.

Dans votre oeuvre, vous semblez-vous amuser à faire basculer dans l’aventure la vie banale et routinière de vos personnages. Ce point de rupture est pour vous une ouverture vers le vrai sens de la vie ?

Disons que la plupart des mes personnages ne sont pas à l’aise dans ce monde étroit qui de surcroit les rejette. Ils se réfugient ainsi dans des sortes « d’alter-monde » où ils peuvent mettre en pratique leurs « idéaux » même si ceux-ci sont souvent inconscients et non formulés. Mais, oui, il y a une sorte de recherche du vrai sens de la vie comme vous dites, la vie aujourd’hui, pour la plupart des gens des gens, n’en ayant plus beaucoup, de sens.

Vous avez une affection toute particulière pour les « handicapés sociaux ». Etre inadapté au monde actuel est pour vous un signe de bonne santé mentale ?

Exactement ! Le monde actuel étant à mon sens cul par-dessus tête, je crée des carnavals où l’ordre de ce monde est mis à bas. Par le désordre du carnaval, le désordre du monde devient un ordre ! Et puis j’ai une réelle sympathie pour les bras-cassés qui dans notre société de la compétitivité et du sérieux maquillé en cool représentent à eux seuls une provocation et une bouffée d’oxygène.

Dans votre premier roman, « En attendant le roi du monde », vous évoquez des références traditionnelles (Je pense à Mircea Elliade ou René Guenon) pour créer une évocation quasiment magique. Avez-vous été influencé par ce courant ?

Oui, ce sont des auteurs que j’ai lus, surtout Guénon qui a été une lecture très importante pour moi. Certaines vérités établies, lesquelles forment le socle du monde contemporain et ne sont jamais remises en question, se sont écroulées comme un château de cartes à la lecture de Guénon. En le lisant, j’ai à vrai dire eu l’impression que du destop coulait dans ma cervelle et emportait le bouchon de crasse que l’on m’avait collé à l’école… Cela m’a ouvert des horizons intellectuels insoupçonnés. On retrouve l’écho de cette lecture dans mes trois premiers romans où mes personnages sont en quête (selon leurs modalités !) d’une tradition originelle qui rendrait le monde à nouveau habitable.

Un paganisme sauvage et tellurique surgit de la terre ancestrale dans vos romans. Est ce pour vous l’expression d’une voie spirituelle pouvant réenchanter notre époque ?

Je suis un peu ambigu à ce sujet. J’ai eu une période très « païenne » dont je suis un peu revenu. Lorsque Suzy essaie dans Les Evangiles du lac de recréer une religion païenne, elle est obligée d’user d’artifices et de rêves. Que ce paganisme sauvage dont vous parlez puisse irriguer notre rapport au monde, oui. Qu’il ait encore quelque chose à nous dire, encore oui. Qu’il puisse redevenir une religion, non. Il est mort et ne reviendra plus. Mais il est vrai qu’en écrivant mes trois premiers romans, mon but conscient était bien de réenchanter ce monde qui crève d’avoir abandonné le sacré et d’avoir tourné le dos à certains vérités universelles.

Ecologie, localisme, communautés alternatives, enracinement sont présent dans votre réflexion. Pensez vous que l’avenir appartient à un croisement entre la ZAD et la Tradition ?

Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait mais ce qui est certain c’est que notre monde fonce à toute vapeur vers le précipice. Au moment du grand basculement, il faudra bien inventer des solutions pour s’en sortir et certainement verrons-nous en effet la résurgence de communautés autonomes et enracinées. Ceci étant, je traite toutes ces questions d’un point de vue littéraire en ce sens qu’elles me permettent de mettre en scène des personnages, de raconter des histoires et de développer dans la bonne humeur quelques critiques à l’encontre de notre monde persuadé d’être dans le vrai. Quant à l’écologie, elle est très présente dans mes livres, c’est vrai, tout simplement parce que je pense qu’elle soulève, quand elle est réelle et non tartuffe, des véritables questions, et notamment celle-ci : notre mode de production et de consommation illimitées est-il compatible à terme avec une vie sur cette planète aux ressources limitées ? La réponse est à l’évidence non et le développement durable n’y changera rien. Mais au-delà de cet aspect matériel, c’est presque d’une écologie spirituelle, pour le coup, dont j’ai envie de parler. Notre rapport au monde a été abimé par l’économie triomphante, ce qui a rendu les gens sont malheureux. La grande promesse du progrès, c’était le bonheur pour tous mais il se vend chaque année en France 60 millions de boîtes d’antidépresseurs ! L’échec est total et il faudra bien que cela finisse par se savoir (ça se sait de plus en plus « en bas » mais pas « en haut » or c’est « en haut » que ça gouverne). La vraie question qui se pose donc aujourd’hui c’est de savoir si une révolution mentale peut encore nous permettre de changer à temps de direction ou si nous allons foncer dans le mur en discutant de l’écriture inclusive et du racisme sur Internet. Malheureusement, je penche pour la dernière hypothèse.

L’idée de communauté autonome du monde a une signification forte pour vous. Pourquoi ce type d’expérience vous attire ?

Mon idéal communautaire, c’est le village médiéval. On y trouve tout ce que j’aime, la solidarité, une relative égalité sociale (la différence entre le petit seigneur local et le paysan le plus pauvre ne dépassait pas le plus souvent les critères du fordisme), une possibilité d’accomplissement dans un travail qui a du sens avec de nombreux jours fériés (autant qu’aujourd’hui) et un ancrage qui, là encore, donne un sens à la vie. Au fond, l’idéal anarchiste est là ! Dans un monde liquide et littéralement invivable (sans cachetons), je vois les expériences communautaires comme des tentatives de recréer cet âge d’or…

Comment avez-vous découvert les milieux libres et colonies libertaires de la Belle Époque qui servent de source à l’inspiration du « Bocage à la Nage » ?

Dans un magnifique ouvrage hors commerce paru en 2003, ronéotypé, le n°9 d’une revue intitulée Invariance, je crois, et qui s’intitulait « Naturiens, Végétariens, Végétaliens et crudivégétaliens dans le mouvement anarchiste français ». Il s’agissait de la reproduction de revues ouvrières de la fin du XIXe siècle, écrites par les ouvriers eux-mêmes, tirées à quelques dizaines d’exemplaires et distribuées à la sortie des usines, qui prônaient, pour certaines, la sécession d’avec la société capitaliste. J’avais été frappé par la clairvoyance de cette pensée clandestine, souvent exprimée de manière naïve, qui posait déjà la question de l’écologie (un article de 1895 annonce le réchauffement climatique !) et annonçait les communautés hippies avec soixante ans d’avance. C’est l’époque où commençaient à se développer des « communautés libres » d’ouvriers pour qui le progrès loué de manière unanime par le reste de la société consistait pour eux à travailler douze heures par jour dans les vapeurs toxiques pour un salaire de misère et où l’on faisait ramper des enfants de 12 ans sous les machines lorsqu’un tissu les bloquait pour ne pas avoir à les arrêter et perdre ainsi de l’argent, au risque bien entendu que l’enfant se fasse déchiqueter par la machine. Ce que j’avais trouvé touchant, c’était que même s’ils l’ignoraient, leur repli dans ces communautés libres où ils s’expurgeaient de tous les faux besoins jusqu’à abandonner leurs vêtements pour se faire nudistes, ressemblaient fort à une quête du paradis perdu, une tentative de revenir au temps d’avant le péché originel. A ma connaissance deux livres évoquent cet épisode quasi-inconnu de l’histoire, Les milieux libres de Céline Beaudet (éditions libertaires) et Expériences de vie communautaire anarchiste en France de Tony Legendre (même éditeur) qui traite du milieu libre de Vaux et de la colonie naturiste et végétalienne de Bascon qui a duré jusqu’en 1951. Le formidable écrivain Albert T’Serstevens a quant à lui écrit le seul roman sur le sujet, Un Apostolat, qui raconte l’échec d’une de ces communautés. Le livre va être réédité dans quelques mois aux éditions du Rocher.

Vous rendez bel hommage aux luddismes dans les Evangiles du Lac. Pour vous, cette réaction populaire garde son actualité face aux dérives du « progrès » et des sciences ?

Je suis fasciné par le mouvement luddite qui avait spontanément compris toutes les implications du progrès en effet. Et à propos du progrès, je ne crois pas qu’on puisse parler de « dérives ». Le progrès porte en lui ses effets positifs et négatifs dans le même temps, indépendamment de l’usage que l’on en fait, c’est ce que l’on refuse aujourd’hui de voir. L’ânerie consiste à croire que tout progrès est souhaitable. Certains apportent plus qu’ils ne détruisent et on peut alors les adopter. Mais d’autres détruisent plus qu’ils n’apportent et il est du coup criminel de les adopter. Au fond tout le problème réside dans le fait que le progrès est devenu une religion, un dogme indiscutable. Pour ma part, je pense qu’il faudrait aujourd’hui saccager les laboratoires des docteurs Folamour de l’intelligence artificielle et du bidouillage génétique qui sont une vraie folie furieuse.

Vos racines alsaciennes sont pour vous une source d’inspiration ?

Oui, certainement. L’humour d’abord, est très alsacien. Une forme de gaité tragique aussi. Et puis il y a la langue. Je m’amuse souvent à pêcher des expressions alsaciennes que je retranscris en français dans mes livres. L’alsacien est une langue de paysan, très imagée, très verte aussi, avec une quantité invraisemblable d’insultes fleuries et très drôles. Moi qui ai la nostalgie de la langue médiévale, moins précise que celle dont on a hérité du Grand Siècle mais terriblement plus concrète et plus colorée, j’ai parfois l’impression de la retrouver dans le dialecte alsacien (que je ne parle pas vraiment du reste)…

De l’Ecosse à la Catalogne, le nationalisme/régionaliste s’affirme au sein de l’Union Européenne, quel est votre avis sur ce phénomène ?

Pour vous dire la vérité, je n’ai pas d’idées arrêtées là-dessus. L’indépendance de la Catalogne et de l’Ecosse serait évidemment le point de départ du délitement des nations et du triomphe d’une Europe qui demeure un ectoplasme, et dont je ne crois pas qu’elle pourrait être autre chose qu’un ectoplasme Pour ma part, je suis tiraillé entre deux fidélités, l’alsacienne mais aussi la française qui m’a donné ma langue et mon histoire. La seule raison qui pourrait me faire vouloir l’éclatement des nations, c’est le sauve-qui-peut généralisé. Chacun rentre chez soi avec des fusils et verrouille la porte pour essayer de s’en sortir au mieux.

Propos recueillis par Louis Alexandre

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